Nombreux sont les joueurs que nous retiendrons pour leur talent et palmarès. Certains, ont tout gagné, mais en restant dans l’ombre de compères bien plus charismatiques et doués pour le football. D’autres, sans jamais avoir remporté tous les plus grands titres, retiennent notre attention et occupent notre esprit grâce à leurs gestes si particuliers. Des gestes qui sont autant d’expressions de cette élégance qui par sa rareté en devient magnifique. C’est le cas de l’homme présenté aujourd’hui, Pablo Aimar, s’inscrivant dans la lignée des Juan Román Riquelme et autres Gaizka Mendieta.
Si le club qu’on associe à Riquelme se nomme Boca Juniors, son compatriote, Pablo Aimar, fit les beaux jours de River Plate avec qui il est plusieurs fois champion d’Argentine, à la fin des années 1990. Les deux hommes sont des compagnons de route à Buenos Aires, puis via leur association en équipes de jeunes de l’Albiceleste. Ensemble, ils remportent la Coupe du monde des moins de 20 ans en 1997, succédant à Diego Maradona et en précédant d’autres, comme Javier Saviola et Lionel Messi. Par la suite, les deux joueurs argentins devinrent des symboles du football de club espagnol du milieu des années 2000. Si el pecho frio (« poitrine froide » en français) est de ceux qui participèrent à l’avènement de Villareal au plus haut niveau, el payaso (« le Clown » en français), après six ans dans la capitale argentine, rejoint le València Club de Futbol en 2001.
Celui qui est né le 3 novembre 1979 à Río Cuarto réalise certaines de ses plus belles partitions sous les couleurs blanquinegras (« noires et blanches » en français). La tâche paraissait ardue car le joueur arrive dans un club qui est l’un des tous meilleurs d’Espagne, si ce n’est du monde. En effet, les valencians sont par deux fois finalistes de la Ligue des Champions, en 2000 et 2001. L’argentin participe d’ailleurs à cette deuxième campagne européenne presque victorieuse, car étant arrivé lors du mercato hivernal pour la coquette somme de 24 millions d’euros. Ce fut en son temps, un montant record pour le club espagnol.
Diego Maradona : « Pablo Aimar est le seul joueur pour lequel je paierai pour voir jouer »
Le transfuge de River Plate dispute huit rencontres de cette Ligue des Champions 2001 et réalise une passe décisive. En championnat, lors de la phase retour, il participe à dix rencontres et porte ses statistiques au total honorable de deux buts pour autant d’offrandes. L’idylle entre « los Ches » (un surnom provenant d’une injonction orale populaire de la région de Valence) et l’argentin ne fait que commencer. Cette dernière se couronne d’un succès certain et de prestations relevées. La réputation argentine qui lui précède, celle d’un dribbleur au touché élégant, se vérifie sur la pelouse de Mestalla, ainsi que sur bien d’autres.
Un esthète en terres européennes
Si en 2001 l’Europe se refuse une nouvelle fois aux joueurs de Valence, il n’en est rien de l’Espagne, qui l’année suivante chavire devant Santiago Cañizares et consorts. Après 31 unes longues années, Valence est de nouveau champion d’Espagne. Dirigés par Rafael Benítez et bien aidés par un grand Aimar, qui dispute 33 rencontres, les joueurs valencians sont sacrés avec sept points d’avance sur le Real Club Deportivo de La Coruña, autre grand club espagnol du début des années 2000.
Il est d’ailleurs important de citer ceux qui accompagnent le natif de Río Cuarto et qui firent ce Valence de l’orée du siècle. Notamment ses compatriotes, qui sont légion, comme Roberto Ayala, défenseur et ancien de River, et Cristian Alberto « Kiki » González, compère du milieu de terrain et originaire de Rosario. Dans ce milieu de terrain justement, nous retrouvons également Mendieta, cité en préambule, ainsi que Rubén Baraja. Enfin, du côté de l’attaque, une tête connu en France, le norvégien John Carew. Si tous ont des parcours et une contribution différente aux succès du début de ce siècle, ils n’en restent pas moins des noms associés auxdits succès. Pablo Aimar en est en tout cas l’un des grands artisans. En tête, ceux de 2004, les plus retentissants de sa carrière.
Rafael Benítez : « Ronaldinho est un excellent joueur, mais j’apprécie bien plus Aimar »
Lors de la dernière année du mandat de « Rafa » Benítez (2001-2004), Valence réalise un triplé historique. Tout d’abord, le club est de nouveau champion d’Espagne, avant de s’imposer en supercoupe d’Europe. Une victoire tirant son origine d’un autre titre, celui en Coupe de l’UEFA face à l’Olympique de Marseille de Didier Drogba et consorts. Ce qui reste comme le second titre européen de Valence (après une Coupe des Coupes remportée en 1980), fut également l’aboutissement d’une période faste, tant pour l’entraîneur, que pour ses joueurs.
Alors qu’il marque quatre buts et effectue sept passes décisives en 25 rencontres de Liga, Aimar s’illustre également dans cette campagne européenne victorieuse, en participant à huit rencontres, pour deux buts. Pour arriver en finale, les joueurs de Valence défont notamment ceux de Beşiktaş, des Girondins de Bordeaux ou encore leurs compatriotes de Villareal, respectivement en 1/16ème, 1/4 et 1/2 finales. De retour de blessure, Aimar ne participe cependant pas activement à ce dernier match. Il en est de même pour la finale, l’homme n’entrant qu’à la 64ème minute. À ce moment-là, l’OM est déjà mené de deux buts (par Vicente Rodríguez et Miguel Ángel « Mista ») et réduit à dix depuis l’expulsion de Fabien Barthez. La messe était dite.
Sous les couleurs de Valence, el payaso remporte quatre trophées, dont trois majeurs. De plus, et au cours des six années le liant à ce maillot, il brille par son élégance, ses dribbles et ses inspirations. Les matchs détonants dans lesquels il s’illustre sont nombreux. Néanmoins, il est possible d’en élire un et de le décrire : Valence – Athletic, le 26 octobre 2002. Retour sur cette partition de haute volée.
En cet automne, les Basques se présentant à Mestalla ne peuvent imaginer la grâce qui s’apprête à toucher le milieu de terrain argentin. Ce dernier inscrit en effet trois buts, qui sont autant d’expressions de la finesse et de l’art naturels qui habitent le joueur. Le premier est le fruit d’une vivacité folle, lui permettant d’éliminer deux joueurs de Bilbao au milieu du terrain. Son agilité est la parfaite alliée lui permettant d’atteindre le but, tandis que le plat du pied est le meilleur des éclaireurs afin d’explorer la cage adverse. Tout ceci sans même daigner entrer dans la surface adverse. Le deuxième est surtout le travail d’un pressing collectif haut, qui offre à Pablo Aimar le loisir de se retrouver seul face au but. Le troisième est symbolique de la domination du soir, le Clown s’en allant dribbler le gardien avant de pousser la balle dans un but vide. Entre-temps, l’Argentin ne se priva pas de distribuer caviars et autres joyeusetés faisant le bonheur de ses coéquipiers et des supporters présents.
Cette performance, bien que représentant la plénitude du talent d’Aimar et les palettes techniques qui sont les siennes, n’en est qu’une parmi d’autres. Celles-ci lui permirent d’émerveiller les terrains de Liga et ceux des autres pays. Surtout, elles lui permirent d’être cité parmi les meilleurs joueurs d’Amérique du Sud évoluant en Espagne, en compagnie de Saviola ou Riquelme, et d’être fréquemment appelé en sélection d’Argentine.
Une carrière internationale laissant planer une certaine frustration, tandis que celle en club – à partir de 2006 lorsqu’il quitte Valence – pourrait motiver un goût d’inachevé.
Les regrets face au mythe romantique
En 2006, un cycle dantesque se referme pour l’équipe qui fut celle de Pablo Aimar durant presque six saisons entières. En effet, une nouvelle génération advient – incarnées par les deux David, Villa et Silva – tandis qu’Aimar s’en va rejoindre le Real Zaragoza. Dans la capitale de l’Aragon, il continue d’émerveiller par sa classe mais les blessures, inhérentes à sa fin de carrière, le pénalisent et l’empêchent bien souvent d’effectuer des saisons pleines. Avant cela, il ne s’empêcha pas de marquer la Liga, de briller en sélection argentine et d’inspirer certains de ses jeunes compatriotes, comme celui né à Rosario, formé au Barça, et explosant justement en 2006.
Cette même année, Aimar joue la deuxième Coupe du monde de sa carrière. Il dispute trois matchs au cours de celle-ci, en compagnie, encore une fois, de Riquelme – qui termine meilleur passeur du tournoi -, mais aussi de Roberto Ayala – son coéquipier à Valence et Saragosse – et d’autres joueurs de sa génération, tels Hernan Crespo et Juan Pablo Sorín (capitaine de la sélection). Lionel Messi, benjamin du groupe, est aussi de la partie.
Lionel Messi : « Mon idole, c’était et c’est toujours Pablo Aimar. J’adore sa manière de jouer tout en finesse, tout en technique, sans jamais en faire trop. Je m’inspire beaucoup de lui quand je joue »
Les Argentins, dirigés par José Pékerman, s’arrêtent en 1/4 de finale, s’inclinant aux tirs au but face à l’Allemagne. Cette élimination précoce entérinait un peu plus les espoirs déchus placés dans une génération exceptionnelle. Depuis 1993, l’Argentine n’a remportée aucune Copa America et ses fulgurances en Coupe du monde sont rares. Pis, en 1998, 2006 et 2010, elle ne put jamais dépasser le stade des 1/4. Dans le même temps, sur le continent sud-américain, les défaites furent bien plus frustrantes et douloureuses : par deux fois sur la seconde marche du podium, en 2004 et 2007.
Pablo Aimar appartient à cette génération dorée qui, malgré ses grands noms et qualités évidentes, ne put étoffer le fabuleux palmarès de la sélection nationale. Certains diront que ces échecs sont aussi de ceux qui forment une légende, appuyant un peu plus le profil particulier d’un tel joueur. Un joueur dont les gestes appartiennent à ceux sortant de l’ordinaire et qui n’ont nul besoin des effusions joyeuses des plus grands titres pour exister. En effet, au-delà de sa carrière – débutant à River, puis se poursuivant en Espagne, à Valence et Saragosse, avant de se prolonger à Benfica entre 2008 et 2013 – el payaso est de ceux que l’on associe à la notion de « romantisme ».
Le principal concerné déclarait la chose suivante dans les colonnes du magazine SoFoot : « Dans le football, il y a ceux qui rendent les joueurs meilleurs et ceux qui font la une des journaux ».
Plus loin, il affirmait aussi que les meilleurs footballeurs sont ceux qui jouent « avec une âme d’amateur, car ils reproduisent les gestes de leur terrain d’enfance ». Nous pouvons convenir que ces deux constatations intègrent le socle même de la passion de millions de personnes pour cet art que pratiquait Pablo Aimar. Un art déconcertant, naturel et parfois cruellement si discret. Souvent, il en paraît facile et accessible à tous. Au contraire, l’histoire de celui qui fut sélectionné à 52 reprises sous le maillot de l’Albiceleste entre 1999 et 2009 prouve que les joueurs romantiques sont aussi rares que difficiles à imiter.
Trois ans après ses dernières minutes sous la tunique de River en 2015, el payaso réalisait l’un de ses derniers rêves : jouer pour l’équipe de sa ville d’origine, l’Estudiante de Río Cuarto, en compagnie de son frère. Pour son dernier match sous ses ultimes couleurs, il put compter sur la présence de Marcelo Bielsa – sélectionneur de l’équipe d’Argentine entre 1998 et 2004 – qui fit le déplacement en cette occasion spéciale. Ce final résume le joueur qu’il fut et l’homme qu’il est. Un esprit, des émotions et une certaine idée du « romantisme » en football que l’intéressé s’efforce de transmettre aux U17 argentins qu’il dirige aujourd’hui.
Sources :
- Aquiles Furlone, « La petite boucle », SoFoot, n°179, septembre 2020
- València Club de Futbol
- Real Zaragoza S.A.D.
Credits photos : Icon Sport