Champion d’Europe en 1984 avec l’Équipe de France et joueur allégorique du Paris Saint-Germain de 1978 à 1986, Luis Fernandez a assurément été l’une des personnalités les plus marquantes de la Ligue 1 et du football français à cette période aux côtés de Michel Platini, Dominique Rocheteau ou Manuel Amoros. Sa dernière aventure en tant que joueur, à Cannes, le mène directement à sa deuxième vocation : entraîner. Cette reconversion n’a pas été aussi heureuse que sa carrière de footballeur. Luis Fernandez est un entraîneur ambitieux, excentrique, instable. Ses histoires comme coach sont des péripéties rarement bien terminées. Peut-être n’était-il pas fait pour entraîner…
Luis Fernandez démarre la saison 1992-1993 avec l’AS Cannes en tant que joueur. Le club est en deuxième division et vit un début de saison difficile. Luis prend finalement la place d’Erick Mombaerts sur le banc et emmène Cannes en Ligue 1. La saison suivante, il est élu meilleur entraîneur du championnat après avoir qualifié son club pour la Coupe UEFA. De son côté, le Paris Saint-Germain obtient son premier titre de champion de France sous Canal + avec Artur Jorge comme entraîneur. Les propriétaires du PSG souhaitent du changement et jettent leur dévolu sur Luis, chouchou du Parc des Princes en tant que joueur.
La première aventure parisienne
Luis Fernandez arrive au Paris Saint-Germain pour changer d’image au club. Artur Jorge était réputé pour son sérieux et cela fonctionnait en terme de résultat mais Canal + souhaite s’ancrer un peu plus dans l’histoire du PSG alors qui de mieux que le chouchou des supporters pour succéder au Portugais ? De plus, Luis a démontré avec Cannes qu’il pouvait également obtenir de bons résultats. L’entraîneur se définit comme timide à son arrivée sur le banc parisien. Il est impressionné de devenir le chef sportif du club qui a fait de lui un grand joueur français, un des quatre éléments du carré magique de l’Équipe de France et un champion d’Europe en 1984.
Pourtant, tout ne démarre pas parfaitement à Paris. Le club est interdit de recrutement par la DNCG qui l’oblige dans tous les cas à dégraisser avant de recruter. La direction parisienne est surprise, Luis n’était au courant de rien et se sent trahi. En 1999, il revient sur cet événement pour France Football : «Dans un contrat, il peut y avoir plusieurs sortes de garanties. Sportives et financières. En signant au PSG, je ne pensais pas avoir besoin de clauses particulières qui m’auraient permis, par exemple, de me retourner lorsque le club était interdit de recrutement. Moi, je veux avoir les mains libres. Si c’est pour me sentir espionné, contrôlé, non ! Il y a des présidents qui font des commentaires sur le jeu, les joueurs, la tactique. Je ne veux pas de ça. C’est une intrusion dans mon travail. En résumé, je veux avoir la garantie d’être le seul responsable sportif. Au PSG, je n’ai pas eu ça, je suis parti». Voilà qui résume le tempérament de Luis entraîneur. Malgré un engouement fort des deux parties, Luis ne se laisse pas marcher sur les pieds et n’accepte pas d’être floué. Sa réponse est sur le terrain.
En ne recrutant que deux joueurs de D1 (Oumar Dieng et Jean-Philippe Séchet), Luis est très loin d’avoir les mêmes moyens que Canal + a offert à Artur Jorge. Le nouveau coach cherche alors des solutions au sein de son effectif. Luis Fernandez fait confiance à Raí, arrivé un an plus tôt comme le meilleur joueur d’Amérique du Sud mais n’arrivant pas à s’imposer à Paris. Le club a envisagé de le prêter au Japon mais Luis veut le conserver. Un pari gagnant puisque le Brésilien s’impose et devient le nouveau privilégié du Parc des Princes, les supporters voyant enfin la grande star qu’on leur avait promis.
Pour sa première saison à Paris, Luis échoue en championnat malgré un statut de favori en début de saison. Cependant, il remporte les deux coupes nationales et envoie le PSG en demi-finale de la Ligue des Champions pour la première fois de son histoire en battant le Barca de Johan Cruyff en quarts. De plus, Luis a réussi la mission que Canal lui a confié : faire aimer le PSG. Sa personnalité séduit, ses conférences de presse sont des one-man shows où les journalistes s’amusent à pointer les erreurs de français de Luis dont il se fout et sûrement cultive-t-il cela pour façonner son image. Le Parc se remplit jusqu’à faire venir 10 000 personnes supplémentaires à chaque match par rapport à la saison précédente. Luis a gagné le public, il a aussi gagné ses joueurs. Le journaliste Jean-Phillipe Bouchard décrit bien comment l’entraîneur s’y prend :
Fernandez veut faire tomber les murs du PSG, au propre comme au figuré. Il impose un dîner entre joueurs après les matchs. Et, est-ce de la véritable superstition de joueur ou une manœuvre pour transmettre de la confiance, Luis introduit un rituel avant que les joueurs quittent le vestiaire pour se rendre sur la pelouse. Tandis que ses hommes se lèvent, il se poste devant la porte et sort un petit gri-gri de sa poche. George Weah le touche en premier puis tous les autres, comme en une communion païenne.
En 1995-1996, le style Luis ne passe plus. Si le PSG est premier à la trêve avec douze points d’avance sur le deuxième, il enchaîne les défaites en début d’année 1996. Selon le capitaine Bernard Lama, cet effondrement est «purement lié à l’entraîneur». Luis Fernandez est proche de ses joueurs. Trop. Il joue avec eux, participe à certains atelier de l’entraînement jusqu’à agacer les joueurs et et se mettre le groupe à dos. Largués en championnat, les Parisiens ont un objectif : la Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupes. Ils atteignent la finale. C’est le moment choisi par la direction parisienne pour insuffler un souffle nouveau dans le staff : Yannick Noah est chargé de redynamiser le groupe. La venue de l’ancien tennisman est inacceptable pour Luis. Pourtant, Noah organise un week-end avec les joueurs, sans membre du staff ni de la direction, et soude le groupe. Les joueurs du PSG évacuent la pression emmagasinée depuis de nombreux mois à cause de leur entraîneur. Quelques jours plus tard, le Paris SG remporte la C2.
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Son plus long mandat, à Bilbao
Habitué au Paris Saint-Germain à ne pas pouvoir recruter comme bon lui semblait, Luis Fernandez ne se libère pas de cette difficulté puisqu’il rejoint l’Athletic Club en 1996. Le club de Bilbao n’engage en effet que des joueurs basques ou d’origine basque. L’entraîneur s’engage ici dans un chantier compliqué : bien que Bilbao soit un club emblématique de la Liga, les Basques ont fini la saison précédente à la quinzième place en frôlant la relégation.
Luis redresse l’Athletic Club. Il permet aux Basques de figurer à une honorable sixième place en Liga. Il s’offre même deux victoires de prestige à San Mamés face au FC Barcelone (le 23 novembre, 2-1) et face au Real Madrid (le 25 mai, 1-0), la première lui permettant d’exposer son tempérament : il s’en prend à José Mourinho alors adjoint au Barca puis demande à un ramasseur de balle de conserver le ballon pour gagner du temps. L’Espagne apprend à qui elle a à faire. L’année suivante, Luis fait encore mieux : Bilbao devance le Real Madrid et devient le dauphin du champion barcelonais. L’Athletic Club est alors qualifié pour la Ligue des Champions. Une campagne européenne à oublier car malgré six points, l’équipe de Luis termine dernière de son groupe derrière la Juventus, Galatasaray et Rosenborg. Cette année 1999, Bilbao termine huitième de Liga puis onzième l’année suivante. Luis quitte le Pays Basque à l’été 2000. Si selon lui, «c’est mieux pour tout le monde», il déclare : «Des choses que les gens aiment chez toi au début, ils les aiment un peu moins au bout de quatre ans».
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Retour au Paris Saint-Germain
A l’été 2000, le Paris SG s’offre Nicolas Anelka tout juste champion d’Europe avec le Real Madrid. La direction parisienne veut surfer sur la vague «Black-Blanc-Beur» du Mondial 98 et veut faire du PSG un club à l’image de sa région. C’est l’opération «PSG Banlieue». Anelka est alors suivi de Dalmat, Mendy, Luccin et Distin. L’entraîneur parisien est alors Philippe Bergeroo. Il connaît des difficultés à gérer cette nouvelle génération de joueurs et les résultats ne suivent pas. Sa personnalité pas suffisamment charismatique pour Canal + ne résout rien. Il est limogé et Luis Fernandez alors consultant pour la chaîne cryptée revient sur le banc du PSG. Une surprise pour personne. Le nouvel entraîneur ne s’adapte pas plus facilement au «PSG Banlieue». Luis ne comprend pas que ces jeunes joueurs ne respectent pas qui il a été comme joueur ni même comme entraîneur. Les altercations sont nombreuses avec Peter Luccin ou Stéphane Dalmat par exemples. La saison 2000-2001 est à oublier pour Paris. Cependant, Luis a eu le temps de donner un accent espagnol au PSG en recrutant Mauricio Pochettino, Mikel Arteta ou encore Enrique de Lucas à l’hiver. De quoi mieux démarrer la saison suivante.
L’hispanisation du Paris SG se poursuit à l’été 2001 avec les arrivées de Heinze et Cristobal. Des lusophones viennent aussi en renfort : Aloisio, Alex, Hugo Leal et Ronaldinho. Malgré ces renforts, Luis n’emmène pas le PSG en Ligue des Champions. Si Paris est quatrième de Ligue 1 et réussit bien mieux cette saison que la précédente, on en attend plus. Ce qui marque cette ultime saison de Luis sur le banc parisien est sa relation avec Ronaldinho. L’entraîneur digère mal le traitement de faveur par obligation qu’il doit au nouveau champion du monde. De plus, les deux hommes ne sont pas d’accord sur le positionnement de Ronnie sur le terrain. Enfin, le Brésilien aime sortir et faire la fête voire ramener une fille lors d’une mise au vert. Évidemment, pour un coach pointilleux sur le collectif comme Fernandez, ce genre de choses ne passe pas. Ronaldinho est souvent blessé et pourtant étincelant lorsqu’il est opérationnel. Ce qui n’empêche pas Luis de le mettre sur le banc à plusieurs reprises. Le PSG ne gagne pas sans Ronnie et lorsqu’il est là le Brésilien a de plus en plus la tête ailleurs. Il souhaite quitter Paris. Malgré du spectacle et trois victoires d’affilée face à Marseille chères aux supporters, Luis et Ronaldinho ne s’entendent pas. Ils quittent Paris tous les deux à la fin de la saison 2002-2003, en n’ayant rien gagné.
Courtes expériences futiles
Avec 244 matchs, Luis est l’entraîneur le plus capé du Paris Saint-Germain. Cette longévité ne se retrouve plus dans la suite de sa carrière. En novembre 2003, il est missionné par l’Espanyol Barcelone pour sauver le club de la relégation. Les Catalans ont seulement 5 points après dix journées de championnat. Luis s’entoure de Jean-Louis Gasset, son adjoint à Paris, et fait venir Pochettino de Bordeaux. Miraculeusement et à coups de choix forts, Fernandez maintient l’Espanyol en Liga. Le club barcelonais termine 16e avec 43 points dont quatre victoire sur les six derniers matchs. Cependant, suite à un désaccord financier, Luis ne rempile pas pour une nouvelle saison en Catalogne.
Cette instabilité caractérise la suite de la carrière d’entraîneur de Luis Fernandez. Successivement sur les bancs de Al Rayyan, du Beitar Jérusalem puis du Real Bétis où il est limogé pour la première fois. Il entraîne ensuite le Stade de Reims pour le maintenir en Ligue 2 puis prend la tête de la sélection d’Israël pour l’emmener à l’Euro puis celle de la Guinée pour la qualifier en Coupe du Monde. Que des échecs. Luis est certainement trop ambitieux.
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Finalement, Luis Fernandez s’est imposé comme un entraîneur charismatique du football français. Il a su réussir également en Espagne avec l’Athletic Club. Ses autres piges, plus courtes les unes que les autres, ne sont pas très marquantes. Luis est un entraîneur ambitieux mais instable. Est-il finalement un entraîneur ? Une chose est sûre : il sait insuffler quelque chose de positif à ses joueurs. Sa connaissance du football lui permet d’être sérieux et d’imposer sa vision tactique. Cependant, ce souffle nouveau ne plaît pas longtemps aux joueurs. Si la carrière d’entraîneur de Luis Fernandez n’est peut-être pas finie, on peut affirmer qu’elle se concentre majoritairement au Paris Saint-Germain, un club qu’il incarne. Jusqu’à aujourd’hui, Luis le dit : «J’aime trop ce club, je lui dois ce que je suis». S’il n’est pas fait pour être entraîneur et ne le sera peut-être plus, Luis est Parisien et le restera.
Sources :
– BOUCHARD Jean-Philippe, Le Roman noir du PSG, de Canal + à Canal –, Calmann-Lévy, 2000
– RIOLO Daniel, Mon histoire passionnée du Paris Saint-Germain, Hugo Sport, 2014
Articles :
– CHERRIER Solen, Luis Fernandez raconte son PSG, publié le 8 août 2020 sur lejdd.fr
– FAURE Mathieu, Quand le PSG a raté son virage « banlieue », publié le 25 juillet 2015 sur sofoot.com
– Luis Fernandez, adios Bilbao, publié le 4 avril 2000 sur liberation.fr
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