Le 24 Avril 2022 restera comme une journée historique pour le FC Südtirol vainqueur de la Triestina à l’extérieur (0-2). En effet cette victoire permet au club du Trentin Haut-Adige d’accéder pour la première fois de son histoire à la Serie B. Une première pour un club de cette région septentrionale de la péninsule italienne depuis soixante-quatorze ans.
Habitués à se passionner pour les sports d’hiver comme le ski ou le Hockey sur glace, les Sud-Tyroliens vont découvrir le très haut niveau avec un autre sport beaucoup moins populaire dans la région : le football. Très proche culturellement de l’Autriche, cette région est à part en Italie, tant sur le plan culturel et historique que sportif.
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Le Trentino Alto-Adige, une région septentrionale au contexte historique et politique particulier
Lorsque l’on évoque le FC Südtirol, nous sommes bien sûr obligés de revenir sur l’histoire du Trentin Haut-Adige. Appelée également Tyrol du Sud, cette région est la plus septentrionale de la péninsule italienne et est également frontalière avec l’Autriche. Une proximité géographique et culturelle qui nous ramène à l’histoire du XXème siècle en Europe centrale. Alors que la fin de la Première Guerre mondiale annonce l’effritement de l’Empire d’Autriche-Hongrie, le Royaume d’Italie réclame sa part. En effet, tout au long de la Grande Guerre se développe en Italie cette idée de l’Irrédentisme. Une vision nationaliste réclamant le rattachement à l’Italie de certains territoires peuplés de populations italophones. Parmi ces territoires il y a notamment l’Istrie mais surtout le Trentin peuplé d’environ 100 000 Italiens. La population italophone représentait environ 2% de la population du territoire de Cisleithanie. Les Irrédentistes italiens auront gain de cause puisque en 1919 après la signature du Traité de Saint-Germain en Laye, le Trentin est rattaché au Royaume d’Italie. Si la population italienne se réjouit de ce rattachement au territoire italien, il n’en va pas de même pour les germanophones qui sont à l’époque en grande majorité sur le territoire du Tyrol du Sud.
Le fascisme arrive au pouvoir en Italie en 1922, marquant un tournant majeur dans l’histoire du Trentin Haut-Adige au XXème siècle. Afin de lutter contre la prééminence de la langue allemande dans le territoire, les autorités fascistes décident d’appliquer une politique dite « d’italianisation ». L’objectif principal de cette mesure est ainsi d’éliminer petit à petit la langue allemande dans la vie publique, afin que la langue italienne devienne majoritaire. Face à cela, une petite résistance des germanophones se met en place avec, notamment, la création des écoles souterraines appelées Katakombschulen, permettant d’entretenir l’apprentissage du dialecte allemand à l’abri des regards du pouvoir fasciste. Suite à l’annexion de l’Autriche en 1938 par l’Allemagne nazie, Adolf Hitler lorgne fortement sur les populations germanophones du Trentin Haut-Adige. Un accord avec Benito Mussolini permettra par la suite d’autoriser les germanophones à quitter l’Italie pour rejoindre le Reich allemand. Viennent par la suite les tourments des années 1950 et 1960 avec plusieurs attentats à Bolzano perpétrés par des nationalistes sud-tyroliens sur des bâtiments mussoliniens qui firent plusieurs morts et blessés. En 1972, un compromis finira par se faire léguant à la région un statut d’autonomie qui se retrouve au niveau législatif, économique et administratif. Il en va ainsi que ce tourmenté XXème siècle influe encore aujourd’hui la vie quotidienne et l’actualité politique de la région la plus septentrionale de l’Italie.
Malgré un léger apaisement durant la seconde moitié du XXème siècle, l’essor des partis régionalistes, nationalistes et conservateurs n’échappe pas au Tyrol du Sud. En effet le SVP (Sudtiroler Volkspartei) est aujourd’hui le fer de lance du nationalisme sud-tyrolien mais aussi du rattachement à l’Autriche. Une tendance qui s’est notamment illustrée par le soutien reçu de ce parti de la part du chancelier autrichien Sebastian Kurz. L’homme politique autrichien d’extrême droite avant ainsi proposé aux habitants germanophones du Trentin Haut-Adige un passeport autrichien leurs conférant alors nationalité autrichienne. Un épisode qui avait provoqué l’ire de Rome et une recrudescence des tensions entre l’Italie et l’Autriche.
Un territoire italien délaissé par le Calcio
De par son histoire et sa géographie, le Trentin Haut-Adige est littéralement un territoire à part du reste de la péninsule italienne. Comme dans bien souvent des cas, le sport rejoint la politique et la culture, il en est bien sûr question en ce qui concerne le Tyrol du Sud. Sa proximité avec l’Autriche et sa culture permet de retrouver une certaine popularité pour les sports d’hiver comme le Hockey sur glace ou le ski. La grande équipe de sport collectif de la région est le Hockey Club de Bolzano évoluant dans le championnat autrichien en raison du faible niveau du hockey italien. Sur le circuit du tennis mondial les exploits de Jannick Sinner rendent fiers les Sud-Tyroliens. Néanmoins la région a surtout connu des succès sportifs dans les épreuves de ski lors des Jeux Olympiques d’Hiver.
Et le football parmi tous ces sports ? Malgré le fait que le Calcio reste le sport roi en Italie, le Trentin Haut-Adige fait une nouvelle fois exception. Avant l’arrivée du FC Südtirol en 1995, l’histoire du Calcio n’existe pratiquement pas dans la région. Il y a bien eu le FC Bolzano qui a évolué dans le championnat de Serie B dans les années 1940 mais à part cela pas grand-chose à se mettre sous la dent. Une anomalie pour certains locaux qui va être réparé à partir de 1994. En effet c’est à cette date qu’un groupe d’entrepreneurs locaux dont un certain Sepp Insman décident d’effacer cette anormalité en voulant créer un club de football professionnel dans le Trentin Haut-Adige. Comme l’a déclaré Sepp Insman lors d’un entretien accordé en mai 2020 pour le média local Altoadige.it, le projet initial était de créer une équipe de football professionnel dans la région afin qu’il puisse la représenter. Sepp Insman peut ainsi compter sur deux autres compagnons Hans Kapf et Hans Huber. Derrière l’ambition sportive de ces entrepreneurs sud-tyroliens se cache également une ambition plus politique, celle de réunir les populations italophones et germanophones à travers le football. En effet les sports populaires que sont le ski ou encore le Hockey sur glace le sont surtout auprès des communautés germanophones.
En 1994, les nouveaux aventuriers du football décident dans un premier temps de racheter le FC Bolzano club historique de la région. En effet, le club de la capitale du Tyrol du Sud est le dernier de ce territoire bilingue à avoir connu la Serie B. Malheureusement, cette tentative de rachat va s’avérer être un échec cuisant. Ils ne laisseront pas tomber leur « projet fou » puisqu’en 1995 une nouvelle tentative de rachat celui du club de Milland va enfin réussir. Ce petit club situé tout au nord du Tyrol du sud non loin de Bressanone évoluait alors en Excellence régionale et représentait en quelque sorte la carte postale du football amateur italien. L’ambition du football professionnel dans le Trentin Haut-Adige s’annonce donc compliquée à première vue. Les deux premières saisons du FC Südtirol sont excellentes voire idylliques puisque les Biancorossi réussissent l’exploit de monter deux années de suite entre 1995 et 1997 en ne perdant qu’une seule rencontre. Après ces deux saisons plus que prometteuses, le club étendard du Trentin Haut-Adige change de président et voit débarquer à la tête du club un certain Leopold Goller. Ce dernier fera passer le football sud-tyrolien dans une autre dimension. La politique du président Goller se veut à la fois sportif mais également marketing en essayant de chercher de nouveaux tifosi dans l’ensemble du Trentin Haut-Adige. Nous sommes alors en 1998 et les politiques marketing sont assez rares à l’époque même si le grand AC Milan de Silvio Berlusconi à 250 kilomètres au sud a été un pionnier en la matière.
Néanmoins, le terrain ne se fait pas oublier et le FC Südtirol parvient à atteindre la Serie C2 en 1999 se trouvant aux portes du professionnalisme. A partir de cette époque le club alors basé essentiellement à Bressanone déménage du côté de Bolzano et trouve refuge du côté du Stadio Drusso qui est toujours l’actuel stade. Malgré cette rupture brutale tournée vers le marketing et la communication, Leopold Goller ne veut pas oublier l’objectif originel de ces prédécesseurs qui étaient de fédérer les communautés linguistiques à travers le Calcio :
« Notre objectif est à la fois de valoriser le patrimoine du Trentin Haut-Adige à travers le sport afin de proposer à notre jeunesse locale de bonnes carrières sportives en restant dans leur région d’origine. Dans le Trentin Haut-Adige nous avons de grands champions en Hockey et en ski il faut désormais en former dans le football… »
Leopold Goller restera à la tête du club en tant que président jusqu’en 2006. Ses neuf années à la tête du club symbolisent à la fois une réussite populaire mais aussi sportif pour le FC Südtirol. Encore aujourd’hui la tifoseria biancorossa n’hésite pas à scander le nom de leur ancien président considéré comme le plus grand de leur courte mais belle histoire. A partir de 2006 les bases du FC Südtirol actuel sont posées et malgré le départ et le décès de Leopold Goller en 2009, le Sud-Tyroliens parviennent à atteindre la Serie C la même année. De par sa structure très sérieuse et son bilan financier très sain le club de Bolzano va vite devenir un candidat à la montée en Serie B dans les saisons qui vont suivre.
Le FC Südtirol Bolzano/Bozen, un modèle de gestion pour l’ensemble du football italien
Comme nous l’avons évoqué le FC Südtirol Bolzano s’est très vite distingué dans les divisions inférieures du football italien grâce à sa gestion très saine. Les Sud-Tyroliens se distinguent encore une fois du reste de la péninsule italienne car en effet dans les divisions de Serie B, C ou encore D il n’est pas rare de voir des clubs déposer le bilan après des gestions financières calamiteuses comme ce fut le cas avec le Chievo ou encore avec Palerme pour ne citer que ces clubs. Il faut alors savoir que le FC Südtirol est détenu à 90 % par un groupe d’actionnaires qui sont alors près de trente à détenir des parts dans le club. L’actionnaire majoritaire n’est d’autre que le patron du groupe local Duka spécialisé dans le design intérieur. Les 10 % restant étant détenus par l’association sportive AFC Südtirol-FCD Alto-Adige. Le club de Bolzano peut ainsi compter sur des partenaires économiques locaux fidèles et relativement puissants. C’est le cas également du groupe Forst, une marque de bière locale qui est sponsor du club. L’entreprise dispose d’un capital important puisqu’elle vient juste d’augmenter ses investissements dans le club. La marque de bière locale est également présente jusqu’au plus haut poste au sein du club. Le nouveau président Gerhard Comper, qui a pris son poste en octobre dernier, travaille en tant que manager du côté de l’entreprise Forst.
Un acteur économique important qui devrait permettre au FC Südtirol d’éviter de jouer les derniers rôles dans le championnat de Serie B. Au-delà de l’aspect financier, le FC Südtirol Bolzano peut également se targuer d’une gestion sportive très saine. Celle-ci a notamment permis au club d’accéder à quatre reprises aux plays-offs sur les dix dernières années. La recette du club est de miser sur un centre de formation favorisant l’éclosion des talents locaux. En effet comme l’avait déclaré l’ancien président Walter Baumgartner dans les colonnes de la Gazzetta dello Sport en 2021 : « Nous devons penser à valoriser nos jeunes et notre centre de formation si nous voulons encore aller plus haut ». Des paroles qui bien sûr se vérifient lorsque l’on observe l’important budget alloué à la formation. Ainsi c’est près de 30% du budget annuel qui part dans la formation du côté du FC Südtirol. Le club dispose également d’infrastructures ultramodernes grâce à ces investissements ce qui profite à l’ensemble du secteur giovanile du FC Südtirol Bolzano. Autre aspect qui dénote par rapport au reste du football italien la présence d’un salary cap cas unique dans le Calcio. Une règle fixée qui ne permet pas à un joueur du club de gagner plus de 80 000 euros par an.
Une équipe dirigeante qui garde également les pieds sur terre malgré les succès sportifs des dernières années. Toujours lors du même entretien dans les colonnes de la Gazzetta dello Sport, l’ancien président Walter Baumgartner déclarait : «Cela fait plaisir de rêver et de viser toujours plus haut mais nous devons encore garder les pieds sur terre ». Une gestion économico-sportif et une certaine dose d’humilité qui ont emmené les Sud-Tyroliens vers la Serie B en ce jour historique du 24 avril 2022 après une victoire à Trieste sur le score de deux buts à zéro.
Le retour des tensions politiques et clivages ethnico-linguistiques ?
Malgré ce tableau idyllique, il existe quelques tensions assez fortes au sein du club et en particulier entre la direction et la tifoseria avec derrière, comme dans bien souvent des cas une forte récupération politique. La culture sud-tyrolienne reste très forte dans la région malgré une augmentation de la présence des italophones. Comme nous l’avons indiqué précédemment les tensions inter-linguistiques et inter-ethniques revoient le jour dans la région du Trentin Haut-Adige. Une tendance qui s’est réaffirmée ces vingt dernières années avec par exemple les actions du groupe Ein Tirol en 2009 à l’occasion des deux-cent ans de la condamnation à mort du héros national Andreas Hofer. Episode plus récent celui du changement de nom de la région qui a été adopté en 2019. Le Trentin Haut-Adige devait depuis cette date se nommer Province de Bolzano. Un contentieux qui a fait rejaillir pas mal d’étincelles entre les germanophones et les italophones. La disparition du nom Trentin symbolisant en quelque sorte l’effacement d’une partie de la région avec une population parlant majoritairement la langue italienne.
Malgré les propos se voulant rassurant de la part d’Arno Kompatscher président de la région autonome qui avait déclaré que le changement de nom n’empêchait pas d’utiliser l’ancienne dénomination, cette mesure traduit parfaitement le poids que représente le SVP. Fortement ancré dans le combat de la préservation culturelle et de la défense de la culture germanophone, le parti SVP entretient alors toutes ces tensions. Malheureusement le FC Südtirol Bolzano ne peut échapper à cette récupération politique. Les tensions apparaissent notamment entre la tifoseria majoritairement italophone et la direction du club qui est surtout composé de germanophone. Le principal groupe d’ultras du FC Südtirol reprochant à la direction de ne pas assez véhiculer la culture italienne par rapport à une culture germanique qui serait omniprésente. A titre d’exemple pour ces ultras le nom du club n’est pas assez représentatif du bilinguisme présent dans le Tyrol du Sud :
« La dénomination FC Südtirol n’est pas une dénomination qui représente tous les habitants de Bolzano mais surtout elle ne représente pas la communauté italophone de la région. Si nous voulons combattre une certaine réalité nous devrons rester unis et rester dans une politique unissant les deux communautés germanophones et italophones qui représentent parfaitement notre territoire ». Suite à ces propos du groupe d’ultras, le député du SVP, Philipp Achammer a ainsi rétorqué : « Le football est un sport très suivi et le FC Südtirol est notre équipe de football professionnel et est un excellent moyen de promouvoir notre région et de la diffuser dans l’ensemble de la péninsule italienne ».
Créé dans l’objectif de représenter la région dans le football professionnel italien, le FC Südtirol ne peut malheureusement pas échapper aux tensions linguistiques et ethniques qui perdurent encore aujourd’hui dans la province de Bolzano. Un club qui s’est voulu le porte étendard d’une région comme l’atteste les couleurs blanche et rouge du drapeau sud-tyrolien reprisent dans l’emblème du club.
Avec le succès croissant du club et sa montée historique en Serie B, nul doute que le SVP n’hésitera pas à s’approprier les succès du FC Südtirol et à en faire un instrument politique, comme peuvent l’être le Bayern Munich ou le FC Barcelone respectivement en Bavière et en Catalogne, des régions avec une forte identité régionale. Une fierté régionale qui s’affiche également sur le site du club puisque l’on peut apprendre que le FC Südtirol est le seul club professionnel dans une zone géographique allant de Vérone à Innsbruck. Ce sera désormais au nouveau président Gerhard Comper et au nouvel entraineur récemment nommé Lamberto Zauli d’entretenir les bons résultats et la progression de ce club qui ne fait que de grandir depuis bientôt vingt-cinq ans.
Sources :
- Freda Michelangelo, « Il modello del Südtirol », Contrasti, Septembre 2021
- Rosace Filippo, « Un’idea « folle » ma che si revela vincente », Alto-Adige, Mai 2020
- Rosace Filippo, « Il presidente « illuminato » che ha lanciato l’Alto-Adige », Alto-Adige, Mars 2020
- Bertagnolli Francesco, « Vola il Südtirol : nato per i giovani, è pronto per la B », Gazzetta Dello Sport, Octobre 2021
- Gerevini Mario, « Südtirol in Serie B, i segreti degli altoatesini tra birra (Forst) e la figlia di Giuliano Amato », Corriere della sera, Mars 2022
- Milza Pierre, Histoire de l’Italie, des origines à nos jours, Editions Fayard, Collection Pluriel, Paris, 2013
- Kofler Ingrid, le Tyrol du Sud et la signification du Heimat, un laboratoire européen de coopération interculturelle, Editions de l’Harmattan, Septembre 2019
- Sévillia Jean, Le chouan du Tyrol, Andreas Hofer contre Napoléon, Editions Perrin, collection Tempus, 1991
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