Depuis 2014, l’Ukraine connaît une grave crise territoriale. Un conflit armé a éclaté dans la région du Donbass, à l’est du pays. Cette guerre entre Ukrainiens et séparatistes pro-russes a de nombreuses conséquences pour le monde du football. Plusieurs clubs se sont exilés, d’autres ont disparu. Le conflit a aussi offert un phénomène inédit, l’union des ultras du pays.
A la fin de l’année 2013, des manifestations pro-européennes éclatent en Ukraine pour critiquer le gouvernement (Euromaïdan). Le président Viktor Ianoukovytch décide de ne pas signer d’accord d’association avec l’Union européenne. Des incidents violents éclatent avec des affrontements et des morts.
Les ultras du pays décident de participer à ces rassemblements. Le 21 janvier 2014, les ultras du Dynamo Kiev créent un groupe d’auto-défense pour protéger les manifestants face aux titouchky. Ces milices à la solde du gouvernement ont pour rôle de faire déraper les manifestations pacifiques d’opposants en les dispersant violemment. Les ultras du Dnipro suivent pour les aider et d’autres se mobilisent dans différentes villes du pays. Les ultras s’unissent contre la corruption du régime en place. Cinq jours plus tard, un communiqué officiel commun est publié pour montrer l’unité des mouvements ultras. 14 clubs de Premier Liha (D1), et 17 de Percha Liha (D2) et Drouha Liha (D3) se réunissent avec pour objectif la protection du peuple ukrainien. Une trêve est signée entre eux. Le vol d’écharpes ou de bâches par exemple est désormais interdit.
Les ultras ukrainiens au front
Le président Ianoukovytch est renversé le 22 février 2014 et un gouvernement pro-européen est mis en place. Une partie de la population, pro-russe, conteste dès le lendemain. La crise aboutit en quelques jours à un rattachement de la Crimée à la Russie après un référendum informel et à des troubles dans le Donbass. Cette région, comporte deux oblasts (provinces), celui de Donetsk et celui de Louhansk. La région est forte économiquement grâce à un riche bassin houiller, partagé avec le voisin russe. Un grand nombre d’habitants est russophone et une partie des citoyens décide de manifester contre le nouveau gouvernement. Ces rassemblements évoluent et deviennent des insurrections armées, menées par des séparatistes. La République populaire de Donetsk est créée en avril puis la République populaire de Louhansk en mai. L’armée ukrainienne décide alors d’intervenir.
Une partie des ultras, déjà mobilisée au cours des manifestations, décide alors de s’engager et de partir au front pour défendre l’intégrité territoriale de l’Ukraine. L’ennemi, ce n’est plus le supporter de l’équipe rivale, c’est désormais la Russie. Les groupes ultras du pays sont classés à droite, voire l’extrême-droite. Il existe très peu de groupes d’ultras à gauche de l’échiquier politique, seul l’Arsenal Kiev fait figure d’exception. Un grand nombre d’ultras décide de s’engager dans le bataillon Azov (puis régiment Azov). Cette unité paramilitaire, ultranationaliste et proche de l’extrême-droite, est composée de civils. On y retrouve des supporters du Dynamo Kiev, du Metalist Kharkiv, du Shakhtar Donetsk, des clubs de Crimée… L’un des financiers du régiment n’est autre qu’Ihor Kolomoïsky, président du Dnipro.
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Territoires occupés, clubs exilés
Lorsqu’on parle d’exil en Ukraine, on pense tout de suite au Shakhtar Donetsk. Le club est lié à la principale industrie de la région, les mines de charbon. Son nom signifie d’ailleurs « mineur ». Il a été fondé en 1936 sous le nom de Stakhanovest en référence à Alekseï Stakhanov, mineur dans la région du Donbass. Depuis 1996, c’est l’homme fort du secteur qui dirige le club, Rinat Akhmetov. Il est aussi l’homme le plus riche du pays. Longtemps proche du président Ianoukovitch, il a finalement rallié l’opposition. Sous sa présidence, le club a remporté 13 championnats et 13 coupes d’Ukraine et il n’a jamais terminé au-delà de la deuxième place.
En 2014, le Shakhtar doit quitter sa ville pour se réfugier dans la capitale, Kiev. Il joue alors ses matchs à l’Arena de Lviv (à plus de 1 200 km de Donetsk), dans le stade Metalist de Kharkhiv (300 km) ou au stade olympique de Kiev (750 km). En juillet 2014, six joueurs de l’équipe (dont les Brésiliens Douglas Costa, Teixeira, Fred, Dentinho et l’Argentin Facundo Ferreyra) refusent de prendre l’avion pour retourner au pays après un match amical à Annecy contre l’Olympique lyonnais. Ce désaccord a lieu quelques jours après le crash d’un avion de la Malaysia Airlines, abattu par un missile près de Donetsk. Les choses s’arrangent finalement avec la promesse des dirigeants aux joueurs de ne pas se rendre dans le Donbass tant que la situation n’est pas réglée. Le stade du Shakhtar, la Donbass Arena, inauguré quelques mois avant sa victoire en coupe de l’UEFA 2009, a été touché par de nombreux bombardements. Il en est de même pour son centre d’entraînement de Kircha, qui avait accueilli l’équipe de France pour l’Euro 2012.
La ville de Donetsk accueillait deux autres clubs. L’Olimpik Donetsk, fondé en 2001, a aussi quitté sa ville pour Kiev. Il joue au stade Dynamo Lobanovski, ce qui ne l’a pas empêché en 2016-2017 de finir 4e du championnat, son meilleur résultat. Le dernier club de la ville c’est le Metalurh Donetsk, fondé en 1996. En 2014-2015, il jouait à l’Obolon Arena de Kiev. Cependant, l’ancien club de Yaya Touré (2004-2005), de Jordi Cruyff (2006-2008) et d’Henrikh Mkhitaryan (2009-2010) a fait faillite en 2015 en raison du conflit et de difficultés financières.
La capitale de l’oblast voisin possède aussi un club phare du championnat ukrainien, le Zorya Louhansk. Fondé en 1923, le club a été champion d’URSS en 1972 sous le nom de Zaria Vorochilovgrad (ancien nom de la ville). Depuis 2014, Le club formateur d’Oleksandr Zavarov (passé ensuite par le Dynamo Kiev, la Juventus et Nancy) effectue ses matchs à domicile à la Slavutych Arena dans la ville de Zaporijjia (à 400 km de Louhansk). « L’aube » de Louhansk a connu de beaux résultats sportifs depuis cet exil avec deux troisièmes places en 2016-2017 et 2019-2020 et trois phases de poule de Ligue Europa.
Un autre club de l’oblast a connu un autre sort et a disparu avec la crise, le Stal Altchevsk. Fondé en 1935, le club avait effectué trois années en Premier League depuis la création du championnat en 1992. Après avoir effectué plusieurs matchs de deuxième division dans la région de Poltava, le club a été dissous en 2015.
Une crise qui touche les autres territoires
Les oblasts de Donetsk et de Louhansk possèdent un grand nombre de clubs de football mais tous ne sont pas situés dans des zones occupées par les séparatistes. Pourtant, leur vie est aussi perturbée par le conflit du Donbass. C’est le cas du FK Marioupol (appelé Illitchivets entre 2002 et 2017). La ville se situe dans l’oblast de Donetsk mais à une trentaine de kilomètres des territoires occupés. Par précaution, il a donc joué des matchs en 2014 à Dnipropetrovsk car la zone était instable. Cette année-là, l’ancien club d’Igor Belanov (Ballon d’Or 1986 qui a joué au club entre 1995 et 1997) termine dernier et descend en deuxième division avant de remonter deux ans plus tard. Il participe aux qualifications de la Ligue Europa en 2018-2019 et 2019-2020 mais ses matchs sont délocalisés. C’est à Odessa, à plus de 600 km, que l’Illitchivets Marioupol a été éliminé au troisième tour par les Girondins de Bordeaux en 2018.
D’autres clubs de villes proches du conflit n’ont pas eu la même chance. L’Avanhard Kramatorsk qui jouait en D2, à environ 80 km des territoires occupés, est suspendu pendant un an car la zone était jugée trop dangereuse. Un joueur du club a personnellement fait les frais du conflit. Stepan Chubenko, gardien de but de 16 ans, pro-ukrainien, a été kidnappé, torturé, puis abattu par des militants pro-russes de la République populaire de Donetsk en juin 2014.
Enfin, des équipes sont affectées par le conflit du Donbass mais se situent plutôt loin des combats. Tout d’abord, le Metalist Kharkhiv. Après la révolution de 2014, les avoirs de plusieurs hommes d’affaires ont été gelés pour soupçons de détournement de fonds publics. C’est le cas du président du club, Serhiy Kurchenko, pro-russe et proche de Viktor Ianoukovitch. Il a fui le pays mais a conservé la propriété du club. En son absence, le club s’est donc retrouvé avec des dettes massives et des problèmes de paiement de salaires. Le club a disparu en 2016 suite à ces problèmes financiers.
Le FK Dnipro a aussi disparu du monde professionnel avec la crise. Après sa défaite en finale de Ligue Europa contre Séville en 2015, le club perd la plupart de ses éléments. Yevhen Konoplyanka part à Séville, Jaba Kankava au Stade de Reims, Nikola Kalinic à la Fiorentina… Ces éléments ne sont pas remplacés car le propriétaire du club, Ihor Kolomoïsky, est touché par la crise et ne souhaite pas compenser les départs. Les salaires sont impayés, le club doit vendre pour renflouer les caisses. Il coule et perd finalement son statut professionnel quelques années plus tard.
La guerre du Donbass dure depuis avril 2014 et la situation a peu évolué pour les clubs de football. Rien ne semble pouvoir faire revenir les équipes dans leur région d’origine. Voilà maintenant six ans que le Shakhtar Donetsk et le Zorya Louhansk jouent leurs matchs de coupe d’Europe à des centaines de kilomètres de chez eux, sans le soutien d’une majeure partie de leur public. Alliés dans le civil, ou compagnons d’armes sur le front, un grand nombre d’ultras, ennemis la veille, ont décidé de s’allier pour montrer qu’en cette période, leur pays est plus important que les rivalités entre équipes.
Crédits photos : Icon Sport
Sources :
- Sites officiels des clubs
- DELANOË Régis, « Pendant ce temps, le Shakhtar joue au foot… », sofoot.com, 17 février 2015.
- TRASCA Tristan, « Euromaïdan : le rôle citoyen des ultras ukrainiens et la futilité du football », footballski.fr, 23 février 2014.