L’histoire du football italien a toujours été rythmée par de nombreuses rivalités au sein de la Botte. Certaines d’entre elles dépassent de très loin le cadre du football et sont profondément ancrées dans la culture du pays. La relation entre la Juventus et le Napoli semble en être un parfait exemple. Les deux clubs, qui n’ont jamais eu la même dimension – à échelle nationale comme internationale – constituent pourtant l’une des plus grosses confrontations d’Italie. A l’origine de ce conflit, une rivalité Nord-Sud ancrée depuis longtemps dans la culture italienne.
La Juventus FC est, depuis toujours, l’équipe à abattre en Italie. Avec sa domination totale du championnat et ses implications dans les affaires du Calciopoli en 2006 nombreuses sont les équipes qui souhaitent voir la Vecchia Signora perdre son statut d’équipe la plus titrée d’Italie. L’AC Milan, la Fiorentina, le Torino et l’Inter entretiennent une rivalité avec les bianconeri, très largement détestés dans toute la Botte. Si ces rivalités sont presque exclusivement basées sur le football en lui-même, l’une d’entre elles va chercher ses origines beaucoup plus loin. Le SSC Napoli, club de la ville symbolique du sud de l’Italie, est en effet un autre rival important de la Vieille Dame. Forcément, le football et l’opposition entre les équipes de Turin et de Naples ont contribué à l’entretien de cette forte rivalité. Cependant, cette rivalité va chercher ses origines beaucoup plus loin dans l’histoire, puisque les premières traces de rivalité entre les deux villes se trouvent au XIXème siècle. Quant à l’aspect sportif de cette opposition, il a connu une première évolution au cours des années 1980, à l’apogée d’un Napoli porté par el Pibe de Oro, Maradona lui-même. En face, un autre numéro 10 de légende : Michel Platini. Ces deux virtuoses ont porté leurs clubs respectifs à cette période, les propulsant au sommet. Plus tard, la rivalité reviendra à son apogée dans le courant des années 2010, lorsque l’Inter et le Milan sont au plus bas. Le Napoli et la Juventus, revenus de Serie B depuis peu, en profitent pour remonter à la tête du championnat championnat et batailler pour le Scudetto.
Aux origines historiques de la fracture Nord-Sud en Italie
Si l’Italie en tant qu’espace géographique et en tant que culture existe depuis de nombreux siècles, l’Etat italien unifié est en revanche assez jeune dans l’Histoire. Avant son unification, l’homme d’Etat autrichien Klemens Wenzel von Metternich en parle comme d’une expression géographique, une idée divisée et incohérente qu’il conviendrait de « manger feuille par feuille à la manière d’un artichaut ». Après le congrès de Vienne de 1815, la majorité des Etats indépendants italiens sont placés sous gouvernance autrichienne, sous le joug des Habsbourg. La Lombardie (région de Milan) et la Vénétie (région de Venise) sont quant à eux directement intégrés au territoire de l’Autriche. Un Etat reste cependant à l’écart de cette domination : le royaume de Piémont Sardaigne (qui contrôle la Savoie en plus de l’île et de la région de Turin).
En 1831, le mouvement Jeune Italie est formé par le révolutionnaire Giuseppe Mazzini. Il s’agit d’un mouvement nationaliste luttant pour l’unification du pays et la fin de la domination autrichienne sur la botte.
Il faut trois guerres d’indépendances pour les en chasser, la première se déroule durant l’année 1848-1849 et voit le roi de Sardaigne Charles-Albert, allié aux partisans du mouvement Jeune Italie, perdre face aux Autrichiens aidés des Français. Contraint d’abdiquer en faveur de son fils Victor-Emmanuel II, il meurt en exil au Portugal cette même année 1849. Mazzini, lui, s’exile à Londres.
La deuxième guerre d’indépendance éclate en 1859. Le roi de Piémont-Sardaigne Victor-Emmanuel II et son premier ministre Cavour forment une alliance avec la France de Napoléon III et attaquent l’Autriche. Les Autrichiens sont lourdement défaits à Magenta puis à Solférino, et la ferveur nationaliste s’empare des autres régions du Nord de l’Italie qui se soulèvent au cours de l’année 1860. Le royaume de Piémont-Sardaigne étend son contrôle et son territoire sur la botte, mais perd la Savoie et la ville de Nice, offerts comme monnaie d’échange à Napoléon III.
Le Nord de la péninsule italienne sous son contrôle, Victor-Emmanuel II doit encore rallier les Etats pontificaux (notamment Rome) et surtout le Sud, possédé par le Royaume des Deux-Siciles. Ce royaume n’appartient pas aux Habsbourg mais à la dynastie des Bourbons-Sicile, ou Bourbons de Naples. La ville de Campanie est d’ailleurs la capitale du royaume : un premier axe d’opposition Turin-Naples se constitue.
C’est à un autre Giuseppe et à un autre révolutionnaire patriote que l’on va confier le rôle de rallier le Sud au royaume de Piémont-Sardaigne : Garibaldi. Il embarque, le 6 mai 1860, mille hommes en armes et les débarque en Sicile. Il remporte des affrontements de guérilla et remonte le territoire du royaume des Deux-Siciles jusqu’à en encercler la capitale : Naples. Rejoint par les troupes régulières du royaume de Piémont-Sardaigne, Garibaldi prend la ville, le roi de Naples François II est forcé à l’exil et le 17 mars 1861, Victor-Emmanuel II est fait roi d’Italie. Il faudra 5 ans plus tard une nouvelle guerre face à l’Autriche pour récupérer la Vénétie, et attendre jusqu’en 1870 pour que les Etats de l’Eglise tombent à leur tour et que Rome devienne la capitale du royaume.
Si les actions de Victor-Emmanuel II, de Cavour et de Garibaldi sont vues dans la majorité de la botte comme un soulèvement face à l’occupant autrichien et une unification patriotique, les habitants du Sud n’ont pas la même vision des choses. A Naples, on considère le débarquement des Mille de Garibaldi comme une invasion et une conquête plutôt que comme une libération. Ce révisionnisme historique trouve de nombreux échos, et des actions de résistance s’organisent en Campanie et dans les autres régions du Sud de la botte. On appelle cette résistance le brigandage post-unitaire. Il est, selon certains historiens, à l’origine du développement de puissantes organisations mafieuses du Sud, comme la Camorra napolitaine ou Cosa Nostra en Sicile, composées d’anciens membres influents de la société du royaume des Deux-Siciles.
De plus, puisque l’Italie a été unifiée par des acteurs du Nord, et notamment de la province du Piémont, les premiers efforts du roi et de Cavour vont être d’industrialiser et de développer les régions septentrionales en priorité. Ainsi, l’arsenal de Castellmare di Stabia, à Naples, est délocalisé à Gênes, et une partie des richesses du Banco di Napoli (la banque de l’ancien royaume des Deux-Siciles) est transférée vers le Nord. Ces décisions ont pour conséquence d’envenimer les relations entre régions du Sud et du Nord de la botte, une fracture qui est encore bien visible aujourd’hui.
L’un des éléments les plus tangibles de cette fracture socio-spatiale est celui de la langue. Encore aujourd’hui à Naples, on parle le napolitain. Plus qu’un dialecte (on en trouve de nombreux en Italie), le napolitain possède le statut de langue, que lui reconnaît entre autres l’UNESCO : il est parlé par près de 6 millions de personnes dans le monde. Il s’agit d’une langue difficile et hors de portée d’un Italien qui n’en aurait pas fait l’apprentissage. Si les habitants de la Campanie parlent l’Italien, apprit dans toutes les écoles depuis les réformes d’uniformisation linguistique de Cavour, la langue parlée au quotidien reste, dans la région, le napolitain. Cette langue fait partie du patrimoine du Sud, elle est un élément de fierté et d’identification territoriale fort. La série à succès Gomorra en a récemment fait la promotion, tous les dialogues étant écrits en napolitain.
Un dernier fait historique vient élargir cette fracture Nord-Sud, et notamment Turin-Naples : l’apparition de la Fabbrica Italiana Automobili Torino, la société de construction automobile Fiat, qui voit le jour à Turin en 1899. Dès sa création, la société fait venir de très nombreux travailleurs provenant des régions du Sud de l’Italie (Campanie, Calabre, Sicile, Pouilles, Basilicate…). Ces travailleurs fuient la misère de leurs régions, accentuée depuis l’unification de l’Italie et le transfert d’argent du Sud vers le Nord. Ils s’installent au Piémont et vident le Sud de la botte d’une partie de sa force de travail, appauvrissant encore plus la région. Nombre d’émigrants italiens partis vers les Etats-Unis (entre autres) l’ont été à cause de cet appauvrissement progressif de la région.
Chacun de ces éléments de rupture sociale, qu’il s’agisse de la langue ou de la mémoire historique, sont aujourd’hui au cœur de la rivalité entre le Napoli et la Juventus. Cette dernière est, depuis 1923, possédée par la famille Agnelli (aujourd’hui Andrea Agnelli), qui est l’actionnaire majeur du groupe Fiat. Puisque bon nombre de ses tifosi ne sont pas directement issus de la région du Piémont, mais bien de toute la botte, avec ces générations de travailleurs du Sud et d’ailleurs venus s’installer à Turin, la Juventus est un symbole de centralisme et d’italianité, là où le Napoli et ses supporters s’attachent à une appartenance forte à la région et à ses traditions culturelles et linguistiques.
« Je suis reconnaissant d’avoir accepté comme un honneur la présidence, mais j’espère ne pas vous décevoir en vous confessant que je n’ai aucunement l’intention de juste l’accepter en tant que titre honorifique. Nous devons nous efforcer de bien faire, mais en nous rappelant qu’une chose bien faite peut toujours être mieux faite. » – Edoardo Agnelli
Si une rivalité sociale et historique existe et est encrée dans les relations entre Juventus et Napoli, elle a du mal à se traduire en rivalité sportive durant la majorité du vingtième siècle, l’écart entre la Vieille Dame du club parthénopéen étant trop important. La Juventus a un statut historique de club puissant dans le pays. Elle fait partie, avec l’Internazionale (ou Inter) et l’AC Milan, de cette triade aux lourds palmarès et ayant signé la quasi-totalité des exploits italiens dans l’histoire du football européen.
Une première rivalité sportive entre la Juventus et le Napoli va cependant voir le jour, au milieu des années 1980, portée par un certain numéro 10 argentin…
Les années Maradona et la première rivalité sportive Juventus – Napoli
Le 5 juillet 1984, la SSC Napoli réalise le plus beau transfert de son histoire, en faisant venir du FC Barcelone le génie Diego Armando Maradona. Le prix de ce transfert ? 12 millions d’euros environ, soit la transaction la plus chère de l’époque. Mais ce n’était pas cher payé pour tout le bien que l’Argentin a fait au club et à la ville, dont il est encore une idole absolue.
En arrivant à Naples, Diego Maradona plonge le club dans un âge d’or, une période de succès et d’ambitions. Ambitions traduites par les arrivés, dans les années suivantes, de joueurs de qualité tels qu’Alessandro Renica, qui signe en 1985, Francesco Romano en 1986, Giovanni Francini et Careca en 1987 ou encore Alemão en 1988. Le Napoli se constitue une équipe efficace et performante, et pour cause : elle fait face à une Juventus intraitable.
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A l’été 1984, où arrive Maradona, la Vieille Dame vient de remporter son troisième titre de champion d’Italie de la décennie 1980 sur quatre possibles (l’AS Roma glane l’autre). Plus fort encore, les juventini terminent la saison 1984-85 en remportant pour la première fois de leur histoire la Coupe européenne des clubs champions (actuelle Ligue des Champions) face à Liverpool. Si on écarte les circonstances terribles de cette rencontre rebaptisée le « drame du Heysel », la Juventus aligne pour cette finale une équipe magnifique, composée de grands talents tels que les trois champions du monde 1982 Paolo Rossi en attaque (ballon d’or cette même année 1982) et Gaetano Sciera et Antonio Cabrini en défense, ou encore le grand numéro 10 français Michel Platini, qui offre la victoire à son équipe sur penalty.
Deux équipes formidables donc, menées par des numéro 10 de génie, vont batailler tout au long de cet âge d’or napolitain, souvent rejointes par d’autres forces importantes du championnat, notamment l’AC Milan et l’Inter.
L’un des premiers matchs opposant ce nouveau Napoli à la Juventus est aussi l’une des rencontres les plus marquantes entre les deux sélections, et une lourde page de la légende de Maradona. Le 3 novembre 1985, la Juventus se déplace au San Paolo. Maradona inscrit, lors de ce match, l’un des plus beaux coups francs de sa carrière, dans la surface de réparation et à bout portant. Bon nombre de journalistes italiens qualifient cette action de « plus beau coup franc de l’histoire ». Cette année-là, le coup de génie de Maradona ne peut empêcher la Juventus d’être championne. Le Napoli quant à lui finit à la troisième place. Mais au moins, les présentations entre Maradona et ses nouveaux rivaux sont faites, et préparent le terrain des folles saisons qui vont suivre. Voyez vous-même.
L’année du premier triomphe napolitain sur le rival turinois est la saison 1986-1987. Trois ans après l’arrivée de Maradona, les partenopei livrent un combat acharné dans la course au titre, qu’ils finissent en tête avec 42 points contre 39 pour la Vieille Dame. Cette même année, le Napoli remporte la Coppa Italia en disposant de l’Atalanta en finale, mais sans rencontrer la Juventus, éliminée en quarts de finale par Cagliari. Le facteur crucial qui fait du Napoli le champion d’Italie cette année-là, c’est la double confrontation en championnat l’opposant à la Juventus.
Le 9 novembre 1986, Maradona et ses collègues se rendent au Stadio Comunale de Turin pour le compte de la huitième journée de championnat. Les deux formations, invaincues, se partagent alors la tête du classement. Les deux équipes se livrent une bataille difficile et fermée, jusqu’à l’ouverture du score du danois Michael Laudrup à la 50e minute. Mais les azzurri vont garder confiance et redoubler d’intensité. Si bien qu’en deux minutes (73’, 75’), Moreno Ferrario et Bruno Giordano font passer leur équipe devant, avant que Polpecina ne vienne inscrire le troisième but du Napoli en fin de match. Score final : 1-3. Les Napolitains croient enfin en un rêve, celui de devenir pour la première fois les champions d’Italie.
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Le Napoli reçoit à son tour la Juventus le 29 mars 1987. A six journées de la fin, l’équipe n’a plus le droit à l’erreur : elle vient de perdre contre l’Inter, et la Juventus peut repasser devant en cas de victoire. Dans un match d’une rare intensité, les deux génies Maradona et Platini se répondent par des passes décisives. Le Français en délivre une Serena, l’Argentin, deux à Renica et Romano. Les Napolitains s’imposent 2-1 dans un stade San Paolo qui explose de joie, ils ne perdent plus la tête de la Serie A et sont sacrés champions à domicile lors de l’avant-dernière journée en signant un match nul 1-1 contre la Fiorentina.
A Naples, l’euphorie du titre est totale, un vrai carnaval de Rio dans la capitale de la Campanie.
« Le bus qui nous amenait au stade a pris une heure pour y arriver. Il y avait un énorme bouchon sur le chemin au stade, les gens nous attendaient dans la rue pour nous saluer et l’ambiance était unique. La ville entière était totalement bloquée. » – Andrea Carnevale
Au cours de cette célébration folle, les tifosi du Napoli défilent dans la ville avec, au milieu des drapeaux, des klaxons et autres festivités, un cortège de faux cercueils aux effigies de chaque club de Serie A. Cette marche funèbre festive n’exclue bien-sûr pas le rival de la Juventus, dont le « cercueil » est brandi particulièrement haut par les supporters.
« C’était quelque chose d’incroyable, avec 80 000 supporters au stade et un million de personnes dans les rues. Gagner un Scudetto à Naples est une émotion unique. C’était la victoire d’une ville qui avait attendu longtemps et avait mérité ce trophée. Les supporters avaient beaucoup souffert avec nous pendant tout la saison » –Andrea Carnevale
Les années qui suivent voient la rivalité entre le Napoli et la Juventus continuer de faire des étincelles. Le club de Maradona n’arrive pas à enchaîner deux scudetti d’affilés et doit attendre 1990 pour s’offrir un deuxième titre de champion d’Italie. Entre-temps, la Juventus n’est pas non plus sacrée. Elle est privée de titre jusqu’en 1995, l’une des plus longues périodes de l’histoire du club sans titre de champion.
« Le président Ferlaino avait loué un grand bateau pour pouvoir fêter loin des endroits glamour du centre-ville, et aussi pour éviter la foule et l’invasion d’amour des gens. Mais la vraie fête était devant nos yeux, dans les rues de Naples, je la voyais du bateau » – Andrea Carnevale
A la fin de l’ère Maradona à Naples, le club ne réussit pas à rester sur sa lancée de succès. Diego quitte la ville en 1991. De là, la qualité sportive de l’équipe va en diminuant. De challenger régulier et même tenant du titre, le Napoli redevient au fil des années une équipe de milieu de tableau, l’éloignant du niveau des grands rivaux du Nord.
Peu à peu, la baisse d’intensité du Napoli se transforme en un véritable déclin, et le club parthénopéen se voit relégué en Serie B en 1998. Il remonte en Serie A en 2000, avant de faire faillite et de tomber, en 2004, en Serie C. Les matchs épiques au coude à coude avec la Juventus sont loin. Les scudetti, les coupes d’Italie et d’Europe ne sont plus qu’un souvenir, mais un souvenir heureux et précieux qui est encore aujourd’hui conservé précieusement dans le cœur de chaque napolitain, et qui se traduit par une adoration sans faille à l’idole Diego Maradona.
En 2004, Aurelio de Laurentiis rachète le club et le lance dans une lente reconquête sportive. La Juventus, durant toute ces années, lutte pour le titre face, notamment, au grand AC Milan, et fait bonne figure en Europe : elle gagne en 1996 sa deuxième Ligue des Champions face à l’Ajax.
Les années 2010 : un retour au premier plan et une rivalité au sommet
Après le rachat du club par De Laurentiis, le Napoli est rejoint par la Juventus en Serie B, suite aux affaires de Calciopoli suspectant les bianconeri d’avoir truqués plusieurs rencontres pour remporter le championnat. C’est donc au début des années 2010, voire à la fin des années 2000, que les deux clubs se donnent rendez-vous au sommet du championnat italien. Dès 2009, cette rencontre va prendre un nouveau tournant : alors que la Napoli est mené 2-0 à Turin, un jeune Marek Hamsik, auteur d’un doublé ce soir-là, parvient à porter son équipe vers la victoire (3-2). Moqueries et insultes s’ensuivent dans les tribunes des partenopei.
Les années 2010 sont alors riches en événements tumultueux. Alors que les deux clubs de Milan s’effondrent peu à peu, la Juventus revient au sommet, toujours suivie de près par le Napoli et l’AS Roma. Les rencontres entre les deux clubs sont animées, et l’enjeu est tout le temps lourd : la victoire ou rien. Lors des rencontres entre les deux clubs, les tribunes étaient tellement animées que les supporters ont été interdits de déplacements, la Lega jugeant ces confrontations trop dangereuses. Lors d’une rencontre entre les deux clubs, certains bianconeri ont cru bon de chanter « Vésuve, lave les avec ta lave ». C’est après ce match ayant failli faire dégénérer la situation que la décision d’empêcher les déplacements a été prise. La Coupe d’Italie de 2012 remportée 2-1 par Naples contre les rivaux et mettant fin à 22 ans de disette ainsi que les huit Scudetti de suite de la Juventus ont contribué à l’entretien de cette rivalité.
Mais s’il fallait choisir un événement déclencheur, nous pourrions parler du transfert de Gonzalo Higuain lors de l’été 2016. « Higuain n’ira pas à la Juve« , disait Aurelio de Laurentiis en juillet. Pourtant, le 26 du mois, c’était officiel : le meilleur buteur du championnat allait rejoindre la meilleure équipe du championnat, pour la modique somme de 90 millions d’euros. un transfert record pour les deux clubs, démontrant la différence de dimension prise par les deux institutions. De Laurentiis puis Higuain furent insultés et critiqués par tous les napolitains, le second régulièrement qualifié de « porc » ou de « merde ».
Et c’est en avril 2017, lors de la demi-finale de la Coupe d’Italie, qu’Higuain a décidé d’accuser son ancien président d’avoir voulu ce transfert. Après un but de l’Argentin contre son ancienne équipe, un « ES TU CULPA » (c’est de ta faute) rageur résonne dans le stade : Gonzalo pointe du doigt De Laurentiis et déclare officiellement la guerre à son ancien club.
Le Juventus – Napoli au Juventus Stadium, en 2018, a failli créer un très gros tournant dans la rivalité entre les deux clubs. En effet, lorsque Kalidou Koulibaly et Naples s’imposent 1-0 dans le temps additionnel, les napolitains fêtent la victoire comme si le titre était gagné, alors qu’ils étaient encore un point derrière les bianconeri. Finalement, après une fin de saison haletante et un Inter – Juve au scénario fou, c’est bien la Vieille Dame qui remporte le Scudetto et affirme son hégémonie.
Un doigt d’honneur de Maurizio Sarri envers certains supporters de la Juventus, des chants d’insultes et de moqueries, des bagarres entre tifosi, des transferts entre les deux clubs et une lutte acharnée pour le titre : les années 2010 constituent, sans aucun doute, l’un des moments d’apogée de la rivalité entre deux clubs et deux villes que tout oppose.
Vito, 53 ans et habitant de Turin, nous a donné son ressenti sur cette confrontation.
« Je pense que cette rivalité dépasse le cadre du football, car de manière générale nous n’aimons pas beaucoup les napolitains ici, qu’on regarde le foot ou pas. Personnellement, je déteste encore plus l’Inter ou le Torino ou le Milan, mais Naples a failli nous prendre un Scudetto il y a deux ans et les tifosi se détestent. Même si les deux clubs n’ont pas du tout la même dimension, il y a quand même cette haine omniprésente dans les deux villes, une rivalité pas aussi forte qu’avec les clubs de Milan, mais plus profonde et plus ancrée dans notre histoire. C’est difficile à dire, je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que je ne les aime pas… et qu’ils ne m’aiment pas non plus ! (rires) »
La rivalité entre la Juventus et le Napoli dépasse le cadre du football. C’est une rivalité culturelle, historique et sociale datant de la fin du XIXème siècle de la fracture italienne de l’époque. Au-delà de la rivalité entre deux clubs de football, c’est une rivalité entre Turin et Naples. Entre deux modes de vie, entre deux villes en tous points opposées. Cette rivalité s’est accentuée, sur le plan sportif, lors de l’arrivée de Maradona au Napoli, tel un sauveur. Après une période plus calme, cette rivalité s’est relancée dans les années 2010, et les transferts successifs vers la Juventus de Gonzalo Higuain puis de Maurizio Sarri, deux symboles du SSC Napoli, n’ont rien arrangé. Sans être la rivalité la plus forte d’Italie, elle est l’une de celles qui est le plus ancré dans la culture du pays… pour ne jamais s’arrêter ?
Adrien Roche et Rémi d’Arco.
Crédit photos : Iconsport
Sources :
- Forza Italian Football, Juventus and Napoli: a history apart
- France Inter, Naples et l’unité italienne, épisode 1 (podcast)
- Naissance de l’Italie contemporaine 1770-1922, Gilles Pecout, 2004
- So Foot, L’or de Naples
- These Football Times, Battle of the 10s
- These Football Times, Calcio II
- The sirens song, Juventus – Napoli: two clubs and two cities in contrast