Qu’il semble loin le temps où les matches de Ligue des Champions étaient diffusés sur TF1, le temps où tes parents te laissaient regarder seulement la première mi-temps car le lendemain matin tu avais école. Si beaucoup d’entre nous sommes nostalgiques de cette époque, qui n’est pourtant pas si ancienne que ça à l’heure actuelle, c’est parce que ces affiches de rêve, diffusées aux yeux de tous, nous manquent autant que notre jeune âge. Des matches à ne pas rater, il y en aura toujours. Toutefois, certains matches du passé réveillent en nous des frissons, des souvenirs inoubliables à jamais gravés en nous. Ces matches si particuliers sont souvent marqués par un détail, un fait de jeu, un but somptueux ou un joueur extraordinaire. La demi-finale aller de l’édition 2007 de la Ligue des Champions entre l’AC Milan et Manchester United rentre dans cette catégorie là, pas seulement pour les tifosi, mais pour tout amoureux de football. Cette soirée-là voit l’avènement d’un homme providentiel, touché par la grâce : un certain Ricardo Kaká.
Le 24 avril 2007, l’AC Milan retrouve Manchester United en demi finales de la Ligue des Champions. L’affiche fait rêver, car les deux équipes, en plus d’évoluer à un niveau très élevé, font partie des quatre meilleures du monde et sont composées des meilleurs joueurs de l’époque. Les entraineurs sur le banc ne manquent également pas de qualité et d’expérience avec Carlo Ancelotti et Sir Alex Ferguson. Néanmoins, ce qui excite le plus les passionnés, c’est le duel entre Kaká et Cristiano Ronaldo qui réalisent tous deux une saison exceptionnelle et qui sont en concurrence directe pour remporter le Ballon d’Or en fin d’année. Les deux hommes illuminent le football mondial par leur niveau de jeu supérieur et par leurs performances extraordinaires. S’ils sont certes entourés de coéquipiers très forts et dotés d’une forte intelligence dans le jeu, Kaká et Ronaldo se révèlent, néanmoins, être les principaux protagonistes de leur groupe cette année-là. Pour beaucoup, c’est une soirée de Coupe d’Europe rêvée. Milan et Manchester sont dans une grande forme, comme en témoignent leurs résultats en quart de finale où les Anglais ont terrassé l’AS Rome sur un score de 7-1. Les Milanais, quant à eux, sont allés s’imposer 2-0 à Munich, contre le Bayern.
Une performance angélique
Le match aller se déroule à Old Trafford, à Manchester, un terrain où les Mancuniens sont extrêmement difficiles, voire impossibles, à battre. Ancelotti ne cache pas que la peur est un peu présente au sein de l’effectif des Diavoli Rossoneri, tant les Red Devils sont redoutés à domicile. La tension est à son comble, pourtant le match est ouvert et les deux équipes disputent une entame de haut niveau. Manchester domine le début de la rencontre et a les occasions initiales. Dès la cinquième minute, c’est Cristiano Ronaldo qui s’illustre le premier en marquant de la tête sur corner, après une sortie ratée de Dida. Le match est lancé pour de bon. Manchester continue de mettre la pression sur Milan en multipliant les tentatives. Petit à petit, les Italiens commencent à se montrer entreprenant, notamment par le biais de Kaká qui monte en puissance au fil des minutes en ayant les actions les plus franches. C’est à la vingt-deuxième minute que la lumière vient. Sur une passe de Seedorf, Kaká, à l’entrée de la surface de réparation, prend de vitesse la défense mancunienne et vient égaliser pour les Rossoneri. La tentative de Gabriel Heinze pour rattraper le brésilien est vaine, tant le numéro 22 est rapide. Sa frappe du pied gauche, dans un angle quasiment fermé, laisse Van der Sar impuissant et médusé.
La machine est alors enclenchée et Manchester n’est pas au bout de ses surprises. Les Anglais tentent de réagir rapidement, mais la défense italienne, composée de Nesta et de Maldini entre autre, est bien en place et résiste aux attaques mancuniennes. Nous sommes à la 37ème minute et le but qui va marquer la carrière de Kaká s’enclenche. Sur un long dégagement de son compatriote Dida, Kaká est à la lutte avec Fletcher pour la réception du ballon, mais la puissance physique du brésilien prend le dessus. Le ballon n’est pas au sol, car le rebond a nécessité au milanais de le pousser de la tête pour se défaire de l’écossais. Puis arrive Heinze pour mettre un terme à sa course. L’action se passe très vite et il n’a guère le temps de réfléchir longtemps. Malgré cela, Kaká prend la bonne et spectaculaire décision de l’éliminer d’un splendide coup du sombrero. L’action ne s’arrête pas là. Une fois Heinze passé, Patrice Evra arrive à toute vitesse, pour tenter une dernière fois de stopper la course folle du brésilien. C’est sans compter sur l’intelligence du joueur, qui voit le Français foncer désespérément sur lui. Dans un mouvement furtif, accompagné d’un réflexe et d’un sens de l’instinct incroyable, Kaká place sa tête juste au bon moment pour prendre de court Evra. Il n’y a qu’un seul geste à faire à cet instant pour arriver avant lui et peu de joueurs auraient tenté ce geste dangereux, mais le choix est courageux et bon. Dans son mouvement, Evra percute Heinze qui finit au sol, les deux joueurs sont impuissants et spectateurs de ce qui va se produire dans quelques secondes. Une fois la défense mancunienne vaincue, le brésilien se retrouve seul, dans une position qu’il apprécie, face au géant Van der Sar. Le plus dur était fait et Kaká n’a plus qu’à ajuster le portier d’une frappe bien placée sur le côté. Van der Sar ne peut rien faire. Les bras vers le ciel, pour remercier Dieu, Kaká exulte. Après un tel miracle, tous se demandent si cet homme vient de ce monde. Par la suite, il déclarera que ce but légendaire est l’un des plus beaux de sa carrière. Comment lui donner tort ? Il est sans doute l’un des plus importants, également. D’ailleurs, dans ce but mêlant vitesse à puissance, Kaká démontre toutes ses caractéristiques athlétiques et techniques.
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Milan prend l’avantage et mène désormais 2-1. Par la suite, le Brésilien continue d’être le plus entreprenant et dangereux du côté milanais, tant par ses frappes que par ses choix, ses passes et ses dribbles. Lui seul fait la différence, il provoque, il gêne, il embarrasse la défense de Manchester pendant toute la partie avec sa vitesse, sa profondeur et ses dribbles. Sa partie est mémorable, il ne rate que très peu de passes et ne perd jamais le ballon. Kaká semble marcher sur l’eau, il sait parfaitement ce qu’il doit faire sur le terrain, son positionnement est très lié à celui des adversaires. La position qu’il occupe sur le terrain ce soir-là, en étant aligné en seconde pointe, derrière Gilardino, lui permet de mettre en valeur ses caractéristiques techniques et physiques. La suite du match reste un récital pour Kaká. Ses appels, sa vitesse et sa puissance donnent du fil à retordre aux Red Devils et obligent Van der Sar à s’employer de nouveau à maintes reprises durant la rencontre. Bien que moins tranchant en seconde période, la précision de ses passes pour ses partenaires et son sens du jeu porté vers l’avant sont à souligner et donnent des sueurs froides aux Mancuniens. Sa prouesse est de taille, presque parfaite. Elle semble même inhumaine, venue d’ailleurs, notamment lorsqu’on prend en compte le contexte et l’enjeu du match. Malgré cette performance XXL, les Rossoneri finissent par craquer. Wayne Rooney inscrit un doublé à la 59ème minute et en toute fin de rencontre dans le temps additionnel.
Le point d’orgue d’une saison exceptionnelle
Les milanais s’inclinent finalement 3-2, mais cette défaite s’apparente à un bon résultat pour les Italiens. Les deux buts marqués à l’extérieur par Kaká donnent un net avantage aux Diavoli pour le match retour qui a lieu à San Siro. En effet Milan n’a besoin que d’un but pour se qualifier, le plus dur semble avoir été fait au match aller. Kaká est une nouvelle fois l’auteur d’un match de haut rang. Sur la continuité du match aller, il est la pièce maitresse de son équipe. Il crée un grand nombre d’actions dangereuses, il régule et distribue intelligemment le jeu vers l’attaque, il se bat sur tous les ballons et n’hésite pas à faire l’effort défensif. Il ouvre même le score, ce qui permet à son équipe de gagner facilement en confiance pour le reste de la partie. Le match retour est un véritable triomphe pour les milanais qui s’imposent 3-0. La marche était trop haute pour Manchester. Les Anglais sont tombés face à un Milan beaucoup trop fort, mené par un Kaká au sommet de sa carrière et accomplissant des miracles.
La soirée du 24 avril 2007 fut inoubliable pour un grand nombre de tifosi. Ce fut une nuit magique parce que le scénario et l’importance du match les ont illuminés, malgré la défaite. De plus, avec le recul, ce match s’est avéré crucial et les a portés vers la finale, puis le titre. Il n’y a pas de doute que ce match fut l’un des plus grands et des plus aboutis de la carrière de Kaká, et qu’il contribuera beaucoup à l’obtention de son ballon d’or, quelques mois plus tard. Le Kaká de ce soir-là était la meilleure version de lui-même : puissant, intelligent, technique, rapide, inarrêtable, tout lui réussissait. Cependant il ne faut pas résumer sa saison monumentale à cette confrontation contre Manchester, mais ce match référence dépeint bien ce que le joueur était capable de faire de son talent lorsqu’il fut à son sommet physiquement. En outre, il symbolise et confirme sa grande saison. Par la suite, le Milan s’impose en finale contre Liverpool, s’adjugeant sa septième Ligue des Champions. Kaká se révèlera, une nouvelle fois, déterminant en finale, en étant l’auteur d’une passe décisive pour Inzaghi. Il finit, d’ailleurs, meilleur buteur de la compétition avec 10 buts. En remportant le ballon d’or en fin d’année, il représente le dernier grand joueur d’une époque qui allait bientôt s’achever et laisser place à une hégémonie de dix ans entre Ronaldo et Messi. De plus, il marque la fin d’un grand Milan qui décline petit à petit et qui connaît une période beaucoup compliquée et contrastée.
“Un souvenir heureux est peut-être sur terre plus vrai que le bonheur” d’après Musset. Il n’avait sûrement pas tort tant ce tour de force a marqué les esprits. Le génie brésilien avait l’habitude d’arborer fièrement sur son T-shirt « I belong to Jesus » (« j’appartiens à Jésus »), mais ce soir il ne fait pas de doute que sa prestation divine descendait tout droit du Ciel.