Si critiquée pour le spectacle, il est vrai, souvent morose qu’elle propose, la Ligue 1 sait aussi se montrer éblouissante. L’affiche du dimanche à 21 heure est supposée apporter à chaque suiveur du football français un moment de réel épanouissement avant d’entamer une semaine chargée. Le 8 novembre 2009, alors que Lyon reçoit Marseille dans le choc des Olympiques, la Ligue 1 a brillamment rempli sa mission.
Dimanche 17 mai 2009, 36ème journée de Ligue 1. L’OM, leader, reçoit l’OL, septuple champion en titre mais complètement décroché dans la course à la première place. Pourtant les Lyonnais ne semblent pas avoir envie que la fin de leur incroyable règne soit marquée par un succès de l’autre Olympique, et s’imposent 3-1 au Vélodrome, permettant ainsi aux Girondins de Bordeaux de s’emparer d’une première place qu’ils ne quitteront plus. Six mois plus tard, les deux Olympiques se retrouvent du côté de Gerland, pour un match qui pourrait s’avérer décisif pour le titre. Lyon, 2ème, a l’occasion de revenir sur le leader bordelais tandis que Marseille doit de son côté rattraper une partie du retard accumulé lors des premières journées. Gerland est plein à craquer, les Bad Gones affichent un tifo digne des grands soirs : tout est réuni pour que le spectacle soit au rendez-vous. Le reste appartient à l’Histoire.
Pas de temps à perdre
Si l’enjeu du match est donc important, aucune des deux équipes ne semble vouloir assister au fameux “round d’observation” des premières minutes. Au bout d’une trentaine de secondes de jeu, Lyon déclenche déjà un premier tir par l’intermédiaire de Kim Källström, qui complète le trident lyonnais du milieu avec Jean II Makoun et Miralem Pjanic, mais Steve Mandanda capte facilement le ballon. Marseille répond dans la foulée avec un centre de Laurent Bonnard, bien lancé par Benoît Cheyrou, qui ne trouve que les gants d’Hugo Lloris. On ne joue que depuis une minute mais on le devine déjà : on va assister à un match ouvert. La preuve puisque quelques instants plus tard, Källström cherche Lisandro Lopez dans la profondeur. Le ballon est repoussé de la tête par Hilton mais retombe sur Miralem Pjanic. Le jeune bosnien, 19 ans au moment des faits et positionné plus haut qu’il ne le sera par la suite de sa carrière, enchaîne parfaitement contrôle de la poitrine et demi-volée du droit : Mandanda est battu, Lyon prend déjà les devants. Mais pas le temps de souffler. Alors que les téléspectateurs voient un nouveau ralenti du but, le direct reprend ses droits puisque Mamadou Niang, capitaine marseillais, est parfaitement lancé en profondeur et peut s’offrir un un-contre-un face à Hugo Lloris. Le Sénégalais ouvre bien son pied mais le portier français est, pour le moment, imprenable et détourne le ballon en corner. On joue depuis cinq minutes, on a vu un but et Laurent Paganelli s’est déjà fendu la poire avec Claude Puel dans une interview plus burlesque qu’intéressante sur le fond : Canal+ n’est pas encore repassé en crypté que l’on passe déjà une bonne soirée.
Pas besoin d’attendre longtemps pour en avoir la confirmation. Sur un corner brossé par Fabrice Abriel, Souleymane Diawara devance Jérémy Toulalan, qui forme la charnière centrale rhodanienne avec Cris, et décroise une tête qu’une main trop molle d’Hugo Lloris ne peut empêcher de prendre la direction des filets. Le chronomètre affiche 11 minutes, chaque équipe est déjà parvenue à tromper le gardien adverse et Grégoire Margotton a une vision prémonitoire : “Ce match prend une grande grande dimension !”. Sidney Govou va lui donner raison dans les minutes suivantes. Portés par la dynamique de l’égalisation, les Phocéens poussent dans le camp lyonnais mais ces derniers parviennent à ressortir proprement le ballon. Ainsi, Govou, Pjanic et Lamine Gassama, jeune latéral droit titulaire en l’absence d’Anthony Réveillère et de François Clerc, combinent bien et l’international Français peut profiter des espaces laissés par la défense marseillaise pour gagner du terrain. De là un appel de balle de Lisandro Lopez aspire Hilton et Souleymane Diawara, libérant l’axe à Sidney Govou, qui ne se prive pas de s’y engouffrer. Sur son pied gauche, le Lyonnais ne laisse aucune chance à Steve Mandanda et inscrit le troisième but du match, peu avant le quart-d’heure de jeu. Un soulagement pour l’ailier qui, plus tôt dans le mois de novembre, avait perdu son brassard de capitaine après avoir été aperçu en état d’ivresse avancé en public. La défense marseillaise, elle, a montré des failles inquiétante, que Lyon va tenter d’exploiter dans la dynamique de leur deuxième but. Ainsi, l’OL s’installe dans le camp adverse et y multiplie les centres. Un de ceux-là trouve Govou qui peut la remettre à Lisandro Lopez, seul devant les cages vides de l’OM. Pas d’inquiétude pour les supporters marseillais : l’arbitre assistant lève immédiatement son drapeau pour sanctionner la position de hors-jeu de l’ailier français. Le message est cependant clair : l’OM doit hausser le ton pour ne pas prendre l’eau.
Le (relatif) calme après la tempête
Marseille doit donc au plus vite calmer les ardeurs lyonnaises. Pour cela, Didier Deschamps peut compter sur Bakari Koné, son virevoltant ailier ivoirien, qui décoche deux frappes de loin, certes hors cadre pour la première et trop molle pour la seconde mais qui ont le mérite de réveiller ses coéquipiers. Doucement mais sûrement, l’OM parvient ainsi à s’installer dans le camp lyonnais, mais peine à ressortir le ballon sur les quelques séquences de pressing adverses et est facilement mis en danger, faute notamment à un Lisandro Lopez très remuant. Mais au fil des minutes, ces moments de flottement se font de plus en plus rare et l’OL défend de plus en plus bas. La sanction finit par tomber : Cheyrou déclenche une frappe assez anodine de 25 mètres, mais Lloris anticipe mal sa trajectoire et la détourne dans ces cages, Marseille égalise au meilleur des moments, juste avant la pause. Lloris, lui, est loin d’être irréprochable sur les deux buts qu’il a encaissés. Si le score à la mi-temps peut sembler sévère pour des Lyonnais qui avaient commencé le match de la meilleur des manières, leur passivité passées les vingt premières minutes de jeu leur a coûté cher et l’OM semble rentrer au vestiaire avec l’ascendant psychologique. Ce qui est certain, c’est que le premier acte a été riche en spectacle et que la fébrilité des deux équipes a été mise en lumière, laissant entrevoir de belles promesses pour la deuxième partie de la rencontre.
Comme l’égalisation marseillaise pouvait le laisser penser, les Lyonnais ont pris un véritable coup derrière la tête en rentrant aux vestiaires et ne semblent pas s’en être totalement remis au moment d’entamer le second acte. Ainsi, alors que le jeu a repris depuis à peine trois minutes, Abriel déborde sur le côté gauche et centre vers Brandao. L’attaquant brésilien est trop juste pour reprendre le ballon de la tête mais Bakari Koné a bien suivi le mouvement et claque une demi-volée de l’extérieur du pied qui laisse Lloris impuissant. Actif mais rarement précis en première mi-temps, “Baky” met son équipe dans les meilleures conditions au retour des vestiaires. En face, l’OL semble a deux doigts de la rupture. Cinq minutes après le but de Koné, Niang et Brandao mènent un contre qui permet au Brésilien de s’offrir un duel contre Lloris. Comme face à Niang en début de match, le portier français en sort vainqueur, rattrapant quelque peu ses erreurs sur les buts marseillais. Sur le corner qui suit, la tête de Mamadou Niang passe quelques centimètres au-dessus de la cage lyonnaise. L’OL étouffe et est obligé de changer de formule : Claude Puel fait sortir Ederson, insipide, au profit de Bafétimbi Gomis, Pjanic prend le couloir gauche et les Rhodaniens évoluent désormais en 4-4-2. L’incontournable Lisandro Lopez sonne la révolte avec une frappe enroulée depuis l’entrée de la surface qui oblige Mandanda à une parade spectaculaire : Lyon sort enfin la tête de l’eau. Si le rythme du match ne freine pas et que chaque équipe parvient à se procurer des opportunités, les occasions franches deviennent rares et des imprécisions techniques de part et d’autre du terrain laissent penser que les joueurs sont empruntés physiquement. Pourtant, les quinze dernières minutes vont prouver le contraire.
Magique chaos
Alors que la 80ème minute de jeu approche, le Stade Gerland hausse le ton, refusant de perdre sur son territoire face à l’autre Olympique. Pourtant, c’est bien l’OM qui met la pression, obtenant un nouveau corner. Fabrice Abriel est toujours à la baguette et trouve cette fois Brandao, qui laisse Lloris impuissant. Il reste à peine plus de 10 minutes à jouer, l’attaquant Brésilien qui passait jusque là une soirée compliquée vient, sans doute, de tuer le match, se dit-on alors. Mais non, Grégoire Margotton avait annoncé un match d’une “grande grande dimension” et son vœu va bien se réaliser. Ainsi, quelques secondes après le coup-d’envoi, Jean II Makoun lobe la défense marseillaise pour trouver Lisandro Lopez en profondeur. Ce dernier résiste à Hilton et ajuste Mandanda dans un angle fermé. 3-4, l’espoir renaît et tout semble possible à 10 minutes de la fin du match. La preuve puisqu’une minute plus tard, Heinze est coupable d’une main sur un corner lyonnais et concède un pénalty. Lisandro Lopez, de loin le meilleur joueur de cet Olympico, se présente face à Steve Mandanda pour un duel décisif. Le portier marseillais plonge du bon côté mais est trop court pour chercher un ballon qui se loge dans son petit filet. “Licha” pose son doigt sur sa tempe, Gerland explose : Lyon est revenu au score en l’espace de quelques minutes, et peut même se permettre de rêver d’une victoire.
À quatre partout, le match prend une nouvelle dimension et s’inscrit déjà dans les livres d’histoire. La moindre touche de balle est alors perçue soit comme une menace soit comme une lueur d’espoir pour un public qui peine encore à réaliser le scénario auquel il assiste. Pourtant, il n’est pas au bout de ses surprises. À la 90ème minute, Lyon déclenche une contre-attaque éclaire, menée d’une main de maître par Gomis, Lisandro et Pjanic, qui finit par décaler Michel Bastos, entré depuis quelques minutes seulement. Ce dernier ne laisse aucune chance à un Mandanda plus malheureux que fautif sur l’ensemble de la soirée, enlève son maillot et saute dans les bras de son public. Tant pis pour le carton jaune qui va avec, le Brésilien vient d’offrir la victoire à son équipe. Du moins, c’est ce qu’il devait penser. Sauf qu’à la 92ème minute, sur un centre désespéré de Valbuena, la défense lyonnaise peine à dégager le ballon. La majorité des 22 acteurs se trouve dans la surface lyonnaise et on comprend mal ce qu’il s’y passe. Mais Lloris a bel et bien abandonné ses cages pour s’imposer devant Mamadou Niang. Le ballon, lui, prend tout de même la direction du but lyonnais, mais voit sur son chemin Stéphane Mbia et Jérémy Toulalan. C’est simple : le vainqueur du duel décidera de l’issue du match. Et c’est bien le Lyonnais qui touche le ballon en dernier mais… le propulse au fond de ses propres filets. La situation est difficilement compréhensible en direct mais la conséquence est claire : 5-5, seuls les Marseillais se font désormais entendre à Gerland. Un but chaotique, à l’image d’une rencontre complètement hors du temps. Parfois considéré comme le meilleur match de l’histoire du championnat de France, cet Olympico se termine sur le fabuleux score de 5-5. Car cette fois ça y est, même si les quatre minutes de temps additionnel ne sont pas achevées, les 22 acteurs ont épuisés toute leur force. Les deux équipes repartent donc avec un match nul qui n’arrange personne mais qui, au fond, ravit tout le monde au vu de la crainte qu’a longtemps eu chaque équipe de sortir perdante.
Spectaculaire de la première à l’ultime seconde, l’Olympico du 8 novembre 2009 s’est imposé comme un match référence dans la vaste histoire la Ligue 1. Probablement à raison car au-delà même des féeriques 90 minutes qui ont donné naissance à 10 buts, la suite de la saison montrera que cette rencontre a été décisive dans la course au titre. L’OM parvient après ce match nul à refaire petit à petit son retard sur ses rivaux, dépassant finalement l’OL de 6 petits points à la fin des 38 journées. Qui sait s’il en aurait été de même si Jérémy Toulalan n’avait pas détourné le ballon dans son but ?
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