Dimanche 4 juin 2023, une page du football s’est tournée. En plein cœur d’un San Siro acquis à sa cause, Zlatan Ibrahimovic a annoncé sa retraite avec classe. Les yeux humides, il a eu le temps de se remémorer sa longue carrière. De Malmö à Milan en passant par Barcelone ou Paris, le Suédois a tout remporté. Mais c’est sur son aventure néerlandaise que l’on doit s’attarder pour se rendre compte de la grandeur du personnage.
« Maradona, Zidane, Romario, ils peuvent tous faire ça. Mais Ibrahimovic aussi. » Voici le casting du Hall of Fame d’Evert ten Napel, commentateur néerlandais qui a profité de la chaleur de l’été pour s’enflammer. Le 22 août 2004, Zlatan Ibrahimovic et ses coéquipiers de l’Ajax Amsterdam ont déjà fait monter le mercure en corrigeant le NAC Breda. Alors que le tableau d’affichage indique un avantage de 4-1 pour les Amstellodamois à un quart d’heure du terme, le numéro 9 suédois décide de marquer les esprits pour signer un doublé.
Il résiste d’abord à la pression d’un dégagement mal maîtrisé grâce à son mètre 95 avant d’avancer à l’entrée de la surface. Le combattant ceinture noire de taekwondo laisse alors place à un danseur de ballet. Un premier crochet intérieur est rapidement suivi d’une feinte vers l’extérieur puis d’une nouvelle vers l’intérieur pour entrer dans la surface. C’est là qu’il se sent le mieux, au plus proche des filets adverses. Mais il reste encore deux défenseurs à éviter. Le premier se jette, les jambes en avant, mais l’avant-centre l’évite d’un nouveau crochet – sans même le voir. Le deuxième tente de suivre sa proie, mais celle-ci est insaisissable. Un nouvel exter-inter’ avant une frappe qui laisse le central et son gardien au sol, désabusés.
L’Amsterdam ArenA et toute la capitale néerlandaise chante, quant à elle, à la gloire de son buteur. Le score se corsera encore (6-2) par l’intermédiaire de son meilleur ami dans le monde impitoyable du ballon rond, Maxwell. Mais Zlatan Ibrahimovic a déjà la tête ailleurs. Il n’est pas encore le meilleur buteur de sa sélection, ni le flambeur ayant navigué à travers l’Europe pour prendre les plus gros billets et marquer les plus beaux buts ou celui qui agace les professeurs de français pour avoir inventé son propre verbe « zlataner ». Il est seulement l’avant-centre le plus en vogue d’Eredivisie qui vient de marquer son 48e et dernier but sous les couleurs de l’Ajax.
Espoir en devenir
Une semaine plus tard, il partira à la Juventus dans un fracas qui le caractérise. Il avait déjà quitté Malmö en s’attirant les foudres des dirigeants, mais, lui, continua de tracer sa voie comme il l’entend. Ce festival solitaire face au NAC Breda, élu but de l’année par les téléspectateurs néerlandais, a toutefois permis de parachever de la plus belle des manières son chapitre néerlandais.
Celui-ci avait débuté trois ans plus tôt. Arrivé en trombe de Suède, le jeune buteur à la mèche rebelle peroxydée et à l’égo surdimensionné devient le plus gros transfert ajacide à près de 8 millions d’euros. Issu d’un quartier populaire de Malmö ayant grandi avec un père bosnien de confession musulmane et une mère croate catholique séparés, le gamin difficile à gérer s’est construit un personnage pour performer au plus haut niveau. Il a prouvé sa valeur réelle dans sa ville natale et arrive aux Pays-Bas en totale confiance. Depuis son appartement à Diemen, dans la banlieue d’Amsterdam, sa principale activité est de jouer à Call of Duty. « Je ne mangeais que des cochonneries. Je ne savais que cuisiner des toasts et des pâtes », confiera-t-il dans son autobiographie quelques années plus tard.
En juillet 2001, alors qu’il n’a pas encore 20 ans, Zlatan Ibrahimovic se dit prêt à s’assagir pour s’imposer à l’Ajax Amsterdam. Le fan de Marco van Basten est heureux quand le numéro 9 lui est attribué, mais son premier caprice survient dans la foulée. Selon lui, le flocage doit arborer ZLATAN et non IBRAHIMOVIC. Le choix étant acté sans son approbation, le Suédois jouera avec son nom dans le dos avant que le club ne lui fasse la faveur de mettre son prénom la saison suivante… mais cette fois il veut laisser IBRAHIMOVIC.
Neuf de classe
Qu’importe le flocage de son maillot et les maux de crâne qu’il cause au personnel amstellodamois, le Suédois s’épanouit sur le terrain. Après avoir digéré le coût de son transfert, il s’installe à la pointe de l’attaque de l’Ajax sous les ordres de Co Adriaanse. L’ancien défenseur voulait à tout prix le joyau de Malmö, quitte à casser la tirelire du club, mais les relations entre les deux se révèlent froides. Deux buts, deux passes décisives puis une mise au placard pour l’avant-centre, un licenciement dès octobre pour le coach.
« Co Adriaanse ne me faisait pas confiance. Son limogeage et l’arrivée de Ronald Koeman m’ont libéré », clôturera Zlatan Ibrahimovic en fin de saison. L’arrivée du champion d’Europe 1988 avec les Pays-Bas permet effectivement à l’attaquant de retrouver du temps de jeu, mais pas forcément des statistiques convaincantes. Son premier but face au Feyenoord a également laissé place à des réalisations face au Fortuna Sittard et au Sparta Rotterdam, tous deux relégués à l’issue de la saison 2000-2001.
Sous l’immense melon se cache une ambition, a minima, aussi grande. Les critiques de Johan Cruyff – qui s’y connaît plutôt bien à propos de l’égo mal placé – à son encontre font mouche et le poussent à devenir rapidement le neuf de classe qui a été promis aux supporters de l’Ajax. Véritablement titulaire dans le onze de Ronald Koeman, le géant retrouve le chemin des filets. 13 buts en 25 rencontres nationales et 5 en Ligue des Champions dans un parcours écourté en quart de finale par l’AC Milan, futur vainqueur. Son doublé face à l’Olympique Lyonnais en phase de groupe attire l’attention hexagonale. Après tout, comment ne pas être interloqué par ce Suédois mesurant 1,95 m et étant capable de mystifier Edmilson par un jeu de jambe digne d’un petit meneur de jeu sud-américain avant de faire souffrir Grégory Coupet avec la puissance des plus grands avant-centres européens ?
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Même Marco van Basten himself n’en revient pas. « Je ne lui disais pas, car il avait tendance à être trop sûr de lui, mais j’étais épaté par ce qu’il réussissait à l’entraînement. Il avait une telle facilité à réussir des gestes compliqués », a-t-il avoué à l’AFP. Son physique atypique et son caractère font trembler l’ensemble des défenses du pays puis du continent. En Ligue des Champions, Stéphane Henchoz, défenseur de Liverpool, l’a appris à ses dépends en ne résistant pas au crochet dévastateur du poète : « D’abord je suis allé à gauche et il est allé à gauche. Ensuite, je suis allé à droite et il est allé à droite. Puis je suis reparti à gauche et là il a été s’acheter un hot-dog. »
Un vestiaire divisé face à Zlatan
Lors de sa troisième saison, Ibrahimovic ne se plaint plus du flocage mais continue de ravir la direction qui se frotte déjà les mains d’une éventuelle plus-value. Avec 15 buts et 8 passes décisives, il étoffe sa palette et devient le joueur indispensable de l’Ajax. Le numéro 9 permet au club de remporter deux championnats en quatre ans (2002 et 2004) ainsi qu’une coupe et une super coupe nationales. Si ses looks capillaires changent chaque semaine, son investissement lors des tâches défensives n’évolue pas et reste nul. Un privilège soufflé par Marco van Basten, accepté par Ronald Koeman, mais qui ne plaît absolument pas à Louis van Gaal, nouveau directeur sportif. Celui qui a soulevé la Ligue des Champions 1995 en tant qu’entraîneur de l’Ajax Amsterdam entendait le faire changer d’avis mais allait se heurter à un personnage aussi caractériel que lui.
Sous fond de tension interne et de rumeur de départ, le Suédois continue de marquer et ne revient pas défendre davantage. Après tout, ses relations extra sportives semblent ne jamais avoir vraiment déteintes sur le terrain. Lors de la saison précédente, Zlatan Ibrahimovic se chauffa avec un coéquipier, pourtant ami proche, Mido. Dirigeant de l’époque et présent dans les vestiaires lors de l’embrouille, David Endt raconte à So Foot :
« Après un match Ajax-PSV qu’ils avaient perdu, Zlatan a dit à Mido qu’il avait raté une occasion de but en gardant la balle pour lui plutôt qu’en lui faisant la passe. Dans les vestiaires, ils ont commencé à se gueuler dessus et Mido a pris des ciseaux, les a jetés violemment sur Zlatan. Heureusement, Zlatan a toujours eu de bons réflexes. Derrière, tu imagines bien ce qui se passe quand tu jettes des ciseaux sur Zlatan… Ils se sont battus et immédiatement, le reste de l’équipe les a séparés. Quelques semaines plus tard, Mido et Zlatan étaient à nouveau potes et rigolaient de ce qu’il s’était passé. »
À Amsterdam, le Suédois découvre Maxwell qui va directement devenir un ami intime. Les deux joueurs se suivront par la suite à l’Inter Milan, au FC Barcelone et au Paris Saint-Germain. Mais un caractère entier comme Zlatan Ibrahimovic n’emmène pas que de belles histoires. Le remplaçant de Mido a par exemple connu quelques mésaventures avec l’avant-centre. Ce dernier lui a taillé un costard dans son autobiographie : « Il s’appelait Rafael van der Vaart, un Hollandais, un petit prétentieux comme tous les Blancs de l’équipe, même si lui n’était pas BCBG. » Chouchouté par le club, le Néerlandais issu du centre de formation commence à prendre de plus en plus de place et à concurrencer la place de chef de vestiaire. Un titre honorifique cher à Zlatan. Le jeune hérite du brassard de capitaine mais se fait littéralement détruire la cheville par son concurrent durant un match « amical » entre la Suède et les Pays-Bas.
Quelques jours plus tard, l’avant-centre rappelle Maradona, Zidane et Romario en une seule action. Il savoure son dernier but sous le maillot de l’Ajax Amsterdam. Sur le gong du mercato estival, il décolle vers Turin, signe à la Juventus et permet aux dirigeants ajacides de doubler la mise de départ. Ainsi, le 31 août 2004, Maxwell récupère le titre de meilleur joueur d’Eredivise et apprend dans la foulée le départ de son meilleur ami. Pas encore classe mais déjà unique.
Sources :
- « Les grands moments d’Ibrahimovic à l’Ajax Amsterdam », France Info
- « Moi, Zlatan Ibrahimovic », IBRAHIMOVIC Zlatan et LAGERCRANTZ David, 2013, Lattes
- ROSTAC Matthieu, « Zlatan à l’Ajax Amsterdam, c’était… », So Foot
- « Zlatan Ibrahimovic, Ibra », Contes de foot
Crédit photos : Icon Sport