Lors de la saison 2011-2012 de Liga, une équipe impressionne l’Espagne et l’Europe du football. Pas le FC Barcelone de Pep Guardiola en fin de cycle ni le Real Madrid historique de José Mourinho mais plutôt l’Athletic Club de Marcelo Bielsa. Parfois qualifié d’entraîneur marginal voire fou, l’Argentin n’a que faire de ce mépris. Il va permettre à Bilbao de vibrer de nouveau pour son équipe par ses préceptes de jeu offensifs.
La dernière décennie de football européen a été marquée par les batailles tactiques entre le jeu de position, l’arrivée du gegenpressing ou encore le catenaccio 2.0. Chaque entraîneur ou presque s’est réclamé d’une école durant ces années. Le championnat espagnol est plus au fait que jamais de ces antagonismes tactiques avec les mémorables clásicos des meilleurs ennemis Pep Guardiola et José Mourinho. Pourtant, un club peuplé d’irréductibles Basques résiste encore et toujours au football moderne.
Fort de son ancrage territorial unique, l’Athletic Club persiste à ne faire évoluer que des joueurs nés au Pays basque. Avec des valeurs de combat, de cohésion et de courage, le jeu de cette équipe ressemble parfois au kick and rush britannique. Lors de son arrivée à Bilbao en 2011, Marcelo Bielsa est donc plongé dans le football d’un autre siècle. Sa mission ? Remettre tout cela à neuf sans bousculer les préceptes de cette institution.
Débuts laborieux vite oubliés
Après une pré-saison marquée par l’enseignement des principes de base de l’Argentin et par une demande physique importante, les premiers pas en Liga sont compliqués. Le déplacement au Bernabéu pour le coup d’envoi de la saison est raté. L’ouverture du score de Fernando Llorente n’empêche pas la défaite (4-1). Les cinq matchs suivants se soldent par deux nuls et trois défaites mais n’inquiètent pas Joaquín Caparrós, ancien entraîneur du club :
« Il faut donner du temps à Marcelo Bielsa, c’est un entraîneur qui a fait des choses tellement importantes dans le football. En tant que socio de l’Athletic, j’espère et je souhaite que tout aille mieux. Nous devons soutenir l’entraîneur. Je suis sûr qu’avec de bons supporters, de bons footballeurs et un bon technicien, l’Athletic sera à la fin en haut du classement. »
Au fil de la première partie de saison, les résultats s’inversent effectivement. Un seul faux pas à San Mamés face à Grenade (0-1) mais pas de quoi faire oublier le travail effectué par Marcelo Bielsa. La neuvième place n’enchante pas tous les supporters, le jeu si. L’un des matchs les plus marquants de cette phase aller est celui face au FC Barcelone.
Duel Bielsa-Guardiola
En novembre 2011, les deux entraîneurs s’affrontent pour la première fois. Cinq ans après leur rencontre à Máximo Paz, le maître et l’élève signent une symphonie. Le pressing de l’Athletic asphyxie un Barça sûr de ses forces qui reste sur 23 matchs sans défaite. Sous une pluie battante, l’équipe de Bielsa rend la vie infernale à celle de Guardiola. Le 4-2-3-1 de l’Argentin trouve enfin son match référence dans cette saison 2011-2012.
Le Catalan ne s’y trompe pas à la fin du match : « L’Athletic est désormais pleinement une équipe de Bielsa. Quand on voit Llorente courir sur quarante mètres pour défendre son but, Muniain enchaîne les sprints de quarante mètres, de haut en bas, à droite et à gauche… Cette équipe vous prive d’espace et de temps. Ce sont des bêtes. On n’avait jamais affronté une équipe aussi intense. »
Malgré un Iker Muniain insaisissable sur l’aile gauche, un Fernando Llorente primordial dans le rôle de pivot ou un Javi Martinez impérial en défense centrale, l’Athletic Club ne remporte pas ce match mythique. Même après avoir mené au score par deux fois, les hommes de Marcelo Bielsa se font reprendre par un but de Cesc Fabregas puis un de Lionel Messi à la dernière minute (2-2). Pas de quoi décourager l’entraîneur et les joueurs de continuer de telles prestations face à des adversaires plus forts sur le papier.
Le parcours européen
C’est surtout en Ligue Europa que les Rojiblancos affrontent ces équipes au calibre supérieur. Dans une poule composée du Slovan Bratislava, du RB Salzburg et du Paris Saint-Germain, l’Athletic Club s’en sort et termine premier devant le club autrichien. Évidemment, Bielsa, peu adepte du turnover, fait perdre quelques plumes à son effectif en championnat. En plus de l’ossature des onze titulaires quasi-inchangée durant la saison, seuls cinq joueurs sont habitués à fouler les pelouses (Borja Ekiza, Mikel San José, Ibai Gomez, Iñigo Perez et Gaizka Toquero). Ces faibles rotations inquiètent parfois mais permettent aux troupes de l’Argentin de parfaitement connaître leur partition.
En phase finale, ce plan de jeu appris sur le bout des doigts permet de faire tomber les gros les uns après les autres. L’étonnant CSKA Moscou donne d’abord du fil à retordre aux Basques en seizièmes (2-1 ; 1-0). Le but à l’extérieur inscrit lors du match aller en Russie qualifie ces derniers et laisse entrevoir un choc face à Manchester United en huitième. Le premier round est fou. Los Leones enflamment Old Trafford. L’ouverture du score de Wayne Rooney ne calme pas les ardeurs basques, notamment au niveau du pressing. Le marquage individuel prôné par Marcelo Bielsa depuis ses débuts atteint son apogée dans ce match à haute intensité. Les récupérations hautes amènent de nombreuses occasions. « Nous avons été battus et bien battus. Bilbao a été la meilleure équipe ce soir. Sans David De Gea, on aurait pu encaisser quatre ou cinq buts », s’incline Sir Alex Ferguson. Le gardien espagnol n’en encaisse finalement que trois (2-3) mais l’essentiel est ailleurs : l’Athletic Club marque l’Europe du football de son empreinte.
Les coéquipiers d’Ander Iturraspe comptent bien capitaliser lors du match retour et continuer leur parcours européen. Certains estiment qu’ils vont laisser le ballon et tenter de faire le dos rond pendant 90 minutes mais c’est inconcevable pour l’entraîneur et les joueurs ayant une totale confiance en lui. Ils mettent le pied sur le ballon et l’emportent (2-1) face à un géant du football mondial. En quart, les Basques signent un nouveau gros coup à l’extérieur du côté de Schalke (2-4 ; 2-1) grâce à Fernando Llorente qui continue d’affoler les compteurs avec deux nouveaux buts. La confrontation face au Sporting CP est le moment pour les supporters de rêver d’une deuxième finale en Ligue Europa après celle de 1977. Fini de se cacher derrière les mastodontes nationaux, Marcelo Bielsa redonne fierté à Bilbao. Le match retour est parfaitement maîtrisé, le jeu sans ballon des Basques oppresse leurs adversaires, les attaques sont fatales (2-1 ; 3-1).
Après des matchs disputés mais dont ils sont toujours sortis vainqueurs, Iker Muniain et ses coéquipiers s’avancent vers l’Atlético de Madrid. En Liga, les deux équipes se sont affrontées par deux fois avec un avantage de buts pour l’Athletic Club (victoire 3-0 à San Mamés et défaite 2-1 à Vicente-Calderón). Mal en point en championnat, les Colchoneros sont toutefois favoris après les humiliations infligées à la Lazio, Besiktas, Hanovre et Valence aux tours précédents. En inscrivant un doublé de classe, Falcao s’installe seul à la tête du classement des buteurs de la compétition avec 9 réalisations. Son coéquipier Diego délivre son septième caviar, autre record de l’année. Les Madrilènes s’imposent sans trembler (3-0) mais les Basques se souviendront à jamais de cette campagne.
Équipe de coupe
Avec ces neuf rencontres supplémentaires, l’Athletic perd de l’énergie sur la scène nationale. Durant le mois de mars, les Rojiblancos battent Manchester United à deux reprises ainsi que Schalke mais ne remportent qu’un seul des six matchs de Liga. Sous les ordres de Bielsa et de sa gestion d’effectif sans état d’âme, le club termine à la dixième place du championnat. Des statistiques peu impressionnantes qui ne rappellent pas le parcours de Ligue Europa… ni celui en Coupe du Roi.
En effet, Los Leones arrivent tout de même à jouer sur plusieurs tableaux durant cette saison 2011-2012. En bénéficiant d’un tirage assez clément (Real Oviedo, Albacete, Majorque et Mirandes), les Basques atteignent la finale de la compétition. Une dizaine de jours après la gifle face à l’Atlético, Marcelo Bielsa et ses hommes veulent décrocher un titre récompensant cette saison émouvante. Pour cela, ils doivent réussir à battre le FC Barcelone pour la première fois de leurs trois confrontations de l’année.
S’il n’avait sans doute pas été surpris du plan de jeu de son confrère lors du premier affrontement, Pep Guardiola a, depuis, redressé le tir et pris la mesure de ces batailles tactiques. Le match nul de San Mamés a donné lieu à une première période d’une rare intensité où les joueurs de l’Athletic n’ont laissé aucun espace à leurs adversaires. Cette fois, c’est le Catalan qui prend le dessus avec une parfaite gestion de la profondeur dès l’entame de match. À la 25ème minute, le ton est déjà donné : 3-0 pour le Barça. L’une des meilleures équipes du monde donne une leçon à un collectif dépassé sur ses points forts. Le score en restera là, comme si l’élève ne voulait pas humilier le maître. Le jeu de position de Marcelo Bielsa s’est heurté face au modèle du genre.
Une fin frustrante
La finale perdue de la Coupe du Roi marque le coup de sifflet final d’une saison qui restera mémorable. Au-delà de la dixième place anecdotique en championnat, les matchs de coupe à élimination directe ont emmené cette émotion si caractéristique au jeu de cette équipe. Durant le mercato estival, neuf joueurs font leur valise dont le taulier de la défense, Javi Martinez, qui s’envole pour le Bayern Munich. Il y retrouvera Pep Guardiola par la suite. Les joueurs qui ont formé cet effectif méconnu se font un nom durant l’exercice 2011-2012. On pense notamment à Ander Herrera, milieu aujourd’hui au Paris Saint-Germain (prêté cette saison à… l’Athletic Club), à Fernando Llorente, buteur passé par la Juventus et Tottenham ou à Iker Muniain, le meneur de jeu qui, lui, a préféré resté fidèle à son club de toujours.
La saison suivante est marquée par le renfort d’Aritz Aduriz pour remplacer Fernando Llorente en froid avec Marcelo Bielsa. L’entraîneur connaîtra une altercation avec le chef de chantier du centre d’entraînement du club pour des retards dans la rénovation. Douzième place de Liga, élimination au premier tour contre Eibar alors en troisième division et en phase de groupe de Ligue Europa. C’est comme cela que se termine l’aventure d’El Loco au Pays basque. Dans un entretien accordé aux Cahiers du football, Aritz Aduriz est revenu sur cette saison : « Marcelo Bielsa est un authentique génie de ce sport. Bien qu’elle ait été très difficile, c’est l’année où j’ai le plus appris et où j’ai le plus progressé techniquement. C’est lié à la façon dont il conçoit les entraînements, basés sur une analyse totalement individualisée de ton jeu. »
L’été dernier, les supporters de Bilbao se sont mis à rêver à un retour de l’Argentin dans leur club. En cas de victoire d’Inaki Arechabaleta à l’élection présidentielle de l’Athletic Club, l’entraîneur choisi aurait été Marcelo Bielsa. Finalement, c’est Jon Uriarte qui a remporté les élections et qui a propulsé Ernesto Valverde sur le banc. Comme le but de Lionel Messi dans le temps additionnel plus de dix ans auparavant, la finalité est frustrante. Elle rend la trace de Marcelo Bielsa plus touchante.
Sources :
- Dimitri Thomas, « Le Bilbao de Bielsa 2011-12 : comment sublimer un effectif à potentiel par le football protagoniste », La Grinta.
- Rémi Belot, « Aritz Aduriz : « J’aurais aimé avoir deux carrière » », Les Cahiers du football.
- « Masterclass du Bilbao de Bielsa vs le Man.Utd de Ferguson », La Vue Tactique.
Crédit photos : Icon Sport