Après les finales du Stade de Reims de 1956 et de 1959, place à celle de l’AS Saint-Étienne, en 1976 ! Alors que le club marche sur le football français, les Verts parviennent à atteindre leur seule et unique finale européenne. Bien que soldée par une défaite, elle occupe sans doute une place beaucoup plus importante dans le cœur des supporters stéphanois que dans celui de leurs adversaires du soir. Les « poteaux carrés » de Glasgow hantent encore aujourd’hui les nuits des fans, malheureusement plus habitués aux nuits blanches, qu’aux nuits vertes.
En cette année 1976, la France du foot vit des moments sombres. L’équipe nationale enchaîne les résultats décevants depuis la claque reçue en quarts de finale du championnat d’Europe 1968 face à la Yougoslavie ( 6-2 ). Les Bleus ne parviennent pas à se qualifier pour les Coupes du Monde 1970 et 1974. Alors que la France s’enfonce dans le marasme, un valeureux peuple semble résister à cette morosité ambiante. À Saint-Étienne, des « Gaulois réfractaires » refusent de baisser les armes et ont pour ambition de rivaliser avec les plus grands clubs européens. Ils ont en effet de quoi bomber le torse. Lors de la saison précédente, les Stéphanois ont remporté leur huitième titre de Champions de France, en seulement douze ans ! De plus, ils ne se sont inclinés qu’à une marche de la finale en Coupe d’Europe, face au grand Bayern Munich. Les Verts, sous les ordres de Robert Herbin sont à leur apogée et c’est le résultat d’un travail de longue haleine.
Roger Rocher est le président de l’ASSE de 1961 à 1982. Durant ces années, il veille à ce que son club et sa ville soient en osmose. Il distille les valeurs d’une ville industrielle dans son équipe, notamment en les transmettant à des joueurs recrutés jeunes. Il leur inculque la « patience et l’obstination », comparant la formation de ses poulains à la relation d’un « artisan stéphanois à son apprenti ». Dominique Rocheteau, stagiaire au club pendant quatre ans, est un exemple de la réussite de cette stratégie. « Nous préférons recruter plusieurs jeunes au même moment pour qu’ils grandissent ensemble et qu’ils forment dans la vie une équipe avant d’en former une sur le terrain », affirme Pierre Garonnaire, le directeur sportif de l’époque.
Roger Rocher, Robert Herbin et Pierre Garonnaire se préparent sur le banc de touche.
Une histoire d’orgueil
En 1976, la Coupe des clubs champions est une compétition à élimination directe. Au premier tour, 32 équipes s’affrontent deux fois, une fois à domicile et une autre fois à l’extérieur. Les Verts se hissent facilement en quarts de finale en écrasant d’abord le KB Copenhague (5-1) avant de se débarrasser des Glasgow Rangers (4-1). À Kiev, face au Dynamo, les Stéphanois affrontent une des meilleures équipes européennes avec, dans leurs rangs, Oleg Blokhine, ballon d’or 1975. Il fait très froid, la pelouse est boueuse et gorgée d’eau. Des conditions de jeu médiocres en somme. Les Ukrainiens n’ont pas l’air affecté par cette situation, au contraire elle leur profite ! Ivan Ćurković, le gardien de but des Verts, manque de sérénité. Un ballon relâché par ci, une mauvaise sortie par là, il n’est pas dans un grand soir. Les Soviétiques l’emportent par deux buts à zéro grâce à un but de Blokhine sur lequel le portier stéphanois n’est pas exempt de tout reproche. Toutefois, ça ne suffit pas à décourager la bande à Roger Rocher qui déclare : « Rien n’est impossible au stade Geoffroy Guichard. »
Lors du match retour, les Verts sont transfigurés et donnent raison à leur président. En seconde période, leur bourreau du match aller, Blokhine part de son camp à grandes enjambées. Il élimine deux adversaires et, alors qu’un coéquipier est libre de tout marquage, il pêche par gourmandise. Son crochet est intercepté par Christian Lopez qui dégage le ballon d’un tacle désespéré. La rencontre vient de basculer. En deux passes, les Stéphanois sont déjà devant les buts de leur adversaire. C’est alors qu’Hervé Revelli surgit pour ouvrir le score et redonner de l’espoir à toute une ville. Ou plutôt, à tout un pays ! Quelques minutes plus tard, le capitaine Jean-Michel Larqué inscrit un coup-franc pour ramener les deux équipes à égalité. Le Chaudron entre en ébullition, la France entière retient son souffle pour la première fois depuis trop longtemps. Le match s’engouffre dans les prolongations et la libération survient à seulement sept minutes du terme de la rencontre. Patrick Revelli, d’un coup de rein ravageur, élimine son vis-à-vis et délivre un « caviar » à Dominique Rocheteau. L’«ange vert» ne laisse pas passer cette occasion et propulse son équipe en demi-finales.
Après avoir vaincu le PSV Eindhoven (1-0), l’AS Saint-Etienne a de nouveau rendez-vous avec Le Bayern Munich en finale. Celle-ci se déroule dans le si particulier Hampden Park de Glasgow. Avant le coup d’envoi, les fameux poteaux carrés n’émeuvent pas grand monde. Ne serait-ce que deux heures plus tard, ils seront cimentés dans l’histoire de la compétition et de l’AS Saint-Etienne.
Janvion est au marquage sur le ballon d’or Blokhine.
Maudits poteaux !
En ce 12 mai 1976, 30000 supporters français font le déplacement. Les fans entonnent l’hymne de l’équipe emprunté à la chanson de Jacques Bulostin : « Qui c’est les plus forts ? Evidemment c’est les Verts ! ». Malgré la présence de Rocheteau sur le banc de touche en raison d’une blessure, le moral est au beau fixe. Le doute s’installe pourtant une poignée de minutes après le coup d’envoi. Gerd Müller se faufile derrière l’arrière-garde des Verts et ouvre la marque. Au grand soulagement des millions de spectateurs français, sa joie est de courte durée car l’arbitre assistant brandit son drapeau, sût de lui. Le ralenti diffusé par TF1 est pourtant sans appel, l’attaquant allemand n’était pas en position illicite. L’ASSE fait tout de même preuve d’un sang froid remarquable. Malgré le coup de chaud initial, ce sont bien les Stéphanois qui enflamment cette rencontre.
Alors que cela fait 34 minutes que les Munichois sont à la peine, Dominique Bathenay prend les choses en main. Son slalom entre les milieux du Bayern est conclu d’une frappe limpide qui s’écrase sur la transversale. Le ballon revient sur Hervé Revelli qui n’arrive pas à conclure de la tête. Les « poteaux carrés » 1 – Saint-Étienne 0. Seulement cinq minutes plus tard, Jacques Santini ne rabat pas assez sa tête et voit sa tentative repoussée par la barre. Les « poteaux carrés » 2 – Saint-Étienne 0. Difficile de dire si ces tentatives auraient eu un meilleur sort dans un autre stade. Ce qui est certain, c’est que cette finale n’aurait jamais pu hériter de ce surnom qui fait finalement sa légende.
La tête de Santini si près du but!
En seconde période, le match repart sur le même rythme et l’ASSE passe tout prêt d’inscrire un nouveau but. Les Dieux du football semblent pourtant avoir choisi leur camp. Juste avant l’heure de jeu, Franz Roth trompe Curkovic d’un coup-franc malicieux. Munich prend l’avantage dans un match indécis et ne le lâche plus. Cette équipe expérimentée montre qu’elle sait tenir le score. Même l’entrée de Dominique Rocheteau en fin de match ne fait pas mouche. Pour la deuxième année consécutive, les espoirs européens de Saint-Étienne sont brisés par l’ogre munichois.
Malgré la déception, les joueurs sont célébrés sur les Champs-Elysées comme des champions. Le sentiment général est qu’ils ont mieux joué que leurs adversaires mais qu’ils ont manqué de réussite. Les Stéphanois ont quand même réussi à faire rêver un pays tout entier. Ils sont félicités en personne par le président Giscard d’Estaing avant de remporter le championnat de France quelques semaines plus tard. Cette saison reste malheureusement inégalée depuis, mais elle a su marquer toute une génération.
Le scénario de cette rencontre lui confère une dimension mythique. Et si les poteaux avaient été ronds ? On ne le saura jamais. Mais pour les supporters, ça ne fait aucun doute. Ce soir-là, les Verts avaient une vraie tête de Champion d’Europe !
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