Aux confins de la Méditerranée orientale, le Liban est agité depuis plusieurs mois. Ce n’est pas la Covid-19 qui a mis un terme à la saison de première ligue libanaise, mais bien une crise politique et financière. L’arrêt définitif du championnat, le 28 mai 2020, n’est que la prolongation de la suspension du 21 janvier. Mais alors pourquoi lier politique et football ? Le championnat libanais, semi-professionnel, est en fait un miroir des rivalités du pays, entre partis politiques, communautés et religions. Ces luttes se retrouvent au cœur de l’Etat et dans les travées des stades. Le football devient alors un outil de mobilisation communautaire et de sociabilisation.
Football, politique et religion
Bien que considéré comme plutôt faible en Asie, le championnat libanais attire les soutiens de tous les grands hommes du pays. La plupart des clubs sont ainsi liés aux grands partis du pays. Le Courant du Futur, parti de Rafiq Hariri, premier ministre assassiné en 2005 et de son fils Saad Hariri (à la tête du pays de décembre 2016 à janvier 2020) soutient les deux plus grands clubs du pays : Nejmeh SC et Al Ansar, mais aussi les clubs d’Al Ahli Saïda ou le Racing Club de Beyrouth. Le Hezbollah soutient le troisième grand club du pays, Al Ahed, tout comme le club d’Al Islah. Les liens sont forts entre Al Ahed et le parti islamiste chiite, classé terroriste par les Etats-Unis (seule sa branche militaire l’est pour l’Union européenne). Les couleurs de l’écusson et du drapeau sont similaires et le club porte sur son maillot le logo de la chaîne de télévision du parti, Al Manar. En 2018, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou a d’ailleurs accusé le club de cacher des missiles du Hezbollah au sein même de leur stade. L’accusation a été réfutée par le ministre des affaires étrangères du Liban. L’autre parti chiite, Amal, soutient quant à lui l’équipe d’Al Rayyan, le club du Safa est soutenu par le Parti socialiste progressiste, l’Homenetmen par le parti arménien Tachnag, le Homenmen par l’autre parti arménien, Hentchak. Enfin, d’autres clubs sont liés à des hommes en particulier, le Salam Zgharta à Soleimane Frangié (président de la République entre 1970 et 1976), le Club de Tripoli à Najib Mikati (premier ministre en 2005 et entre 2011 et 2014).
La particularité du football libanais, est aussi illustrée par les liens avec les communautés religieuses. Selon leur quartier, leurs dirigeants ou leurs membres, chaque équipe a une appartenance forte à une communauté. Seul le Nejmeh, club souvent considéré comme le plus populaire du pays, est longtemps resté en-dehors de ces divisions, en se présentait comme LE club multiconfessionnel avant le soutien du clan Hariri, sunnite, au début des années 2000. Al Ansar, club le plus titré est soutenu par les musulmans sunnites. C’est l’ancien premier ministre, Rafiq Hariri puis son fils, qui financent le club. Al Ahed, le dernier champion, est proche du Hezbollah et est donc soutenu par les chiites. Le Shabab Al Sahel l’est lui aussi. Le premier vainqueur du championnat, Al Nahda, représentait la communauté des orthodoxes, tout comme le club Al Shabiba Mazra. Les clubs de Sagesse SC ou le Racing Club de Beyrouth rassemblaient les chrétiens maronites, l’Homenetmen et l’Homenmen, la diaspora arménienne ou le Safa Beyrouth, les druzes (courant de l’islam).
Ces différents soutiens amènent des tensions au sein du championnat. En 2016, Nejmeh refuse de jouer contre Al Ahed, pour protester contre ses liens avec le Hezbollah. Des heurts ont aussi lieu entre supporters. Des violences animent les différentes factions et l’armée doit se positionner aux entrées des stades pour réguler les spectateurs et éviter les débordements sectaires. Par conséquent les stades libanais sont en grande partie vides. En 2006, par exemple, durant un match entre l’équipe nationale du Liban et le Koweït pour une qualification en coupe d’Asie, les supporters libanais se sont scindés en deux groupes avec une partie insultant le Hezbollah et son secrétaire général, Hassan Nasrallah, et une autre partie insultant l’Al Moustaqbal (le Courant du Futur), parti politique de Saad Hariri.
Et le football dans tout ça ?
Le championnat du Liban est né en 1934, il y a donc 86 ans, et pourtant, seuls 58 champions ont été désignés, preuve de l’instabilité politique du pays, gangrené par les guerres et conflits. C’est le club d’Al Nahda qui remporte le premier championnat en 1934. Les titres suivants seront partagés avec 11 autres clubs. Entre 1943 et 1969, les clubs arméniens d’Homenetmen et Homenmen dominent le championnat et se partagent 11 des 16 titres. Entre 1975 et 1987, le championnat n’est pas disputé pour cause de guerre civile. Deux belles histoires marquent le pays peu avant le début de celle-ci. En 1974, Nejmeh réalise le plus grand exploit de l’histoire du football libanais en battant 1 but à 0 l’Ararat Erevan, champion d’URSS en titre. L’année suivante, le 6 avril 1975, le pays du cèdre accueille Pelé pour un match amical. Le prodige brésilien porte les couleurs de Nejmeh face à une équipe locale et marque les deux buts de son équipe (2-0). Ils sont comptabilisés parmi les 1 281 buts revendiqués par l’auriverde. La guerre éclate une semaine plus tard et durera plus de 15 ans. Bebeto, l’imite en 2003 dans un match entre Nejmeh et Flamengo au cours duquel il participera à une mi-temps avec chaque équipe.
Le championnat reprend pour la saison 1987-1988 et Al Ansar, club le plus titré du pays (13 titres), commence son incroyable série. Il remporte 11 championnats consécutifs, jusqu’en 1999. A l’époque, le club était alors le recordman mondial de victoires consécutives (avant d’être détrôné par le Skonto Riga en Lettonie et ses 14 titres). Depuis, les lauriers sont en grande partie disputés entre les leaders du pays : Al Ansar, Nejmeh et Al Ahed, qui a remporté les trois dernières éditions. Derrière Al Ansar, le Nejmeh SC a 8 titres, l’Homenetmen et Al Ahed en ont 7. Point commun entre tous, l’ensemble des champions est issu de la capitale du pays, Beyrouth. En effet, la cité libanaise domine le football du pays et a remporté tous les titres (l’origine d’Al Nahda, disparu dans les années 1950, est inconnue). Pour le championnat 2019-2020, sept clubs sur douze sont beyrouthins. Le derby de la ville oppose les deux clubs les plus titrés du pays, Al Ansar et Nejmeh. Après 99 matchs, Al Ansar domine les affrontements avec 34 victoires pour 31 défaites et 34 nuls.
Le championnat, semi-professionnel, est composé en grande majorité de joueurs libanais. Des quotas sont mis en place pour les joueurs étrangers. Au maximum, les clubs peuvent avoir trois étrangers dans leur effectif. A cela peut s’ajouter un joueur palestinien né au Liban. En cas de qualification pour une compétition de l’AFC (la Confédération asiatique de football), les clubs sont autorisés à détenir un étranger de plus, mais uniquement pour celle-ci. Pour la saison 2019-2020, sur les 33 étrangers, on retrouve 3 Brésiliens, 2 Portugais, 2 Syriens et 26 Africains (notamment du Ghana et du Sénégal). Parmi les étrangers passés par le championnat, on peut citer Silvio, brésilien, meilleur buteur du championnat en 2002-2003, passé par Grêmio ou Logronés en Liga et qui a connu deux sélections avec la Seleção en 1991. Autre joueur atypique, Errol McFarlane, vainqueur à cinq reprises du championnat et qui a participé à une partie de la campagne de qualification historique de Trinité-et-Tobago pour la coupe du monde 2006. Pour la saison 2020-2021, les joueurs étrangers ne sont plus autorisés. L’accent est mis sur la formation avec des impératifs pour chaque club. Chacun doit avoir un joueur de moins de 22 ans qui joue au moins 600 minutes, deux au moins 800 minutes et trois 1 200 minutes. Une limite est aussi fixée à huit joueurs de plus de 30 ans. Des retraits de points sont effectifs si ces conditions ne sont pas respectées.
LIRE AUSSI : Football des Caraïbes : jusqu’au bout du monde (2/2)
Le football libanais à l’échelle continentale
Le Liban a connu peu de grands résultats dans les compétitions continentales asiatiques. Depuis l’instauration du nouveau format de la Ligue des champions de l’AFC en 2003, seuls deux clubs libanais y ont participé (Nejmeh et Al Ansar lors de la première édition). Il faudra attendre l’édition 2020-2021 pour y retrouver à nouveau un concurrent. Durant la Coupe d’Asie des clubs champions 1970, le club de l’Homenetmen fait parler de lui en demi-finale en boycottant le match face à l’Hapoël Tel-Aviv en raison des tensions entre les deux pays.
Durant les dernières années, les clubs libanais participent à la coupe de l’AFC, seconde compétition continentale, pour les pays dits « en développement », avec les coefficients AFC les plus faibles. Nejmeh échoue en finale en 2005 et le Safa Beyrouth fait de même en 2008. En 2019, Al Ahed parvient pour la première fois à remporter une compétition continentale, 1 but à 0 contre les nord-coréens d’April 25.
L’équipe nationale libanaise n’est quant à elle jamais parvenue à se qualifier pour une Coupe du monde. Elle connaît en effet de grandes difficultés à l’échelle continentale. Le pays au cèdre ne participe que deux fois à la coupe d’Asie. En 2000, il en est le pays hôte. Il termine dernier de son groupe après une défaite contre l’Iran et un nul contre la Thaïlande et l’Irak. En 2019, il parvient à nouveau à se qualifier à la phase finale, aux Emirats arabes unis, mais cette fois-ci après des qualifications. Après une défaite contre le Qatar et l’Arabie Saoudite, il sauve l’honneur et l’emporte 4-1 face à la Corée du Nord, pour terminer troisième de son groupe. Il peut alors être repêché parmi les meilleurs troisièmes mais il est à égalité parfaite avec le Viêt Nam (même nombre de points, de différence de buts et de buts marqués et encaissés). C’est donc au fair-play et à cause de deux cartons jaunes que le pays sort de la compétition dès le premier tour.
Les cèdres ne disposent pas d’infrastructures adéquates. Leur stade, la cité sportive Camille-Chamoun, en mauvais état, sert aussi de base militaire. La plupart des membres de la sélection sont issus du championnat libanais. Le meilleur buteur et le joueur le plus sélectionné étant Hassan Maatouk, ayant joué dans les trois plus grands clubs du pays et aux Emirats arabes unis. Quelques joueurs ont cependant réussi à s’illustrer en Europe. Parmi eux, on retrouve les deux joueurs de Bundesliga, Roda Antar et Youssef Mohamad. Le premier, milieu offensif, a participé à 82 matchs de championnat allemand pour 12 buts avec les clubs de Hambourg, Fribourg et Cologne. Son coéquipier, défenseur central le suivra dans les clubs de Fribourg et Cologne où il participa à 118 matchs.
Bien que peu connu par le grand public, le Liban offre une riche histoire footballistique à travers ses différentes particularités. Le confessionnalisme politique, caractérisant le Liban, transparaît dans le football à travers la diversité des communautés. Cependant, cette omniprésence de la politique, les violences sectaires, les trucages, les faibles moyens déployés et le manque d’infrastructures font du championnat libanais un champion mineur au sein du Proche-Orient. Annoncé pour septembre, la reprise devra sans doute attendre le retour à la stabilité pour enfin présenter, 17 ans après, la valeur des Libanais en ligue des champions.
Sources :
- LAMLOUM Olfa, « Quand la guerre ritualisée est au service de la passion partisane » in CATUSSE Myriam, KARAM Karam et LAMLOUM Olfa (dir.), Métamorphose des figues du leadership au Liban, Beyrouth, Presses de l’Ifpo, 2011.
- Najib, « Brazilian Football Legend Pelé played for Lebanese Nejmeh SC in 1975 », 7 mai 2017.
- RAKAN Abdallah, « What are the criteria for a Lebanese club to play in the Champions League ? », 1er août 2020.
Crédit photos : IconSport