Il n’a pas joué en équipe de France ou dans un grand club étranger. En 17 ans de carrière au poste d’attaquant, il a marqué moins de 70 buts en Ligue 1. Sur la scène européenne, il n’a fait trembler les filets que face aux modestes Grazer AK (Autriche) et Tromsø IL (Norvège). Pourtant, au cœur des années 2000, Mickaël Pagis a séduit le public français, qui s’est épris du Pagicien. Parce que les chiffres ne disent pas tout d’un joueur, parce que son style était différent, parce que son football était beau, tout simplement.
Né en 1973 à Angers, le petit Mickaël, comme des millions d’enfants de par le monde, aime jouer au ballon dans le jardin familial. Comme une évidence, à 6 ans, il commence le foot en catégorie débutants à Vern Anjou, où son père est éducateur chez les jeunes. Immédiatement, il montre des facultés techniques et empile les buts. En 1985, la famille déménage dans la Sarthe et Mickaël rejoint les minimes de Teloché, commune de la périphérie mancelle. Devenu ambitieux, il entame alors l’ascension classique d’un jeune joueur talentueux. A 14 ans, il intègre les cadets nationaux du Mans. Puis, un an plus tard, il quitte la ville des rillettes et le cocon familial pour entrer au centre de formation de Laval.
Des débuts difficiles pour « le nouveau Van Basten »
En 1993, à 19 ans, il signe professionnel au Stade Lavallois. Le club, après les fastes années 80, est descendu en D2, mais il ambitionne de remonter. Pagis réussit d’emblée à entrer dans la rotation au poste d’avant-centre. Il participe à la belle épopée des tangos en Coupe de France, qui s’achève en demi-finale face au PSG. Son président voit en lui un futur crack et s’emballe dans la presse locale : « On a le nouveau Van Basten ! ». Une comparaison qui flatte évidemment le natif d’Angers, qui admire le buteur batave depuis la tête plongeante des 16 mètres qu’il a inscrite au Bernabeu face au Real Madrid en 1989.
Les deux saisons suivantes, Micka gagne du temps de jeu mais reste une doublure. Il ne marque que 4 buts en 2 ans. Bon de la tête, remiseur, technique, on lui reproche sa nonchalance et son inefficacité. On l’aimerait plus « tueur » dans la surface. On lui préfère des joueurs rapides, qui prennent la profondeur et qui scorent davantage. L’été 1995, Laval choisit de le prêter à Chatellerault, club de National.
Dans ce championnat moins physique, Pagis s’exprime, prend confiance et marque des buts, dont quelques beaux piqués. Un geste technique qu’il maîtrise à la perfection et qu’il répètera toute sa carrière. À l’approche du but, il attend que le gardien quitte ses appuis, puis il enclenche très vite son geste, avec la même facilité des 2 pieds, donnant au ballon une trajectoire très ascendante et donc hors d’atteinte pour le portier. Un geste qui allie efficacité et élégance.
Au terme de sa belle saison sur les bords de la Vienne, Mickaël revient à Laval en juillet 1995, bien décidé à s’imposer pour de bon dans son club formateur. Le coach Denis Troch, ex-adjoint d’Artur Jorge au PSG, en fait un titulaire. Mais, la déception est aussi grande pour le club mayennais, englué dans le ventre mou de la D2, que pour Pagis, qui ne marque que 9 buts en 2 ans. Il finit même par perdre sa place dans le onze. Nous sommes en 1998, il a 25 ans, il est en fin de contrat et sa carrière bât de l’aile. Trop artiste, trop lent, trop peu efficace, il a comme seule option de rejoindre le Gazélec Ajaccio, pensionnaire du championnat de National.
Ajaccio, Nîmes, Sochaux : l’ascension
Reculer pour mieux sauter… En Corse comme à Châtellerault trois ans auparavant, l’ex-Lavallois se relance. Au sein d’une équipe joueuse, il forme un duo complémentaire avec le buteur belge Van Kets. Pagis inscrit 17 buts et adresse une flopée de passes décisives à son acolyte. Cette saison-là, c’est Pascal Olmeta qui est le portier du Gaz. Fort de son vécu au très haut niveau, il remarque évidemment le talent de son coéquipier : « Tu fais quoi en National ? », s’étonne-t-il dans le style direct qu’on lui connait. Effectivement, Pagis prouve qu’il a l’étoffe pour jouer au moins à l’étage supérieur. Ce qu’il fera dès l’année suivante : faute de monter avec Ajaccio pour des raisons administratives, il part pour Nîmes et retrouve la D2.
Dans le Gard comme sur l’île de beauté, Micka flambe. Des buts (16) et des gestes de classe, comme ce lob magnifique au stade du Ray qui mystifie le gardien niçois. Chose nouvelle, il manifeste une agressivité supérieure dans les duels, avec quelques buts de raccroc et aussi des coups de sang (4 cartons rouges en 1 an). Une grinta qui contraste avec son langage corporel : élancé, le buste droit, la tête relevée même lorsqu’il sprinte, ni rapide, ni puissant, Pagis renvoie l’image d’un joueur classieux qui ne se salit pas. Cette élégance fait plaisir à voir, mais elle l’aura parfois desservi.
Quoiqu’il en soit, il est élu meilleur joueur de D2 en 2000. Surtout, il saute aux yeux de Jean Fernandez, entraîneur de Sochaux : « Je suis tombé amoureux de ce joueur et j’ai tout fait pour le faire venir ». Ce qui sera chose faite en janvier 2001, puisque Pagis quitte les Crocos et arrive dans le Doubs. Chaperonné par son coach, il s’intègre rapidement dans le bel effectif franc-comtois, aux côtés des Pedretti, Frau, Santos, Meriem, Isabey, Monsoreau, Flachez. Le jeu est offensif, l’ambiance est bonne et les résultats suivent : les Lionceaux finissent champions et montent en D1.
Un artiste au service du jeu
Pagis a 28 ans et va enfin connaître l’élite. Un aboutissement ? Un rêve de gosse ? La réponse est inattendue :
« Jouer en D1, ce n’était pas un objectif en soi. Moi, l’objectif était vraiment de jouer et tant mieux si c’était au plus haut niveau. J’ai vécu des bons moments en National, j’ai vécu dans des groupes sympas. Quand j’étais jeune, je n’avais pas de plan de carrière, je vivais au jour le jour. Je veux tout faire pour le maillot que je porte, prendre du plaisir tout en étant efficace. Le beau geste décisif, c’est cela pour moi le football. »
Avec ces mots, Pagis cerne parfaitement le rapport entre football et art. Contrairement à l’artiste, l’objectif du footballeur n’est pas de créer de la beauté, mais il est de marquer ou de faire marquer. En effet, le joueur qui entrerait sur le terrain seulement pour être esthétique ne produirait assurément pas un bon football.
Au cours d’un match, la beauté ne se décrète pas. Elle vient spontanément, sous la forme d’un geste inédit ou d’une action originale, fruits de l’inspiration du joueur. Face à un marquage serré ou à une défense solide, il s’affranchit des consignes, des automatismes, des schémas de jeu, pour tenter « un beau geste décisif », comme le dit si justement Pagis. A ce moment, le footballeur se rapproche de l’artiste puisqu’il crée. En créant, il surprend à la fois l’adversaire et le spectateur. Mickaël Pagis revendique sa créativité comme un outil pour marquer des buts et gagner des matchs. Une créativité souvent assimilée par le public à de l’art, voire à de la magie.
À l’aise en Ligue 1
Cette magie, le Pagicien va la révéler au grand public lors des trois saisons de Ligue 1 qu’il dispute avec Sochaux, de 2001 à 2004. Devant le but, son jeu de tête et sa finesse dans la zone de vérité sont au rendez-vous. Il ajoute à sa panoplie une capacité à jouer plus bas, derrière les deux flèches Santos et Frau. Plus distributeur et passeur qu’en Division 2, il endosse avec bonheur ce rôle hybride de 9 et demi. Et le public se délecte de ses contrôles orientés, passes aveugles et coups du sombrero. On retient aussi une magnifique demi-volée des 25 mètres qui finit dans le petit filet de Gregory Coupet, lors d’un Sochaux-Lyon joué à Bonal en 2002. Au classement, les Lionceaux squattent le haut du tableau (2 fois 5ème en 2003 et 2004).
Mais toutes les belles histoires ont une fin…En effet, Pagis demande à quitter le club en 2004. La raison ? Des relations tendues avec le coach, Guy Lacombe, qui met les joueurs sous pression et qui manage sans prendre de gants. L’ex-Nîmois regrette la confiance de Jean Fernandez, parti au FC Metz. Petit à petit, il se retrouve remplaçant. Ainsi, c’est du banc de touche qu’il assiste à la victoire en Coupe de la Ligue face à Nantes. Encore plus frustrant, il ne joue que des bribes de match en coupe d’Europe contre Dortmund (que Sochaux étrille 4-0 !) et contre l’Inter Milan (qui élimine Sochaux après 2 nuls, 0-0 et 2-2). C’en est trop pour Pagis, qui veut jouer et prendre du plaisir. Résolu, il signe au RC Strasbourg.
La belle parenthèse strasbourgeoise
Sur les bords du Rhin, Pagis arrive avec un statut et il l’assume. Il est à la fois le buteur attitré, le leader technique et le vice-capitaine. Outre ses coups d’éclats techniques « habituels », dont un superbe but face à Metz après un slalom dans la défense grenat, il réalise sa meilleure saison statistique avec 15 buts. Ce qui lui vaut de finir deuxième au classement des buteurs, derrière le rennais Alexander Frei.
En Alsace, il fait aussi sa plus belle rencontre footballistique, avec le sénégalais Mamadou Niang : « On se trouvait les yeux fermés. Pour que ça fonctionne entre deux attaquants, il faut de la différence. » Si Pagis est un joueur axial, clairvoyant, pivot et passeur, Niang est rapide, dévoreur d’espaces, dribbleur. La doublette fonctionne à merveille, si bien que le Racing réalise un bon championnat. Il remporte même la Coupe de la Ligue face à Caen.
Après la finale, malgré la liesse générale, Micka reste de marbre. Niang le voit stoïque sur la pelouse du Stade de France et s’en étonne. L’ex-Sochalien se justifie : « On n’a pas gagné la Coupe du monde non plus ! »
En effet, pour Pagis, le résultat importe peu. L’important est de jouer le mieux possible, se battre pour gagner et ne rien regretter. La victoire vient ensuite, après le jeu et si le jeu est bon. Il le dit clairement :
« Je n’ai jamais joué au football pour gagner des titres ».
Un discours qui sort de l’ordinaire dans un pays qui a développé sa culture de la gagne au détriment de la qualité de jeu. En fait, Pagis est un joueur romantique. Son football d’instinct, qui trouve sa source dans son enfance, n’est pas corrompu par le monde professionnel, la peur de perdre et le culte de la victoire. Son style de jeu, il le porte comme l’étendard de sa libre expression, sans se renier sous le diktat du résultat.
Pagistral à Marseille
Après sa belle saison strasbourgeoise, Pagis succombe en 2006 à une offre « qui ne se refuse pas », émise par l’OM. En rejoignant le club phocéen, le natif d’Angers signe dans son club de cœur, celui qui a marqué son adolescence. En plus, il y retrouve Jean Fernandez et Mamadou Niang, eux aussi arrivés sur la Canebière. D’emblée, il prend ses marques dans cette équipe offensive, qui avait besoin d’un joueur d’appui aux cotés des feux follets Niang, Ribery et Nasri. Le public apprécie ses sucreries techniques et voit en lui un petit Cantona. Il met définitivement les tribunes dans sa poche grâce à un but venu d’ailleurs, marqué contre Nancy : un lob de l’extérieur du pied droit, dans une position excentrée. Quelle inspiration et quel toucher de balle ! PAGISTRAL !
Le caractère réservé de l’ours, autre surnom donné à Pagis par ses coéquipiers, s’accommode de la ferveur phocéenne, dans une passion commune pour le football d’attaque. En confiance, il fait exploser le stade à plusieurs reprises, en usant de toute sa palette. Une frappe lointaine contre Bordeaux, une tête superbe contre Monaco, un but de la semelle contre Valenciennes, une demi-volée contre Lyon… Cerise sur le gâteau, non négligeable pour entrer dans la grande Histoire de l’OM, il marque au Parc des Princes face au rival parisien, lors d’un Classique gagné 3-1.
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Si le peuple olympien et Pagis s’aiment mutuellement, à Marseille plus vite qu’ailleurs « un nouvel amour chasse l’ancien ». C’est ainsi qu’au printemps 2007, son temps de jeu diminue, au profit de la nouvelle coqueluche du Vélodrome, Djibril Cissé. Plus jeune, plus rapide, plus physique, plus finisseur, l’ex-scouser a les faveurs d’Albert Emon, qui a succédé à Fernandez. Pagis, relégué sur le banc mais toujours avide de jeu, demande à quitter le club. À 34 ans, conscient que le temps joue contre lui, il quitte son bel Olympique et signe dans son huitième club, le Stade Rennais.
Une belle fin de carrière à Rennes
En Bretagne, il joue les trois dernières saisons de sa carrière, qui s’achève en 2010, à 37 ans. Avec Jérôme Leroy, autre vétéran talentueux, il régale encore et toujours. Il remplit à la fois les rôles de buteur et de stratège, au milieu de jeunes joueurs prometteurs (Briand, M’bia, Sow, Thomert).
Un soir d’octobre 2008, il joue la plus belle partition de sa carrière. Au stade de la route de Lorient, Rennes accueille l’OL de Benzema et Juninho. Le résultat est net et sans bavure : 3-0 pour les Bretons, grâce à trois buts de…Pagis. Il inscrit d’abord deux beaux buts d’avant-centre, faisant parler sa science du déplacement dans la surface et son adresse des deux pieds. Puis, le Pagicien termine son récital par un chef-d’œuvre : à 25 mètres des cages rhodaniennes, il enchaîne amorti de poitrine et demi-volée, qu’il catapulte dans la lucarne d’Hugo Lloris. Le stade est debout, les commentateurs sont dithyrambiques, ses coéquipiers sont admiratifs. Pagis, peu démonstratif mais tout sourire, savoure le bonheur d’avoir réalisé une fois encore « le beau geste décisif ».
Si la valeur d’un joueur était proportionnelle au plaisir qu’il a donné au public, Mickaël Pagis serait davantage reconnu qu’il ne l’est actuellement. Tout en restant élégant et créatif, il a gravi lentement les échelons du National au haut du tableau de la Ligue 1. Sans trahir son amour du jeu, il a su s’inscrire dans des projets collectifs et montrer qu’efficacité peut rimer avec beauté. À contre-courant du culte du palmarès et des récompenses individuelles, il nous rappelle que la victoire n’est pas une fin en soi.
Sources :
- Passe en retraite : Mickaël Pagis, Ronald Déboire, cahiersdufootball.net
- Mickaël Pagis, minot à Vern, star à l’OM, actu.fr
- Mickaël Pagis : « A l’époque, ça me paraissait impensable que l’OM me sollicite », Clément Lemaitre, footdavant.fr
- TOP 10 : sucreries de Mickaël Pagis, Florian Lefèvre, sofoot.com
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