Il est de ses joueurs dont, par une action, le nom vous reste en tête. Pour beaucoup, Blokhine est et restera celui qui, par péché d’orgueil, lors d’un quart de finale de la Coupe des clubs champions 1976, n’a pas assassiné l’AS Saint-Etienne de Robert Herbin. Blokhine est bien plus que cela. Il est Ballon d’Or 1975 et a chamboulé de nombreux records dans le football soviétique.
14 mai 1975, stade Saint-Jacques de Bâle, 67ème minute, Oleg Vladimirovitch Blokhine parachève la victoire des siens face aux Hongrois de Ferencvaros (3-0) après deux buts de son compatriote Onischenko. Le Dynamo Kiev est champion d’Europe des vainqueurs de Coupes. Le club survole le championnat soviétique, poussé par un Blokhine, meilleur buteur (18 buts).
Le tsar panthéonisé
Quatre mois plus tard, les hommes de Lobanovski affrontent le grand Bayern Munich, vainqueur de la Coupe des clubs champions (C1). Double confrontation légendaire où le Soviétique Oleg Blokhine est inarrêtable. Buteur à l’aller à l’Olympiastadion de Munich lors de la victoire 1 à 0 de son équipe, la figure de proue des Soviétiques réitère au retour inscrivant un doublé sur ses terres (2-0). La fusée soviétique prouve que son Dynamo est la meilleure équipe d’Europe et lui, le meilleur joueur.
Oleg Blokhine est évidemment sacré meilleur joueur soviétique de l’année 1975. Il rafle également la plus haute distinction individuelle : le Ballon d’Or 1975. Devançant Beckenbauer et Cruyff qui se partageaient jusqu’alors les quatre derniers lots. Le tsar est sur le toit de l’Europe. Deuxième lauréat soviétique après Lev Yashin, il est le premier issu de la république soviétique d’Ukraine. Son total de points (122/130) est un record pour l’époque.
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La flèche blonde du Dynamo Kiev
Oleg Blokine, c’était 10’’7 au 100 mètres. Ce n’est pas le fruit du hasard. Sa mère, Ekaterina Adamenko était championne d’URSS du 80 mètres. Son père était le président de la fédération de pentathlon de la république d’Ukraine et vétéran de la bataille de Stalingrad. Né le 5 novembre 1952, l’enfant prodige passe la première partie de sa vie dans un kolkhoze élevé dans l’URSS stalinienne (jusqu’en 1953). Suivant la trace de ses parents, Oleg Vladimirovich, est pressenti à une belle carrière d’athlète. À 16 ans, l’adolescent courait déjà le 100 mètres en 11 secondes. S’il ne rechigne pas à courir dans les pas de ses illustres ainés, c’est bien le ballon rond qui a ses faveurs. Admis à ses 9 ans à l’école de football du Dynamo Kiev, sa vitesse et sa percussion lui ouvrent vite les portes de l’équipe première.
À tout juste 17 ans, le jeune Oleg Blokhine fait sa première apparition avec celui qui sera son club de toujours, ou presque. Le jeune joueur tarde à s’inscrire réellement dans les plans de l’équipe A du Dynamo. Mais ses qualités de dribble, de vitesse et son aisance face au but lui ouvrent une place de choix dans l’effectif d’Aleksandr Sevidov dès la saison 1972-1973. Une première saison pleine (33 matchs, 14 buts) pour le club de sa ville de toujours lui ouvre les portes de la sélection soviétique. Le 16 juillet 1972, le gringalet d’1m80 joue son premier match avec sa nation face à la Finlande. Il y inscrit son tout premier but.
Son ascension est d’autant plus grande l’année suivante. En octobre 1973, Valeri Lobanovski, ancien joueur de la maison, prend les rênes du Dynamo Kiev. Considéré à juste titre comme l’un des plus grands entraîneurs de l’histoire, le technicien soviétique réforme les méthodes d’entraînement. Les séances sont plus individualisées et plus courtes, n’excédant presque jamais les 50 minutes. Oleg Blokhine entre dans une nouvelle dimension. Le Dynamo Kiev de Lobanovski sort vainqueur du championnat soviétique dès la première année du maestro. Oleg Blokhine est son fer de lance, décrochant le titre de meilleur joueur de l’Union Soviétique en 1973 et 1974.
Meilleur buteur du Dynamo Kiev
En Union Soviétique, Oleg Vladimirovitch est l’homme d’un seul club. Après sa superbe saison 1975, le virevoltant gaucher fait son petit bonhomme de chemin, glane cinq titres (coupe et championnat) entre son Ballon d’Or et 1984. Ses dribbles courts, sa capacité à éliminer et à sprinter, et son pied gauche fabuleux amènent son Dynamo sur les terrains de la Coupe des clubs champions. Au niveau européen, les bleus et blancs sont défaits par le Saint-Etienne du Sphinx (Robert Herbin) en quart de finale en 1976. L’année suivante, la troupe de Lobanovski sort vainqueur du quart de finale contre le Bayern Munich de Rummenigge et Maier, mais est stoppée par le Borussia Mönchengladbach de Jupp Heynckes. L’arrivée au club d’Igor Belanov en 1985 lui permet de vivre un dernier rêve européen.
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La première année de Belanov avec son nouveau club met fin à quatre ans de disettes sur la scène soviétique. Le Dynamo Kiev remporte le championnat et se qualifie donc pour la Coupe des vainqueurs de coupes de 1986. La compétition se passe à merveille, le champion soviétique fait un raz-de-marée sur la compétition, martyrisant tous ces adversaires : Utrecht (5-2), Universitatea Craiova (5-2), le Rapid Vienne (9-2) et le Dukla Prague (4-1). Rien ne semble arrêter l’équipe portée par son trio d’attaque magique Blokhine-Belanov-Zavorov. De son côté, le parcours du vainqueur de la Copa del Rey, l’Atlético de Madrid est tout aussi brillant, la finale en fait rêver plus d’un.
Le coup de grâce
2 mai 1986, soient presque 11 ans après sa première victoire dans la compétition, Blokhine s’apprête à jouer un des matchs les plus importants de sa carrière. Au Stade Gerland de Lyon, devant 39 900 spectateurs, Lobanovski aligne son trio magique. Luis Aragones, lui, préfère Quique Ramos à Quique Setien dans son entrejeu. Le coup d’envoi est donné par le Dynamo Kiev. Le stade est en ébullition. Les Soviétiques commencent très fort. Dès la 5e minute de jeu, Blokhine élimine trois Espagnols côté gauche, centre en retrait sur son numéro 10, Belanov, qui voit sa reprise de volée contrée, Zavarov est à l’affût et ouvre le score de la tête. La première mi-temps est dominée de la tête et des épaules par les Soviétiques. Le Dynamo est plus conquérant, plus tranchant. Les Espagnols ne sont que très rarement dangereux, à l’instar d’un coup franc tapé par Lamdaburu en pleine lucarne, retourné impérialement par Chanov (51e). Les Espagnols plient et rompent en toute fin de match. Blokhine y va de son but après une sortie aux fraises du portier argentin Fillol (85e). Yevtushenko assène le coup de grâce après une ouverture magnifique de Blokhine dans la profondeur, le gardien madrilène reparti à l’abordage est éliminé facilement (88e). Score final 3-0. Blokhine, Belanov et Zavarov se partagent le titre de meilleur buteur de la compétition (5 buts à égalité avec Frank Lippmann). Blokhine est à 33 ans à nouveau au sommet de l’Europe. Cette fois-ci, le Ballon d’Or est glané par son coéquipier Igor Belanov. Le Dynamo Kiev peut chanter sa gloire.
Perestroïka et exil
Deux ans et puis s’en va. Blokhine reste actuellement le meilleur buteur du Dynamo Kiev, détient le record d’apparition en championnat d’URSS, dont il est le meilleur buteur. Il est également le recordman de buts en Coupe d’URSS.
Si le tsar a eu l’opportunité de rejoindre les plus grands Européens du moment dont Saint-Etienne ou même le Real Madrid, le régime autoritaire d’URSS ne permettait pas aux joueurs soviétiques de s’exiler. Le salaire était géré par l’administration soviétique et toute fuite de quelconque talent était prohibée. L’ouverture au monde permise par la prise de pouvoir de Gorbatchev et sa politique de perestroïka a permis à Blokhine de goûter au football européen. Son choix ? Le SK Vorwärts Steyr en Autriche. Une saison, 45 matchs, 10 buts et le Soviétique fait déjà ses valises vers une destination insulaire. Chypre, et l’Aris Limassol où le blond aux yeux bleus terminera sa carrière les pieds dans l’eau turquoise de la Méditerranée. Oleg tire sa révérence à 38 ans pour un total de 778 matchs pour 335 buts.
Le visage de la sélection soviétique
Oleg Blokhine, c’est aussi le visage de sa sélection. Malgré une génération dorée, Blokhine et son URSS n’ont pas reçu la gloire escomptée. Pourtant, l’aventure avait très bien commencée. Dès sa première saison avec le maillot rouge, le jeune Oleg est amené à Munich par la délégation soviétique pour participer aux Jeux olympiques. Le jeune joueur du Dynamo prend part à tous les matchs de la sélection soviétique. Auteur de six buts, Blokhine est la pièce maîtresse soviétique du parcours honorable (3e à égalité avec l’Allemagne de l’Ouest). Il reçoit sa première médaille olympique. L’URSS remporte d’ailleurs les Jeux olympiques 1972 avec un total de 99 médailles, dont 50 en or.
Quatre ans plus tard, les Soviétiques rembarquent Blokhine sous leur drapeau rouge. Même exploit, l’URSS prend la médaille de bronze au Brésil (2-0). Cette fois-ci, Blokhine n’inscrit qu’un seul but. L’Union soviétique fait le doublé et remporte à nouveau les Jeux à défaut de les organiser (le Canada est préféré à l’Union Soviétique pour l’édition 1976).
Si les 12 sélections avec l’équipe olympique ne sont pas comptabilisées, Blokhine va bien se rattraper. Recordman de sélections avec l’équipe de football soviétique (112), Blokhine a porté le maillot frappé CCCP (URSS en russe) durant 16 années, de 1972 à 1988 et a inscrit 42 buts, un autre record.
Le chat noir de la nation rouge
En 1973, l’URSS doit passer par les barrages pour se qualifier au mondial organisé en Allemagne de l’Ouest. En ligne de mire le Chili. Cependant, le 11 septembre 1973 le président chilien Salvador Allende est renversé par un coup d’état mené par Augusto Pinochet. Le match allait se dérouler normalement en Union Soviétique (0-0) mais les Soviétiques ne se rendent pas au Chili. Le stade servant quelques jours plus tôt à exécuter les opposants politiques du dictateur. Le Chili gagne sur tapis vert, Blokhine est privé de phase finale de Coupe du monde.
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Une phase finale de championnat d’Europe à se mettre sous la dent en 1976 et une élimination avant les demi-finales en 1982 ; malgré un jeu léché, l’URSS ne brille pas sur la scène internationale. En 1986, malgré la présence du futur Ballon d’Or Igor Belanov et le retour de Lobanovski et son football total sur le banc des rouges (déjà présent entre 1975-1976 et 1982-1983), l’URSS perd en huitième de finale face à la Belgique (4-3 après-prolongations).
Pas de la partie lors de la deuxième place des siens en 1988 à l’occasion du championnat d’Europe. Rien à y faire, Blokhine n’a pas fait briller comme il l’aurait voulu la nation dont il est devenu le visage.
Et enfin une pige sur le banc
À l’instar de son illustre prédécesseur, Valeri Lobanovski, Oleg Blokhine s’essaie à passer de l’autre côté du terrain. Après quelques aventures en Grèce, il prend la tête de la sélection ukrainienne en 2003 pour « rendre au football ukrainien sa gloire d’antan », un an après le décès de son mentor, victime d’un AVC lors d’un match de championnat ukrainien dans son stade de toujours, la Dynamo Arena. Blokhine réussit l’exploit de qualifier sa nation pour la Coupe du monde 2006, une première pour l’Ukraine. « J’étais un joueur imprévisible, je suis un coach imprévisible », avait lâché Blokhine avant un match sur le banc de sa sélection. Une discipline énorme est demandée à son groupe. Et le travail paye. Son équipe portée par son capitaine et Ballon d’Or 2004, Andriy Chevtchenko tombe en quart de finale face aux futurs vainqueurs, l’Italie (3-0). Belle performance pour une si jeune sélection.
La suite logique : son club de toujours. Blokhine rejoint son Dynamo en 2012, mais la mayonnaise ne prend pas. Le club n’arrive pas à revenir sur le devant de la scène nationale et le coach n’a pas su imposer ses idées. Des médiocres 3ème et 4ème places qui ne correspondent pas aux attentes des dirigeants kiéviens. L’histoire entre le Dynamo et Blokhine se termine en 2014.
Engagé en politique auprès notamment du Parti Communiste ukrainien, l’ancien joueur et entraîneur vit désormais auprès de sa famille dans sa ville de toujours, Kiev, malgré les bombardements d’une guerre dont il souhaite une fin rapide. La politique a mené sa carrière de footballeur, mais aussi sa vie de manière générale. Mais Oleg Blokhine a donné un visage au football soviétique. Il en est l’incarnation même. La fusée soviétique a banalisé l’extraordinaire, donnant les contours de records qui semblent inatteignables. Désormais, Oleg Blokhine est engagé auprès de son illustre coéquipier Igor Belanov en tant qu’ambassadeur de la Fédération ukrainienne pour montrer que l’Ukraine possède elle aussi sa propre histoire…
Sources :
- Antoine Ripoche, « EN IMAGES. Ballon d’Or : le palmarès complet, année après année depuis 1956 », OuestFrance
- Régis Delanoë, « Blokhine, tsar et pompier », SoFoot
- Céline Nony, « Ireesha Blokhina témoigne depuis Kiev : «On ne démissionnera jamais» », L’équipe
- Yohann Hautbois, « Dynamo Kiev, un club dans la guerre (2/3) – Un rival historique de Moscou », L’équipe
Crédits photos : Icon Sport