Connus pour leur grande ferveur, la réputation des tifosi napolitains n’est plus à faire. Dévoués à leur club, on dénombre aujourd’hui près de 35 millions de tifosi, dont 5 millions en Italie. Club mythique du sud de l’Italie, le SSC Napoli est fondé en 1926 sous le nom d’Associazione Calcio Napoli. Évoluant en Serie A, le Napoli est le club du sud de l’Italie ayant remporté le plus de titres au niveau national et international malgré les difficultés financières qu’il rencontre et des moyens bien inférieurs à ceux des clubs du Nord, plus riches, tels que l’AC Milan ou la Juventus.
Son public est passionné, dévoué et fidèle. L’ambiance du stade de San Paolo est l’une des plus électrisante du monde, et s’il n’existe pas un hymne – à proprement dit – officiel, cet amour que portent les tifosi pour la squadra azzurra se matérialise dans les différents chants et chansons qui habitent les tribunes de la structure.
Voici la très spéciale histoire de 5 mythiques hymnes chantonnés par les tifosi.
O surdatu nnamoratu, l’hymne historique
Premier hymne à habiter les gradins du stade des Azzurri, cet hymne profondément romantique a traversé le temps pour être encore aujourd’hui parmi les chants de langue napolitaine les plus connus.
Composée par le poète Aniello Califano en 1915, date de l’entrée de l’Italie à la Première Guerre mondiale, cette mélodie dépeint la grande tristesse éprouvée par un soldat qui part au front et qui souffre de l’éloignement avec sa bien aimée. En effet, après plusieurs mois de neutralité, le 24 mai 1915, l’Italie déclare finalement la guerre à l’Empire Austro-Hongrois, auquel elle est liée depuis 1882 par le traité de la Triplice.
Au début du conflit, la propagande de guerre fait rage. Les bars et cafés regorgent de chants patriotiques et de drapeaux tricolores. Malgré les très nombreuses pertes humaines, le moral des soldats envoyés au front doit être maintenu. Pour autant, Aniello Califano décide de ne pas suivre cette ligne directrice. Se déclarant « apolitique », ce dernier est vraisemblablement insensible à l’environnement qui l’entoure. Ne filtrant aucunement les vers de ses poèmes il raconte à travers ces derniers – presque impulsivement – les événements dramatiques qui avaient réellement lieu sur le front. Malgré la fureur de ces textes, Califano a ce don de faire naître une incomparable émotion chez n’importe quel lecteur qui le lit. Les vers du Surdato nnamoratu furent, quelques mois uniquement après leur sortie, réadaptés en musique. Enrico Canni est choisi pour en être l’interprète. Toutefois, le succès de la chanson déplaît aux dirigeants italiens puisqu’elle est considérée comme un chant défaitiste, minant le moral des troupes et des familles.
En effet, cette dernière est l’expression même d’un mouvement anti-guerre et anti-violence. Les sentiments de tristesse et de désespoir sont mis à plat, sans filtre. La propagande militariste tente de censurer la chanson. En vain. Les paroles, simples mais envoûtantes, sont déjà en route pour entrer dans le patrimoine musical napolitain.
A travers le temps, les interprètes de la chanson d’amour napolitaine se sont succédés ; on peut, en ce sens, citer Anna Magnani dans le film La Sciantosa (1971), Massimo Ranieri en 1972, Andrea Bocelli ou encore le très grand Luciano Pavarotti.
Mais comment cette émouvante rengaine a t-elle traversé le temps pour devenir l’hymne historique du Napoli SSC ?
Nous sommes en 1975. Naples est alors en deuxième place du classement de Série A, derrière la Juventus. Le 7 décembre de cette même année deux matchs ont lieu : Napoli – SS Lazio et Juventus – Torino. L’issue du premier match est favorable à Naples – malgré l’absence de joueur vedette sur le terrain – qui bat la Lazio 1 à 0. La Juventus quant à elle est menée, dès la 15e minute par le Torino. Le score final sera de 2 à 0 pour Torino. Les tifosi partenopei exultent à l’Olimpico. L’esprit combatif de l’équipe de Luis Vinico a payé et permet au club azzurro de se hisser à la première place. Une fois la fin du match sifflée par l’arbitre Paolo Casarin, complètement déchaîné et sous l’impulsion d’un petit groupe de supporters, l’ensemble du stade entonne à pleins poumons le refrain de la chanson O surdatu nnamoratu en signe de fidélité et d’amour inconditionnel au club et à ses joueurs. Un moment magique suspendu dans le temps qui accompagnera les années Maradona et les diverses victoires du club jusqu’à aujourd’hui. Frissons assurés.
Chanson d’amour napolitaine par excellence, cette dernière symbolise parfaitement l’amour que porte les tifosi à la squadra azzura.
Pour la petite histoire, récemment, Ancelotti (entraineur du SSC Naples depuis mai 2018) a avoué dans une interview espérer entendre gronder dans les tribunes la chanson d’amour napolitaine suite à une grande victoire du club. Son vœu sera t-il bientôt exaucé ?
A VOIR : Maradona chantant O surdatu nnamoratu :
– En 1998
– En 2019
Napoli Napoli, l’hymne d’une victoire
Le 10 mai 1987, grâce à un match nul 1-1 contre la Fiorentina, le Napoli est sacré championne d’Italie pour la première fois de son histoire, à trois points devant la Juventus. À la 39e minute, le but de Carnevale a une saveur d’absolue délivrance. Quelques instants plus tard, Roberto Baggio score à son tour pour l’équipe adverse. Toutefois, ce but n’aura aucun impact sur la consécration au titre de championne de Napoli.
Et alors que la tension est à son comble dans la ville italienne, les ruelles silencieuses laissent place à une explosion de joie sans précédent. Des banderoles bleues flottent dans l’air, les moteurs et klaxons rugissent. Le cœur est à la fête. Toute la ville est éveillée et célèbre l’événement avec passion et une ivresse particulière. Cette victoire, portée par Maradona – joueur prodige – et son équipe, n’est pas que sportive mais également sociale et culturelle et met en exergue cette interminable « guerre » entre le sud de l’Italie « pauvre » et le nord « riche ».
Une nouvelle histoire du club est écrite. On raconte même que le ciel était si bleu que les joueurs azzurri s’y confondaient.
Cette même année 1987, Romano Scandariato met à l’honneur la ville de Naples et son club dans son film « Quel ragazzo della curva B » (la curva B étant une multitude de mini-groupes formés de tifosi issus des quartiers pauvres de la ville, contrairement à la curva A. Ces derniers sont placés dans le stade en fonction de leur appartenance à l’un ou l’autre groupe). Interprété par Nino D’Angelo, le protagoniste principal est un mécanicien, supporter inconditionnel du Napoli. Ce dernier décide de fonder un club « Forza Napoli » dans lequel il fait vivre et matérialise cette passion sans faille qu’il a pour les Azzurri. À cette trame, s’entremêlent histoires de mafia, de criminalité organisée et de pauvreté.
Quoiqu’il en soit, le film est un succès dans la ville. La bande sonore originale « Napoli Napoli » chantée par Nino D’Angelo lui même est très vite repris par les tifosi qui estiment qu’un nouvelle identité musicale est nécessaire dans ce contexte de victoire si particulier.
Plus moderne, la chanson rassemble tout un peuple, « vieux et jeunes », vivants d’une même passion pour le club. « Viecchie e giuvane ; cercano dint’ ‘a nu pallone ». Elle est en effet l’expression d’une solidarité dans une ville où la pauvreté, le chômage et les difficultés sociales sont affaires de tous les jours.
Ainsi, presque prémonitoire, cette chanson de 1987 est « tombée à point » pour accompagner cette joyeuse et inoubliable victoire.
A VOIR : Insigne chantant “Quel ragazzo della Curva B” avec Nino d’Angelo e Gigi d’Alessio
Napule è, chanson à l’honneur de Pino Daniele
Giuseppe Daniele dit Pino Daniele est un un chanteur, compositeur, interprète napolitain qui a marqué – musicalement – la région. En 1977, naît ce qu’on pourrait considérer comme sa plus belle oeuvre la mythique chanson : Napule è (Naples est). Hymne de toute une ville, le chant napolitain, décrit le quotidien de cette cité italienne en pleine frénésie. Les paroles sont chantées en napolitain et créent nécessairement un sentiment de proximité entre les habitants et le chanteur. Il chante toute une histoire, tout un peuple. Il chante les malheurs, l’insanité et les coups durs mélangés à des images de paysages paradisiaques et de ruelles désuètes. Il chante l’agitation d’une ville du Sud qui vit sous un soleil éclatant, où les cris d’enfants sont imprégnés d’une violence presque attachante. Il chante la solidarité, la fierté d’un peuple et l’espoir (« e tu sai ca nun si sule » = et tu sais que tu n’es jamais seul »).
Enfant d’une famille pauvre, qui mieux que lui pour chanter Naples ? À travers cette chanson, il lève tous les mystères de cette ville à l’identité propre.
Le 4 janvier 2015, Pino Daniele s’éteint à l’âge de 59 ans. Ce jour là, toute la ville lui a rendu hommage. Sa chanson a résonné dans toutes les ruelles, dans tous les bars, le métro et évidemment, quelques jours plus tard alors que Naples rencontrait la Juventus, au stade San Paolo. L’émotion y était à son paroxysme. Pour l’« anecdote » l’équipe adverse n’aurait pas été insensible à cette déclaration d’amour faite en l’honneur de Pino Daniele et des larmes juventine auraient coulées.
Et aujourd’hui, 42 ans après la sortie de la chanson, Naples n’a pas changé. Le brouhaha de la ville est toujours présent et la chanson de Pino Daniele dépeint avec toujours autant de vérité la cité parthénopéenne.
Un hymne qui voyage, un giorno all’improvviso
Depuis quelques années, les tifosi napolitains ne manquent plus d’inspiration dans les gradins. Les nouveaux hymnes officieux du club s’enchaînent, se répètent, s’inventent au gré de vents et marées. Malgré tout, le résultat reste le même : frissons et chair de poule assurés.
Parmi les hymnes récents du club, on peut citer « Un giorno all’improvviso », chanson née en 2014 et inspirée d’une chanson de 1985 « L’estate sta finendo ». Pourtant, si Napoli adopte cette joyeuse rengaine, elle n’en est pas l’instigatrice. En effet, les tifosi de l’Aquila Calcio (club évoluant en Lega pro) – les Red Blue Eagles 1978, en sont les pères fondateurs. Ainsi, dès 2014 la chanson habite les gradins du stade Tommaso-Fattori.
Toutefois, très vite la magie opère et la chansonnette traverse les divisions du football italien ainsi que les régions. Les tifosi de Bari, du Genoa et du Napoli sont sous le charme et adoptent très vite ce nouvel hymne dès 2014.
Le voyage de la chanson ne s’arrête pas la. Eh oui ! Si vous avez pris le temps de visionner et d’écouter les vidéos ci-dessus, vous constaterez sans difficulté que l’air s’apparente fortement au nouvel hymne des actuels champions d’Europe, Liverpool.
Nous sommes en mai 2018. La Ligue des Champions bat de son plein gré lorsque qu’un groupe de fans de Porto décide de chantonner l’air italien juste avant les 8e de finales les opposant à l’équipe des Reds. Jaime Webster, originaire de Liverpool, est conquis et décide de réécrire les paroles de la rengaine pour les adapter au club anglais. Le fameux Allez Allez Allez des Reds est né. Je ne vous apprendrai rien si je vous dit que c’est un succès, et ce notamment suite à l’incroyable remontada de l’équipe de Klopp face au Barcelone puis à leur consécration au titre de vainqueur 2019.
Le joyeux air fera-t-il office de porte bonheur pour le Napoli ? Seul le temps nous le dira. Toutefois, le club traverse actuellement une période de tensions internes et les relations entre dirigeants, joueurs et tifosi sont incendiaires.
A VOIR : Higuain chantant Un giorno all’improvviso sous la Curva B
È passato tanto tempo, le chant d’une « discrimination territoriale »
Le fossé entre le Nord et le Mezzogiorno est béant. On parle même d’Italie à deux vitesses. Ce clivage s’exprime notamment dans les stades italiens, lorsqu’une équipe du sud et une du nord s’affrontent. Des formules considérées par la Ligue de football italienne comme « territorialement discriminatoires » remplissent les structures sportives du Nord de l’Italie, notamment celle de l’AC Milan, San Siro ou encore l’Allianz Stadium de la Juventus. Aux « Naples choléra », suppléent des « Vésuve, lave-les tous » (en référence au Volcan bordant la baie de Naples).
En 2018, les tifosi milanais, s’inspirant d’un air argentin ont crée leur propre chant « È passato tanto tempo« , modifiant les paroles en fonction des clubs qu’ils affrontent.
Les paroles, provocantes, s’adaptent ainsi au fil des matchs, notamment contre le Genoa ou encore Naples. Toutefois, les tifosi napolitains ne se contrarient pas pour si peu et décident, avec toute l’ironie et la dérision possible de reprendre le chant et de l’adapter « à leur sauce ». Les paroles, cyniques, répondent à merveille aux provocations faites. A titre d’exemple, en réponse au « Vesuvio lave les tous de ton feu », les napolitains répondent qu’effectivement « nous sommes fils du Vésuve » et « peut-être qu’un jour il explosera (« Siamo figli del Vesuvio ; Forse un giorno esploderà » ).
Les tifosi milanais n’ont pu que saluer cette auto-ironie. Toutefois, ces discordes entre les club du Nord et du Sud restent problématiques puisque le racisme régional est bien trop présent dans la péninsule. Par exemple, malgré les nombreuses mises en garde, l’Italie ne considère toujours pas que des cris de singe à l’encontre de joueurs noirs soient racistes. Ces controverses ne sont que l’explication d’une société en crise d’identité. Comme le dit Alberto Toscano, journaliste et écrivain italien « Le sport révèle le meilleur, mais aussi le pire de l’être humain ».
In fine, à défaut d’hymne officiel, nombreux sont les hymnes officieux qui habitent San Paolo et bien évidemment, tous ne peuvent être cités. À travers ces derniers, les exploits ou l’histoire du club en lui même n’en sont que très peu mis en avant. Toutefois, une particularité les unit : ils sont tous, d’une certaine manière, une déclaration d’amour et de fidélité sans faille des tifosi pour le club. En effet, sur un fond de misère romantico-dramatique propre à la chanson italienne, et encore plus à la chanson napolitaine, les supporters affirment toute la dévotion qu’ils ont pour leur club adoré malgré les difficultés sociales et économiques que la ville traverse.
Sources :
- Valerio Albensi, Tormentone « Un giorno all’improvviso »: le curve italiane cantano i Righeira, Corriere dello sport, 2015
- Emilia Cirillo, O surdato ‘nnammurato, storia della canzone napoletana, Juin 2019
- Spazio Napoli, Inno Napoli Calcio, Novembre 2017
- Eric Bulliard, Napule è, Cousumouche,
- Antonio Moschella, L’or de Naples, Sofoot, 2017