Au début du vingtième siècle, le Vieux Continent est frappé par un mal qui le ronge de part en part, l’Espagne n’est pas épargnée. Atteinte par la dictature de Miguel Primo de Rivera puis par celle de Franco, La Piel de Toro tombe ostensiblement dans les pénombres du fascisme. Pour autant, les dictatures aussi dures soient-elles se confrontent toujours à une résistance. De nombreux foyers de rébellion ont parsemé l’Espagne de Franco comme en Catalogne où l’antifascisme de l’esprit républicain ne s’est jamais éteint. Le FC Barcelone, club mythique de l’histoire du football, a su prendre sa part dans la lutte contre les deux dictatures qui ont meurtri irrémédiablement l’Espagne du vingtième siècle. Si Franco a fait du football un instrument de propagande au service d’une idéologie funeste, le FC Barcelone est parvenu à faire du ballon rond un outil contre le fascisme.
Éternelle cible des régimes autoritaires qui ont traversé l’histoire espagnole, le FC Barcelone a joué un rôle important dans la lutte contre le fascisme. En passant du régime autoritaire de Primo de Rivera à la dictature franquiste, les blaugranas ont été des acteurs de la lutte contre le tyrannie.
Le FC Barcelone face à la dictature de Miguel Primo de Rivera
Le FC Barcelone a toujours été la cible des régimes espagnols autoritaires, symbole du républicanisme et des velléités d’indépendances des régions autonomes, le club catalan incarnait le némésis idéal du fascisme hispanique. C’est lors du 13 septembre 1923 que le général Miguel Primo de Rivera déroba le pouvoir, profitant de l’instabilité sociale et politique de l’époque. Le premier ministre Eduardo Irradier fut assassiné le 8 mars 1921 d’environ 20 coups-de-feu par trois anarchistes catalans à Madrid. D’autres assassinats furent perpétrés également par des groupes anarchistes comme Los Justicieros ou encore Los solidarios contre des personnalités du monde politique et ecclésiastique. La tension est à son comble dans le pays de la péninsule ibérique, la société civile est divisée, un climat idéal qui favorise le surgissement d’un putsch. En jetant l’opprobre sur la classe politique incapable d’apaiser le climat délétère du pays, Miguel Primo de Rivera s’accapare le pouvoir suite à un coup d’État fomenté depuis Barcelone. Musèlement des syndicats, prohibition des langues régionales ou autres drapeaux basques et catalans, la dictature s’en est pris à tout ce qu’elle pouvait considérer comme une menace potentielle. Il n’aura pas fallu attendre longtemps pour que la dictature de Primo de Rivera attaque spécifiquement le FC Barcelone.
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Lors du 24 juin 1925, une rencontre opposant le FC Barcelone et le CE Jupiter, un autre club de la ville, fut le théâtre d’une opposition au régime dont les conséquences furent retentissantes. En effet, le public des Corts, ancien stade du FC Barcelone, siffla l’hymne espagnol en guise de protestation contre le régime. Ultime provocation pour la dictature. L’événement fut instrumentalisé par le gouverneur de Barcelone, Milans del Bosch. Il convoqua la presse pour annoncer les mesures prises à l’encontre du club catalan. Les blaugranas furent condamnés à six mois d’inactivité et le président fondateur du club en 1899, Joan Gamper, fut expulsé vers son pays d’origine, la Suisse.
L’humiliation du FC Barcelone et de la capitale catalane
Si le FC Barcelone a été un acteur de la lutte contre la dictature de Primo de Rivera, il a également été un farouche opposant au franquisme. Franco a fait du football un outil de propagande dans un objectif d’épuration de la culture républicaine et régionaliste. Véritable zélateur du centralisme, El caudillo s’en est pris à tout ce qui pouvait s’apparenter de près ou de loin à des bastions du républicanisme et de l’indépendantisme. C’est donc logiquement qu’il a fait du FC Barcelone l’un de ses ennemis privilégiés. Le sport est un moyen de transmuer la culture espagnol pour les franquistes. Par conséquent, La Copa del Rey est remplacée par la non moins modeste Copa del generalísimo, le rouge de la Roja est substitué par un bleu plus en phase avec le parti phalangiste. En outre, les aficionados sont tenus d’entonner l’hymne fasciste Cara al sol à chaque rencontre. L’identité catalane désinvolte du FC Barcelone n’a que très peu de place dans un tel agencement de la société espagnole car elle constitue un véritable poil à gratter pour le régime. Franco n’aura alors de cesse de vouloir écraser la rébellion catalane comme ce jour du 25 juin 1939 quand il organisa « l’humiliation du FC Barcelone ».
Au stade Montjuïc se jouait la toute première finale de la Copa del Generalísimo opposant le Sevilla FC au Racing de Ferrol devant une foule de 60 000 personnes contraint d’écouter le discours fasciste du très franquiste général Ernest Giménez Caballero. L’entrée des joueurs fut accompagnée par des saluts franquistes qui se sont suivis par l’hymne Cara el sol qui résonna dans l’enceinte comme un ultime camouflet pour l’entièreté du peuple catalan. Mais Franco ne désirait pas s’arrêter en si bon chemin. Dès 1942, un défilé d’environ 24 000 phalangistes fut organisé au stade Montjuïc à Barcelone. Dans ce projet de suppression de la culture catalane, le nom du FC Barcelone fut hispanisé en Club de fútbol de Barcelona.
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Le clásico, bien plus qu’un match de football
Le FC Barcelone et ses supporters ne pouvaient s’attaquer directement au général. C’est pourquoi le Real Madrid, club du pouvoir franquiste, incarnait la cible idéale. La rivalité entre les blaugranas et la Casa blanca déborde du simple cadre sportif. En symbolisant l’opposition entre le centralisme de la couronne royale et l’indépendantisme catalan, cette antagonisme est éminemment politique. Le club blaugrana était alors dans les années 1950 «un outil de résistance sociopolitique » souligne l’historien Josep Solé I Sabaté, cité par Mickael Correia. Le FC Barcelone est alors bien plus que le club de sa ville, il est le club de la patrie catalane telle une sélection officieuse.
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Le franquisme ne laissait que peu de place à la libre expression et ce davantage en territoire aussi hostile. Dès lors, en Catalogne d’aucuns ne se risquaient à la moindre parole, au moindre geste qui pourrait être interprété comme l’expression d’une opposition au régime du Caudillo. Mais quand le FC Barcelone rencontrait son ennemi de toujours, le Camp Nou se transformait en lieu idoine de la résistance au fascisme. Le défoulement contre le Real Madrid était le moyen indirect de lutter contre Franco. Comme ce jour du 17 février 1974, quand le FC Barcelone infligea une lourde défaite de 5 à 0 à son rival au Santiago Bernabeu comme pour mieux se venger de sa défaite de 11 à 1 en 1943. En effet, les Catalans se plaisent à comparer « la manita» comme l’ultime gifle donnée à Franco, signant la fin de son règne seulement un an plus tard.
Les stades du FC Barcelone, foyers de la lutte contre le fascisme
Les Corts et le Camp Nou, premier et second stade du FC Barcelone, ont été les fiefs de la résistance contre le franquisme. Ces édifices ont été les éclaircies du ciel catalan dans la pénombre du fascisme franquiste. Durant le mois de mars en 1951, le stade des Corts devient le théâtre de l’opposition au franquisme lors d’une rencontre opposant le FC Barcelone au Racing Santander. Des tracts appelant au soutien de la grève contre l’augmentation du prix du ticket de métro furent distribués dans les travées de l’arène catalane. Au coup de sifflet final, les supporters catalans décidèrent de regagner leur logis à pied en guise de soutien aux grévistes. Un pied de nez au régime de Franco qui figure la survivance de la résistance catalane malgré la défaite de 1939.
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Si le stade des Corts a été un nid de la résistance catalane, le Camp Nou a donné une nouvelle dimension à la résistance barcelonaise. Durant l’inauguration de la nouvelle arène, des milliers de supporters ont entonné un Himne a l’estadi ( hymne au stade) face à un parterre de notables franquistes. Si la résistance catalane était encore sporadique, ce stade désormais mythique lui a donné une incarnation en conférant aux catalans un espace de liberté d’expression. Auprès du gazon vert, les catalans ont pu exprimer leurs opinions et étendre l’usage du catalan de la sphère familiale à l’extérieur. Manifester leur opposition au régime en distribuant des pamphlets anti franquistes à même les gradins du stade. Entonner à leur bon vouloir des chansons interdites par le régime comme le chant de ralliement des catalans républicains, Els Segadors. Si toute expression liée de près ou de loin à l’identité catalane était prohibée, cette interdiction n’a jamais su s’imposer au Camp Nou, haut lieu de résistance antifasciste.
Le pays de Cervantes a semble t-il était victime de ce moment d’indécision historique, cette période de crise de laquelle peut jaillir tout aussi bien la clarté que l’obscurité. L’hydre du fascisme s’est échappée de ce clair-obscur comme une fatalité. Mais la résistance à la barbarie est inoxydable, elle renaît inexorablement de ses cendres. Le FC Barcelone en est la preuve, s’il a incarné l’ennemi préférentiel des deux dictatures espagnoles, les blaugranas ont à leur échelle résisté à la tyrannie grâce au ballon rond. Le football sera toujours plus et autre chose qu’un simple jeu.
Sources :
- Correia, Mickaël, Une histoire populaire du football, Paris, La Découverte, 2018
- Yann Dey-Helle, 14 Juin : Le football catalan réprimé par la dictature de Primo de Rivera, Dialectik Football, 14 juin 2019
- Crédit photos : Icon Sport