La Coupe du monde 1958 a couronné le Brésil du Roi Pelé. En Suède, l’équipe de France atteignait pour la première fois le dernier carré, grâce à un Just Fontaine historique, auteur de treize buts, un record. Autant de souvenirs qui restent gravés dans les mémoires. Mais imaginez que cette Coupe du monde n’ait jamais eu lieu. Que ce ne soit qu’un gigantesque complot. Aussi improbable soit-elle, cette théorie est défendue par un documentaire un peu particulier, Konspiration 58, diffusé en 2002 par la télévision publique suédoise. Retour sur cette fiction, où la grossière conspiration pousse à la réflexion.
Le 24 juin 1958, la pelouse de l’Ullevi Stadion de Göteborg est le théâtre d’une demi-finale au sommet. Chez eux, les Suédois reçoivent l’Allemagne de l’Ouest, en quête d’un deuxième sacre d’affilée. Le Miracle de Berne est encore dans toutes les têtes allemandes. Helmut Rahn va-t-il encore nous gratifier d’exploits dont lui seul a le secret, comme lors de la finale contre la Hongrie, au cours de laquelle il offre la victoire à son pays en 1954. En face, les Suédois sont poussés par les millions de compatriotes qui se mettent à rêver d’un titre mondial à domicile. La génération dorée emmenée par le virevoltant Karl Skoglund, le maître à jouer Gunnar Gren, ou l’insaisissable Kurt Hamrin ont épaté les tifosi italiens en jouant pour les plus grands clubs de la Botte : Inter Milan, AC Milan, Fiorentina, Juventus. Ces trois-là portent la Blågult, en ce 24 juin ensoleillé, inscrivant tour à tour un but pour crucifier une Nationalmanshafdt impuissante.
Ce match est le point de départ du documentaire fictionnel, réalisé par Johan Löfstedt, mettant en scène un historien suédois, Bror Jacques de Wærn, auteur d’une théorie pour le moins surprenante. Après des recherches minutieuses qu’il a conduites, pendant plusieurs années, en épluchant des milliers de documents, il arrive à la conclusion suivante : « la Coupe du monde 1958 n’a jamais existé ». Pour appuyer sa thèse farfelue, il présente plusieurs arguments. La première repose, justement, sur cette demi-finale entre la Suède et la RFA. Alors que le match semble plié – 2 à 1 pour la Suède – Hamrin s’aventure dans la surface allemande, à la 88e minute, après un rush en solitaire sur le côté droit. Pendant son numéro, il efface deux, puis trois défenseurs, avant de se présenter face au gardien allemand, et de parachever son action d’un but splendide.
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Les téléspectateurs ont suivi cette merveille du joueur de la Viola grâce aux caméras de la télévision qui retransmettent, pour la première fois, les matchs de la Coupe du monde. Le cameraman perché sur les hauteurs des gradins fait un plan large sur le stade qui explose de joie, les papiers volent dans le ciel, et les Bleu et Jaune compostent leur billet pour la finale du Mondial. Mais sur ce plan large, on aperçoit au second plan, des immeubles de la ville de Göteborg. C’est ce détail qui retient l’attention de notre historien qui trouve là une preuve irréfutable que ce match n’a pas eu lieu en Suède, mais tenez-vous bien, à Los Angeles. « Il n’y a pas de tels bâtiments en Suède et certainement pas à Göteborg. », explique-t-il.
Pour Bror Jacques de Wærn ce match a été créé de toute pièce à Los Angeles, là où l’industrie du cinéma américain regorge de moyens financiers et techniques pour produire une telle supercherie. Mais dans quel but Hollywood aurait-t-il intérêt à dépenser des millions de dollars dans ce projet pharamineux ? La raison est simple : en pleine guerre froide, les États-Unis cherchent à tester le pouvoir d’influence de la télévision sur les masses à des fins de propagande. Pour cet historien, fondateur de l’organisation Konspiration 58 – KSP 58 -, la CIA et la FIFA sont derrière cette machination. Rien que ça.
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La dramaturgie du « reportage » se poursuit dans les forêts suédoises. Un visage familier des supporters de Blågult fait irruption : Sigvard Parling. L’ancien défenseur du Djurgården, membre de la sélection suédoise en 1958, raconte les intimidations qu’il a subi de la part de KSP 58. Tags, menaces de morts et lettres d’insultes, autant de menaces proférées par le groupuscule, adressé à d’autres personnalités, comme Agne Simonsson, ancien joueur du Real Madrid, ou Lennart Johansson, l’ancien patron de l’UEFA.
Le casting cinq étoiles proposé par le documentaire, autour d’anciennes légendes de l’épopée suédoise – dont Kurt Hamrin -, des journalistes, ou encore Bengt Ågren, membre du comité d’organisation du mondial 1958, laisse à penser que cette organisation a réellement existé. Évidemment vous l’aurez compris, ce film n’est qu’une fiction. L’organisation Konspiration 58 n’a jamais existé, et le prétendu historien n’est autre qu’un acteur, Bror Jacques de Wærn, qui porte son vrai nom dans ce documentaire.
L’objectif de ce film n’est pas de raconter l’histoire de cette fausse théorie du complot, mais plutôt de montrer aux téléspectateurs les dangers du complotisme. Le réalisateur a expliqué, dans une interview en 2004, le but de son œuvre : « Le film était faux. Il était inspiré en partie d’un documentaire sur la négation de l’Holocauste. ». Johan Löfstedt voyait ce documentaire comme « une satire » pour inciter les gens à se questionner sur ce qu’ils voient à la télévision. Il conclut « ne croyez pas tout ce que vous voyez ! ».
Que restera-t-il d’un événement historique une fois que tous les témoins ne sont plus de ce monde ? C’est une des questions que pose avec humour ce film qui va bien au-delà du football. Comme le dit Lennart Johansson dans le documentaire : « La façon dont elle [la théorie du complot] est présentée est ce qui la rend si convaincante. Si vous pensez que cela tombe entre les mains de la nouvelle génération qui n’en a jamais fait l’expérience et qui n’en sont pas tout à fait sûres… ils pourraient être convaincus. »
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Les théories du complot sur le négationnisme de l’Holocauste, popularisé par Robert Faurisson dans les années 1970, sont clairement visées. Les thèses complotistes autour de ce génocide, qui a coûté la vie à 6 millions de personnes, est un exemple parmi tant d’autres. Mais comme le souligne l’ancien président de l’UEFA, « la nouvelle génération » peut être sensible à des théories du complot qui contestent des événements historiques qu’ils n’ont pas vécus. En 2020, environ 23 % des Français de moins de 38 ans pensaient que « soit l’Holocauste est un mythe, soit le nombre de Juifs assassinés pendant l’Holocauste a été largement exagéré », selon une étude de la Jewish Claim Conference. Un chiffre significatif témoignant de la présence des thèses négationnistes chez les jeunes.
L’absurdité du documentaire offre un spectacle divertissant. Le mélange entre réalité et fiction soulève des interrogations sur le révisionnisme historique qui guette notre présent. La manipulation des faits, les faux témoignages ou le détournement d’images sont autant d’outils mobilisés pour construire une vérité alternative, qui n’en est pas une. Mais ce n’est pas demain la veille qu’on pourra nous faire croire que le Brésil n’a jamais soulevé sa première Coupe du monde en 1958, sur le sol suédois, emmené par l’un des meilleurs footballeurs de son temps, Pelé.
Sources :
France Culture, Le négationnisme (2/4) : Robert Faurisson, faussaire de profession, 2020
YouTube, Première partie du documentaire « Konspiration 58 », 2002
YouTube, Deuxième partie du documentaire « Konspiration 58 », 2002
Johan Löfstedt, Interview à la Sveriges Television, 2004
Crédit photos : Icon Sport