Le club toscan aujourd’hui vingtième de Serie C est davantage connu pour son engagement politique que pour ses résultats sportifs. Doté d’un public fidèle et intimement lié à l’histoire du communisme italien, le club demeure parmi les atypiques à l’heure du foot-business.
Ville portuaire et ouvrière, Livourne a toujours connu un important brassage culturel. Créé en 1915, le club de football va prendre les traits de la ville, à savoir une identité très à gauche portée par un public majoritairement composé de dockers et d’ouvriers. Dans une époque où le communisme essaime partout en Europe, Livourne va devenir le bastion italien du mouvement avec la création du Parti communiste italien, ou PCI, le 21 janvier 1921.
En 1933 des travaux sont entrepris pour doter le club d’un stade digne de ce nom. Les travaux prendront deux années et il faudra attendre 1935 pour le voir émerger de terre. Le pays étant sous le joug de Benito Mussolini, le stade sera baptisé Stadio Edda Ciano Mussolini, du nom de la fille du dictateur. En 1971 l’arène sera renommée Stadio Armando Picchi, ex-joueur du club qui sera en son temps capitaine de la Grande Inter.
À Livourne, la politique est partout, tout le temps. Les idoles s’affichent sur des tee-shirts ou des banderoles, mentions spéciales pour Che Guevara et Staline dont l’anniversaire est encore fêté avec des tifos à son effigie. Les Bella Ciao descendent de la Curva Nord à chaque match et les tribunes sont parsemées de drapeaux rouges. Le public de Livourne est considéré comme l’un des plus énergiques de la grande botte, pour s’en convaincre il suffit de regarder l’ambiance en tribune lors d’un derby della meloria face à Pise.
Son groupe de supporters ultra le plus célèbre demeure les Brigate Autonome Livornese, dissous en 2008. Altermondialistes, anti-fascistes et anti-racistes, ils sont proches des visions de la société des supporters de Sankt Pauli ou du Rayo Vallecano. À travers les années, les ultras amaranti militent en faveur de l’IRA (Irish Republican Army), de l’indépendance palestinienne ou encore viennent en aide aux habitants de Haïti après le tremblement de terre qui avait touché l’île en 2010.
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En Italie aussi, ils soulevèrent des fonds suite au tremblement de terre d’Aquila en 2009. Ils seront aussi parmi les plus farouches opposants à Silvio Berlusconi. En 2004, une photo fuite sur internet où l’on voit Berlusconi avec un bandana suite à une greffe de cheveux. Pour singer ces implants, 4000 supporters firent le déplacement à Milan avec un bandana sur la tête lors d’un Milan-Livourne, ultime pied-de-nez à une des figures les plus influentes du football italien.
Aujourd’hui, les ultras amaranti ont noué également des alliances avec des groupes de supporters de l’AEK Athènes et de l’Olympique de Marseille, qui ont une sensibilité proche. Cet engagement politique peut s’avérer explosif surtout dans les confrontations avec la Lazio ou le Hellas Vérone dont une majorité des ultras est à l’autre extrême de l’échiquier politique et lors desquelles les débordements et polémiques sont monnaie courante.
Armoire à trophées famélique et Lucarelli en héros
Sportivement, Livourne peine à s’inscrire durablement dans l’élite du football italien. Le club amaranto sera promu une première fois en Serie A en 1940. Huit ans plus tard, retour à la case départ avec une descente en Serie B. Seul fait d’arme notable, une seconde place en 1943 derrière le mythique Torino. Livourne est de ces clubs provinciaux habitués aux ventres mous et à la lutte pour la relégation, contraints aux allers-retours forcés entre divisions. Il faudra attendre cinquante-cinq ans et la signature d’un certain Cristiano Lucarelli pour que les supporters de Livourne goûtent de nouveau à l’ivresse de la Serie A.
Entre-temps il faut dire que le club va manger son pain noir, oscillant successivement entre la Serie B et la Serie C2 (quatrième division). En 1991, le parti communiste italien se dissout en deux entités, le Parti démocrate de la gauche (PDS) et le Parti de la refondation communiste (PRC). C’est la fin d’une époque. Ironiquement, cette année coïncide avec la faillite du club qui se retrouve plongé dans les limbes de l’amateurisme. En 1999, Aldo Spinelli reprend le club, restera vingt et un ans à sa tête et fera souffler un vent nouveau qui fera passer Livourne de la Serie C à la Serie A.
Quand en 2003, Cristiano Lucarelli signe à Livourne, il réalise un rêve d’enfant. Celui de jouer pour sa ville natale où il a vu le jour en 1975. À vingt-huit ans il rejoint enfin les rangs du club de son cœur avec une carrière qui semble au point mort. Bon attaquant de Serie B, intermittent en Espagne puis buteur correct de Serie A dans des clubs de seconde zone, le bonhomme tient là une progression pour le moins biscornue.
Pour celui dont le père travaillait au port de Livourne et qui a grandi dans le quartier populaire de Shangaï, rejoindre le club amaranto est lourd de sens. Le jeune Cristiano a baigné dans cette idéologie politique, jusqu’à ce jour de 1997 où il célébrera un but en affichant un tee-shirt du Che sous son maillot, une action qui fera polémique à l’époque mais qui résume bien l’étendue des convictions de l’homme. Et dès la présentation, le ton est donné : « certains footballeurs payent un billion (de lires) pour une Ferrari ou un yacht, avec cet argent je me suis acheté moi-même un maillot de Livourne, c’est tout ». Son maillot orné du 99, référence aux Brigate Autonome Livornesi, est la meilleure illustration du lien émotionnel et politique qui unit Lucarelli à Livourne.
De fait, ce sera le début d’une histoire d’amour. L’athlétique buteur va enflammer la Curva Nord dès sa première saison en scorant à 29 reprises en 41 rencontres. Habile de la tête, létal dans la surface et précis sur coup de pied arrêté, Lucarelli devient une star. Après la retraite de son compère d’attaque Igor Protti, il devient même capitaine de son club de toujours. Décisif, il écrit l’histoire de son club de cœur en lui permettant d’accéder à la Serie A après plus d’un demi-siècle de purgatoire. Sur le tard, il explose enfin à la face de l’Italie, squattant les premières marches du top des buteurs de Serie A et jouant même six fois pour la Squadra Azzurra de Lippi. En 2006, il permettra également à Livourne de se qualifier pour la première fois de son histoire en Coupe de l’UEFA.
Mais c’est aussi hors terrain que le meilleur buteur de la Serie A 2004-2005, créera sa légende. Comme ce jour où il paiera un bus pour rapatrier des ultras accusés d’émeutes. Il créera également un journal, Il Corriere di Livorno, qui sera actif entre 2007 et 2010. Comment souvent, les histoires d’amour finissent mal et après des tensions avec son président, Cristiano Lucarelli quittera le club par la petite porte, direction le Chakhtar Donetsk puis Parme avant un retour éclair en prêt en 2009/2010 et une fin de carrière à Naples. En cumulé, durant ses cinq saisons sous le maillot amaranto, il jouera son meilleur football et plantera 110 buts en 191 matchs.
Spectre de la faillite et identité en mutation
Aujourd’hui l’îlot communiste que représente Livourne a bien changé. Si le club apparaît toujours comme un club anachronique dans une carte du football italien où les groupes ultras de gauche se sont raréfiés, ce n’est pas le mercantilisme du football qui guette le club toscan, mais bien la réalité politique d’une Italie qui s’est droitisée à travers les années. En 2014, Filippo Nogarin, candidat du Mouvement 5 étoiles, a reçu les suffrages communistes qui lui ont permis de devenir maire de la ville. La population locale s’avoue aujourd’hui fatiguée de la gestion clientéliste de la ville lorsque le pavillon rouge flottait encore sur elle. Les chants communistes résonnent toujours dans les travées du stade mais la réalité des urnes semble changer avec le temps.
Le palmarès du club demeure anecdotique avec deux titres de champion de Serie B, quatre de Serie C et une coupe d’Italie de Serie C. Le club peut se raccrocher aux grands noms passés par ces rangs tel Diego Tristan, Samuel Kuffour, Allessandro Diamanti, Antonio Candreva ou encore Giorgio Chiellini, mais la vérité est qu’aucun n’a eu plus d’importance que l’institution.
« Quand la majorité tend vers la droite, il est difficile de s’afficher comme quelqu’un de gauche. Qui le fait, comme moi, en paie les conséquences. Dans ma carrière, entre les matchs en deuxième et première division et ceux en Coupes d’Europe, j’ai inscrit 240 buts. D’autres, qui en ont marqué moins mais qui ne se sont pas engagés, ont eu une carrière plus prestigieuse que la mienne. Aujourd’hui, s’engager politiquement en Italie signifie quasiment compromettre sa carrière. » – Cristiano Lucarelli à L’Humanité en 2010.
Difficile pour les supporters de ne pas regarder le rétroviseur avec nostalgie, lorsque Lucarelli empilait les buts et que le club faisait la nique à Berlusconi. Désormais, le club n’en finit plus de chuter, relégué de la Serie B à la Serie C la saison dernière, le cauchemar se poursuit cette saison. Bon dernier de Serie C, Livourne a vu son président et actionnaire majoritaire Aldo Spinelli céder le club au groupe Carrano. Une vente en forme de capitulation. Les ultras n’ont pas manqué de réagir en plantant des croix de bois aux noms des dirigeants accompagnées d’une tête de cochon. Une banderole invectivait: « vous paierez cher, vous paierez pour tout ». Révélateur d’un malaise profond au sein d’une ville où le football est peut-être, plus qu’ailleurs, l’expression d’une identité politique qui ne veut pas disparaître.
Livourne demeure un club emblématique en Italie, plus de part sa politisation que son palmarès. Après une période de réussite symbolisée par Cristiano Lucarelli, la petite ville de 160 000 habitants peine désormais à exister sur la carte du football italien. Demeure un club emblématique du football provincial italien presque anachronique, celui de l’ancrage régional et de l’identité omniprésente, en bref celui d’avant le foot business.
Sources :
- Louis Moulin, « À Livourne, la vie en rouge », L’Humanité
- Sébastien Louis, « Football italien. « Les joueurs de gauche sont mis au ban » », L’Humanité
- « Livorno, du Che à Bella Ciao », FRSerieA
- Michaël Magi, « Livorno, chef d’oeuvre en péril », Calciomio
- Eric Joszef, « Italie: à Livourne, la rouge, la Ligue relègue la gauche », Libération
- Kevin Nolan, « Lucarelli and Di Canio: the communist and the faschist », These Football Times
- Richard Hall & Lucas Hodges-Ramon, « Livorno: Serie A alternative guide », The Guardian
Crédits photos : Icon Sport