Le stade Maracanã est si mythique qu’y jouer un match est une opportunité pour tout footballeur d’ancrer son nom dans l’histoire. Quand 64 ans après le drame de 1950, le Brésil a de nouveau la chance d’accueillir la Coupe du Monde sur ses terres, les yeux du monde entier se rivent donc sur les quelques matchs disputés au sein de l’arène aux 80.000 places. Le 28 juin 2014, alors qu’il s’apprête à affronter l’Uruguay en huitièmes de finale, le Colombien James Rodriguez est décidé à associer son nom au stade le plus connu au monde.
22 janvier 2014. Lors d’un anonyme match de Coupe de France contre Chasselay, Radamel Falcao se rompt les ligaments croisés et sera obligé de déclarer forfait pour le Mondial Brésilien quelques mois plus tard. Alors que les Colombiens pleurent, leurs espoirs se tournent vers un coéquipier en club d’« El Tigre », le jeune James Rodriguez, 23 ans mais déjà brillant à Monaco et en sélection. Et malgré son jeune âge, le gaucher assumera à la perfection le rôle qui lui sera confié par José Pekerman tout au long de la compétition.
Si Falcao est absent, la Colombie dispose tout de même d’un groupe solide entre les expérimentés Mario Yepes ou Christian Zapata d’un côté et une nouvelle génération pleine de talent portée par Juan Cuadrado, David Ospina et donc James Rodriguez. Pas question donc pour Los Cafeteros de décevoir chez le voisin Brésilien, d’autant plus qu’ils semblent partir favoris d’une poule composée de la Côte d’Ivoire, du Japon et de la Grèce. Un statut parfaitement assumé lors du match d’ouverture contre les Grecs (3-0) au cours duquel James Rodriguez sera impliqué sur tous les buts colombiens et ouvrira déjà son compteur personnel. Rebelotte quelques jours plus tard contre la Côte d’Ivoire, avec cette fois-ci un but de la tête pour le numéro 10 et une victoire de justesse pour son équipe (2-1). S’il débute sur le banc face au Japon lors du troisième match anecdotique pour des Colombiens déjà qualifiés, il s’offrira le luxe de distribuer deux passes décisives à Jackson Martinez et de conclure le festival Colombien en lobbant délicieusement le portier Japonais (4-1). Lumineux à chacun de ses trois premiers matchs, James Rodriguez a déjà posé son empreinte sur une Coupe du Monde dont il sera désigné meilleur de joueur de la phase de poule. L’Uruguay est donc avertie, mais cela ne suffira pas.
James pour donner le tempo
La Celeste peut pourtant regarder les hommes de José Pekerman droit dans les yeux dans les couloirs du Maracanã. Car si les Uruguayens se sont faits surprendre par le Costa Rica en ouverture (1-3), ils sont parvenus à décrocher leur ticket pour les huitièmes de finales grâce à deux victoires de rang contre l’Angleterre (2-1) puis l’Italie (1-0). Problème, lors de ce dernier match, Luis Suarez mord Giorgio Chiellini et signe par ce geste la fin de sa Coupe du Monde. Oscar Tabarez ne peut donc pas aligner sa star contre les Cafeteros et c’est Diego Forlan, bien loin de son état de grâce de 2010, qui composera le duo d’attaque Uruguayen, accompagné d’Edinson Cavani. De son côté, Jose Pekerman remet en place un 4-4-2 à plat déjà utilisé contre le Japon. James se retrouve sur le papier au poste d’ailier gauche, mais le numéro 10 ne jouera évidemment pas un rôle d’ailier traditionnel, loin de se cantonner à son couloir (cf. sa heatmap ci-dessous) que Pablo Armero, pourtant latéral, animera tout au long du match. Le rôle que Pekerman confie à son meneur de jeu est clé : donner le tempo de l’attaque Colombienne et parvenir à trouver Jackson Martinez et Teofilo Gutiérrez.
Dès le coup-d’envoi, on sent bien que James Rodriguez est dans son match. S’il ne réussit pas tout ce qu’il entreprend dans les premières minutes, il est déjà très mobile, touche beaucoup de ballons et son équipe s’installe petit à petit dans le camp uruguayen. Il suffit d’attendre 4 minutes pour le voir créer le danger devant les buts de Fernando Muslera, obligé de repousser du poing un coup-franc excentré bien brossé par le Monégasque. Si l’Uruguay laisse volontiers le ballon à leurs adversaires, elle ne reste pas passive dans son camp : Cavani et Forlan bloquent systématiquement le double pivot Colombien composé de Carlos Sanchez et Abel Aguilar, poussant souvent Mario Yepes et Christian Zapata à jouer long. Mais le problème a une solution, est elle est trouvée au bout d’un petit quart d’heure de jeu. Son nom ? James Rodriguez. Ce dernier décroche beaucoup, à hauteur des deux milieux centraux, pour offrir une solution de relance à ses défenseurs. Et puisque James est d’une justesse technique insolente, le jeu colombien en ressort fluidifié et la Celeste subit une pression renforcée. Si le score n’est pas encore ouvert et que Muslera n’a pas vraiment eu à forcer son talent, James Rodriguez contrarie déjà les plans d’Oscar Tabarez.
De chef d’orchestre à magicien
C’est au bout de 27 minutes que James inscrit son nom dans l’histoire du Maracanã. Sur un ballon anodin mal repoussé par la défense uruguayenne, Abel Aguilar trouve de la tête le numéro 10 colombien, dos au but à 25 mètres des cages de Fernando Muslera. Il suffit de deux gestes à James pour passer d’une situation quelconque à un but de légende. D’abord, un contrôle de la poitrine parfait, qui lui permet de s’orienter face au but adverse. Ensuite une reprise du volée sèche, du pied gauche, qui heurte la barre transversale avant de faire trembler les filets uruguayens. Un but sensationnel qui confirme la montée en puissance du Colombien tout au long de la première demi-heure de jeu. James vient d’assommer l’Uruguay, et son récital n’est pas fini. Si dans les minutes suivant le but, le milieu offensif est obligé de contribuer aux efforts défensifs de son équipe répondant à un temps-fort Uruguayen, la situation ne perdure pas et la Colombie repose vite le pied sur le ballon. Et jusqu’à la mi-temps, tout passe par l’homme fort des Cafeteros qui dicte le jeu de son équipe à la perfection, laissant peu de situations à la Celeste.
Mais le futur joueur du Real Madrid ne va pas se contenter de cette première mi-temps réussie. Il revient en seconde période avec la même envie, la même mobilité et va vite mettre fin aux espoirs uruguayens. Car si James Rodriguez était jusque-là le chef d’orchestre de l’équipe de Jose Pekerman, il peut aussi en être le renard des surfaces. Sur une nouvelle phase de possession colombienne, Jackson Martinez trouve sur le côté gauche Pablo Armero qui centre au deuxième poteau et trouve Juan Cuadrado. Ce dernier remise de la tête pour James Rodriguez, qui n’a plus qu’à pousser le ballon au fond des filets pour doubler la mise et conclure une sublime action colombienne. On joue la 50ème minute et par deux buts dans des styles radicalement différents, le jeune James Rodriguez a presque déjà tué le match. Car si par la suite, les Colombiens vont subir un peu plus et que leur meneur de jeu va être un peu moins juste techniquement, ils ne seront jamais réellement inquiétés par une Uruguay insipide. Au point même qu’à 5 minutes du terme, Pekerman peut se permettre de faire sortir sa pépite sous l’ovation du public du Maracanã, conquis par le gamin de 23 ans, qui a donné l’impression de contrôler à lui seul l’issue de la rencontre. Faiseur de jeu, détonateur, magicien, finisseur : James Rodriguez a ce soir-là marqué le monde entier par une performance représentant l’apothéose de son Mondial, qui se conclura brutalement en quarts de finales face au Brésil. Quelques jours plus tard, le Monégasque est logiquement nommé dans l’équipe-type de la Coupe du Monde, et son premier but contre l’Uruguay sera élu le plus beau du tournoi. En quelques semaines, le Colombien est donc passé du statut de pépite à celui de star mondiale, pour le meilleur et pour le pire.
Si un temple est un lieu dans lequel on se rassemble pour exercer son culte, alors le 28 juin 2014, dans le « Templo do Futebol », James Rodriguez a parfaitement fait honneur aux Dieux du foot. Si bien même qu’au regard du reste de sa carrière, cette prestation est aussi source de regrets. Car rares seront les fois où au Real Madrid, on reverra ce James mobile et chef d’orchestre. Au moins, James Rodriguez aura choisi le meilleur moment pour faire éclater son talent.
Sources :
- Colombie 2-0 Uruguay, analyse tactique : https://www.chroniquestactiques.fr/colombie-2-0-urugua-analyse-tactique-97329/
Crédit photos : Iconsport