Dans les années 80-90, le football suisse se trouve dans l’ère des « grands présidents ». De riches hommes d’affaires, principalement de l’industrie du bâtiment, prêts à mettre des fortunes considérables dans leur club, les considérants comme vitrine pour leur business. Suite à la crise économique de la fin des années 90 provoquant la chute de ses grands magnats et l’introduction de l’arrêt Bosman, de nombreuses équipes suisses se sont retrouvées dans un gouffre financier duquel il a été difficile de se sortir pour certaines, voir totalement rédhibitoire pour d’autres, obligées de déposer le bilan. Retour sur les faillites marquantes des clubs suisses, afin de tenter de mettre en parallèle leur situation d’antan avec la crise à laquelle font face tous les championnats européens depuis le début de l’année 2020, à l’aune de la pandémie de la Covid-19.
Le Lausanne-Sport est le premier à se prendre les pieds dans le tapis. Surendetté, le club Vaudois ne reçoit pas de licence pour la LNA au printemps 2002 et est donc rétrogradé en LNB pour des questions administratives. C’est la première relégation du club en plus de 100 ans d’existence, et elle n’est pas sportive.
Bien que les Vaudois connaissaient de belles heures sur la scène européenne sous la houlette de Waldemar Kita, alors président du club, sa gestion laisse à désirer. Officiellement élu président du Lausanne-Sports en octobre 1998, Kita avait séduit, lors de sa candidature, avec un programme visant à « professionnaliser les structures du club », en séparant le pôle professionnel du club de celui amateur. L’homme d’affaire franco-polonais, aujourd’hui président du FC Nantes, accumule les très gros contrats pour des joueurs, uniquement payés sur sa fortune personnelle. Alors les dettes s’accumulent et, une fois Kita parti, le LS ne peut plus se permettre d’honorer ces contrats et est obligé de vivre au-dessus de ses moyens. Le club est alors en proie à de grosses difficultés financières.
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Robert Milej, attaché de presse de Waldemar Kita entre 1996 et 2001 déclara que : « Lausanne avait fini par partir en faillite, mais Kita, lui, retombe toujours sur ses pattes. On parle d’un fabuleux manipulateur, d’un pervers narcissique (…) un homme très séducteur mais complétement tyrannique. Quand je lui disait de faire attentions aux comptes, il me répondait : « Ne penses pas, fais ce que je te dis ». C’est un espèce de voyou qui ne s’intéresse qu’au pognon, prêt à rouler tout le monde dans la farine. »
En juin 2002, le LS obtient un sursis concordataire, mais le nouveau président Philippe Guignard est alors condamné à devoir trouver 5 millions de francs d’ici début 2003 afin d’éviter la faillite sportive du club. Les demandes de prêts et de crédits se succèdent, mais la BCV – Banque Cantonale Vaudoise – les lui refuse, car cela ne fait pas partie de la politique de la banque que de soutenir des associations sportives. Même réponse venant de la Municipalité de Lausanne, qui avait déjà accordé un prêt de 250 000 francs au club quelques mois plus tôt. Malgré ces nombreuses tentatives, Philippe Guignard et son Comité se voient dans l’obligation de demander une mise en faillite du club, faute de fonds et un peu plus d’une année après le départ de Kita. Le sursis concordataire est rompu, tous les joueurs libérés de leur contrat et, après 107 ans d’existence, le Lausanne-Sports est dissout.
Le FC Lausanne-Sports devient alors le FC Lausanne-Sport et repart en 2ème ligue interrégionale (4ème division suisse à l’époque), en reprenant la place dans le championnat de sa seconde équipe. Ce seront huit années de pénitences qui attendront les Vaudois avant leur remontée dans l’élite pour la saison 2011-2012. A noter que depuis 2017, le club lausannois est passé sous propriété d’INEOS, également propriétaire de l’OGN Nice. Comme d’autres clubs suisse, le LS a été obligé de se vendre pour survivre. Ambitions affichées par la société britannique lors du rachat : « faire grandir le club et retrouver l’Europe d’ici 2 à 3 ans ». Problème : au terme de cette même saison, le LS est relégué et ne remontera que deux saisons plus tard, de quoi largement entacher le projet Europe d’INEOS.
Servette FC, un lac et des problèmes similaires
Au bout du même Lac Léman, le Servette FC traverse lui aussi de nombreux tourments. Marc Roger, ex-agent de joueurs, en est le principal responsable. Tenu comme fossoyeur du club, il est jugé coupable en 2008 par la Cour correctionnelle de Genève de « gestion fautive, abus de confiance, faux dans les titres et favorisation de créanciers ». En revanche, il est acquitté des accusations de banqueroutes frauduleuses et d’escroquerie. En septembre de la même année, le Français est condamné à deux ans de prison avec sursis, correspondant aux 22 mois de détention déjà purgés. Alors qu’il avait racheté le club au bord de la faillite en 2002, ce dernier est tenu responsable de dépenses inconsidérées et a « contrevenu aux devoirs d’un patron en prenant le risque de pertes importantes à son club ». Selon des proches du club, il a agi pour des mobiles égoïstes, par ambition et soucis de reconnaissance sociale.
Lorenzo Sanz, ancien président du Real Madrid, lorsque entendu par le juge d’instruction de la ville de Genève, déclare avoir prêté 3,25 millions de francs à Marx Roger pour Servette. En réalité, il semblerait que la grande partie de cet argent soit parti dans les intérêts personnels du président français. L’affaire éclate suite à la plainte de plusieurs joueurs du Servette FC, lui réclamant des salaires impayés, alors que dans une interview parue dans LeTemps Sanz déclare avoir déjà versé 500 000 francs au président afin de compenser les retards de salaire. Dans cette même interview, le journaliste apprend à Lorenzo Sanz que Servette perd de l’argent à chaque match, car les coûts sont supérieurs aux recettes. Réponse de l’Espagnol : « Si ça continue comme ça, il faudra se retirer. C’est la première fois que j’investis dans une équipe de football à l’étranger. Une chose est sûre, c’est bien la dernière ».
Sébastien Roth, gardien du club genevois décrira le problème : « Bien sûr que la situation n’était pas éblouissante à son arrivée (de Marc Roger). Mais il n’a pas cessé de provoquer une succession de dégâts plus incontrôlables les uns que les autres. Il s’est moqué de tout le monde. Il n’est peut-être pas le seul responsable, mais il est au sommet de la liste. Son comportement fut écœurant ». Le président avait promis, lors de sa prise de fonction, la pérennité du club, un succès sportif et surtout des garanties financières et sportives sur le long terme. Force est de constater le fossé entre promesses et réalités. Pour être exact, les problèmes du Servette FC datent des années 90, quand le club genevois a cessé d’être rentable. Des investisseurs français avaient déjà sauvé le club de la faillite en 1991, avant que Canal + prenne une participation majoritaire dans le club genevois en 1997. C’est avec le désengagement du groupe français en 2002, après avoir dépensé 25 millions de francs à fond perdus en 5 ans, que la descente aux enfers du club Grenat commence. Lors de la reprise de l’équipe par Marc Roger, le club perd en moyenne 5 millions par saison. Avec le désengagement de Sanz et celui d’Oliver Maus, pourtant contributeur du Servette FC depuis trente ans, il était devenu impossible de survivre pour le club de La Praille.
Malgré une tentative de rachat du Moyen-Orient, qui finalement n’aboutira pas, les Grenats sont mis en faillite par le Tribunal de première instance de Genève en février 2005, 115 ans après la fondation du club. Ils reprendront la saison suivante la place de leur seconde équipe en Première ligue (3ème division suisse à l’époque). Ils retrouveront la Super League lors de la saison 2011-2012, en même temps que le Lausanne-Sport.
Xamax, Sion et GC : entre sociétés écrans et ambitions démesurées
Les cas lémaniques ne sont malheureusement que deux cas parmi tant d’autres. Nous pouvons donc également citer l’exemple du Neuchâtel Xamax. Racheté en 2011 par le multimillionnaire russe Bulat Chagaev, Neuchâtel Xamax n’aura pas mis longtemps avant de crouler sous les dettes. Initialement mis en faillite administrative le 19 janvier 2012 avec des dettes estimées à quelques 8 millions de francs, le club neuchâtelois se verra annoncé son dépôt de bilan une semaine plus tard suite au jugement du Tribunal régional du Val-de-Travers : « vu l’avis de surendettement de Neuchâtel Xamax SA, la faillite de celle-ci a été prononcée ».
Son président sera inculpé pour « faux dans les titres » et placé en détention. Les faits intéressants concernant le cas Neuchâtelois seront révélés 6 mois plus tard quand, la dette financière neuchâteloise est finalement annoncé à quelques 35 millions de francs et que, suite à des perquisitions dans ses négoces en suisse, Bulat Chagaev n’a montré aucune présence d’un réel business dans le pays. Ces sociétés écrans n’ont servi qu’à effectuer des transactions envers des endroits tels que Chypres ou encore Dubaï. Suite a des enquêtes à Moscou et en Tchétchénie, nul ne connait le business de Chagaev ou encore si sa fortune est réelle ou non. A noter que Chagaev n’a jamais prouvé ni chiffré sa fortune, à l’exception de faux certificats bancaires. Suite a un tumulte médiatique de plusieurs années, Neuchâtel Xamax, qui a dû repartir de la 2ème ligue interrégional (5ème division suisse) en 2012, remontera dans l’élite du football suisse lors de la saison 2018-2019.
Autre club romand, autre problème, cette fois-ci dans le Valais. Sous l’ère de Gilbert Kadji, homme d’affaires camerounais et repreneur du club entre 1999 et 2002 suite aux problèmes financiers de Christian Constantin ayant quitté la tête du club en 1997, le FC Sion se trouve dans de grands problèmes financiers. La faillite est évitée de justesse, mais le club valaisan se voit refuser sa licence professionnelle pour la saison suivante. Il intègre donc la 2ème division et remontera dans l’élite lors de la saison 2006-2007, sous la tutelle de Christian Constantin, revenu à la tête du club à la fin de l’année 2003.
Même le club le plus titré de l’histoire du football suisse, Grasshopper (27 fois champions suisse et 19 fois vainqueur de la Coupe) connaitra ses années de galère. Mais cette gloire d’antan n’est plus que mirage pour le club autrefois surnommé « Club des banquiers », habitué à jouer les dernières places et la relégation depuis le début du millénaire. Bien que les problèmes financiers concernent généralement les clubs latins (Lausanne, Servette, Lugano, Bellinzone, Xamax), les clubs suisse-allemands étant généralement mieux gérés – à l’exception du FC Saint-Gall en 2010, sauvé in extrémis de la faillite par des investisseurs ayant injecté 10 millions dans le club – le club zurichois se retrouve en grande difficulté sur le plan financier au début des années 2010. Le club sera sauvé en 2013 par trois actionnaires, s’engageant à investir neuf millions sur les trois années suivantes. Problème : 12 mois plus tard, ces neufs millions ont déjà été utilisés. Début 2020, GC tombe en main chinoise, qui dépose 40 millions pour acquérir les 90% du club. A l’origine de ce rachat, Fosun, richissime conglomérat chinois et déjà propriétaire de Wolverhampton depuis 2016. A court terme, les Sauterelles sont donc logiquement appelées à devenir le club ferme des Wolves : étonnant pour un club visant à devenir un grand d’Europe d’ici à 2030 selon les propos des propriétaires.
Rêver à son échelle
Outre les gestions douteuses de propriétaires égoïstes, une question peut se poser autour des lacunes du football helvétique. Certes, quelques cas de gestions frauduleuses sont indéniables. Cependant, depuis le début des années 2000 pas moins de 6 clubs ont fait faillite (Lugano, Bellinzone, Lausanne, Servette, Neuchâtel, Le Mont) et tout autant l’ont frôlée de peu. Alors, le constat ne peut pas être imputé à la politique du football suisse. Depuis le début des années 2000, voire même depuis l’introduction de l’arrêt Bosman, le football suisse vit clairement au-dessus de ses moyens. Bien qu’il soit louable de vouloir se frotter aux plus grandes écuries européennes, parfois avec réussite comme en témoignent certains bons résultats sur la scène continentale, il faut parfois savoir reconnaitre son infériorité financière. Il en devient impossible de prôner une telle professionnalisation du football suisse à une heure où les droits TV des grands championnats ne cessent d’exploser, creusant donc de plus en plus les écarts budgétaires avec les plus petits championnats.
La grande majorité des clubs européens croule sous les dettes, à tel point que la question légitime à poser n’est plus de savoir comment les éviter, mais s’il est viable de le faire. Aux mains d’investisseurs et de mécènes, les grandes écuries européennes ne regardent que la dépense, pas les entrées. Différence avec les petits clubs suisses : ces grands clubs que sont le Real Madrid, Barcelone ou Manchester United sont des institutions, des « too big to fail », qui trouveront toujours appuis sur les banques et des fonds d’investissements. Alors, à une période où les petits clubs rament pour trouver des financements, les grands peuvent se permettre de promettre la lune à leurs supporters. Pour le football suisse, contrairement aux promesses avancées par Kita, Chagaev ou autres Marc Roger, il est certes bien de rêver, mais dans un monde aussi cruel que le monde économique il est bien de rester réaliste.
D’autant plus que la pandémie a rendu impossible toutes relatives entrées d’argent venues des billets vendus. Ces derniers représentent entre 30 et 40% des revenus des clubs suisses. Le pourcentage restant se partage entre les droits de télévision, les accords sponsorings et les transferts. Pour balancer ces pertes liés à la billetterie, il faut donc compenser par les autres facteurs entrant. Difficile d’imaginer une hausse du prix des droits tv et sponsoring. Alors, la solution semblant la plus viable reste de réduire la masse salariale des équipes. Mais difficile de demander aux joueurs de baisser leurs salaires à la même échelle que ce qu’a fait le FC Barcelone par exemple, en réduisant de 70% la masse salarial de ses joueurs lors de la crise. Dans un championnat où le salaire moyen s’élève à 13 500 francs, les possibles économies semblent dérisoires par rapport au besoin réel des clubs. Alors, les clubs sont obligés de se tourner vers des fonds de financements, mais ceux-ci aussi risquent de se trouver insuffisants. Alors, comme à la fin de l’ère des « grands présidents », le football suisse risque de se retrouver dans une vague de faillite et de relégations administratives qui risquent de grandement mettre en péril le championnat helvétique.
Un premier pas vers le changement est en passe d’être effectué avec la limitation du nombre de joueurs non formés localement qui passerait de 17 aujourd’hui à 13 lors de la saison 2023-2024. Cela permettrait donc d’éviter la surévaluation des joueurs étrangers et d’accorder une place plus importantes aux centres de formations helvétiques. Cependant, cette légère avancée de la SFL ne plaira surement pas aux racheteurs étrangers du championnat. Alors que GC et Lausanne sont déjà passés en mains étrangères, les ambitions de ces grands entrepreneurs ne sont certainement pas en adéquation avec les réalités du championnat suisse. Affaire à suivre…
Sources :
- Amara Myriam, « Les problèmes financiers, un classique des clubs suisses », Tribune de Genève, 18 janvier 2012
- Artigo Florencio, « Lorenzo Sanz songe à lacher Servette », Le Temps, 16 novembre 2004
- Battista Derchi Giovanni & Oyon Daniel, « Les clubs de football face à la nécessité de réduire leurs charges – Le Temps », Le Temps, 11 août 2020
- Buss Pierre-Emmanuel, « Menacé de faillite, le Lausanne-Sports s’apprête à vivre le weekend de la dernière chance », Le Temps, 11 janvier 2003
- Jacquier Nicolas, « Grasshopper, ce leader qui n’impressione personne », Le Matin, 8 mai 2021
- Jubin Serge, « Xamax: faillite à 24 millions de francs », Le Temps, 15 mars 2013
- Pitter Lionel, « La banqueroute menace GC », Le Temps, 31 janvier 2019
- Rocchi Ludovic, « Sur les traces du vrai faux milliardaire Bulat Chagaev », Le Matin, 21 juillet 2012
- RTS, « Faillite de Servette: Lorenzo Sanz entendu par le juge », RTS, 20 mai 2005
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