Les guerres changent la vie d’un pays et les traits de sa société : le football en France pendant la Seconde Guerre mondiale en est un flagrant exemple. Sous Vichy, la France n’a plus le même visage. Le football symbolise le désordre auquel ce gouvernement aboutissait. Des changements de règles ou de dirigeants, des démissions, des matchs incroyables et tant de choses inimaginables aujourd’hui : le football français de 1939 à 1945 ne manque pas de rebondissements.
En septembre 1939, les joueurs sont mobilisés et les compétitions nationales gravement affectées dès le printemps 1940. Les Allemands occupent Paris dès la mi-juin. Le championnat national se divise rapidement en trois zones (puis deux plus tard) et la coupe, durant les quatre prochaines années reprend son nom d’origine : la Coupe Charles Simon. La France elle-même se sépare en deux grandes zones, le Nord occupé et la zone Sud libre de Vichy.
S’il est difficile, mais toujours possible, de continuer la compétition dans la zone occupée, la zone libre contrôlée par le régime collaborateur de Vichy permet à son championnat annuel de jouir d’une plus grande liberté. Bien que certaines rencontres sont ridiculement unilatérales (l’OM bat Avignon sur le score de 20-2 en 1942…). La Coupe Charles Simon reste une question nationale. Disputée entre les vainqueurs respectifs de la zone occupée et de la zone libre, elle attire 45 000 spectateurs au stade de Colombes en 1942.
Bouleversement de l’administration du football et opposition à la FFF
Le régime de Vichy a un impact considérable sur le sport en général et sur le football en particulier. Le gouvernement crée un Commissariat Général à l’Education générale et aux sports (CGEGS). Il entraîne la jeunesse du pays à la gymnastique et il insiste sur les valeurs dominantes de Travail, Famille et Patrie. Ce commissariat exige des footballeurs qu’ils exercent un métier en dehors du football, souhaitant ainsi abolir le professionnalisme. Pour Jean Borotra, Commissaire Général à l’EGS, le sport peut être utilisé comme un moyen de régénérescence s’il se pratique plutôt que se regarde. Dès lors, la pratique se généralise. Un certain niveau de compétence peut être atteint par tout le monde. La conséquence logique de ceci est pour lui la prééminence de l’amateurisme, de façon à ce que le plus de personnes possible puissent participer. Par là, il écarte le professionnalisme car il est lié à l’argent et au profit. Le sport se doit d’être « chevaleresque et désintéressé« . Borotra déclare que la généralisation du professionnalisme demeure « la cause principale de la mauvaise ambiance régnant dans certains cercles sportifs et de la déconsidération dans laquelle certains sports ont sombré« .
Jean Borotra impose d’autres mesures draconiennes : la réduction du temps de jeu de 90 à 80 minutes par exemple. Une telle décision a comme conséquence considérable la démission de Jules Rimet de la présidence de la Fédération Française de Football. Il se fait alors remplacer jusqu’à la fin de la guerre par Henri Jevain, président de la Ligue Parisienne. Ce genre de mesures prises avec autorité par le Commissaire sont instables. Le colonel Pascot, qui succède à Borotra en avril 1942, donne une saison à la FFF pour régler le problème du professionnalisme. Il rétablit la durée des matchs à 90 minutes. Il interdit cependant aux joueurs professionnels de quitter leur équipe d’origine et limite à sept le nombre de professionnels par équipe. Le système de transferts est déclaré illégal par Vichy, il n’est pas rétabli sous Pascot. L’obligation de faire jouer quatre amateurs par équipe a un objectif majeur : encourager l’épanouissement de nouveaux et jeunes joueurs locaux et favoriser le développement des équipes régionales. En réalité, il permet à l’idéologie de Pétain de se diffuser à une échelle locale, chez la jeunesse et surtout d’éclater le milieu du football professionnel qui n’accepte pas tous ces bouleversements insensés.
Le colonel Pascot a une grande influence sur le football pendant la Seconde Guerre mondiale par le rôle qu’il joue lors de la finale de la Coupe Charles Simon en 1943 opposant l’Olympique de Marseille aux Girondins de Bordeaux au Parc des Princes. Elle résulte d’un match nul 2-2. Les Marseillais se plaignent de l’inscription tardive d’un joueur bordelais et se voient attribuer le trophée par la fédération. Le colonel Pascot n’est pas d’accord avec cette décision et ordonne un deuxième match qui, ironiquement, est remporté par l’OM sur le score record à l’époque de 4-0. Une fois de plus, le Commissaire Général a supplanté la FFF malgré que la coupe ne change pas de mains.
Une idéologie de l’amateurisme au sommet : le football professionnel dénigré
Une nouvelle initiative de Pascot, quelque peu rétrograde, constitue un bouleversement encore plus considérable. Le 15 juin 1943, il annonce que tous les clubs possèdent un statut amateur tandis que les joueurs professionnels deviennent des fonctionnaires de l’Etat et joueront pour l’une des seize équipes fédérales représentant chacune une région (Lyon-Lyonnais, Reims-Champagne ou Nancy-Lorraine).
C’est sa manière de punir la FFF qui rechignait à endiguer le professionnalisme. Pascot ignore les inévitables protestations et ce système est administré par L.B. Dancausse qui sera à la tête du rétablissement général du football professionnel en France. Les équipes fédérales permettent la continuité du football professionnel et évitent aux joueurs d’être déportés en Allemagne pour le Service du Travail Obligatoire.
Le fonctionnement de ce championnat est complètement instable : il manque grossièrement de moyens et de nombreux matchs sont ajournés voire interrompus par l’avancée des forces alliées. Lens-Artois est la dernière équipe fédérale en tête du classement lorsque la saison s’interrompt en 1944.
La Libération permet le rétablissement rapide du statut professionnel et l’arrêt du système des équipes fédérales. Malgré tout, le football français ne retrouve pas de suite un visage semblable à celui d’aujourd’hui : lors de la saison 1944-1945, les clubs de l’Est sont dans l’impossibilité de participer au championnat à cause des combats. De plus, les réseaux ferroviaires sont très endommagés par la guerre, la compétition reprend lentement. On considère la saison 1945-1946 remportée par le Lille OSC – héritier du système des équipes fédérales – comme la véritable édition du championnat d’après-guerre.
Sources :
- Xavier Breuil, « Vichy et le football », We are football
- Gabriel Cnudde, « Vichy, Borotra et le football déchu », sofoot.com, août 2015
- Christophe Pécout, « La politique sportive du gouvernement de Vichy : discours et réalité », Les cahiers de psychologie politique, n° 7, juillet 2005
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