En 1954, le LOSC croit flairer le bon coup. Un homme se présentant comme Jozsef Zakarias propose ses services au club nordiste. Le milieu défensif hongrois, finaliste de la dernière Coupe du monde, est un renfort inattendu. Une belle histoire qui va tourner à la mascarade.
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Le 16 mai 1954, les Dogues soulèvent leur deuxième trophée national. D’un petit point, ils ravissent la couronne au Stade de Reims et aux Girondins de Bordeaux. Une effervescence qui anime toute la capitale des Flandres. En Suisse, le Mondial donne lieu à une finale mythique, remportée par l’Allemagne de l’Ouest au détriment de la Hongrie.
Une génération hongroise en or, mise au tapis par la défaite et la révolution qui va secouer le pays. Les stars comme Ferenc Puskas ou Zoltan Czibor quittent Budapest pour rejoindre l’Espagne. Un chemin que semble prendre Jozsef Zakarias. L’expérimenté joueur du Vörös Lobogo – actuel MTK Budapest – est l’un des cadres du Onze d’or hongrois qui domine le football européen des années 1950.
Le début de saison approche pour le LOSC. En juillet 1954, un certain Joseph Zakarias traverse la frontière franco-belge pour rejoindre le Nord. Arrivé dans le Moulin d’or, un des nombreux bars qui animent la rue Molinel, l’individu se présente : « Je suis footballeur. Je m’appelle Zakarias, vous savez, l’international hongrois. J’ai fui mon pays, je veux jouer à Lille. » Le tenant du bistrot n’est pas n’importe qui. C’est Gaston Davidson, le président des supporters du LOSC. Une cible de choix que l’exilé n’a pas choisi au hasard. Le fidèle des Dogues a du mal à y croire.
Le doute s’installe
« Après la Coupe du monde en Suisse, j’ai décidé de rester à l’Ouest. J’ai choisi la liberté et je voudrais continuer à jouer au football. Si possible à Lille : une grande équipe très connue », renchérit le nouveau venu. Il n’en faut pas plus pour flatter le Davidson qui l’emmène de ce pas à L’Aubette, un bar qui abrite les locaux du club nordiste.
Sur place, le président lillois, Louis Henno, tombe sous le charme. Il ne perd pas de temps et organise une conférence de presse deux jours plus tard. Le 31 juillet, devant une horde de journalistes, le président du LOSC pense avoir trouvé le remplaçant parfait à Cornelis van der Hart. Le robuste défenseur néerlandais, formé à l’Ajax Amsterdam, est l’un des piliers de la défense nordiste depuis quatre ans.
Conscient de son statut, il refuse de rester dans le Nord-Pas-de-Calais si son salaire n’est pas revu à la hausse. Mais Henno ne veut pas lui donner 10 000 francs en plus. Le divorce est acté. C’est alors que l’arrivée du prétendu Zakarias est une occasion en or. « Je vais vous présenter celui qui va remplacer Cornelis », s’avance celui que l’on surnomme Louis XIX pour son tempérament sévère.
Les journalistes, curieux d’entendre Zakarias, ne sont pas déçus par la réponse de la nouvelle recrue. « Comme vous le savez, mon shoot est d’une puissance difficilement imaginable, se vante le joueur. Un jour, j’ai tiré sur un poteau et le ballon a explosé. Pire, une autre fois, le gardien a voulu s’interposer, il a pris la balle en pleine tête, il est décédé peu après », explique-t-il. Dans les couloirs du LOSC, la direction est en ébullition puisque le nouvel arrivant prétend savoir que ses anciens coéquipiers Zoltan Czibor et Jozsef Toth sont en chemin pour Dieppe, en Normandie. Henno contacte aussitôt le club normand pour organiser au mieux la venue des deux stars dans la capitale des Flandres.
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Mais retour à la conférence de presse dans laquelle le milieu dit avoir 24 ans. Pourtant, le vrai Jozsef Zakarias a en réalité 30 ans. Un indice de la supercherie qui se cache sous le nez de Louis Henno et des journalistes. Le lendemain, La Voix du Nord émet de sérieux doutes quant à l’identité de Zakarias. Dans ses colonnes, le quotidien etime qu’il est « absolument invraisemblable que l’international magyar Zacharias ait signé à Lille ou pour tout autre club français ».
Les plus sceptiques attendent de le voir fouler les pelouses françaises. Le 1er août, les Lillois défient le FC Rouen. Le match amical fait toute la lumière sur l’imposture du faux Zakarias. Il va montrer son vrai visage dès le coup d’envoi. Titulaire, il fait n’importe quoi sur le terrain. Ses contrôles de balles sont trop longs. Dès que le cuir est dans ses pieds, il panique et dégage au loin. Sur une intervention mal maîtrisée, il blesse Ersnt Melchior, l’attaquant autrichien de Rouen.
Un match avant la prison
Les spectateurs s’aperçoivent de la supercherie. Le président de l’association LOSC et des anciens du club, Patrick Robert, raconte la scène : « Zacharias fait partie de l’équipe mais dans le vestiaire, il n’arrive pas à lacer ses chaussures. Le match débute mais dans l’intervalle, le président a reçu un télégramme de Budapest du vrai Zacharias ”, explique-t-il à 20minutes.
Le véritable Jozsef explique être toujours en Hongrie et nie être à Lille. Mais qui est donc l’imposteur qui porte les couleurs du LOSC ? Il faut chercher la réponse du côté de la Tchécoslovaquie, d’où Ladislav Vereb, un légionnaire, a fui la guerre d’Indochine, traversant l’Europe pour changer d’identité et se faire passer pour une star du football européen. Un mensonge qui aura de lourdes conséquences.
Un an plus tard, le président du Groupement des Clubs, Paul Nicolas, annonce l’interdiction de recrutement de joueurs étrangers dans le championnat de France. Une décision motivée, d’une part, par la volonté d’éviter la mauvaise presse qu’a suscitée l’affaire Zakarias, et d’autre part, pour permettre aux jeunes joueurs de l’Hexagone de se faire plus facilement une place dans les effectifs de première division. Ladislav Vereb connaît une drôle de fin de match. Arrêté par la gendarmerie sur le terrain, il est placé en résidence surveillée dans le Lot-et-Garonne. Il écope de deux mois de prison et ne portera plus le maillot du LOSC. Du côté de Lille, les Dogues vont connaître une saison noire.
Orphelins de van der Hart, les Douges terminent à la seizième place et se sauvent de justesse en barrage contre le Stade Rennais. La saison suivante, en 1955/1956, le LOSC est relégué pour la première fois en deuxième division, après un nouveau barrage contre Valenciennes. Une descente aux enfers, dans laquelle l’affaire Zakarias a joué un rôle prépondérant plongeant le club nordiste dans le doute. Et il faudra attendre 1964 pour retrouver Lille dans l’élite.
Sources :
Droguebièrecomplotlosc.unblog.fr, L’affaire Zacharias, 17 décembre 2016.
Musée national de l’histoire et de l’immigration, Allez la France ! France et immigration : histoire croisée (pdf)
François Launay, Ligue 1 : Sept histoires que vous ne connaissez pas sur le Losc, 20minutes.fr, 29 octobre 2014.
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