Relégués en Championship depuis bientôt dix ans, les Queens Park Rangers enchaînent les saisons insipides dans l’antichambre de la Premier League. L’instabilité chronique du club n’arrange rien. Les entraîneurs successifs sont davantage des pompiers de service, utiles à court terme, mais pas de grands tacticiens pouvant mener les QPR vers les sommets. Pourtant, les Londoniens ont souvent disposé de managers en avance sur leur temps, capables d’imposer de véritables philosophies de jeu et de guider le club vers le succès.
Si vous étiez adolescent au début des années 2010, alors peut-être avez-vous conservé quelques souvenirs des Queens Park Rangers. Les yeux rivés sur votre écran d’ordinateur, vous avez peut-être regardé, des dizaines de fois sur Youtube, les compilations de gestes techniques du fantasque Adel Taarabt sous les couleurs des Rangers. Devant votre télévision, vous avez peut-être assisté en direct, un après-midi de mai 2012, au but légendaire de Kun Aguero contre QPR, offrant le titre de Premier League aux Citizens. Si vous avez une excellente mémoire, vous vous souviendrez même des passages de Djibril Cissé, Taye Taïwo, Loïc Rémy ou du gardien brésilien Julio César chez les Rangers.
Hormis cela, il faut admettre que QPR possède l’image du club ordinaire, loin des autres mastodontes londoniens tels qu’Arsenal, Chelsea ou Tottenham. Son double passage en Premier League dans les années 2010 est d’ailleurs plutôt insignifiant. En effet, les Queens Park Rangers terminent à deux reprises derniers du championnat et n’offrent pas un spectacle grandiose sur le pré. La faute à un flot ininterrompu d’entraîneurs souvent expérimentés, mais sans réel génie à l’image de Mark Hugues, Neil Warnock ou Harry Redknapp. Cependant, QPR n’est pas un club anglais comme les autres. Longtemps, le club s’est reposé sur son identité londonienne, à l’instar des managers londoniens qui l’ont mené vers les sommets. Très loin du stéréotypé kick and rush, les Rangers ont longtemps été des avant-gardistes, produisant un jeu d’une rare qualité technique dont on peine, aujourd’hui, à percevoir l’héritage.
Premier règne : Alec Stock « le Bâtisseur » (1959-1968)
Ancien joueur de QPR avant la Seconde Guerre mondiale, Stock retrouve son ancien club en 1959, en provenance de l’AS Rome. Les Queens Park Rangers tiennent alors un manager expérimenté, précédé d’une excellente réputation. Pourtant, ses premières saisons à Loftus Road se suivent et se ressemblent. L’équipe lutte tant bien que mal pour une place en seconde division, mais n’y parvient pas. Cependant, en dépit des moyens extrêmement limités, Stock bâtit dans l’ombre les futurs succès des Rangers.
Le tacticien s’appuie notamment sur la formation et lance de nombreux jeunes joueurs en équipe première. Franck Sibley effectue ainsi ses débuts professionnels à l’âge de quinze ans. Tony Hazell et Mick Leach sont, eux, âgés de moins vingt ans à leur début. Stock s’évertue également à développer un jeu technique et offensif, en s’entourant uniquement de joueurs issus de la capitale. Néanmoins, les problèmes financiers des Rangers plombent les résultats de Stock qui n’a pas les moyens de ses ambitions. C’est alors qu’un tumultueux self made man londonien décide d’investir massivement chez les Royals.
Une association couronnée de succès
L’arrivée de ce nouveau président, Jim Gregory, en 1965 va considérablement changer la donne pour Stock et QPR. Malgré des caractères diamétralement opposés, Gregory et Stock accordent leurs violons pour mener le club vers le succès. L’impétueux et impatient président souhaite gagner à tout prix et s’en donne les moyens. Il investit d’importantes sommes d’argent qui permettent à Stock de trouver la pièce manquante de son puzzle : Rodney Marsh. Le jeune attaquant de Fulham quitte alors la première division en 1966 et s’engage pour QPR. Grâce à cette nouvelle recrue, les Rangers impressionnent. Leur solide défense, ainsi que leur jeu collectif, ravagent les équipes adverses. Les Queens Park Rangers vont d’ailleurs facilement s’adjuger le championnat de troisième division. Mais cette saison 1966-1967 est surtout marquée par l’incroyable parcours de QPR en Coupe de la ligue.
Faciles en championnat, Stock et ses hommes voient dans cette coupe un moyen de se confronter aux meilleures équipes du Royaume. Les Rangers brillent et se hissent en finale, en étrillant notamment Birmingham City, sept buts à deux en demi-finale. Dans un Wembley à guichets fermés, QPR affronte en finale les tenants du titre, West Bromwich Albion, pensionnaire de première division. Dépassés par l’enjeu, les Queens Park Rangers déjouent. Les Baggies mènent rapidement deux buts à zéro et récitent leur football. Mais, après la pause, les Rangers réagissent et égalisent grâce à des buts de Morgan et de l’inévitable Marsh. A quelques minutes du terme, l’ailier de QPR, Mark Lazarus, inscrit un troisième but et permet aux Rangers de décrocher le premier titre majeur de leur histoire. L’année suivante, Stock réalisera l’exploit de mener les Queens Park Rangers à la promotion en First Division.
Second règne : Dave Sexton « le Conquérant » (1974-1977)
Après le limogeage de Stock en 1968, les Queens Park Rangers entament une période de léger déclin. Les Londoniens sont tout d’abord relégués, après seulement une saison dans l’élite, puis végètent dans l’antichambre de la First Division durant quatre longues saisons. Le club parvient à se maintenir pour son retour dans l’élite lors de la saison 1973-1974. Mais, à la surprise générale, Jim Gregory décide de licencier son manager Gordon Jago. Pour le remplacer, il nomme Dave Sexton, récemment licencié par le rival Chelsea. Sexton, fervent disciple des préceptes de Rinus Michels, a connu le succès chez les Blues, remportant une FA Cup ainsi qu’une Coupe des vainqueurs de coupe de l’UEFA en 1971. Les Rangers tiennent donc un manager expérimenté, novateur et sensible aux principes de jeu instaurés par Stock. Jim Gregory lui donne carte blanche et permet à Sexton de construire une équipe fidèle à sa philosophie.
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Sexton fait donc le court déplacement entre Stamford Bridge et Loftus Road en emmenant avec lui deux de ses anciens joueurs John Hollins et David Webb. Possédant un effectif de qualité, comprenant le fantasque Stan Bowles ou le solide Franck McLintock, Sexton se repose également sur une ossature de joueurs formés aux Rangers, formatés au football offensif et technique prôné depuis Stock. Le manager londonien instaure, semaine après semaine, ses principes de jeu et sa discipline. Sexton et QPR deviennent ainsi des pionniers dans l’utilisation de l’analyse vidéo ainsi que dans l’optimisation de la forme physique.
Des prétendants à la couronne (1975-1976)
Désormais rompus à la philosophie de leur entraîneur, les Rangers entament l’exercice 1975-1976 dans la peau de solides outsiders. Néanmoins, la lutte pour les premières places promet d’être particulièrement rude. Outre les champions sortants, Derby County, d’autres équipes peuvent espérer se mêler à la course au titre. C’est le cas du Manchester United de Docherty, du Ipswich Town de Bobby Robson et de Liverpool. Pour cette première journée de championnat, les hommes de Sexton reçoivent d’ailleurs les Reds, menés par le génial Kevin Keegan.
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Dans un Loftus Road électrique, QPR offre un récital footballistique et s’impose deux buts à zéro. Le premier but incarne à lui seul les préceptes instaurés par Sexton : jeu en une touche, projection vers l’avant et mouvement. La semaine suivante, les Rangers étrillent les champions en titre de Derby County, cinq buts à un. S’en suit une série de sept rencontres sans défaites qui permet à QPR de truster les premières places.
La conquête du trône d’Angleterre (1975-1976)
Sexton et ses hommes impressionnent. La qualité de jeu produite par les Rangers en fait les nouvelles coqueluches du Royaume. Le trio Francis, Bowles, Givens est au sommet de son art et empile les buts. Mais la fin d’année 1975 est plus difficile pour les Queens Park Rangers. Les joueurs de Sexton s’inclinent notamment à Anfield, Highbury et Old Trafford et se retrouvent désormais distancés par Liverpool. Loin d’être abattus, les Rangers récitent leur football après les fêtes, enchaînant une série de douze rencontres sans défaites, dont onze victoires. Cette incroyable série les propulse en tête de la First Division à trois journées de la fin du championnat.
L’excellente dynamique des Queens Park Rangers leur permet de s’avancer confiants à Norwich. Mais, malgré une outrageuse domination, les Rangers sont battus, trois buts à deux, et offrent quasiment le titre aux Reds. Keegan et ses coéquipiers ne se font pas prier et remportent leurs trois derniers matchs pour s’adjuger le championnat. Ce cruel épilogue ne doit cependant pas occulter les brillantes prestations de QPR qui, indéniablement, fait partie des plus beaux perdants de l’histoire du championnat anglais.
Troisième règne : Terry Venables « Cœur de Lion » (1980-1984)
En fin de cycle après le départ de Sexton pour Manchester United, les Queens Park Rangers se retrouvent de nouveau en deuxième division à l’issue de la saison 1978-1979. Jim Gregory mise alors sur un jeune entraîneur londonien et ancien joueur des Rangers, Terry Venables. Le Londonien sort d’une première expérience réussie à Crystal Palace, menant les Eagles de la troisième à la première division. Après avoir évité à QPR une relégation en troisième division, Venables laisse enfin s’exprimer sa vision du football l’année suivante.
Manager créatif et porté vers l’offensive, Venables détonne outre-Manche par sa capacité à transcender son équipe. Proche de ses joueurs, le Londonien prône un management novateur, basé sur la positivité, qui apporte de la confiance à son équipe. Venables parvient ainsi à créer un groupe soudé, prêt à se battre pour lui. Le manager va également être aidé par un autre élément important, la pelouse de Loftus Road. En effet, Jim Gregory décide d’installer une pelouse synthétique, évitant ainsi le bourbier hivernal et la sècheresse estivale. Les Queens Park Rangers sont les premiers à se doter d’une pelouse synthétique outre-Manche. Un avantage important pour les hommes de Venables qui maîtrisent progressivement cette nouvelle surface.
La renaissance des Rangers
La deuxième saison de Venables sur le banc de QPR va voir les Rangers choquer toute l’Angleterre, le temps d’une campagne de coupe héroïque. Dès le troisième tour, les Queens Park Rangers héritent de Middlesbrough, pensionnaire de First Division. Les Rangers s’imposent trois buts à deux, en proposant un football de grande qualité. S’ensuivent des victoires contre Blackpool, Grimsby Town, Crystal Palace et West Bromwich, qui propulsent QPR en finale contre les rivaux londoniens de Tottenham. Les Spurs disposent d’un effectif de grande qualité à l’instar de Glenn Hoddle ou Steve Archibald. Sur le papier, l’affiche paraît déséquilibrée. Mais, sur le terrain, Tottenham ne parvient pas à développer son jeu. La partie se débloque finalement en prolongation grâce à un but de Hoddle. A cinq minutes du terme, alors que tout espoir semble perdu pour QPR, Terry Fenwick égalise d’une tête rageuse et force Tottenham au replay.
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Les Rangers dominent le match retour, malgré la rapide ouverture du score de Hoddle, mais ne parviennent jamais à concrétiser leurs occasions. Les Spurs souffrent, mais remportent le trophée au bout du suspense. Malgré cette défaite, Venables continue de développer son équipe. Les Queens Park Rangers dominent outrageusement la deuxième division, lors de la saison 1982-1983, et retrouvent l’élite du football anglais. Pour leur retour en First Division, QPR déjoue les pronostics et offre une grande qualité de jeu. Les Rangers martyrisent notamment Stoke six buts à zéro et dominent Southampton et Wolverhampton quatre buts à zéro. Le génie tactique de Venables permet à QPR de terminer cinquième de First Division, synonyme de qualification pour la Coupe UEFA. A l’issue de cette fantastique saison, Venables quitte le club londonien pour entraîner le FC Barcelone. Son départ sonne le glas des ambitions des Rangers.
Dernier règne : Gerry Francis « le Régicide » (1991-1994)
Englué dans le milieu de tableau de First Division depuis le départ de Venables, le nouveau président du club, Richard Thompson nomme Gerry Francis comme manager. Formé chez les Rangers sous le mandat de Stock, capitaine de l’équipe de Sexton et finaliste de la FA Cup avec Venables, Francis semble le candidat idéal pour relancer le club. Connaissant tout des principes de jeu et la philosophie du club, Francis semble en mesure de restituer le jeu technique et offensif qui a donné au club ses lettres de noblesse. Mais il n’en est rien. Le football anglais est alors en pleine mutation. De nouvelles équipes connaissent le succès, à l’instar du Wimbledon FC ou du Everton de Kendall, en basant leur jeu sur le contact physique, la solidarité et l’esprit d’équipe.
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Francis, conscient de cette évolution, renie les principes de jeu des Rangers pour bâtir une équipe solide et efficace. Sous sa houlette, QPR devient une équipe plus pragmatique, capable de répondre à l’intensité imposée par ses adversaires. Tactiquement, fini l’innovation, place maintenant au traditionnel 4-4-2. Le manager londonien s’appuie également sur les cadres recrutés avant son arrivée au club et mise ainsi sur une certaine stabilité. Derrière, le robuste Peacock mène la défense des Rangers avec l’expérimenté Bardsley. Le milieu est composé de l’infatigable Holloway et du créatif Wilkins, ancien Rossonero et doté d’une solide expérience. Les ailiers, Barker et Sinton, sont eux chargés d’alimenter en centre la star de l’équipe, le redoutable Les Ferdinand. Rapide, puissant et véritable menace aérienne, Ferdinand est un joueur complet dont le talent va subjuguer la Premier League.
Les souverains de Londres (1992-1993)
Nouvelle saison et nouvelle ère pour le football anglais. Cette nouvelle campagne de championnat marque, en effet, l’avènement de la Premier League. Désormais rodés aux principes de jeu instaurés par Francis, les Rangers entament cette saison avec assurance. Les Queens Park Rangers remportent d’ailleurs trois de leurs quatre premiers matchs. Francis fait confiance au même onze de départ et mise sur la cohérence et la stabilité. Son QPR n’est pas beau à voir, le jeu est parfois minimaliste, mais les résultats sont là. Devant, Ferdinand ravage les défenses adverses et empile les buts. Malgré un léger passage à vide lors de la fin d’année 1992, les Rangers occupent toujours les premières places du classement à mi-saison.
La deuxième partie de saison est toujours aussi intense. Devant, seuls Manchester United, Aston Villa et le surprenant Norwich réalisent une saison véritablement cohérente. Derrière, personne ne parvient à recoller à ce trio de tête. Liverpool, Tottenham et Arsenal réalisent une saison insipide et offrent aux Rangers l’opportunité d’obtenir une place européenne. Les hommes de Francis continuent leur folle saison. Ils se défont notamment du Nottingham Forest de Clough, quatre buts à trois et s’imposent à Goodison Park contre Everton cinq buts à trois. Les Queens Park Rangers terminent parfaitement cette saison inaugurale de Premier League avec quatre victoires lors des six dernières rencontres. Contre toute attente, les Rangers terminent à une cinquième place, synonyme de qualification pour l’UEFA, devenant également la meilleure équipe londonienne de la saison.
Depuis bientôt trois décennies, le carrosse des Rangers est redevenu citrouille. QPR passe le plus clair de son temps à enchaîner les saisons insipides en Championship. Malgré l’espoir suscité avec le rachat du club par les magnats de la F1, Flavio Briatore et Bernie Ecclestone en 2010, les résultats n’ont guère été probants. Cependant, le nouveau manager du club, Marti Cifuentes, a déclaré vouloir s’inspirer de l’héritage laissé par les grands entraîneurs du club afin de ramener les Rangers vers les sommets. A voir, la saison prochaine, si le club londonien parvient enfin à renouer avec le succès.
Sources :
- Indro Pajaro, « QPR and the great titre race of 1975/76 : The 10-day champions », These Football Times
- Matt Worth, « The last hurrah of QPR : When an unfashionable crew from Loftus Road were London’s best team », These Football Times
- Simon Burnton, « The forgotten story of… Alec Stock », The Guardian
- Dan Kilpatrick, « Terry Venables : a genius who changed face of game with charm, charisma and his tactical nous » The Standard
- Gavin McOwan, « Dave Sexton obituary », The Guardian
- Steven Scragg, « They used to play football on plastic », These Football Times
Crédit photos : Icon Sport