Sept ans après le festival de Woodstock, c’est dans le Minnesota que l’idéologie « peace and love » prend tout son sens. A partir de 1976, au parking du Metropolitan Stadium, des milliers de jeunes se retrouvent pour faire la fête, partager une bouteille de vin ou un joint. Cette ferveur sera de courte durée mais marquera à vie la North American Soccer League.
Le 14 août 1978, le Metropolitan Stadium, aussi appelé « le Met’ », est en fusion. C’est à Bloomington, à quelques minutes de Minneapolis, que les Minnesota Kicks retrouvent le grand New York Cosmos de Pelé en quart de finale du Soccer Bowl. L’ambiance est à la fête pour les 45 863 supporters. Pour autant, certains ne sont pas dans les tribunes. Bien qu’au stade, l’atmosphère est inouïe, c’est au parking qu’elle se décuple. Barbecue, parties de frisbee, bronzage au soleil, records de bières ingérées ou encore pratiques sexuelles décomplexées, voici tous les ingrédients de ce qu’on appelle le « tailgating ». Cette pratique consiste à pique-niquer au parking d’un stade avant le coup d’envoi, mais pour les supporters des Kicks, un pique-nique n’est pas suffisant et cela fait du Minnesota Kicks l’un des clubs les plus emblématiques de la North American Soccer League. En cette soirée d’été 1978, l’atmosphère est fabuleuse. Les Kicks gagnent neuf buts à deux contre l’ogre de New York dans une ambiance unique. Pour comprendre cette ferveur il faut remonter deux ans auparavant.
Nous sommes en 1976. Le soccer est implanté en Amérique du Nord depuis neuf ans et bénéficie peu à peu d’une visibilité grandissante. A la suite d’une éclosion balbutiante, les années 70 sont pour la NASL synonymes de renouveau. Des stars comme Pelé, Beckenbauer, Best ou encore Chinaglia débarquent aux Etats-Unis et permettent au soccer de faire de l’ombre au Big 4 (football américain, baseball, basketball et hockey). A la terre aux dix mille lacs, c’est le football américain (Minnesota Vikings) et le baseball (Minnesota Twins) qui sont sous les projecteurs. Mais le soccer va devenir légion grâce à Jack Crocker. Ce dernier décide de racheter le Dynamo Denver, un modeste club de soccer dans le Colorado qu’il renomme et délocalise à Bloomington. Le Minnesota Kicks est créé mais le plus dur reste à faire, marquer l’histoire de la NASL.
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Pour en faire un club de renom, Jack Crocker fait appel à une agence de publicité : Chuck Rohr Associates. Après réflexion, la jeunesse apparait comme la cible incontournable. Selon cette agence, les jeunes sont les seuls à pouvoir impulser une nouvelle mode. Pour se faire, les billets sont vendus à partir de 2,5 dollars seulement et le parking du stade devient gratuit. Cette décision aura une incidence que les dirigeants des Kicks n’auraient jamais imaginé. Le Woodstock du soccer est né.
Substances illicites, barbecue et Bruce Springsteen
Le Metropolitan Stadium apparaît désormais aux yeux de la jeunesse américaine comme « the place to be ». Quelques heures avant les matchs à domicile, des milliers de 4×4 et vans affluent. Après s’être garés sur le parking du stade, les supporters déploient leur barbecue et tables de pique-nique. L’odeur du charbon et des burgers flotte à l’extérieur du stade. Les bières se décapsulent au rythme des morceaux de rock’n’roll que l’on entend à des kilomètres.
Le tailgating au Metropolitan Stadium
Il y en a pour tous les goûts. Quelques-uns discutent autour d’une bière. D’autres profitent des rayons du soleil pour s’atteler à une session bronzage ou à une partie de frisbee. Certains n’hésitent pas à découvrir la sexualité tandis que d’autres expérimentent de nouvelles substances. Pendant quelques heures, aux abords du stade, la fête surpasse les règles. Le parking du Met’ symbolise à lui seul la contre-culture. Il est aussi le lieu où tout commence. Une histoire d’amour, une amitié ou une passion pour le soccer. Au coup d’envoi, certains rejoignent les tribunes pour supporter les Kicks. D’autres continuent à faire la fête pour encore 90 minutes dans ce lieu hors du temps. Ces moments sont uniques. Avec un fond de Bruce Springsteen, une ambiance hippie émerge autour du Met’ comme le soccer n’en a jamais connu.
Affluence grandissante, duo fraternel et embouteillages
Le succès est tel que le 9 mai 1976, lors du premier match à domicile des Minnesota Kicks contre San Jose, le stade est bondé. Au moment du coup d’envoi, des milliers de supporters n’ont toujours pas de billet en raison d’une file d’attente gigantesque. Le match est alors retardé de trente minutes. Pendant ce temps, Jack Crocker s’impatiente et déclare « Let them all in ». Il ne se fait pas attendre, 3 000 personnes rejoignent gratuitement l’enceinte. Cette scène rappelle celle où les organisateurs de Woodstock rendirent l’accès au festival gratuit en l’annonçant sur NBC. Cela galvanise la foule. Les Kicks gagnent naturellement quatre buts à un. Cet évènement fait le tour de la NASL.
Petit à petit, l’affluence s’amplifie et passe d’une moyenne de 23 000 supporters en 1976 à 33 000 en 1977. Sur le plan sportif, même si les Kicks ne remportent pas de titre, ils parviennent chaque année à participer aux playoffs. Dès la première saison, ils atteignent la finale du Soccer Bowl contre le Toronto Blizzard d’un certain Eusebio. Au sein de l’effectif entraîné par Freddie Goodwin, Alan Willey devient le deuxième meilleur buteur de la NASL avec 129 buts en 238 matchs (derrière Giorgio Chinaglia, 193 buts en 213 matchs au New York Cosmos) et Ace Ntsoelengoe détone du fait de sa capacité à créer des occasions dangereuses. Alan Willey racontera d’ailleurs : « Il pouvait voir tout ce qui l’entourait. Lors de mes buts, il a probablement réalisé 90% du temps les passes décisives ». Un duo prolifique.
Les Kicks de Minnesota lors de leur première saison en 1976
Jouer dans l’enceinte des Minnesota Kicks est un privilège. Pour les joueurs, l’ambiance du stade est enivrante. Tim Twellman, transféré en 1977 déclarera :
« La première fois que je suis allé au match à domicile avec ma femme, j’étais coincé dans les embouteillages et je me demandais ce que c’était. Nous n’avions aucune idée que c’était à cause du match. Le parking était complètement bondé deux heures avant le match. C’était vraiment une ambiance de fête, et c’est ce qui a rendu ce jour de match spécial ».
Déclin et dissolution
Cet engouement unique sera toutefois de courte durée. A partir de 1979, les familles commencent à déserter le stade. Un supporter de longue date soufflera :
« Je n’ai pas l’intention d’emmener mes enfants voir jouer les Kicks pendant encore longtemps… La combinaison de quantités incroyables d’alcool, de blasphèmes, de marijuana, de divers degrés d’activité sexuelle a été plus que suffisante pour détourner considérablement l’attention du jeu sur le terrain ».
Certains heurts entre supporters et forces de l’ordre poussent le club à restreindre certaines libertés, ce qui exaspère les amateurs du « tailgating ». Le parking devient payant et le prix des billets augmente ce qui conduit les héritiers de Woodstock à fréquenter de moins en moins le stade. L’ambiance légendaire s’évapore peu à peu. En 1980, Jack Crocker doit se rendre à l’évidence, son club perd trop d’argent pour continuer. Cette saison, il manque plus de 500 000 dollars. Sa décision est prise, il faut vendre la franchise. Ralph Sweet, un investisseur énigmatique, la rachète mais c’est déjà la fin. En 1981, le club est dissout. Ce sera le tour de la NASL en 1984.
Quelques années plus tard, le stade est démoli. Pour autant, ces après-midis endiablés sont restés dans les mémoires de toute une génération. L’équipe des Kicks leur a permis de vivre une histoire d’amour. Elle aura durée quelques années, si courte mais si intense. Comme disait Bruce Springsteen, « She’s the one ».
Sources :
- Ian Plenderleith, « Rock’n’Roll Soccer, the short life and fast times of the North American Soccer League », Icon Books
- Ian Plenderleith, « The Rock ’N’ Roll years of the Minnesota Kicks », The History Reader
- Timothy D. Grundmeier, « The Minnesota Kicks, 1975–81 », Minnesota History Magazine
Crédit photos : IconSport