Arrivé à Marseille à l’été 1989, l’international anglais a connu une délicate période d’adaptation avant de conquérir la cité phocéenne et la France. La « Waddlemania » débute quelques mois plus tard lors de la réception du Paris Saint-Germain. Suite à une inspiration géniale aux dépens de Joël Bats, Chris devient Magic.
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Débuts contrastés
Tout juste auréolé de son titre de champion de France, le premier pour l’OM depuis 1972, Bernard Tapie veut confirmer son nouveau statut et cherche à améliorer son effectif lors de l’intersaison suivante. Le président olympien jette alors son dévolu sur un Anglais évoluant à Londres et qui fait les beaux jours de Tottenham : Chris Waddle. Peut-être pour imiter l’AS Monaco avec l’élégant et ancien Spur Glenn Hoddle, arrivé sur le Rocher en 1987. Pour arriver à ses fins, Tapie sort son chéquier et pose sur la table 45 millions de francs (environ 7 millions d’euros). Ce transfert est faramineux à l’époque, il s’agit tout simplement du troisième plus important de tous les temps derrière ceux de Diego Maradona au Napoli en 1984 et de Ruud Gullit à l’AC Milan en 1987. L’international anglais de vingt-huit ans possède une solide expérience avec Newcastle et Tottenham où son entente avec Paul Gascoigne a ravi les fans des Lillywhites. Mais malgré ce statut, le Britannique arrive dans un relatif anonymat. Si sa réputation est flatteuse outre-Manche, elle n’a pas encore atteint le sud de la France. À son arrivée à Marignane, il est même confondu avec le chanteur des Pink Floyd, David Gilmour, qui a un concert prévu au Vélodrome dans la soirée. La confusion est compréhensible, le nouvel attaquant phocéen aborde une splendide coupe mulet très « pop ».
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Arrivé en méforme avec quelques kilos superflus et sans avoir participé à la présaison marseillaise, Chris est en retard physiquement pour sa première expérience à l’étranger. L’été particulièrement chaud en Provence ne l’aide pas à rattraper son déficit. Gaëtan Huard se souvient parfaitement des débuts de son nouveau coéquipier à la Commanderie : « Chris Waddle débarque à la surprise générale pour remplacer Klaus Allofs parti à Bordeaux. Au bout d’un jour, il a été obligé d’arrêter l’entraînement, brûlé par le soleil… » Gérard Gili poursuit sur le même thème : « Tous les soirs Bernard Tapie m’appelait pour savoir comment il avait été à l’entraînement du jour et je lui disais qu’il était comme la veille, qu’il avait du mal à s’acclimater et que c’était dû à son petit excès de poids et à la chaleur, il n’était pas du tout habitué à ça. » L’Anglais doit aussi faire face à un autre problème : la barrière de la langue. Hormis « bonjour » et « au revoir », il ne maîtrise rien d’autre de la langue de Molière. Difficile de communiquer avec ses nouveaux partenaires et son entraîneur. Son isolement est alors total. Eloigné de sa famille, restée en Angleterre, il séjourne tout seul à l’hôtel en attendant de trouver une maison dans la région.
Si ses premiers pas sous le maillot marseillais ne sont pas désastreux, l’attente générée par son onéreux transfert est tellement énorme qu’il déçoit. Avec seulement deux buts contre Toulouse et Toulon en deux mois de compétition, le ratio est clairement insuffisant. Les supporters et la presse ne tardent pas à se poser des questions sur son rendement. Plusieurs événements vont lui permettre de trouver sa place. Tout d’abord, Jean-Pierre Papin l’héberge en attendant qu’il trouve un logement. Cette colocation lui est bénéfique pour améliorer son français, rompre l’isolement et s’adapter à son nouvel environnement. Ensuite, Gérard Gili va opérer un changement tactique. Recruté pour jouer comme deuxième attaquant, il est positionné dans l’axe, en soutien de Jean-Pierre Papin. Mais Waddle semble perdu sur le terrain, il n’a jamais évolué à ce poste. Après une discussion entre Gili et son joueur, l’entraîneur lui demande de lui montrer sur un papier où il préfère jouer. Chris place une croix avec le stylo sur le côté droit de l’attaque. Gili accède à sa requête. Puis au fil des semaines, la condition physique du Britannique s’améliore et il retrouve ses sensations. Enfin, sa femme et sa fille peuvent le rejoindre dans la campagne aixoise où il a trouvé une belle villa. Tous les détails de son acclimatation semblent réglés. Maintenant, place à la magie.
Le déclic
Le lundi, le couple s’installe dans sa nouvelle maison et le vendredi suivant arrive Paris pour un match au sommet. Si la rivalité entre les deux clubs n’a pas encore atteint son paroxysme, il s’agit néanmoins d’une rencontre entre les deux premiers de l’édition précédente du championnat de France. Et le premier titre de l’ère Tapie acquis quelques mois plus tôt grâce à une frappe longue distance signée Franck Sauzée dans les derniers instants de la partie a semé la graine de la discorde entre les deux clubs. Les deux équipes se retrouvent donc à Marseille pour une belle affiche. D’un côté, Gérard Gili aligne une équipe composée de Huard, Amoros, Förster, Sauzée, Di Meco, Tigana, Roche, Vercruysse, Waddle, Papin et Francescoli. De l’autre, Tomislav Ivić titularise Bats, Bosser, Bibard, Sène, Charbonnier, Tanasi, Pérez, Sušić, Bravo, Calderon et Vujović. Libéré par son emménagement, par l’arrivée de sa famille, par son repositionnement sur l’aile droite et revigoré physiquement, Chris Waddle arrive sur ce match dans des conditions optimales. Cependant, comme il le déclarera plus tard : « À l’OM, j’ai souvent été habité d’une immense confiance, mais pas encore à cette époque-là. ». L’Anglais est toujours à la recherche de la confiance.
Le début de match des Olympiens va l’aider à monter en régime. Dès la vingtième minute, un double une-deux entre Waddle et Amoros est stoppé irrégulièrement par Oumar Sène. Bats détourne brillamment la tentative en finesse de JPP. Sept minutes plus tard, nous retrouvons quasiment les mêmes protagonistes. Après un coup franc de Amoros, Waddle reprend de la tête mais Sène sauve en catastrophe sur sa ligne. L’Anglais trouve la faille à la trente-cinquième minute suite à un corner marseillais repoussé dans les pieds de Di Meco. Le latéral gauche remet un long ballon dans la surface de réparation. Toute la défense francilienne remonte pour jouer le hors jeu mais l’alignement approximatif est fatal au PSG. Esseulé, Waddle amortit de la poitrine et nous raconte la suite : « j’ai anticipé la sortie de Joël Bats en voyant qu’il montait vers moi après une hésitation. Je l’ai lobé, et j’ai poussé le ballon dedans en ratant presque ma talonnade. C’était purement instinctif. » Le Vélodrome exulte et Chris devient Magic. En un geste de classe, une action de génie, il vient de se mettre tout le public marseillais dans la poche. Tous les doutes initiaux sont balayés. Ce but l’a définitivement libéré. Son pied gauche fantastique, son sens du dribble et du spectacle et sa capacité à ne pas se prendre au sérieux tout en étant un redoutable compétiteur ont séduit Marseille.
D’ailleurs, Chris Waddle revient sur cette réalisation si importante pour la suite de son parcours olympien : « en démarrant ce match contre Paris, non seulement j’étais bien physiquement après avoir travaillé depuis mon arrivée à Marseille, mais en plus, je sentais que quelque chose commençait. Alors, j’ai mis un but particulier pour marquer ce nouveau départ. Et j’ai senti immédiatement que l’atmosphère changeait ; j’avais besoin de ça pour être libéré et en faire plus. Tout est parti de là. J’ai juste marqué. Quand tu joues au football, c’est ce que tu cherches. » Après l’égalisation de Vujović bien servi par Safet Sušić, l’OM s’impose finalement 2-1 grâce à une tête de Francescoli trouvé sur coup franc par Amoros. À l’issue de la saison, Marseille conserve sa couronne nationale et Waddle remporte son premier titre de champion de France. L’Anglais termine l’année avec neuf buts et douze passes décisives au compteur. Tombé sous son charme comme beaucoup, Gérard Gili analyse : « sur le côté droit en tant que gaucher, il rentrait à l’intérieur et avec sa qualité de passe ça lui permettait de donner de bons ballons de but. À l’époque c’était un « faux pied », maintenant c’est devenu courant, mais si vous le regardiez jouer jamais il ne débordait la latéral en vitesse pure. Cependant quand il repiquait, avec sa qualité de dribble, il faisait des dégâts. Au final, c’était un 10 excentré. C’était l’artiste de l’équipe. Il pouvait faire de grandes choses contre de grands adversaires, c’était un joueur de classe mondiale. »
Recruté un peu par hasard sur cassette vidéo pour faire oublier le transfert avorté de Maradona, Chris Waddle a d’abord connu une adaptation délicate avant d’exploser et de devenir le deuxième meilleur olympien du siècle derrière JPP mais devant Skoblar. L’Anglais reste dans les mémoires pour sa volée contre Milan en 1991, pour ses dribbles déroutants, ses coups francs puissants mais également pour sa bonne humeur et ses grimaces quand il ratait des gestes techniques. Mais si son séjour marseillais a été couronné de succès, tout a débuté face au PSG avec ce but d’anthologie.
Sources :
- Bernard Lions, Gaëtan Huard : «Mozer et Papin pleuraient», L’Equipe
- Mario Albano, OM – Un jour, une histoire : Chris Waddle aime le spectacle, La Provence
- Dimitri Ferrero, OM : Chris Waddle revient sur son but de légende face au PSG, Orange Sports
- Chris Waddle, OM.fr
Crédits photos : Icon Sport