Au tournant des années 1980, le football italien est en pleine mutation. Après avoir interdit la présence de joueurs étrangers dans les clubs italiens après le désastre de la Coupe du monde 1966, l’Italie assouplit ses règles sur la présence de joueurs étrangers à partir de 1980. Le calcio est alors secoué par le scandale du totonero. Sans oublier la piteuse décennie dont sort le football italien, en difficulté sur le plan européen, la Serie A se trouve à un tournant décisif de son histoire. Tournant pris avec succès puisque l’Italie domine les compétitions européennes à partir des années 1980 puis dans les années 1990. Durant la première partie de cette décennie donc, la Roma est une tête d’affiche, premier rôle qu’elle partage avec l’éternelle Juventus.
LIRE AUSSI : Du Totonero au Calciopoli : le succès au cœur du scandale
En 1979, Dino Viola veut reprendre une Roma à la peine, mais il ne veut le faire qu’à une seule condition : Nils Liedholm. A ce moment-là, l’ancien milieu suédois vient de remporter le Scudetto sur le banc de l’AC Milan. Déjà passé par la Roma pendant quatre ans, Liedholm décide d’accepter. Si la carrière de Liedholm en tant que joueur est impressionnante comme en atteste son passage chez les Rossoneri, ses qualités d’entraîneur sont également incontestables.
LIRE AUSSI : Le mythe du « Gre-No-Li » de l’or à la légende »
Liedholm reprend une Roma au bord de la ruine la saison précédente mais a déjà une idée de comment il compte l’emmener vers les hauteurs du classement. Le Suédois est convaincu de ses idées qui se situent entre la pédagogie et l’instinct, encadrées par des concepts identifiables. L’ancien Milanais veut jouer en zone, chaque joueur doit pouvoir être utilisable dans sa zone de prédilection afin de maximiser le potentiel collectif de l’équipe. Liedholm fait figure de précurseur comme le rappelle Franco Baresi dans une interview pour Libération en 1996 :
« Moi aussi, j’ai commencé à jouer les premières années avec un marquage individuel. Je suivais l’attaquant adverse dans ses moindres mouvements. J’ai eu longtemps le rôle du libero traditionnel. Puis l’entraîneur Nils Liedholm est arrivé en 1985. On a commencé à jouer en zone. »
Ce que Liedholm met en place au Milan en 1985 et qui préfigure le futur avec Sacchi, il l’a déjà testé avec la Roma. Baresi étoffe et insiste sur l’évolution majeure apportée par Liedholm :
« Je me souviens que, pendant que je pratiquais encore le marquage individuel, je dévorais des yeux la Roma de Falcao, Conti, Cerezo, entraînée alors par Liedholm. Sa venue à Milan m’a soulagé. […] Je me suis senti plus libre. Le marquage individuel est tellement réducteur. »
En attaque, Liedholm accorde sa confiance à Bruno Conti et à Roberto Pruzzo, arrivé la saison précédente du Genoa. La Roma s’offre aussi les services de Carlo Ancelotti à l’été 79. Le président Dino Viola, Liedholm et le directeur sportif de la Roma Luciano Moggi, supervisent le jeune Ancelotti lors d’un match de barrage de la Série C1 vers la Série B entre Parme et la Triestina. Ancelotti inscrit un doublé décisif en prolongation. A ce moment-là, Liedholm est convaincu qu’il a besoin d’Ancelotti. Il fait efficacement ressentir ce besoin à Dino Viola qui signe le relayeur dans la foulée. Il ajuste enfin son milieu de terrain avec Di Bartolomei, enfant de Rome et capitaine, qui devient une pièce essentielle de l’équipe de Liedholm, se montrant décisifs à plusieurs occasions.
Mais surtout, la Roma recrute Paulo Roberto Falcão. Alors que Dino Viola souhaitait un nom clinquant et connu en la personne de Zico, Liedholm, lui, ne veut que Falcão. Il en est persuadé, c’est le joueur qui va transcender son équipe. Et encore une fois, il voit juste. Falcão est peu connu en Europe, il n’a pas participé à la Coupe du monde 1978, mais va très rapidement se faire une réputation à la hauteur de son talent. Sans lui l’année précédente, la Roma a déjà remporté la Coupe d’Italie, mais c’est bien pour gagner le Scudetto que Falcão rejoint la ville éternelle. Le Brésilien illumine le milieu romain par sa spontanéité, sa qualité technique et son flair. Il évolue aisément en sentinelle comme en soutien de l’attaquant. Le public romain comprend vite qu’il s’agit d’un joueur à part et les supporters de la Curva sud ne tardent pas à le surnommer “Il ottavo re di roma” – « Le huitième roi de Rome ».
Roma-Juventus, duels au sommet
A l’aube de la saison 1980/1981 donc, la Roma se positionne comme un prétendant très sérieux au titre de champion d’Italie. Seulement, un obstacle se dresse sur sa route, un obstacle éternel qui ne cesse de briser les rêves de gloire giallorossi, la Juventus. La Roma, au coude à coude avec la Juventus, passe pratiquement toute la saison dans le duo de tête emmené par Roberto Pruzzo qui finit Capocannoniere.
A la 28ème journée (sur 30, il n’y a alors que 16 clubs en Serie A), la Juve, leader avec un point d’avance reçoit la Roma à Turin. Tout laisse indiquer qu’il s’agit d’un match pour le titre. Quinze minutes avant le coup de sifflet final, Conti centre sur Pruzzo qui remet de la tête pour Maurizio Turone qui bat Zoff d’un coup de tête puissant. L’espace de quinez secondes, joueurs, tifosi et dirigeants romains s’enflamment. La Roma n’a jamais été aussi proche de ramener un Scudetto depuis près de quarante ans. Mais l’arbitre de touche lève son drapeau pour signaler un hors jeu, les images de la RAI ne permettent pas de se faire un avis objectif sur la position de Turone mais cette décision est vécue comme un vol par les Romains.
Finalement, la Roma laisse filer le titre et voit la Juve l’emporter de deux points. Les coéquipiers de Di Bartolomei se rattrapent en remportant la Coupe d’Italie en éliminant la Juventus en demi-finale avant de s’imposer face au Torino. La saison 1981/1982 est moins bonne mais la Louve accroche tout de même la troisième place de la Série A.
En trois saisons, Liedholm a fait passer la Roma d’une équipe insignifiante à une formation qui aspire désormais chaque saison à la victoire finale, tout en prenant soin de rappeler aux tifosi la joie d’un trophée, inconnue à Rome depuis 1969. Mais la vraie mission n’est pas la Coupe d’Italie, non la mission ultime est bien de ramener le Scudetto sur les berges du Tibre après 40 ans d’attente.
Lors de l’entame de la saison 1982/1983 la donne n’a pas changé, les deux favoris sont la Roma et l’inamovible Juventus qui vient de s’attacher les services de Michel Platini. Entre les cadres de la Squadra Azzurra championne du monde (Dino Zoff, Gaetano Scirea, Paolo Rossi ou Marco Tardelli) et les stars étrangères comme Platini ou Boniek, la Juventus a de bons airs de favori.
LIRE AUSSI : L’archange Platini et son élévation
La rivalité entre les deux équipes atteint véritablement son paroxysme cette année-là, avec en fond un duel entre Falcão et Platini pour le titre honorifique de meilleur joueur du monde. Une saison parfaite pour la Roma, Ancelotti ne connaît que peu de blessures cette saison-là, Falcão est au sommet de son art, et le jeune Sebastiano Nela s’affirme comme une véritable révélation de la Serie A. Grâce à son jeu offensif, notamment incarné par ses latéraux Nela et Maldera, la Roma domine l’Italie. Son milieu de terrain s’articule autour de l’intelligence, la qualité d’exécution et la volonté d’aller vers l’avant. Devant, la tonicité et la qualité de centre de Conti permettent très souvent de trouver « il bomber » Roberto Pruzzo, finisseur de talent.
La Roma, en tête depuis la 9ème journée, domine sereinement le championnat. Mais tout le monde le sait, il y a un match à ne surtout pas rater. Pour la 22ème journée, les Bianconeri de Platini débarquent à l’Olimpico avec cinq points de retard sur la Louve. Une victoire des Romains serait presque synonyme de Scudetto et au-delà de ça l’envie d’écraser la Juventus est plus forte que tout. Malgré l’ouverture du score de Falcão, Platini répond par un superbe coup-franc dans la lucarne de Tancredi avant de délivrer une passe décisive pour le deuxième but des Juventini. Les Romains, concèdent deux buts dans les dix dernières minutes d’un match décisif et craignent de voir la malédiction se répéter.
Il n’en est finalement rien, la Juventus est la seule équipe à surpasser la Roma chez elle, et réussit même l’exploit de l’emporter à quatre reprises contre la Louve cette saison (deux victoires de la Juventus en Coupe d’Italie), mais ce sont bien les hommes de Liedholm qui remportent le Scudetto 1982/1983. Si les Turinois sont habitués à empiler les Scudetti, Liedholm et sa bande remportent seulement le deuxième championnat de l’histoire de la Roma, 41 ans après le premier. « Il Barone » Nils Liedholm déclare au sujet du Scudetto :
« J’avais gagné jusqu’alors quatre Scudetti comme joueur, et un autre comme entraîneur. Les cinq sous la même bannière. Je pensais que ce seraient là les plus beaux souvenirs de ma longue carrière sportive. Je dois aujourd’hui rectifier cette impression. Le titre de champion que je viens de conquérir avec la Roma est, à l’évidence, le plus important ».
Entre malédiction et tragédie, le triste épilogue de Liedholm à la Roma
Si le Scudetto a littéralement délivré la capitale italienne, son acquisition est synonyme d’un nouveau challenge pour l’AS Roma, la Coupe des clubs champions. Première participation pour la Roma qui sait d’emblée qu’elle peut écrire l’histoire puisque la finale se joue… au Stadio Olimpico. 1984 aurait pu être la plus belle année du football romain, la Roma n’avait jamais été aussi forte que ces deux dernières années, c’était l’occasion de confirmer cette domination. Afin d’entériner sa domination sur le football italien, la Roma recrute le champion du monde Graziani au poste d’ailier gauche et le Brésilien Cerezo, coéquipier de Falcão en sélection.
Ces renforts seront insuffisants pour conquérir un second titre, les Romains passent la plupart de la saison en deuxième position et finissent sur la seconde marche à deux points de l’éternel rival. Si Liedholm avait estimé, après l’attribution du Ballon d’Or la saison précédente, que le meilleur joueur du monde jouait à Rome et s’appelait Falcão, en 1984 il n’existe aucune contestation tant Michel Platini écrase la concurrence, inscrivant 20 buts en Serie A.
Cette saison, les hommes de Liedholm s’illustrent particulièrement en Coupe des clubs champions. La Louve dispose de l’IFK Goteborg au premier tour puis du CSKA Sofia et du BFC Dynamo Berlin. Les hommes de Liedholm se retrouvent alors en demi-finale contre le club écossais de Dundee United qui participe également pour la première fois à la compétition. Les Ecossais l’emportent 2-0 à l’aller. Malgré l’avantage, rien n’est fait, la Roma n’a pas perdu un seul match à domicile cette saison et peut compter sur une attaque prolifique pour combler l’écart. A l’Olimpico, la Roma refait son retard grâce à un doublé de Pruzzo, et un penalty de l’incontournable Di Bartolomei. Déjà impliqué sur le deuxième but, et en l’absence d’Ancelotti, il emmène son équipe en finale contre Liverpool.
Le 30 mai 1984, les yeux sont rivés sur le Foro Italico. Les supporters de la Roma sont entre effervescence et peur, ceux de la Lazio prient pour ne pas subir encore une fois l’euphorie de l’an passé. Le match est extrêmement disputé, les deux équipes affichent un niveau proche. Pourtant, c’est Liverpool, en rouge, qui ouvre le score dès la 15ème minute grâce à une sortie hasardeuse de Tancredi. La Roma répond avant la mi-temps, centre de Conti, tête de Pruzzo, but. Les deux équipes se rendent coup pour coup mais n’arrivent pas à se départager à l’issue des prolongations. L’Olimpico retient son souffle, l’exercice le plus cruel du football va décider si la Roma remporte ou non la Coupe des clubs champions à domicile.
La séance commence parfaitement, Liverpool rate et Di Bartolomei répond présent et transforme son tir au but. Malheureusement, Conti rate et Bruce Grobbelaar invente l’une des techniques de déconcentration les plus improbables du football. Les jambes molles du gardien zimbabwéen ont raison de Graziani qui tire sur la barre transversale. Juste après, Kenedy crucifie la Roma et jette un silence terrible sur la Ville Eternelle. Malgré cela, les Romains réussiront à se mobiliser pour glaner une Coupe d’Italie en guise de consolation mais ne peuvent s’empêcher de penser qu’ils sont passés tout proche d’un triplé historique.
LIRE AUSSI : Bruce Grobbelaar, vies plurielles d’un portier hors du commun
Suite à cet échec, Liedholm retrouve la Lombardie. Di Bartolomei mis à la porte de sa Roma retrouve le Suédois à l’AC Milan mais ne se remet jamais de ce coup de poignard. Agostino Di Bartolomei, capitaine, supporter et amoureux de la Louve finit sa carrière dans l’indifférence en troisième division. Ruiné, oublié de tous et en souffrance, Agostino Di Bartolomei, un temps porté aux nues par la Curva Sud, se donne la mort le 30 mai 1994, dix ans jour pour jour après la finale perdue contre Liverpool.
La Roma survit au départ de Nils Liedholm en le remplaçant par un autre Suédois en vogue, Sven-Goran Eriksson. La Roma continue, quelques années durant, de jouer les premiers rôles en Serie A, mais l’éclat de l’équipe s’atténue progressivement dans la seconde partie des années 1980. La malédiction, elle, ne quitte pas la Roma qui laisse échapper son troisième Scudetto en 1986 à l’Olimpico à cause d’une défaite contre Lecce, déjà relégué… Encore une fois, la Roma se console avec une Coupe d’Italie avant de s’effacer progressivement dans l’ombre des autres grands d’Italie, la Juve encore elle mais surtout le Napoli de Diego Maradona et l’AC Milan d’Arrigo Sacchi.
Sources :
- Matt Gault «Michel Platini vs Paulo Roberto Falcão: a calcio rivalry for the ages», These football times
- Gary Thacker « The agony and controversary of the Gol di Turone : The day ten centimetres cost Roma the title », These football times
- Papier Paolo Sopalini « Nils Liedholm, Il barone » Horsjeu.net
- Nawel Saïdat « Di Bartolomei, le capitaine au destin tragique » Calciomio
- Yvain « Illustres homonymes : Paulo Roberto Falcao, L’ottavo re di Roma » Causerie
- Dino Di meo Interview Libération, Franco Baresi
- Eric Maggiori « La jeunesse romaine de Carlo Ancelotti » So Foot
- « Le jour où la Roma a bazardé un scudetto contre un relegué » , So Foot
- « Roma 82/83 : Cuore Giallorosso », Storie di calcio
Crédits photos : Icon Sport