Lors de la Coupe de France 1999-2000, Calais, club de CFA (Championnat de Football Amateur), réussit l’exploit inédit et inégalé depuis d’atteindre la finale de la compétition, après avoir fait tomber quatre clubs pros. Vingt et un ans après, retour sur un parcours qui reste inoubliable, malgré la défaite finale face au FC Nantes.
Des maillots sang et or, la fête, l’euphorie et le tournis… Ce 12 avril 2000, le stade Félix Bollaert connaît une soirée de liesse comme il en a l’habitude. Sauf que non, ce soir, les dockers ont remplacé les mineurs en tribune. Car le club qui a fait chavirer l’enceinte artésienne n’est pas le RC Lens comme de coutume, mais le Calais Racing Union Football Club (CRUFC). Le club de CFA (actuel National 2, quatrième division) vient de faire tomber les Girondins de Bordeaux, champions de France la saison précédente, 3-1 après prolongations. Les Calaisiens iront au stade de France… et demeurent encore aujourd’hui les seuls à avoir réussi pareil exploit.
Comme tous les clubs amateurs, les Calaisiens entament leur parcours bien plus tôt que les pros, au quatrième tour. Si les premiers matchs sont des formalités face à des clubs venus des tréfonds du foot amateur, les choses se corsent à partir des sixième et septième tours, disputés respectivement face à Marly les Valenciennes et Béthune, pensionnaires de CFA 2. « Béthune et Marly, toutes proportions gardées avec les équipes pros et sans leur faire injure, ce sont peut-être les deux matches les plus compliqués qu’on a eu à jouer. On s’en est sortis juste par le résultat » racontera d’ailleurs le défenseur Fabrice Baron.
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Après un choc face au rival régional dunkerquois remporté sans coup férir 4-0 au huitième tour, les joueurs du coach Ladislas Lozano atteignent le graal des amateurs : les trente-deuxièmes de finale, avec les maillots spécifiques, la télé et la possibilité de jouer une équipe de stars.
Lille et Cannes, premières victimes chez les pros
Le CRUFC tire le LOSC, le plus grand club professionnel régional avec le RC Lens. Lille est alors leader invaincu de L2 et son capitaine Djezon Boutoille est un Calaisien d’origine. Dans des conditions météo dantesques, Calais réussit un très gros match, malgré l’ouverture du score lilloise et passe 7 tirs au but à 6 après un nul 1-1. Pour le capitaine et arrière gauche Reginald Becque, ce match a tout changé : « Je pense que c’est le tournant. Lille est fédérateur, on trouve la communion un peu entre tout le monde, les dirigeants, les joueurs, le coach, les supporters. Il y a vraiment quelque chose qui se fait. Quelque chose qui avait un peu commencé contre Dunkerque ».
Après une victoire 3-0 face aux Girondins de Langon-Castets, club de CFA 2, Calais se voit offrir son deuxième club pro, l’AS Cannes, pensionnaire de Ligue 2 aussi. Pour la première fois de l’épopée, les Calaisiens sont contraints de délocaliser leur match. Et pas n’importe où : au stade de la Libération de Boulogne sur Mer, le grand rival de la Côte d’Opale. Le stade Julien Denis de Calais n’étant plus homologué pour ce niveau de la compétition.
Le match est serré et va en prolongations. Quand Cannes ouvre enfin le score à la cent-quinzième minute, tout le monde pense que c’est plié et que Calais ne pourra pas remonter face à des pros qui défendront comme des morts de faim. Et pourtant, il suffira de trois minutes pour que Christophe Hogard envoie ses partenaires aux tirs au but d’un coup de tête rageur après un corner joué en deux temps par Réginald Becque et Emmanuel Vasseur.
Pour les tirs au but, l’entraîneur Ladislas Lozano avait imposé une séance spécifique pour préparer l’exercice à la veille de chaque tour de coupe. Et interdiction de faire des facéties pour ceux qui auraient la mauvaise idée de prendre ça à la légère et de s’amuser à chambrer avec des panenkas selon l’attaquant Jérôme Dutitre : « C’était une séance rigoureuse. Quand le coach la proposait, ce n’était pas pour rigoler, s’amuser comme ça avec les copains. ». Des tireurs bien préparés qui ne ratent aucun penalty. Le gardien Cédric Schille fait le reste en en arrêtant deux et Cannes est éliminé sans trembler 4-1 aux tirs au but.
Une équipe de Ligue 1, enfin
Arrivent les quarts de finale, et le premier match face à une équipe de Ligue 1 : Strasbourg. Pourtant, paradoxalement, les joueurs sont presque déçus au début. Strasbourg est une équipe de milieu de tableau et eux rêvent de jouer des internationaux. « Dans un premier temps, on est déçus. En huitièmes, ils jouaient le PSG et ils battent le PSG. On va en Coupe de France, on arrive en quarts de finale et on joue Strasbourg… Il restait Nantes, Monaco, Bordeaux » raconte Réginald Becque.
Un seul joueur voit ce tirage d’un bon œil : Jérôme Dutitre, passé par le centre de formation strasbourgeois et jamais conservé en professionnel, qui espère jouer un bon tour à son club formateur. Pourtant, les Calaisiens vont être timorés au coup d’envoi. Il faut dire que le contexte a encore changé. La nécessité d’avoir un stade homologué pour ce niveau de compétition et le fait d’affronter une équipe de Ligue 1 oblige le CRUFC à recevoir le Racing à Bollaert, chez le prestigieux voisin lensois.
Même si le stade n’est pas plein, les joueurs ont du mal à entrer dans leur match et laissent le Strasbourgeois Olivier Echouafni ouvrir le score. Mais un ballon relâché par Thierry Debès permet à Christophe Hogard d’égaliser. Puis une autre faute de main du portier strasbourgeois sur un coup franc de Jocelyn Merlen donne l’avantage aux amateurs nordistes. Calais sort Strasbourg et, pour la première fois de l’épopée, fait tomber un club professionnel sans en passer par les tirs au but.
Primes et mises au vert, se sentir dans la peau de pros
Les médias commencent alors à tomber dans une sorte de Calais-mania. Comme tous les petits poucets de Coupe de France qui font tomber des gros. Sauf que là, en demi-finale, Calais est toujours là et se voit enfin offrir l’affiche de rêve attendue : les Girondins de Bordeaux, champions de France en titre, et leurs internationaux, Ramé, Dugarry, Laslandes, Micoud… L’euphorie monte en ville, des bus sont affrétés, Bollaert sera à guichets fermés (ce qui représente une affluence de plus de la moitié de la population calaisienne) alors que le match a lieu un mercredi soir…
Les Calaisiens se voient offrir une mise au vert dans le château qui avait accueilli les Bleus lors du mondial 1998 avant leur huitième de finale à Lens. On annonce même aux joueurs qu’une prime de match de 100 000 francs (soit 15 000€ environ) leur sera versée en cas de victoire. Bizarrement, l’annonce a plus tendance à surprendre les joueurs qu’à les transcender. Fabrice Baron raconte:
« C’est surprenant parce que ce n’est pas quelque chose à laquelle on pensait. Généralement, le montant, on le savait après. Une fois la qualification acquise. Que, là, on nous l’annonce avant. C’était peut-être superstitieux. […] Si tu as besoin d’une prime de match pour être motivé pour jouer une demi-finale de Coupe de France, face à Bordeaux, champion de France, à Bollaert… Ce serait plutôt malheureux. Moi, je le rejoue gratuitement autant de fois qu’il faut ! Je paierais même peut-être pour. »
En plus, les joueurs doivent satisfaire à des obligations médias, se présenter, donner leur profession pour l’avant match qui sera diffusé sur Canal +.
Le match est attaqué tambour battant. Les Bordelais imposent un gros défi physique, mais les Calaisiens répondent sans se démonter. A tel point que Christophe Dugarry, sera pris par les caméras de Canal à aller se plaindre à l’arbitre à la mi-temps du jeu trop rugueux de son adversaire du soir.
En deuxième mi-temps, les Calaisiens plient mais ne rompent pas, même s’il faudra la barre transversale pour sauver Cédric Schille sur une frappe de Nisa Saveljic à l’heure de jeu. Et Calais atteint une prolongation déjà synonyme d’exploit. Exploit qui va se faire encore plus retentissant quand, suite à un centre de Mickaël Gérard, le milieu de terrain Cédric Jandau ouvre le score sur une frappe à l’entrée de la surface après neuf minutes permettant à Calais d’atteindre la mi-temps des prolongations devant au score.
Dernier arrêt, le Stade de France
Le jeu a repris depuis deux minutes quand Lilian Laslandes remet les deux équipes à égalité. A ce moment-là, l’avant-centre des Girondins se dit « qu’à l’usure, ça le ferait ». Mais il n’en est rien. Il ne faut que quatre minutes à Calais pour reprendre l’avantage et six pour mettre les marines et blancs hors de portée à une minute du coup de sifflet final. Calais ira au Stade de France.
Évidemment, la liesse s’empare de la ville, les joueurs reviennent sur le coup de trois heures du matin et mettront plus d’une heure pour parcourir quelques centaines de mètres. Un supporter éméché fera même la une des chaînes d’info (rares à l’époque) après avoir perdu sa femme dans la folie de la nuit.
Pourtant, il reste une finale face aux FC Nantes à jouer. Calais aura même le privilège de dormir à Clairefontaine trois jours avant la finale. Pour ensuite devoir céder sa place… à son adversaire du jour qui avait réservé le lieu avant même la demi-finale.
La Calais-mania des médias et des annonceurs monte même d’un cran. Adidas, équipementier officiel de la Coupe de France, crée même une série limitée de chaussures pour les Calaisiens. Les médias couvrent les entraînements dans une furie médiatique qui fait passer les joueurs à côté de leur séance.
Pour ne surtout pas se faire prendre dans le tourbillon, les joueurs décident de conserver leur habitude de la bière du vendredi soir même s’ils sont surpris de voir leur entraîneur Ladislas Lozano, qui leur avait passé un savon après leur mauvais entraînement, les inciter à y aller. Un autre moment fort sera la venue d’Aimé Jacquet, sélectionneur champion du monde en titre, qui viendra soutenir les Calaisiens et, surtout, les encourager à profiter du moment.
Becque-Landreau, une image pour l’histoire
Arrive enfin la finale dans un Stade de France plein comme un œuf et une France quasi totalement derrière les Calaisiens. Mais les Nantais sont prévenus et jouent intelligemment sans trop se livrer. C’est pourtant Jérôme Dutitre qui ouvre le score après un cafouillage consécutif à un corner. Calais atteint la mi-temps sur ce score de 1-0.
Mais la magie de la Coupe finit toujours par atteindre ses limites. En seconde période, il ne faut qu’une dizaine de minutes à Antoine Sibierski pour remettre les deux équipes à égalité. Comme face à Bordeaux, Calais plie mais résiste héroïquement. Et cette fois, la chance a changé de camp. Sur un déboulé d’Olivier Monterrubio, le centre arrive jusqu’à Alain Caveglia. Légèrement en retard, Fabrice Baron commet une faute, certes minime, mais indiscutable sur l’attaquant nantais. Sibierski, encore lui, transforme le penalty malgré un Cédric Schille qui part du bon côté et touche légèrement la balle. La coupe a choisi son camp et sera nantaise.
La remise de la coupe donnera lieu à un cliché entré dans l’histoire : Mickaël Landreau, gardien et capitaine nantais, emmène avec lui Reginald Becque pour soulever la coupe. Epilogue d’une folle aventure qui aura vu ces commerciaux, étudiants et ouvriers faire rêver la France du football pendant quatre mois.
La suite, ce sera la montée en national et un stade neuf pour le CRUFC et même l’aventure du foot pro en Angleterre, à Leyton Orient, pour le meneur de jeu Emmanuel Vasseur. Mais ce sera surtout un incroyable gâchis financier qui condamnera le CRUFC à la liquidation judiciaire moins de vingt ans après ce printemps de rêve. Plus dure fût la chute. Mais les images, la liesse et le rêve qu’ont suscité les Calaisiens demeurent éternels.
Sources :
- Calais 2000, rétrospective de France Football
- C’était le CRUFC, So Foot
- Les amateurs perdent la finale face à Nantes, Libération
Crédits photos : Icon Sport