Idole de The Dell, l’ancien stade de Southampton, surnommé The God (le Dieu en VF) par les supporters des Saints et adulé par Xavi Hernández, Matt Le Tissier a défrayé la chronique anglaise pour son côté fantasque et ses gestes de génie.
Comme son nom à la sonorité française l’indique, Matthew Le Tissier est originaire des îles anglo-normandes, plus précisément de Guernesey. Située dans la Manche à quelques encablures des côtes françaises, Guernesey est la plus grande île de l’archipel et dépendance de la Couronne britannique. Natif de St Peter Port, le jeune garçon débute la pratique du football avec le club local de Vale Recreation FC mais joue aussi en parallèle au golf et au cricket avec ses grands frères. Si Matt obtient un essai, finalement infructueux, avec Oxford, il intègre le programme de formation des jeunes (Youth Training System) de Southampton à partir de 1985. Un an plus tard, il signe son premier contrat professionnel avec les Saints. Un rêve qui devient réalité pour lui : « Dès l’âge de sept ans, j’avais l’ambition de devenir footballeur professionnel et de jouer pour l’Angleterre, j’ai réalisé les deux à Southampton. » Pour ses grands débuts, il concède une défaite contre Norwich City. Mais à la fin de la saison, Le Tissier a pris part à vingt-quatre rencontres et a déjà marqué six buts dont un hat-trick contre Leicester City. Cette même saison, son doublé lors de la victoire contre Manchester United en League Cup est synonyme d’éviction pour Ron Atkinson remplacé par un certain… Alex Ferguson.
Après deux saisons honnêtes, Le Tissier monte en puissance lors de la saison 1989/90. Joueur au physique banal (1m87 pour 86 kg), il n’est pas réputé pour son endurance, son goût de l’effort et encore moins pour sa pointe de vitesse. L’athlétisation dans le football n’est pas encore à son paroxysme. Pourtant, en dépit de ses défauts, Le Tissier est un élément offensif et créatif. Techniquement au-dessus du lot, il est capable d’enchaîner de longues courses rageuses en éliminant ses adverses déboussolés par ses dribbles et ses feintes déroutantes. Il possède également une puissante frappe de balle des deux pieds. Deux buts inscrits cette saison symbolisent parfaitement le style atypique du milieu offensif Anglo-Normand. Contre Norwich, son coéquipier intercepte une passe adverse et le trouve immédiatement aux environs du rond central. Il contrôle le ballon, élimine un défenseur d’un double contact, temporise un peu avant de passer entre deux joueurs et conclue cette percée d’une frappe du droit au ras du poteau. Norwich pousse pour revenir au score mais se heurte à la défense. Le contre se met vite en place. Lancé en profondeur sur le côté gauche, Matthew évite son adversaire d’un grand pont et se présente devant le gardien qui arrive à sa rencontre. Depuis l’extérieur de la surface, le N°10 lobe subtilement le dernier rempart et finalise son hat-trick.
Lors de cette saison, il marque vingt buts, se classe parmi les meilleurs buteurs du championnat et obtient le titre de jeune joueur de l’année de la Professional Football Association. Southampton en profite également pour signer son meilleur classement depuis cinq ans avec une très bonne septième position. Hormis lors de la saison 1991/92 (six buts), Le Tissier se montre très régulier face au but comme en 1993/94 quand il totalise sa meilleure perf avec vingt-cinq buts (soit plus de la moitié du total des Saints) devancé seulement par Alan Shearer (31) et Andy Cole (34). D’ailleurs, c’est à cette période où il marque de nombreuses réalisations dont lui seul à le secret comme contre Newcastle. Suite à un long ballon dévié de la tête par un coéquipier, Matt enchaîne par une aile de pigeon du gauche pour s’emmener le ballon dans la course. Ensuite, il efface un défenseur d’un grand pont aérien et immédiatement après, il réalise un splendide coup du sombrero à l’entrée de la surface avant de conclure en finesse de l’intérieur du pied. Un enchaînement de grande classe, souvent vécu en slow motion par ses adversaires.
Matt Le Tissier vs Newcastle United, 1993. pic.twitter.com/tZ3Y1ky2Pg
— 90s Football (@90sfootball) July 29, 2021
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Appelez-le « Dieu »
Régulièrement dans Match of The Day, la célèbre émission de la BBC, il fait le bonheur du petit Xavi Hernández lorsque le futur prodige espagnol regardait les extraits de matchs anglais à la télévision comme il le raconte : « En Catalogne, il y avait un programme d’une demi-heure tous les lundis où l’on pouvait voir les meilleurs buts de la Premier League. Chaque semaine, Matt Le Tissier était dans l’émission. Nous disions : ce type, Le Tissier, est scandaleux et il ne va jamais dans une grande équipe. Il reste à Southampton. C’est incroyable. Il pouvait jouer pour n’importe qui. » . En 1994, il hérite même du titre du but de l’année décerné par l’émission pour sa réalisation face au futur champion Blackburn. À l’instar du but contre Norwich en 1989, Le Tissier est trouvé dans l’axe du terrain et enchaîne avec une série de dribbles pour se mettre en position de frappe. Un tir de trente-cinq mètres qui surprend son ex-coéquipier Tim Flowers et se fiche dans la lucarne. Les grosses cylindrées tentent de l’attirer loin de la côte mais les offres sont poliment repoussées. L’attaquant préfère rester à Soton, quitte à jouer le maintien tous les ans. Son crédo : être la vedette dans son club de cœur plutôt que la cinquième roue du carrosse dans une top team. Sans pression, sans exigences démesurées, juste pour le plaisir, Matt assume son choix. Un choix honorable. Et les supporters des Saints lui ont bien rendu cet attachement à leurs couleurs en l’affublant d’un surnom resté pour l’Éternité : « Le God ».
Sublime skill from Matt Le Tissier 👏🤩pic.twitter.com/GfoUV28mMN
— Classic Football Shirts (@classicshirts) August 16, 2021
Atout N°1 de son équipe, Le Tissier est mis dans les meilleures dispositions pour briller et aider le club à sauvegarder sa place en Premier League. Si Matt inscrit vingt buts en 1994/95, il score moins les années suivantes mais reste le meilleur buteur de son équipe lors des saisons 1996/97 et 1997/98. Excellent tireur de coups de pied arrêtés notamment les penaltys, il convertit quarante-sept tentatives sur quarante-huit soit un taux de conversion de quatre vingt-dix huit pourcent. « Mon record sur penalty était un mélange de confiance, d’un peu d’égo parce que je savais que tout le stade regardait et j’aimais ça, et d’attitude mentale positive : j’avais l’habitude de voir la foule entrer en éruption quand la balle frappait les filets.» Il ajoute : « Et après ça, c’était une question de technique. J’ai eu la chance de pouvoir frapper une balle aussi fort que je pouvais la frapper, ce qui m’a permis de garder la précision tout en conservant une puissance décente. » En même temps que les exigences et l’intensité de la Premier League s’accroissent, son temps de jeu décline à partir de 1999. Finalement, il met un terme à sa carrière en 2002 à l’âge de trente-quatre ans après avoir étrenné ses crampons sur la pelouse du nouveau stade, le St Mary’s Stadium. Attaquant vraiment prolifique, son total en carrière est de cent soixante et un buts en quatre cent quarante trois matchs soit le deuxième meilleur total de l’histoire du club derrière Mick Channon. D’ailleurs, c’est également le premier milieu offensif à atteindre la barre symbolique des cent buts en Premier League.
Malheureusement, son alimentation (fish n chips, egg Mcmuffin …), son manque d’entrain pour l’effort physique et son style de jeu sont jugés trop décalé pour le très haut niveau international. Appelé seulement à huit reprises avec les Three Lions entre 1994 et 1997, il ne participe pas ni à l’Euro 96 en Angleterre ni à la Coupe du Monde 98 en France. À cette période, l’Angleterre ne comptait dans ses rangs que Paul Gascoigne avec un profil semblable. De nombreux fans ont déploré les décisions de Terry Venables puis de Glenn Hoddle de ne pas associer ces deux joueurs techniques de grande classe pour bâtir la sélection. Il se murmure que Venables n’aurait pas digéré la décision de Le Tissier de ne pas rejoindre Tottenham alors qu’il était sur le banc et se serait vengé en ne sélectionnant pas l’idole du Den pour l’Euro organisé en Angleterre. Quant à Hoddle, idole de jeunesse de Le Tissier, même motif même punition. Lui aussi n’aurait pas apprécié le refus de rejoindre Chelsea au moment où il était manager des Blues. Nul ne sait si le destin de la sélection anglaise lors de ces compétitions internationales aurait été différent avec le N°7 de Southampton dans la liste des vingt-trois mais un peu de technique et de fantaisie supplémentaire n’aurait pas été du luxe. Ce rendez-vous manqué avec la sélection est sûrement l’un des grands regrets de sa carrière.
« One man club » inclassable au talent naturel et instinctif, Matt Le Tissier a connu une belle carrière avec Southampton. Il aurait même pu devenir l’un des tous meilleurs milieux offensifs du Royaume de Sa Majesté avec plus de travail et en gommant ses défauts mais il a préféré conserver son confort et sa qualité de vie sur la côte sud anglaise.
Sources :
- Rom Del Castello, God Save The Foot : « Matt Le Tissier, le « God » parmi les Saints«
- Simon, Ultimo Diez : « Le Tissier : « Le God » d’un seul club«