Le Miroir du football, c’est l’histoire d’un journal qui se voulait unique et qui a crânement réussi à l’être. Une histoire faite autour du ballon rond, d’équipes enthousiasmantes à travers le monde et de valeurs à n’oublier sous aucun prétexte. Une histoire aussi faite de conflits entre François Thébaud, le rédacteur en chef, et quiconque voulant se dresser face au « vrai football ».
De 1960 à 1976, les amateurs de football français mangent leur pain noir en termes de résultats et de jeu. Entre l’épopée des Bleus et celle des Verts, rien ou presque à se mettre sous la dent. C’est dans une période de vache maigre que le Miroir du football voit le jour. Qu’importe, François Thébaud et ses amis ne sont pas là pour faire la part belle au corporatisme national. Ils veulent se distinguer par leur style et leur singularité.
Le pays qui n’aime pas le foot
Proche du Parti communiste sans y être encarté, François Thébaud est un journaliste idéaliste. Le Finistérien profite de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de l’interruption de parution de L’Auto – vite devenu L’Équipe – pour prendre cette place vacante. Son aventure au sein de Sport Libre tourne court mais il se relance dans les pages sport de la presse communiste française : Ce Soir, Libération et Miroir-Sprint.
Englué au milieu des articles louant le cyclisme ou le rugby, François Thébaud multiplie les requêtes auprès de Miroir-Sprint pour lancer son propre canard consacré uniquement au football. 1998 est bien loin et le ballon rond n’est pas encore prophète dans l’Hexagone. La Coupe du monde 1958 marquée par la troisième place des Bleus marque tout de même l’un des points de départ de l’amour du pays pour ce sport.
C’est aussi le début de l’histoire du Miroir du football. Quatre hors-séries d’abord à propos de Raymond Kopa, de cette épopée mondiale ou encore du football sud-américain. Trois numéros tests ensuite. Enfin, en janvier 1960, le premier véritable numéro où l’on peut lire « Un journal pour les connaisseurs » sur la une. Modeste. François Thébaud est rédacteur en chef et signe un édito qui donne directement le ton : « Footballeurs… prenez conscience de votre force ! »
Des principes clairs
Après les tests concluants, le Miroir du football surfe sur la vague de popularité que connaît le ballon rond dans les années 1960. Le titre rassemble près de 50 000 lecteurs pour ces éditions mensuelles (1960-1971) puis bi-mensuelles (1971-1976). Homme de conviction, François Thébaud charme un public convaincu par des principes clairs. Christian Gourcuff, Jean-Marc Furlan ou encore Gervais Martel en font partie. « Je lisais le Miroir du foot avec les copains, on avait l’impression de tout connaître sur le football sud-américain en voyant très peu de matchs. Ça m’a forgé une philosophie, un état d’esprit », commente l’ancien entraîneur du FC Lorient dans l’émission « l’Oeil du tigre » de France Inter.
Tout au long de sa carrière, François Thébaud se montre intransigeant. Lorsqu’on parle de football, il ne laisse pas de mou, au contraire. Il rejette d’un revers de main les victoires sans panache et les froides tactiques. Sous la houlette de George Boulogne, responsable de la formation des entraîneurs français, une grande partie du territoire est recouvert par le « béton » pour ne laisser aucune place au « vrai football » voulu par les membres du journal.
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En écumant les pages du canard, aucune trace du jeu antagoniste à leurs idées. On y vante plutôt la ligne de hors-jeu de l’Anderlecht de Pierre Sinibaldi, les corners à deux du Stade de Reims d’Albert Batteux, les dribbles virevoltants de Pelé et Garrincha ou encore les idées au niveau amateur du Stade Lamballais (Côtes-d’Armor) de Jean-Claude Trotel et du FC Cavalaire (Var) de Robert Bérard. Jean Levron, pigiste pour le Miroir du football, voyait en ce journal « l’adhésion à la conception d’un jeu offensif, créatif, humain. Qui doit être l’expression prémonitoire d’une société digne de ce nom ». Un contrat social semblait signé avec les lecteurs.
Le Miroir à l’Internationale
Dans une France qui n’apprécie pas autant le « vrai football » que ne le voudrait François Thébaud, le journaliste se sent à l’étroit. Proche de Raymond Kopa et admirateur de Pelé, il n’hésite pas à couvrir le football étranger. Il avait prévenu dès son premier édito : « Si vous recherchez dans nos pages matière à satisfaire l’orgueil nationaliste, l’esprit de clocher, ou le culte commercial de la vedette… Ne poursuivez pas votre lecture. » Avec des correspondants aux quatre coins du globe, le Miroir du football couvre une grande partie du spectre footballistique, le sien du moins.
Lorsque le journal est imprimé, la Coupe des clubs champions vient de voir le jour sous l’impulsion de L’Équipe et on ne parle évidemment pas de Super League. Théoricien du football, le rédacteur en chef est aussi animé par les questions de société et paraît en avance sur les questions financières liées au sport. Ses nombreux papiers pointent du doigt les problèmes à venir dans le football mondial et son livre Le temps du Miroir, publié en 1982, est saisissant d’avant-gardisme sur ce point.
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Proche du Parti communiste, il n’hésite pas à se mettre en première ligne au moment de critiquer le pouvoir en place. Au printemps 1968, il fait partie de la vague de contestation qui s’abat sur la France et l’étend jusqu’au football. Après une soirée chez Pierre Lameignère, autre journaliste, l’équipe décide de populariser les revendications. Du 22 au 27 mai, la tactique se mêle à la lutte des classes lorsque les bureaux de la Fédération française de football sont occupés par les footeux qui n’hésitent pas à retenir quelques heures Georges Boulogne dans son bureau et de brandir deux banderoles chères au journal : « La Fédération, propriété des 600 000 footballeurs » et « Le football aux footballeurs ! » Cette fois, ils ont bien pris conscience de leur force.
Une vie de conflits
En plus de Georges Boulogne et de la FFF, d’autres institutions sont dans le radar du Miroir du football pour une vision antagoniste du ballon rond. C’est par opposition que le canard est né. Une opposition à L’Équipe et France Football alors en position de monopole sur la presse sportive française. Dans la rubrique « Le temps des girouettes », les journalistes n’hésitent pas à égratigner Jacques Ferran et Gabriel Hanot, respectivement rédacteur en chef et journaliste des titres dominants.
Dans son ouvrage Le temps du Miroir, François Thébaud continue de critiquer la couverture médiatique de ses principaux concurrents : « Résultats, classements, comptes-rendus, annonces des matchs à venir, échos anecdotiques… tel est l’invariable menu de la semaine footballistique. Pas un article de fond, pas une opinion sur la tactique… à l’exception des points de vue de Gabriel Hanot. »
Le rédacteur en chef et ses fidèles alliés se savent polémiques et en jouent. Ils cherchent le conflit pour mettre en lumière ce qu’ils considèrent être la vérité footballistique. Dans les colonnes de So Foot, Philippe Tournon, ancien journaliste de L’Équipe, revient sur cette concurrence parfois malsaine : « Ça a bercé tout le début de ma carrière de journaliste. Il y avait une « guérilla » idéologique entre le Miroir du Football et notre groupe. Enfin, c’était surtout le Miroir qui s’acharnait à dénigrer ce qui ne cadrait pas avec ses convictions du jeu. Pour eux, il n’y en avait que pour le jeu court, la défense en ligne, le jeu à la rémoise, l’Anderlecht de Pierre Sinibaldi. »
Impossible de publier des comptes-rendus basiques pour les plumes du Miroir du football. Les valeurs tournent autour du centre en retrait, des interviews fournies, du coup franc indirect et des reportages de longue haleine. « Il (le journal) était unique par son ton, par les conceptions qu’il défendait, par une certaine propension à la polémique, à la critique… Il était unique aussi par la liberté dont la rédaction bénéficiait, car c’est un journal où, pendant 16 ans, les journalistes ont eu une liberté d’action absolument complète », assurait justement François Thébaud sur le plateau d’Apostrophes en 1982 en compagnie de Jacques Thibert, rédacteur en chef de France Football.
Miroir déformant de l’époque
Né en 1960 après les exploits du duo Albert Batteux-Raymond Kopa avec l’équipe de France et le Stade de Reims, le titre de presse s’est éteint dans la deuxième moitié des années 1970. Regard tourné sur le Real Madrid de Di Stefano et la Seleção disposée en 4-2-4, le Miroir du football a fait fi des tristes performances françaises à l’échelle internationale.
« À partir des années 1960, il y a eu un grand tournant dans le football avec l’apparition des tactiques défensives, l’apparition du réalisme et la priorité donnée au résultat sur le jeu. C’est à partir de ce moment-là que se situe une dégradation presque continue du football », éclaire François Thébaud. Paradoxalement, il n’est pas un grand fan du football total de l’Ajax Amsterdam, malgré son affection pour Johan Cruyff. Il estime que l’impact physique ne doit pas prendre le pas sur l’intelligence.
Son ode au jeu offensif et collectif aurait pu continuer sans le succès… d’un club français ! En 1976, l’AS Saint-Etienne impressionne l’Europe en atteignant la finale de C1. Peu enthousiasmé par les hommes de Robert Herbin, le journal continue de parler d’équipes moins médiatisées. Ce n’est toutefois plus du goût de Maurice Vidal, directeur de publication, qui entend bien profiter de la popularité des Verts.
Après de nombreux débats acharnés, la rupture avec les Éditions J est inévitable. Le rédacteur en chef est demis de ses fonctions, deux des trois journalistes permanents sont licenciés, les pigistes partent les uns après les autres. Cela mène le canard vers une fin rapide et silencieuse. Le 347ème et dernier numéro est publié le 26 septembre 1979. Le Miroir du football n’avait pas pu couvrir l’équipe de France de 1958 et ne suivra pas celle des années 1980.
Héritage présent mais pas suffisant
« Les positions développées par François Thébaud et le Miroir restent un enjeu bien actuel », clame le site des amis de l’ancien rédacteur en chef. Avant 2010 et la création de ce blog où l’on peut lire à intervalle plus ou moins régulier des papiers dont la patte sent bon les années 1960, quelques actions ont été menées pour retrouver cette période dorée du journalisme sportif d’opinion.
En 1996, Miroir du football : le jeu, la technique, les hommes imprime neuf numéros. En 2006, deux ans avant la mort de François Thébaud, puis en 2010, Gérard Consul et François Sorton tentent de donner une deuxième vie au journal. Vainement, puisque seulement six numéros sont édités. Pour autant, la mémoire ne s’efface pas. Les amis de François Thébaud continuent d’alimenter le site tandis que les anciens lecteurs comme Christian Gourcuff apprécient discuter de ce style unique.
Avant Le temps du Miroir, François Thébaud avait écrit un premier livre, Pelé : une vie, le football, le monde (1974). Depuis octobre dernier, un troisième ouvrage porte son nom : Coupe du monde de football, un miroir du siècle. Quatorze ans après la disparition du rédacteur en chef, ses écrits sont enfin édités. Symbole que l’hymne au jeu ne meurt jamais.
L’histoire du Miroir du football semble ne pas coïncider avec son temps. Au cœur d’un football français morne en résultat et en jeu, le journal a dû batailler pour mettre en avant certaines idées. Il aura fallu s’exporter vers l’étranger et notamment vers l’Amérique du Sud pour parler du « vrai football », celui qui est offensif, collectif et enthousiasmant. Pas d’équipe de France de Michel Hidalgo mais qu’importe, il y aura eu Pelé et Kopa.
Sources :
Sébastien Billard, « « Le football aux footballeurs » : l’étonnant Mai-68 des joueurs de foot français », L’Obs
Adrien Candeau et Florian Lefèvre, « Quand Miroir du football essayait de révolutionner la presse foot », So Foot
Guillaume Vincent, « « Footballeurs… prenez conscience de votre force », l’éditorial d’une certaine idée du football », Caviar Magazine
« Miroir du football, le site des amis de François Thébaud »
« Le temps du Miroir : une autre idée du football et du journalisme », THÉBAUD François, 1982, Éditions Albatros
Crédit photos : Icon Sport