Malgré seulement quinze sélections avec l’Albiceleste, Martin Palermo est l’un des joueurs argentins les plus emblématiques. Avant-centre remarquable de Boca Juniors, il n’a pas laissé la même image en Europe avec un passage raté en Espagne. Aucune cape entre 1999 et 2009 avant d’entrer dans l’histoire par la manière qu’il maîtrisait le mieux : marquer.
Depuis le 18 décembre dernier et la victoire de l’Argentine à la Coupe du monde, Lionel Messi est enfin prophète en son pays. Seulement sept buts et trois passes décisives de plus au milieu de ses statistiques individuelles impressionnantes, mais une empreinte enfin indélébile dans le cœur de ses supporters. Avant cela, le numéro 10 n’avait jamais semblé vraiment à la hauteur du maillot ciel et blanc. Si bien que certains aficionados lui ont longtemps préféré d’autres joueurs nationaux. Diego Armando Maradona d’abord. Lui, avait sorti l’Argentine de sa torpeur en allant remporter le Mondial 1986 seul, avec toute la dimension mystique que le personnage impose. Lionel Messi a toujours été lié à son aîné, mais a aussi parfois été moins populaire que certains de ses contemporains. Parmi eux, se trouve un certain Martin Palermo. Son nom ne parle pas autant en Europe, il constitue pourtant une véritable icône de l’autre côté du globe.
Quand le jeune d’Estudiantes impressionne Maradona
Né en 1973, il fait partie d’une belle génération composée de Javier Zanetti, Roberto Ayala ou Gustavo Lopez. La promotion n’est pas la plus talentueuse d’un pays connu et reconnu pour ses maîtres à jouer, mais elle se distingue pour son abnégation. Dès ses premiers pas sous le maillot d’Estudiantes de La Plata, le jeune Martin Palermo, pas encore âgé de 20 ans, se fait justement remarquer par ce sens du sacrifice. Souvent seul à la pointe de son attaque, il a pour principale mission de terminer les actions par un but.
Il le fait très bien. Ses premières années sont délicates, il apprend le haut niveau argentin en entrant petit à petit dans la rotation de l’équipe professionnelle d’Estudiantes. Lors de la saison 1995-1996, il se fait remarquer par ses cheveux peroxydés et son sens aigu du but. En 27 matchs de championnat, il marque seize fois. L’année suivante, il inscrit un but de moins, mais prouve sa régularité.
Alors que Diego Maradona dispute ses derniers matchs dans son pays sous le maillot – moulant – de Boca Juniors, le champion du monde 86 se mue en directeur sportif. Sous le charme de l’attaquant d’Estudiantes, il conseille à ses dirigeants de l’acheter. Chose faite en 1997. Si les deux hommes ne jouent aucun match ensemble, leur relation est passionnelle et leurs chemins vont se croiser par la suite. Comme tous les jeunes argentins ayant grandi avec les exploits d’El D10S, Martin Palermo a rêvé de rencontrer son idole. Elle est finalement devenue une véritable figure paternelle.
Records à la pelle
À Boca, l’avant-centre confirme les attentes placées en lui par le prophète Maradona. Il fait fi de la pression et n’arrête jamais de faire trembler les filets. Son entraîneur de l’époque, Carlos Bianchi était impressionné par son caractère plus que par son aisance dans l’exercice : « Ce type, c’est un optimiste du but. Même si tout va mal, il croit toujours qu’il va marquer. Il a un flair incroyable. Sa maison, c’est la surface. » En deux passages du côté de la Bombonera, Martin Palermo inscrit la bagatelle de 236 buts, soit le meilleur total du club.
Avec sa patte gauche, il est aussi bien capable d’envoyer quelques pralines surpuissantes que des bijoux dans les lucarnes adverses. Pas embêté du droit non plus, celui que l’on surnomme El Loco (le fou) est le premier joueur à avoir réussi à transformer un penalty avec les deux pieds. Pour compléter sa panoplie, il est un excellent joueur de tête. Tout simplement le meilleur selon un classement de la FIFA qui le place devant Miroslav Klose et Iván Zamorano. De la même façon, il est celui qui a inscrit le but le plus lointain avec son crâne : 38,9 mètres !
Palermo rate le coche
Malgré son talent et son appétit insatiable face aux gardiens, Martin Palermo n’a pas eu la carrière de Carlos Tevez, Gonzalo Higuain ou Mauro Icardi, autres buteurs argentins. Celui qui a été nommé citoyen d’honneur de La Plata a aussi longtemps été un paria en sélection nationale. Tout commence en 1999, alors qu’il marche sur l’eau avec Boca en inscrivant 32 buts soit son record sur une saison. Il est donc logiquement dans les plans du sélectionneur Marcelo Bielsa pour la Copa America 1999 en tant qu’avant-centre dans le 3-4-3 avec Guillermo Barros Schelotto et Juan Roman Riquelme en soutien.
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En ouverture de la compétition, l’Argentine se défait aisément de l’Équateur (3-1) avec un doublé du numéro 9 de Boca. C’est ensuite la Colombie qui se présentait face à l’Albiceleste. La domination de cette dernière n’a rien changé, ce sont les coéquipiers d’Ivan Cordoba qui s’imposèrent sur un score sans appel (3-0). Durant ce match, Martin Palermo bat un nouveau record, celui d’avoir raté trois penalties dans la même rencontre. Dès la cinquième minute, il fracasse la barre transversale avant de voir la Colombie s’envoler au tableau d’affichage et Javier Zanetti être exclu. À un quart d’heure du terme, alors qu’il y a 2-0, l’avant-centre enlève trop sa frappe et ne trouve pas le cadre. Pour terminer ce calvaire de la pire des manières, le portier Miguel Calero stoppe la dernière tentative dans le temps additionnel.
Martin Palermo marque au match suivant contre l’Uruguay (2-0) et qualifie son équipe pour les quarts de finale. Titulaire face au Brésil, il n’empêchera pas l’élimination des siens à ce stade et sera rayé des plans argentins durant près de dix ans. Face au Real Madrid en finale de la Coupe intercontinentale 2000, il inscrit les deux buts de son équipe (1-2) et offre l’un des plus beaux titres de l’histoire de Los Xeneizes. Il quitte finalement Boca Juniors pour partir à Villarreal tenter de chasser ses vieux démons colombiens. Souvent blessé, il joue aussi de malchance. Lorsqu’il peut enfin célébrer un de ses buts avec les supporters du sous-marin jaune, une partie de la tribune cède sous le poids et casse la jambe du joueur. En quatre ans, à Villarreal, au Real Betis et à Alavés, il ne marque jamais plus de sept buts lors d’une saison.
Retour en grâce
Loin de ses standards depuis cette rencontre chaotique contre la Colombie, Martin Palermo revient à Boca Juniors avec l’intention de retrouver ses sensations. L’optimisme dépeint par Carlos Bianchi revient rapidement car l’avant-centre termine de nouveau chaque exercice avec des buts par dizaine. Dans les surfaces argentines, et notamment celles de la Bombonera, personne ne fait mieux que lui.
Pas suffisant toutefois pour retrouver grâce aux yeux de José Pekerman et Alfio Basile qui se succèdent sur le banc de la sélection et qui lui préfèrent notamment l’expérimenté Hernan Crespo et le jeune Rodrigo Palacio. Le buteur de Boca ronge son frein et attend une apparition divine. Diego Armando Maradona décide d’endosser le costume de sélectionneur en octobre 2008. Il est toujours sous le charme de Martin Palermo, quitte à se revoir en lui. Entre jurons et célébrations pleines de vie sur le terrain, alcool à foison et carrière sinueuse en dehors, la relation père-fils se confirme.
En championnat, Martin Palermo continue de se faire remarquer en enchaînant les saisons à plus de dix buts (hormis l’exercice 2008-2009 marqué par une blessure et où il n’en inscrit que sept). Personne ne reste insensible devant ses prestations. Lisandro Lopez, qui fait trembler les filets européens dans le même temps, se dit d’ailleurs admirateur de son talent. Ils deviendront finalement concurrents lors des éliminatoires du Mondial 2010 sous le maillot de l’Albiceleste.
Saint-Palermo
Sous les ordres de son père adoptif pour la première fois, Martin Palermo installe sa nouvelle maison dans la surface de réparation pour mener son équipe vers la Coupe du monde sud-africaine. Revenu en sélection dix ans après son éviction, il est bien décidé à remercier Diego Maradona. Pour se faire, quoi de mieux que de marquer ? Le premier match des éliminatoires contre le Pérou tourne encore au fiasco. Hernan Rengifo égalise dans le temps additionnel et fait taire le Monumental. Dans l’antre de son rival de River Plate, Palermo est autant la cible des sifflets que Lionel Messi et toute la bande de Maradona.
Sous une pluie incessante et un vent violent, l’avant-centre va signer une nouvelle page d’histoire de son pays. La caméra tremble et les images sont floues, mais le ballon continue de rouler dans la surface péruvienne alors que le temps réglementaire est terminé depuis trois minutes. Au second poteau, quasiment hors-jeu, Martin Palermo reprend en une touche et expédie le ballon au fond des filets. Il oublie la pluie, enlève son maillot et parle longuement au ciel. Il ne voit pas son idole Maradona profiter de l’eau pour glisser à plat ventre sur plusieurs mètres, mais entend le Monumental crier à sa gloire.
« J’avais oublié que Saint-Palermo existait. Je lui ai dit à la mi-temps : « Entre et règle cette histoire comme tu l’as déjà si souvent fait. » Il m’a dit : « Comment je fais? » Mais il l’a fait ! C’est un nouveau miracle de Saint-Palermo qui nous laisse en vie », racontait le sélectionneur avec les larmes aux yeux au volant d’une voiturette de golf. De son côté, le buteur n’en revenait pas non plus : « Il m’est arrivé beaucoup de choses dans la vie, des blessures graves. J’ai été absent de la sélection pendant dix ans. Je ne pensais jamais pouvoir revivre de tels moments. Le football est fait de souffrances et d’émotions. Je ne sais pas si c’est le destin ou Dieu qui m’a permis de marquer à un tel moment. C’est incroyable. » Il n’oublie pas qu’en 1986, les coéquipiers d’El Diez s’étaient qualifiés en battant le Pérou.
Grâce à une victoire en Uruguay (0-1), l’Argentine valide son ticket pour l’Afrique du Sud. Là-bas, Martin Palermo sera préféré à Lisandro Lopez et marquera contre la Grèce. Ainsi, il devient le joueur argentin le plus âgé à marquer en Coupe du monde, depuis… Diego Maradona face aux Grecs en 1994. Devenu entraîneur sans grand succès, El Loco a rendu un vibrant hommage à l’homme qui a fait basculer sa carrière à plusieurs reprises au moment de son décès en novembre 2021 : « J’aime penser que si ma vie avait été un film , la première scène serait sûrement cette photo où gamin je tapais dans un ballon et la dernière serait la photo de cette célébration sous la pluie. Cette victoire a signifié beaucoup de choses. Notamment l’amitié me liant à Diego et la confiance qu’il m’a donnée. »
Fils spirituel de Diego Armando Maradona, buteur optimiste ayant fait vibrer chaque stade d’Argentine et rare joueur de Boca à avoir fait hurler de joie le Monumental, Martin Palermo était définitivement un joueur à part. Entre deux soirées arrosées, il se présentait sur le terrain avec sa rage de vaincre, ses mots acerbes et son sens du but – même à quarante mètres, il pouvait déclencher une tête pour marquer. Il a déjà les scènes d’ouverture et de fin en tête, on a le reste pour réaliser le film de sa vie.
Sources :
- Christopher Hallez, « Argentine : l’émouvante lettre de Martin Palermo en hommage à Maradona », La Grinta
- Stéphane Kohler, « Le miracle de Saint-Palermo », L’Équipe
- « Pourquoi Martin Palermo est finalement le plus grand génie du foot ? », PK Foot
Crédits photos : Icon Sport