Au cours des années 1980, le supportérisme, en France, a connu de profondes modifications. Il exista en France, dès le début du XXe siècle, des premières formes de supportérisme, consistant à suivre son équipe et à l’encourager. Au cours des années 1970, que ça soit du côté de Saint-Étienne avec l’épopée des Verts, ou du côté de Paris avec la naissance du Kop of Boulogne, les mouvements de supporters se développent. Cependant, c’est bien au cours des années 1980 que le supportérisme prend son envol en France en suivant deux tendances principales : le modèle anglais et le modèle italien. L’importation du mouvement ultra en France, d’origine italienne, suscita la création de nombreux groupes de supporters radicaux dans la seconde moitié des années 1980 et plus encore après, sans discontinuer jusqu’à aujourd’hui. Le modèle anglais de supportérisme, plus informel, moins organisé, eut son importance également, essentiellement dans la partie Nord de la France. Ces mouvements, qui forment de véritables sous-cultures, apportèrent avec eux leur lot de pratiques, inventions, réadaptations venant parfois d’autres sous-cultures, souvent musicales. La pratique des fanzines, qui émerge dans les milieux supportéristes dès les années 1980 et plus encore dans les années 1990 est l’une d’elles.
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Qu’est-ce qu’un fanzine ?
Contraction des termes anglais de fanatic et magazine, les fanzines viennent du monde anglo-saxon et notamment d’Angleterre, terre par excellence des sous-cultures se développant après-guerre. Si certains font remonter l’existence des premiers fanzines durant l’entre-deux-guerres, aux USA, en même temps qu’émergent les comics, ce sont les cultures juvéniles rock et punk qui donnent à la pratique ses lettres de noblesse. Critiques des médias mainstream de leur époque, ces jeunes en proie à la rébellion décident de faire paraître leurs propres publications. Il n’est pas étonnant que la pratique du fanzine et les sous-cultures supportéristes finissent par se marier, les deux ayant un caractère underground affirmé.
Si tous les fanzines ne se ressemblent pas, il est possible de distinguer quelques caractéristiques propres à ces publications. Premièrement, ils sont faits par les fans, pour les fans, de manière totalement indépendante. Ensuite, ce qui caractérise un fanzine c’est le côté artisanal de sa fabrication. Au départ, tout ou presque est fait main. Les rédacteurs – quand il y en a plusieurs, ce qui n’est pas toujours le cas – produisent bien sûr leurs articles de manière bénévole. La diffusion est généralement très faible : quelques dizaines, quelques centaines d’exemplaires, quelques milliers pour les plus populaires. La plupart du temps, la durée de vie d’un fanzine est courte, puisque ceux-ci dépendent généralement de l’implication active d’une ou de quelques personnes qui, si elles prennent du recul, provoquent la disparition de la publication. On retrouve là, par ailleurs, une caractéristique qui rejoint celle des groupes de supporters radicaux, qui apparaissent dans les années 1980 et qui dépendent eux-aussi de l’implication active de quelques membres et qui ont des durées de vie courtes pour certains d’entre eux (même si certains des groupes ultras les plus prospères de France sont bel et bien nés dans les années 1980).
La pratique du fanzine dans le monde du supportérisme radical
Il existe principalement deux types de fanzines de supporters. Le fanzine généraliste et le fanzine de groupe. C’est ce dernier qui est le plus courant. En effet, de nombreux groupes de supporters radicaux tendent à produire leur propre fanzine, qu’ils suivent le modèle anglais ou le modèle italien. Si le fanzine devient à ce point incontournable c’est que, avant l’arrivée d’Internet et plus encore des réseaux sociaux, et devant la défiance qui est celle de ces groupes envers la presse établie, le fanzine s’impose comme un outil de communication incontournable. Il permet de communiquer d’abord en interne – les membres cartés – et ensuite en externe – les sympathisants du groupe. Le monde du supportérisme étant relativement fermé, les fanzines sont, pour les groupes, un moyen d’expression très utile. Ils permettent de faire connaître la mentalité du groupe, son actualité, les attendus envers les futurs adhérents etc. La qualité des fanzines dépend de l’implication qui est mise dans sa conception mais également d’éléments plus aléatoires comme la présence d’un graphiste ou d’une bonne plume au sein du groupe. Ainsi, si certains fanzines ne sont qu’une feuille d’information améliorée, d’autres sont de véritables œuvres d’art avec dessins de qualités, textes riches et envolées lyriques. Ils sont un espace de liberté totale, les concepteurs y sont libres d’expérimenter à l’infini tant dans le contenu que dans les formes. Néanmoins, avec le temps, quelques constantes se dessinent. En effet, les fanzines circulent et une certaine uniformisation a lieu. Ce qui nous permet de citer quelques rubriques devenues incontournables. Ainsi, au sein de tout fanzine de supporters digne de ce nom figure un édito, des photos de la tribune, parfois une interview, une ou plusieurs pages « humeur », mais surtout, des Comptes Rendus (CR) des matchs, à domicile et en déplacement, ce qui constitue bien souvent le gros du fanzine.
Les fanzines généralistes
Les fanzines généralistes sont produits par des passionnés des tribunes, souvent membres ou anciens membres d’un groupe, mais ils n’agissent pas au nom de celui-ci. Préférant souvent l’anonymat, ils tentent de rester neutres afin de faire vivre des publications destinées à l’ensemble du monde des tribunes, au-delà des conflits partisans, ce qui n’est pas toujours aisé. Ce sont ces fanzines qui ont le plus de succès en terme de distribution, puisqu’ils s’adressent à une audience bien plus grande. Certains ont même atteint une certaine notoriété. Le premier zine généraliste dont on a trace en France, se nommait Ultramag. Produit de manière artisanale par un Marseillais, avec de faibles moyens, il commença à paraître en 1990 avant de disparaître deux ans plus tard. Ces publications sont encore plus fragiles que les zines de groupes puisqu’elles ne peuvent pas compter sur une structure supérieure (le groupe), mais dépendent uniquement de l’engagement de leur(s) concepteur(s), qui agi(ssen)t de manière autonome. Parmi les fanzines généralistes ayant eu le plus de succès, on peut citer Sup’ Mag, un mensuel qui n’eut que trois ans de vie mais marqua une génération de supporters radicaux ou Le Douzième Homme, un bimensuel qui parut de mars 2002 à mars 2004. Sup’ Mag eut un tel succès qu’il flirte entre la définition d’un fanzine et celle d’un véritable magazine puisqu’y figurait de la publicité et que la revue avait tout d’une production professionnelle à l’image du mythique Supertifo italien. D’autres seraient à citer, tels que Tribune Dessinée qui avait l’originalité de faire une grande place au graphisme, mais aussi Ultras News ou encore Génération Ultras.
Au sein de ces fanzines était relatée l’actualité des mouvements supportéristes en France. Hormis quelques exceptions comme le zine généraliste The Firm qui s’intéressait plus aux mouvements de type hooligan, c’était essentiellement le mouvement ultra qui était représenté au sein de ces publications. Comme dans les fanzines de groupe, on retrouvait des photos, des CR de matchs, des pages « humeur » mais aussi des interviews. Sup’ Mag interviewa par exemple Thierry Roland dans son numéro 2 d’octobre 1992. Représentants et défenseurs des supporters radicaux, ces publications prenaient tout de même pour la plupart position contre la violence. Au-delà des comptes rendus de matchs – français et étrangers – des photos de tribunes, des interviews de supporters ou d’acteurs du football, prenaient également place quelques articles de fond, remettant parfois en cause le comportement de certains supporters. Mais surtout, la parole était donnée aux lecteurs. On retrouve souvent comme maxime au sein de ces pages : « C’est vous qui faites le zine! ». Les courriers des lecteurs étaient reproduits et de véritables débats prenaient place, les supporters se répondant de mois en mois, à travers les pages du fanzine. Enfin, un des avantages principaux de ces fanzines généralistes, dont se souviennent avec nostalgie les lecteurs, c’était la possibilité de pouvoir nouer des lien à travers les correspondances avec des supporters d’autres clubs, voire d’autres pays.
La disparition des fanzines ?
Avec la démocratisation d’Internet puis l’arrivée des réseau sociaux, les fanzines ont disparu progressivement. Leur rythme mensuel – au mieux – était totalement dépassé par l’instantanéité d’Internet. Si certains groupes restèrent attachés à leur fanzine et refusèrent le passage à Internet, le coup d’arrêt pour les généralistes fut incontestable. Aujourd’hui, sur les réseaux sociaux, des pages telle que « Ultra Style » ont remplacé les anciens fanzines généralistes pour se tenir au courant de l’actualité des mouvements supportéristes. Internet permet en effet l’accès immédiat aux vidéos des tribunes du monde entier quand 30 ans plus tôt quelques photos couleurs constituaient le Graal. Ainsi, si les fanzines ont continué de paraître au cours des années 2000, la décennie 2010 signa la fin – provisoire – de la culture des fanzines de supporters.
Devant ce constat et avec nostalgie, plusieurs initiatives ont récemment vu le jour, qui tentent de faire renaître, ou du moins connaître, la culture des fanzines en France. Ainsi, le nouveau fanzine généraliste Gazzetta Ultra’, dont le premier numéro est paru en juillet 2019 et auquel contribue régulièrement le chercheur Sébastien Louis, fait figure de digne successeur aux mythiques Sup’Mag et Douzième Homme. L’autre initiative à saluer est celle du site Zines de France qui répertorie les fanzines de supporters créés en France, disparus, encore actifs ou nouveaux. Ses créateurs visent à l’exhaustivité autant que possible, en appelant de manière collaborative aux passionnés des tribunes, afin qu’ils leur envoient les photos de leurs vieux fanzines, afin de les répertorier. Cette entreprise massive, en bonne voie, permet de faire revivre cette culture. Ce site représente une véritable mine d’or pour les nostalgiques des fanzines ou pour les jeunes voulant découvrir cette pratique et la faire revivre. Merci à eux pour ces initiatives.
Sources :
- La page Wikipedia « Fanzine«
- Ultra, mode de vie de Benoît Taix, Bastien Poupat, Adiren Verrecchia
- Supporter. Un an d’immersion dans les stades de football français de Frédéric Scarbonchi et Christophe-Cécil Garnier
- Gazzetta Ultra’ #1 et #2
- Le site de Gazzetta Ultra’
- Le site Zines de France