Dès la fin du XIXème siècle, le football apparaît en Russie, apporté par des marins et industriels anglais dans le port de Saint-Pétersbourg. Très vite, la passion de ce sport s’empare des populations et Moscou s’impose rapidement comme la capitale du football soviétique. Face à cet engouement populaire, les dirigeants tentent alors de mettre la main dessus et de contrôler la passion autour du ballon rond. L’histoire du football soviétique est donc celle d’un match entre le Kremlin et ses peuples. Une équipe va néanmoins marquer les esprits dans ces premières années. Plus vieux club russe, le Dynamo Moscou fait partie des monuments du football Est-européen. Celui-ci va dominer les trois premières décennies du foot soviétique et appartient encore à l’élite du football russe. Retour sur le glorieux passé d’un club, désormais « maudit », à l’époque soviétique où le sport était bien plus qu’un loisir en URSS, mais une question d’honneur national.
Tout à l’origine, le Dynamo Moscou est fondé par des Anglais : les frères Charnock, grands protagonistes de l’arrivée du football en Russie, dans la dernière décennie du XIXème siècle. Ces producteurs de tissus appellent tout d’abord leur équipe Orekhovo Sport Club. Cette dernière est rebâtie le 18 avril 1923 en tant que section footballistique de la nouvelle société sportive Dynamo. Celle-ci est l’association sportive omnisports par excellence de l’Union soviétique. Elle fut créée par le ministère de l’Intérieur sous l’impulsion de Félix Dzerjinski, chef de la Tchéka (l’ancêtre du KGB) : la police politique soviétique de l’époque. L’objectif est de permettre aux membres des divers services de sécurité et milices, ainsi qu’à d’autres fonctionnaires tels que les collecteurs d’impôts, de pratiquer le sport afin de maintenir une bonne condition physique.
Le Dynamo, une affaire d’Etat
Dès sa fondation, le Dynamo n’est pas promis à un grand soutien populaire. Nombreux sont les athlètes qui proviennent de la police politique qui exercent d’autres professions impopulaires. Le nom de « Dynamo » est censé véhiculer une image novatrice et sportive de la politique en place. Le tout nouveau Dynamo est appelé à devenir le fleuron du système éducatif et sportif de l’Union Soviétique. Un gros travail est donc fait à travers le sport auprès des jeunes afin de promouvoir les carrières dans l’armée ainsi que dans les services de renseignement. « C’est un véritable instrument de pouvoir pour les dirigeants de la police politique comme moyen de reconnaissance et d’autorité. A travers le sport, le Dynamo, tout comme l’ensemble des Sociétés sportives qui composaient ce système, avait l’objectif d’insuffler une appartenance à un pan de l’Etat. C’est un moyen de faire carrière et de représenter l’organe de l’Etat le plus redouté du pays. » précise @FootRusse, compte de football dédié au football russe sur Twitter. Des clubs omnisports Dynamo fleurissent partout en URSS et on compte alors en 1929 plus de 200 clubs Dynamo, parmi eux les plus connus : le Dynamo Moscou et le Dynamo Kiev. C’est pourquoi des clubs mythiques vont écrire leurs légendes notamment par leurs rivalités avec les autres clubs tels les Spartak, Zenit, CSKA et autres Lokomotiv. Mais ces rivalités coûtent cher au pouvoir soviétique en raison de la forte concurrence entre l’armée et la police politique. Les budgets ne cessent d’exploser afin d’attirer les meilleurs athlètes au sein d’un camp ou d’un autre. Les coûts importants de fonctionnement et de maintenance des installations sportives poussent les Soviétiques à s’interroger sur la pérennité de la société Dynamo. Le pouvoir en place y voit finalement une utilité et sauve de justesse ce programme qui connait finalement un succès partout en Europe de l’Est.
Les premiers joueurs de la nouvelle équipe de football proviennent de plusieurs clubs moscovites dissouts pour laisser place au Dynamo. Le plus notable est le Sokolniki Moscou dont l’un des anciens joueurs, Fiodor Tchoulkov, se voit confier le recrutement des joueurs et ramène donc avec lui plusieurs de ses coéquipiers. Le premier match de l’histoire du Dynamo Moscou se joue par ailleurs exclusivement avec des joueurs de l’ancien Sokolniki. Peu après la création du club, la construction du stade Dynamo est entamée pour s’achever en août 1928.
Le Dynamo intègre à partir de 1924 le championnat de Moscou et termine quatrième pour sa première saison. Dès ses premières années, l’équipe se démarque par sa force offensive avec notamment les attaquants Sergueï Ivanov, Vassili Pavlov ou encore Valentin Prokofiev et Vassili Smirnov. En 1928, le club remporte son premier championnat de Moscou. Il termine à nouveau champion à quatre autres reprises en automne 1930, 1931, 1934 et au printemps 1935.
Entre nouveau championnat et guerre : des débuts particulièrement prometteurs
La première division soviétique est créée au printemps 1936. Le Dynamo fait partie des sept équipes fondatrices qui participent à la première édition de la compétition. Comptant alors dans ses rangs des joueurs tels que Mikhaïl Semitchastny, Sergueï Iline et Mikhail Yakushin, l’équipe écrase le championnat printanier, en remportant les six matches prévus pour l’occasion. Elle remporte ainsi le tout premier titre de champion d’Union soviétique de l’histoire, devant le Dynamo Kiev. Le championnat d’automne voit ensuite le Dynamo Moscou échouer à conserver son titre, qui finit deuxième, juste derrière le Spartak Moscou. L’année suivante, le championnat se joue désormais sur une année (et non plus en deux fois avec les éditions du printemps et de l’automne) et le Dynamo réalise le doublé Coupe-Championnat. Les saisons d’avant-guerre sont, de manière générale, marquées par une forte rivalité entre le Dynamo et le Spartak, équipes avec trois titres de champion chacun. Alors que le Spartak remporte deux coupes nationales entre 1936 et 1940, le Dynamo en remporte, de son côté, qu’une seule. Hors des terrains, cette rivalité prend une autre dimension sous l’influence de Lavrenti Beria, directeur du NKVD à partir de 1938 et grand soutien des équipes associées à la société Dynamo. Tout est mis en oeuvre pour gagner et celui-ci met en place plusieurs actions pour limiter les succès et la popularité du Spartak, allant de matches rejoués à plusieurs tentatives d’arrestations des frères Starostine (les fondateurs du Spartak) qui finissent par aboutir en 1942 à une sentence de dix années en camp de travail. Nikolaï Starostin, l’un des meilleurs joueurs des années 30 et qui évolue au Spartak Moscou, est envoyé dix ans au Goulag.
En 1940, l’équipe, renforcée notamment par les arrivées de Vassili Trofimov, Sergueï Soloviov et Vsevolod Blinkov, parvient à remporter son troisième championnat à l’issue de la saison. Sergei Soloviov est, d’ailleurs, encore à ce jour le meilleur buteur de l’histoire du club. Malgré le fait qu’il n’y avait pas de compétition internationale pendant la guerre, il atteindra à la fin de sa carrière en 1952, les 135 buts. Un record toujours imbattu aujourd’hui. L’équipe se classe par ailleurs première du championnat en 1941, qui n’est cependant pas achevé en raison de la Seconde Guerre mondiale.
Les héros du ballon rond ne sont pas envoyés au front car les héros ne doivent pas mourir. Le rôle du sportif dans la propagande de guerre est jugé prépondérante pour le Kremlin. C’est pourquoi certains joueurs du Dynamo sont protégés. D’ailleurs à Moscou, et malgré la suspension du championnat national, on organise en avril 1942 un championnat de Moscou. Beria est à la manœuvre, une occasion pour lui de voir son Dynamo l’emporter alors que le Spartak n’a plus les armes pour rivaliser, depuis que plusieurs de leurs joueurs sont tombés au front et que les frères Starostine furent envoyés au Goulag. Le Dynamo peut donc créer ses propres « sportifs héros » selon l’expression du journaliste Igor Fein.
À la reprise de la compétition en 1945, le Dynamo, renforcé par l’arrivée notable de Konstantin Beskov et de son emblématique entraîneur Mikhail Yakushin, remporte le premier championnat d’après-guerre devant le CDKA Moscou (l’ancien nom du CSKA Moscou), club de l’armée, bien que ce dernier parvienne à remporter la coupe nationale lors de la finale opposant les deux équipes. Après la Seconde Guerre mondiale, l’heure est à la reconnaissance internationale. Quand il faut choisir une équipe soviétique pour faire une tournée au Royaume-Uni en 1945, le Dynamo est naturellement choisi, et devient le premier club soviétique à aller jouer des matches internationaux en dehors des frontières. « Comme c’était l’équipe de la police secrète, le Dynamo pouvait être envoyé à l’étranger pour une campagne de propagande », remarque dans le Moscow Times, Ronnie Kowalski, universitaire auteur d’un livre sur l’évènement. Le Dynamo remplit parfaitement son rôle : les joueurs distribuent des bouquets de fleurs à leurs adversaires au moment d’entrer sur le terrain, et la supériorité tactique et physique des Soviétiques leur permet de terminer invaincus. La tournée britannique se conclut par une victoire contre Cardiff City (10-1), une contre Arsenal (4-3) et deux matches nuls contre les Glasgow Rangers et Chelsea. Cette dernière équipe qui avait payé très cher pour acquérir les meilleurs joueurs du pays pour la rencontre.
Les années qui suivent voient le Dynamo et le CDKA s’opposer une concurrence en championnat jusqu’à la fin des années 1940. Celle-ci débouche sur cinq titres de champion entre 1946 et 1951 pour ce dernier tandis que le Dynamo termine vice-champion à quatre reprises sur cette même période. Le club remporte, toutefois, le championnat en 1949 avec un record que peu d’équipes réussiront à égaler, en marquant 104 buts pour une différence de but portée à +74. Il atteint par ailleurs deux nouvelles finales de coupe en 1949 et 1950, mais perdant chacune d’entre elle. Néanmoins, le plus grand reste à venir pour le Dynamo et c’est notamment durant le début de cette nouvelle décennie, que commence la carrière d’un certain Lev Yashin.
Lev Yashin, un nouvel âge d’or et une renommée européenne
Le début des années 50 voit le Dynamo échouer à tirer parti de la disparition temporaire du CDSA (nouveau nom du CDKA) pour le gain du titre, tandis que le Spartak l’emporte en 1952 et 1953. L’équipe du CDSA est, en effet, affectée par une répression politique en 1952 et est dissoute sur ordre des autorités soviétiques en août 1952. Ses joueurs sont réaffectés vers d’autres équipes dont les meilleurs éléments… échouent au Dynamo. La principale raison évoquée pour cette décision est la performance décevante de la délégation soviétique de football lors des Jeux olympiques d’été de 1952, où la sélection composée en grande majorité de joueurs du CDSA est éliminée dès le premier tour par la Yougoslavie. Il est également suspecté que cette décision soit le fruit de pressions politiques, notamment de Lavrenti Beria, afin d’éliminer la concurrence du CDSA qui est alors le principal rival du Dynamo.
L’année 1953 voit le Dynamo remporter sa deuxième coupe nationale au détriment du Zénith Kouïbychev. À partir de 1954, l’équipe entraînée à nouveau par Mikhail Yakushin et se composant notamment de joueurs tels que Lev Yachine, Vladimir Iline, Boris Kuznetsov, connaît un nouvel âge d’or. Elle remporte le championnat à quatre reprises en 1954, 1955, 1957 et 1959. Une période faste, donc, qui s’explique par des moyens colossaux du club de la police, comme l’explique @FootRusse : « il faut voir les moyens considérables de la Société sportive grâce à l’appuie de la police politique. Que ce soit en terme d’infrastructures ou de possibilités d’acquérir les meilleurs joueurs, le Dynamo a profité de sa condition de club de la police secrète ». Et son gardien de l’époque illustre cette superpuissance du club.
Lev Yashin est considéré comme le gardien le plus fort de son temps et l’un des tous meilleurs de l’histoire du foot. Ses débuts pour le club en 1950 sont néanmoins compliqués, enchaînant les performances à demi-teinte dans les buts. Il est alors renvoyé dans l’équipe de hockey sur glace du Dynamo. C’est ici que le jeune portier russe finit par s’améliorer avant de s’imposer définitivement dans les cages de football en 1953… cages qu’il ne quittera plus pendant près de 17 ans. En effet, après ses bonnes performances aux cages de hockey, les dirigeants du Dynamo décident de lui redonner une chance dans l’équipe de football moscovite. Ses parades exceptionnelles et à sa tenue toute noire lui vaudront le surnom de « l’araignée noire ». L’homme est doté d’excellents réflexes et est capable de se relever immédiatement d’une parade puis de relancer rapidement vers ses coéquipiers. L’homme aux 150 penaltys arrêtés, d’après la légende, savait comment se préparer « Mon secret ? Avant un match, je fumais une cigarette pour me calmer les nerfs et buvais un verre de vodka pour tonifier mes muscles ». L’homme devient rapidement une icône de l’URSS à l’image de Gagarin, premier homme à être allé dans l’espace, qu’il n’hésite pas à citer : « La joie de voir Yuri Gagarin voler dans l’espace est seulement dépassée par la joie d’un bon arrêt de penalty » déclarera-t-il. Une légende citant une autre légende donc. Légendes grâce auxquelles Moscou peut briller et faire savoir au monde entier combien le pays est puissant. Sa présence au sein de l’équipe est donc porteur de renommée pour le Dynamo, seul club qu’il fréquente dans sa carrière. L’immense carrière de Lev Yashin atteint son apogée au cours de l’année 1963 avec, une saison à seulement 6 buts encaissés en championnat, un nouveau titre national avec le Dynamo Moscou et le Ballon d’or : l’unique gardien à l’avoir remporté.
Les années suivants cette période dorée sont plus difficiles pour le club dont les principaux acteurs quittent l’équipe ou arrivent au terme de leur carrière. C’est notamment le cas de Lev Yashin en 1971. Le Dynamo demeure néanmoins une équipe de haut de classement avec deux places de vice-champion en 1967 et 1970. Ces deux années s’accompagnent par ailleurs de victoires en Coupe. Cette dernière victoire permet alors au Dynamo de se qualifier pour sa première compétition européenne de son histoire en prenant part à la Coupe des coupes 1971-1972. Dirigée alors par Konstantin Beskov, l’équipe obtient un résultat historique pour le football soviétique. En l’emportant face aux Grecs de l’Olympiakos puis face aux Turcs d’Eskisehirspor, elle élimine par la suite l’Étoile rouge de Belgrade en quarts de finale avant de l’emporter aux tirs au but contre le Dynamo Berlin pour devenir la première équipe d’URSS accéder à une finale de coupe européenne, et ce dès sa première participation. La finale disputée à Barcelone au Camp Nou s’achève cependant par une défaite 3-2 des Soviétiques face aux Écossais des Glasgow Rangers.
Après ce parcours, l’équipe poursuit ses saisons inconstantes en championnat. Elle termine finalement première lors du championnat printanier de 1976, remportant ainsi son onzième et dernier titre de champion d’Union soviétique. Cette victoire est suivie l’année suivante d’une cinquième coupe nationale remportée face au Torpedo Moscou, lui permettant de participer à la Coupe des coupes 1977-1978 où le Dynamo connaît un nouveau parcours notable, échouant en demi-finale face à l’équipe autrichienne de l’Austria Vienne. Le début des années 1980 s’accompagne d’une période très difficile sportivement pour le Dynamo qui côtoie régulièrement le bas du classement entre 1980 et 1985. 1984 voit cependant le club remporter sa sixième et dernière coupe d’Union soviétique.
À la dissolution du championnat soviétique en 1991, le Dynamo se classe comme la troisième équipe la plus titrée du championnat avec onze titres de champion, derrière le Dynamo Kiev et le Spartak Moscou qui en comptent respectivement treize et douze. Elle se démarque par ailleurs comme étant la seule équipe à avoir pris part à l’intégralité des éditions de la première division soviétique. Il est également le troisième club ayant remporté le plus de coupes nationales avec six trophées. Toutefois, aujourd’hui, le Dynamo n’est plus à la hauteur de son illustre passé. Le club subit de plein fouet la chute de l’URSS et ne parvient plus à remporter un titre dans le championnat de Russie moderne. Entre changements de propriétaires, crises institutionnelles et sportives, telle sa première relégation en 2016, les résultats ne suivent plus et le Dynamo renvoie l’image d’un club « maudit ». Néanmoins, ce dernier envisage de redevenir l’un des clubs phares de Russie et de regagner des titres, en particulier celui d’un championnat qui lui échappe depuis plus de 40 ans maintenant. Malgré un stade ultra-moderne, il faudra être patient et c’est toujours en arrière que les fans regardent et attendent désespérément le retour au sommet d’un Dynamo où l’ombre du passé plane toujours.
Sources :
- https://www.iamnaples.it/in-evidenza/la-storia-della-dinamo-mosca-dal-diamante-come-logo-al-mito-di-lev-yashin/
- https://footballski.fr/dynamo-pouvoir-mouvement
- https://www.francetvinfo.fr/sports/foot/kgb-propagande-et-araignee-noire-le-dynamo-moscou-le-nouveau-club-maudit-de-mathieu-valbuena_662825.html
- Nicolas Jallot et Régis Genté, Futbol. Le ballon rond de Staline à Poutine, Allary éditions, 2018