Alors que le mercato français a ouvert ses portes depuis le 8 juin, les rumeurs vont déjà bon train. Les spéculations se multiplient, faisant passer un Tanguy Kouassi de Rennes au Bayern en à peine quelques heures. Le tout est abondamment relayé par les médias, soucieux de sortir l’information en premier. Dans l’ère des compilations Youtube finement ciselées et des superlatifs prématurés, la frénésie est constante. Un phénomène qu’un journaliste irlandais a décidé de pointer du doigt en 2009, jusqu’à tromper le journal The Times en personne.
2009. Le très respecté et respectable journal The Times sort une liste de 50 étoiles montantes du football. La liste oscille entre le futur génie que représente Karim Benzema à la future déception, à l’instar de Jozy Altidore. À la lecture de cette liste, tout aficionado de football se dit que les journalistes du Times ont bien fait les choses puisqu’ils sont même allés jusqu’en Moldavie dénicher le footballeur de demain : Masal Bugduv. Ce dernier se place trentième de la liste, soit sept places devant un certain Mesut Özil. En plus d’avoir un nom qui dénote, l’attaquant de l’Olimpia Balti est précédé d’une réputation flatteuse. Le Times le décrit ainsi : « le meilleur de la Moldavie, l’attaquant de seize ans est fortement pressenti pour être transféré à Arsenal, dans l’attente d’un permis de travail. Il est également annoncé dans un grand nombre de top clubs. »
Un phénomène intraçable
Si la description ne permet pas de se faire une idée précise du style de jeu du jeune Moldave, la figure de ce dernier avait déjà été mise en lumière sur des forums spécialisés. Pêle-mêle, des post écrits dans le style des dépêches Associated Press, Goal.com et When Saturday Comes font allusion au joueur.
« Au milieu de la lutte nationaliste dans le football moldave, il y a une lumière d’espoir à l’horizon dans la personne du milieu offensif de seize ans Masal Bugduv dont beaucoup prédisent qu’il jouera bientôt dans une grande ligue européenne. » – Le prodige moldave dépeint par When Saturday Comes.
Le peu d’informations sur le joueur et un commentaire « funny mistake » postés à propos de l’article du Times suffisent à aiguiser la curiosité du blogueur Neil McDonnell. Lui qui écrit pour SportLens, décide d’en savoir plus sur ce phénomène que personne n’a jamais vu jouer. En effet, aucune vidéo, ni photographie ne circulent sur ce joueur, pourtant si prometteur.
Très vite, il apparaît que pour un joueur destiné à connaître la lumière, le jeune Moldave préfère l’obscurité de l’anonymat. Après une rapide recherche, il s’avère que Masal Bugduv n’est présent ni dans l’effectif de l’Olimpia Balti ni dans les U18 du même club. De même, il se dit que le joueur aurait participé à un match avec l’équipe nationale face à l’Arménie, pourtant il n’apparaît pas dans la composition d’équipe. Pire, les commentaires postés sur les forums concernant le joueur sont souvent des copiés-collés. Écrits dans le style épuré des dépêches Associated Press, ils sont truffés d’erreurs et fautes de frappe, mentionnent le club de Masal Bugduv sous plusieurs appellations différentes, ou encore font allusion à une ville fictive moldave du nom de Tirol (Le Tyrol étant une région alpine d’Europe centrale).
Tenace, le blogueur va même plus loin en contactant directement l’auteur du « funny mistake », Ivan Makarov, rédacteur en chef du magazine Soviet Sport. Ce dernier le met en contact avec le rédacteur en chef de MoldFootball.com, qui lui confirme son intuition : Masal Bugduv n’existe pas, et son nom, soit dit en passant, n’est même pas moldave.
Primauté de l’information et envie d’y croire
McDonnell s’empresse de publier sa découverte sur le blog SoccerLens et est aussitôt relayé par le Guardian. Le Times réagit à son tour, aussitôt. Sans faire de mea culpa sur cette énorme erreur, le journal remplace dans sa liste le supposé prodige moldave par Jay Simpson (jouant actuellement à Chypre). Si les critiques ne pleuvent pas à l’égard du quotidien britannique, à l’exception de quelques articles, le camouflet est tout de même énorme pour un journal se positionnant comme une institution dans la fiabilité de l’information.
La ville de Galway est connue pour son port, son festival international des huîtres et son club de première division irlandaise. C’est là que sévit l’instigateur de ce canular. Declan Varley, rédacteur en chef du Galway Advertiser, se définit comme un fervent supporter d’Arsenal. Lui qui passe ses étés à l’affût de la moindre rumeur demeure frustré de ne pas avoir accès à des informations fiables et de passer de rumeur mensongère en rumeur falsifiée. À l’été 2008, il décide de lancer ce qu’il nomme « une expérience sociale ». Il choisit de créer un joueur fictif et voir jusqu’où il peut pousser le phénomène.
Il s’inspire de la nouvelle Mon petit âne noir du dramaturge irlandais Ó Conaire dans laquelle un personnage essaye de vendre un âne bon à rien au meilleur prix. Le parallèle avec le marché des transferts est alors tout trouvé. Une fois l’identité du joueur conçue, il a fallu échafauder les caractéristiques de ce dernier. Declan Varley se base alors sur le profil de Wayne Rooney. Voulant rester réaliste pour que la ficelle ne soit pas trop grosse, il en a fait un joueur prometteur assez bon pour être convoité sans être un génie du football. Très vite, la supercherie est en marche, les commentaires essaiment et Masal Bugduv prend des traits humains.
« Les gens croient ce qu’ils ont envie de croire, et il y a également un désir d’être considéré « au parfum », un refus de reconnaître qu’on ne sait pas. » Declan Varley dans le New York Times.
Pourtant, Declan Varley sème des indices sur ce qui est, au départ, une simple blague. Masal Bugduv est par exemple la transcription phonétique en gaélique de « mon petit âne noir ». Plus comique encore, certaines fausses dépêches qu’il poste sur les forums font allusion à un soi-disant journal Moldave, le Dario Mo Thon, « Mo Thon » signifiant en anglais « mon cul ». Une simple recherche internet et une prise de contact avec des journalistes moldaves auraient dû permettre de limiter l’étendue du phénomène et ses répercussions. Pourtant, le Times, guidé par la volonté d’avoir la primauté de l’information préfère être le premier gros média à mettre en lumière ce joueur, sans vérification préalable.
Le phénomène n’est d’ailleurs pas nouveau. En 1999 déjà, le Times et le Guardian avaient annoncé la potentielle signature pour 3,5 millions de livres à Liverpool d’un certain Didier Baptiste, défenseur U21 français. Là aussi, le joueur n’existait pas et n’était autre que le personnage d’une série qui passait sur Sky One à l’époque. On peut également ajouter Rex Secco à cette liste de joueurs fictifs, qui tend à s’allonger. Cette fois-ci, le joueur devait signer en 2015 à Arsenal pour 34 millions de livres. Le canular était alors une simple opération de communication provenant d’une agence de marketing.
Plus généralement, ces histoires de supercherie remettent en perspective la folie du mercato. La période des transferts se caractérise par une volonté de « faire du clic » et vendre du papier, permettant ainsi à n’importe quel fan d’un club d’être à l’affût des transferts qui peuvent avoir lieu. Dès lors, sortir une information, même fausse ou redondante (cf retour de Neymar à Paris), n’est pas important, l’essentiel est qu’elle génère de l’audimat et donc, à terme, des revenus. A cela s’ajoute la volonté d’avoir l’exclusivité de l’information, les sources non vérifiées devenant la norme. Ce phénomène est devenu courant comme l’explique placidement Rory Smith dans les colonnes du New York Times, « Dans le monde du football comme en politique, ce qui compte c’est que les gens aient envie de croire ».
L’histoire de Masal Bugduv interpelle sur l’importance de vérifier les informations qui peuvent circuler en période de mercato. En effet, la course à la primauté et l’exclusivité de l’information semble faire disparaître toute volonté d’en contrôler ses sources. Ce cas célèbre aurait pu faire jurisprudence pourtant il apparaît qu’elle n’est que le révélateur d’un phénomène qui s’inscrit dans le temps : la recherche de l’audimat pour pouvoir générer du chiffre d’affaires au détriment d’une information vérifiée, mais moins rémunératrice.
Sources :
- « The curious case of Masal Bugduv », SportsLens.
- « Masal Bugduv, mon cul et mon petit âne noir », Teenage Kicks, Cahiers du Football.
- « Masal Bugduv, le petit génie du football moldave était un canular », Slate.
- « L’ère des fake news, petite histoire des faux mercatos », Courrier International (issu du New York Times).