Dragan Stojkovic ou Piksi, légendaire joueur yougoslave notamment passé par l’Etoile Rouge et l’OM, a longtemps été critiqué pour ses performances en demi-teintes avec sa sélection lors des matchs les plus importants. S’il a sans aucun doute marqué l’histoire de la plupart des clubs où il est passé, son parcours avec son pays pouvait paraître moins impressionnant. Et pourtant, un soir de juin 1990, Piksi s’est montré au monde entier.
Si la sélection majeure des Brésiliens d’Europe – surnommés ainsi pour leur talent inné semblable à celui des Brésiliens – n’a rien gagné depuis les Jeux Olympiques de 1960, trente ans avant cette Coupe du Monde, elle semble grandement favorite à quelques semaines de la compétition. Trois ans auparavant, les U20 yougoslaves ont remporté la Coupe du Monde sans trop de problèmes, notamment grâce à Zvonimir Boban, joueur du Dynamo Zagreb et grand espoir du football de l’époque. Malheureusement, les tensions dans les Balkans éclatent juste avant la Coupe du Monde, et tout déraille. La chute commence le 13 mai 1990, lors d’un match entre l’Etoile Rouge de Belgrade et Zagreb. Alors que 3000 Delije (supporters de l’Etoile Rouge) sont du déplacement, la peur se fait ressentir et le conflit est au bord de l’éclatement. Lorsque les supporters descendent sur le terrain, la bataille fait rage pendant une heure et les joueurs de l’Etoile Rouge fuient le terrain. Cependant, lorsqu’un policier commence à s’en prendre à un supporter de Zagreb, Boban, resté sur le terrain avec son équipe, lui envoie un coup de pied magistral en pleine tête. Il est suspendu des terrains pendant six mois pour un tel acte, et privé de Mondial. Quelques jours plus tard, le 30 mai, la République de Croatie est reconnue : nouveau coup dur pour la sélection Yougoslave qui devra se passer des Croates. Alors que les tensions nationalistes font rage, le contexte de cette Coupe du Monde est particulièrement tendu, et le titre qui paraissait conquis d’avance semble maintenant bien loin.
Un parcours presque parfait des deux côtés
Jusqu’ici, le parcours de la Yougoslavie en Coupe du Monde était, contre toute attente, quasi-parfait. Lors des phases de qualifications, la sélection tombe sur un groupe plutôt relevé : la France, l’Ecosse, la Norvège et la Chypre. Les Brésiliens d’Europe parviennent cependant à conquérir leur groupe sans aucun problème. L’équipe termine en effet première avec 14 points, à quatre longueurs d’avance de l’Ecosse et cinq de la France. Les bases sont posées et le monde prévenu : la Yougoslavie participe au mondial italien avec l’intention de le gagner. Vient ensuite la phase de groupe. Une fois encore, Stojkovic et ses compagnons se retrouvent dans une situation délicate : l’Allemagne, la Colombie et les Emirats arabes unis vont leur disputer la première place. Le premier match contre les Allemands, grands favoris du mondial avec l’Argentine, fait douter la Yougoslavie : une lourde défaite 4-1 au goût amer. Finalement, la sélection de Piksi parvient à l’emporter contre la Colombie et les Emirats arabes unis, se hissant à la deuxième place du groupe et se qualifiant pour les huitièmes de finale. Là encore, l’issue du match est loin d’être décidée à l’avance : ce sont les Espagnols qui vont tenter de se défaire des Brésiliens d’Europe. Pour ne rien arranger, un sentiment de sérénité particulière se dégage de la sélection de Michel, qui jusque-là, l’Espagne s’est défaite de la Belgique, de l’Uruguay et de la Corée du Sud sans trop de problèmes. En se hissant à la première place d’un groupe extrêmement relevé, les espagnols ont envoyé un message de force avant d’entamer les phases finales. Grâce au duo offensif composé de Michel et Salinas, l’Espagne est un gros concurrent au titre pour cette édition. Jusqu’ici, Michel a déjà marqué quatre buts : un penalty contre la Belgique et un triplé contre la Corée du Nord. C’est l’homme en forme du moment, puisqu’il est à cette période le meilleur buteur de la compétition. Le 26 juin 1990, la Yougoslavie, en plein effondrement, semble éliminée d’avance. Pourtant, dans un dernier souffle de virtuosité, Stojkovic va décider du cours du match à lui-seul.
Un rendez-vous avec l’histoire
Stojkovic, censé être la star de son équipe, était très loin de ce statut jusqu’ici. C’est au Marc Antonio Bentegodi, à Vérone, devant plus de 35 000 spectateurs, qu’il prit enfin son rôle au pied de la lettre. Beaucoup critiqué avant cette rencontre, Piksi décide de se donner un nom devant le monde entier. Pendant l’entièreté de la rencontre, c’est lui qui est sur tout les ballons. Au milieu dans son rôle habituel, parfois en numéro 10, parfois même lancé dans la profondeur tel un 9, Stojkovic est partout pendant la première mi-temps, mais ne parvient pas à concrétiser ses multiples actions. Le retour aux vestiaires permet aux espagnols, épuisés de courir après Piksi, de souffler. Alors que beaucoup de joueurs se seraient rapidement fatigués après une première période de ce niveau, Stojkovic continue et agresse sans cesse les buts espagnols. En face, Salinas et Michel multiplient les contre-attaques, sans succès non plus. Un peu après une heure et quart de jeu, c’est la délivrance : Stojkovic fait parler la poudre. Vujovic parvient à se débarrasser de Manuel Sanchis après une lutte acharnée pour le ballon, et le passe à Katanec, situé juste devant le but. Celui-ci ne peut frapper avec la tête, et lance le ballon dans les airs du haut de son crâne, vers sa droite. Là, Stojkovic parvient à récupérer la balle sans aucun problème grâce à un contrôle venu d’ailleurs. Il arme sa frappe, mais voyant Martin Vazquez arrivant à toute allure pour le tacler, il se ravise et feinte. Seul face à Andoni Zubizarreta, gardien de la sélection adverse, Piksi n’a plus qu’à cadrer le ballon et frapper de toutes ses forces, ce qu’il fait. Zubizarreta est impuissant et les filets tremblent. Le stade explose grâce aux supporters qui ont fait le voyage, mais l’euphorie ne dure qu’un temps. Six minutes après cet exploit, Salinas parvient à réduire le score sur une passe de Martin Vazquez, humilié quelques secondes plus tôt, et tout est à refaire. Les équipes filent en prolongations. Là encore, Stojkovic se démarque. La Yougoslavie obtient un coup franc à 25 mètres après une faute espagnole, et c’est au tour de Piksi de jouer. A gauche du but et à sa distance favorite, c’est comme si c’était fait. De cet endroit, le natif de Nis a marqué des dizaines de coups francs. Son tir passe au-dessus du mur et – on ne sait toujours pas comment – redescend à toute allure en direction du filet droit de Zubizarreta, une nouvelle fois impuissant malgré son bon plongeon. Le score reste inchangé jusqu’à la fin du match, et la Yougoslavie réussit un exploit supplémentaire en se qualifiant, pour la première fois de son histoire, en quarts de finale d’une Coupe du Monde.
En cette soirée du 26 juin 1990, Dragan Stojkovic a fait taire tous les fans de football qui doutaient de sa capacité de mener sa sélection à la victoire. Sa performance, déjà exceptionnelle, est renforcée par le contexte géopolitique de l’époque qui ne favorisait en aucun cas la Yougoslavie, complètement désorientée et au bord du gouffre. Face à l’Espagne de Michel, Piksi s’est montré inébranlable. Malheureusement, la chute ne fut reculée que de quelques jours : l’Argentine vint à bout des Brésiliens d’Europe quelques jours plus tard, aux tirs au but. C’était la dernière compétition officielle de la Yougoslavie, exclue de l’Euro 1992 pour des raisons politiques. Stojkovic, ce soir-là, a offert une dernière victoire à sa sélection en compétition internationale.