Alors qu’il était déjà un joueur confirmé et un talent magnifique, récompensé par deux podiums au classement du Ballon d’Or, Michel Platini prend une autre dimension durant l’été 1982. Patron d’une équipe de France qui enchante les Français et atteint pour la première fois depuis vingt-quatre ans le top quatre mondial, il rejoint à la fin de l’été la grande Juventus, qui vient de remporter son vingtième titre de champion d’Italie et compte dans ses rangs un grand nombre de récents champions du monde.
Deuxième partie
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Zbigniew Boniek
Né en Pologne en 1956, moins d’un an après Platini, Zbigniew Boniek a contribué a amené son club du Widzew Lodz vers les sommets nationaux. Vice-champions en 1977, 1979 et 1980, les partenaires de l’international polonais remportent les deux premiers titres de l’histoire du club en 1981 et 1982. Comme Platini, il a disputé sa première Coupe du monde en 1978 et comme Platini, il a brillé lors de sa seconde participation, en 1982. Auteur notamment d’un triplé face à la Belgique, Boniek dispute plus tard la petite finale face à une équipe de France meurtrie par sa terrible défaite face à la RFA. Vainqueurs 3 à 2, les Polonais obtiennent leur deuxième médaille de bronze mondiale, après 1974. Repéré probablement dès 1980 à l’occasion d’une confrontation en Coupe de l’UEFA lors de laquelle le Widzew Lodz de Boniek élimina la Juventus, le Polonais rejoint finalement la Vieille Dame en 1982, en même temps que Platini. Deux seuls étrangers au sein d’un effectif prestigieux qui ne regroupe pas moins de six champions du monde, Platini et Boniek sont forcément amenés à se rapprocher au moment de leur intégration. Pour les deux hommes, c’est un cap qui est franchi, aussi bien sur le plan sportif que personnel. Ils viennent ici pour glaner des titres et progresser en tant que footballeurs dans une des meilleures équipes du monde.
Tenante du titre, la Juventus échoue pourtant à le conserver, malgré ses champions du monde et ses deux stars étrangères. C’est la Roma de Bruno Conti qui l’arrache, avec quatre points d’avance sur les Turinois. La Juve se console tout de même en remportant sa septième Coupe d’Italie, compétition lors de laquelle Platini inscrit sept buts en treize matchs. Mais l’objectif principal des deux hommes, une des principales raisons pour laquelle ils sont venus, c’est la Coupe d’Europe. Les deux hommes disputent les neuf matchs qui mènent les bianconeri en finale. Sur le chemin de celle-ci, Boniek retrouve son ancien club qui se hisse jusqu’en demi-finale. Mais contrairement à la Coupe de l’UEFA deux ans plus tôt, c’est cette fois-ci la Juve qui remporte la confrontation et s’en va défier le Hambourg SV de Felix Magath en finale à Athènes. Cependant, l’apothéose attendra. Magath souffle les espoirs de sacre européen des Turinois, défaits pour la deuxième fois de leur histoire en finale de C1. C’est une première saison en demi-teinte pour Platini et Boniek, qui s’imposent certes comme des titulaires indiscutables, mais ne remportent qu’un titre sur trois, échouant aux portes des deux trophées les plus prestigieux. Sur le plan individuel, Platini réussit l’exploit de terminer meilleur buteur du championnat, pour sa première saison. A mi-saison, Boniek est distingué par une troisième place au classement du Ballon d’Or, qui récompense cette année-là Paolo Rossi, lui aussi joueur de la Juve et auteur d’une fantastique Coupe du monde pour l’Italie.
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C’est la deuxième saison à la Juve de Platini qui sera certainement la plus aboutie. De nouveau à la lutte face à la Roma, la Juventus sort cette fois-ci vainqueur de ce duel et remporte son vingt-et-unième Scudetto avec la meilleure attaque, bien aidée par son joyau, Michel Platini, auteur de vingt buts en vingt-huit matchs de championnat et Ballon d’Or 1983. Si les bianconeri ne réalisent pas le doublé Coupe-Championnat, ils réussissent mieux en remportant, à la place de la Coppa Italia, leur deuxième Coupe d’Europe. Leur parcours en Coupe d’Europe des Vainqueurs de Coupes, marqué par une confrontation serrée face au Paris Saint Germain en huitièmes, les voit se défaire de Manchester United en demi-finale et de Porto en finale grâce à un but victorieux de Boniek. Pour la deuxième saison de suite, Platini est le meilleur buteur du championnat dont il est élu meilleur joueur. Une fois cette saison fantastique en club terminée, retour en France pour disputer le Championnat d’Europe des Nations à domicile.
L’Euro 1984
C’est certainement au cours de cette compétition que Platini entre véritablement dans la légende et devient une des personnalités préférées des Français. Lui qui avait reçu des sifflets au Parc des Princes pour s’être exilé en Italie, revient à l’été 1984 en conquérant. Pas encore assez mûr en 1978 alors qu’on attendait déjà beaucoup de lui, perdant magnifique en 1982 à l’image de l’ensemble de ses partenaires, l’homme de base de Michel Hidalgo souhaite en finir avec cette image qui colle à la peau des footballeurs français et se sert de ses victoires obtenues de l’autre côté des Alpes afin de concrétiser le rêve de millions de Français.
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Mis en place en 1982 avec Tigana, Genghini et Giresse pour entourer Platini, le Carré Magique de Michel Hidalgo va faire des miracles au cours de cet Euro, avec cette fois-ci le jeune Luis Fernandez à la place de Genghini. Le remplacement de ce dernier par Fernandez n’est pas une nouveauté tentée pour l’Euro 1984, Hidalgo a en fait placé le Parisien à ce poste depuis plus d’un an, installant définitivement ce milieu à quatre qui fera le succès de cette équipe. Aux côtés du Parisien et du Turinois, les deux Bordelais Tigana et Giresse, tout récents champions de France, complètent parfaitement le quatuor. Deuxième du Ballon d’Or en 1982 et élu joueur français de l’année 1982 et 1983, Alain Giresse est certainement celui qui se rapproche le plus du profil de Platini et qui doit donc faire preuve du plus d’intelligence afin de se mettre au service de son capitaine et numéro 10 pour le bien de l’équipe. Car c’est bien Platini qui va illuminer le tournoi de sa classe.
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Unique buteur pour le match d’ouverture face aux Danois, il inscrit ensuite un triplé – pied gauche, pied droit, tête – lors de la démonstration face à la Belgique, battue cinq à zéro grâce aux buts supplémentaires de Giresse et Fernandez. Bousculés par la Yougoslavie pour le troisième match de poule – la France concède l’ouverture du score – les Bleus s’en remettent une nouvelle fois à Platini, qui inscrit un nouveau triplé – toujours pied gauche, pied droit, tête – pour arracher une victoire 3 à 2. L’histoire s’écrit ensuite dans la chaleur provençale du mois de juin. Du côté de Marseille, les Français, tenus en échec par le Portugal après 119 minutes de jeu et deux doublés, celui de l’attaquant Jordão et du défenseur Domergue, s’en remettent une fois de plus au génie de Platini. Nous sommes alors à la toute fin des prolongations d’un match extraordinaire et terriblement rythmé. Au bout d’un énième mouvement collectif, Tigana s’arrache pour centrer en retrait pour Platini qui, en contrôlant dans les six mètres, fait preuve d’un sang froid qui surprend les défenseurs portugais se jetant pour contrer un éventuel tir. Le numéro 10 des Bleus se fait alors maître du temps pour placer ce qu’il sait être le tir victorieux. C’est ce tout petit geste maîtrisé par n’importe quel footballeur, ce contrôle banal qui, dans un tel moment, fait la différence et permet à Platini de marquer un des buts les plus importants de sa carrière. Deux ans après la terrible prolongations de Séville, les Bleus iront cette fois-ci en finale au terme d’une nouvelle demie épique, dont le scénario est bien plus heureux.
De retour au Parc des Princes, les Français se défont de l’Espagne, grâce à un but sur coup franc de Platini, bien aidé par la boulette d’Arconada, rentrée dans la légende, et grâce à un but de Bruno Bellone. Ce dernier but est le premier d’un attaquant pour les Bleus dans cet Euro, preuve du poids pris par le Carré Magique et Platini, auteur de neuf buts en cinq matchs. Un record qui tient encore aujourd’hui, quand bien même deux matchs supplémentaires sont désormais disputés au cours d’un seul Euro. Elu logiquement meilleur joueur du tournoi, les récompenses pleuvent sur le natif de Joeuf à la fin de l’année. Parmi elles, un second Ballon d’Or d’affilée, venant couronner une saison exceptionnelle achevée à 37 buts en 52 matchs, le plus haut total de Platini en carrière. Durant l’année civile 1984, l’Equipe de France aura disputé douze matchs, pour un total de douze victoires. Lors de ces douze rencontres, Platini inscrit 13 de ses 41 buts en Bleu.
Le héros des Français continue sur sa lancée de l’Euro 1984 une fois de retour en Italie. Début janvier, les Turinois disputent la Supercoupe d’Europe face à Liverpool, vainqueur de la C1, qu’ils vainquent grâce à deux buts de Boniek. Malgré ce nouveau titre, les coéquipiers de Platini sont à la peine en championnat, à l’image des autres grandes équipes de la botte. La Juve termine une nouvelle fois meilleure attaque de championnat, toujours grâce à Platini, capocannoniere pour la troisième saison d’affilée. Mais à cause d’un nombre de matchs nuls trop important, les Turinois terminent à une décevante sixième place. En revanche, la campagne européenne de la Juventus est bien plus réussie. Quatre victoires en quatre matchs jusqu’en quarts de finale, puis une victoire 3-0 face au Sparta Prague avant une défaite 1-0 au match retour. C’est en demi-finale que les coéquipiers de Platini et Boniek se font le plus peur, avec une nouvelle victoire 3-0 à l’aller face à Bordeaux, suivie d’une dangereuse défaite 2-0 en Gironde. Qualifiés pour leur troisième finale de C1, les Turinois vont vivre une bien triste soirée en ce 29 mai 1985 à Bruxelles. Ils retrouvent le tenant du titre Liverpool en finale et l’avant-match est endeuillé par l’action de hooligans anglais qui attaquent des supporters de la Vieille Dame dans l’enceinte du stade. Le bilan de ce drame qui va marquer toute l’Europe est de 39 morts. Malgré cela, le match se tient tout de même, afin d’éviter de nouveaux incidents en ville en cas de report de la finale. Grâce à un but de Platini sur pénalty, la Juventus remporte sa première C1 et devient par la même occasion le premier club à remporter les trois Coupes européennes. Tristement, la remise du trophée se fait en catimini dans les vestiaires du stade du Heysel, dont le nom sera accolé à jamais à celui du drame intervenu en marge de la rencontre.
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Si ce sacre européen est inévitablement entaché par la mort de dizaines de supporters de la Juventus, rien ne peut faire oublier la détermination de Platini à aller chercher ce trophée, lui qui inscrit sept buts en neufs matchs de C1 cette saison-là, faisant du Français le meilleur buteur de la compétition. C’est le cinquième trophée du meneur de jeu en trois saisons passées à la Juve, après la Coppa Italia, le Scudetto, la Coupe des Coupes et la Supercoupe d’Europe. C’est aussi sa dernière saison à un rythme d’environ 30 buts en 50 matchs, rythme qu’il tenait depuis sa première saison professionnelle complète, onze ans plus tôt, exceptée sa dernière saison à Nancy lors de laquelle il fut blessé. A plus de 30 ans, Platini fatigue, mais n’en reste pas moins un joueur d’exception. Tout d’abord, il est récompensé par un troisième Ballon d’Or d’affilée en 1985, performance seulement dépassée par Lionel Messi, vingt-cinq ans plus tard. Ensuite, Platini brille lors de la Coupe Intercontinentale 1985, qui voit la Juve affronter Argentinos Juniors à Tokyo. De ce match remporté aux tirs aux buts, Platini est élu meilleur joueur. Pour sa quatrième saison transalpine, il remporte un deuxième Scudetto après une nouvelle lutte face à la Roma. Malgré une baisse de rythme, il reste le meilleur buteur de la Juve en championnat avec douze réalisations. Mais c’est bien la Roma qui possède la meilleure attaque, grâce à Pruzzo et ses 19 buts. En C1, Platini est impuissant à empêcher l’élimination de son équipe par Barcelone en quarts de finale et vit par conséquent sa première saison sans finale européenne à disputer.
Mais l’été est copieux avec au programme la troisième Coupe du monde pour le Français, la deuxième en Amérique latine. C’est dans la chaleur et les hauteurs du Mexique que les Français du nouveau sélectionneur Henri Michel, ancien coéquipier de Platini en Bleu, souhaitent faire honneur à leur statut de champions d’Europe. Malgré deux victoires en trois matchs au premier tour, les Français terminent deuxièmes de leur groupe derrière l’URSS, la faute à une moins bonne différence de buts. Platini n’inscrit pas le moindre but lors de ces premiers matchs mais ses coéquipiers prennent le relais, à l’image du jeune Jean-Pierre Papin. En huitièmes, la confrontation face aux Italiens champions du monde en titre réveille les ardeurs du vieux champion qui ouvre le score et montre la voie à ses partenaires face à des adversaires qu’il connaît mieux que personne. Puis intervient ce que Pelé a qualifié de « match du siècle », la rencontre entre deux des plus belles sélections nationales des années 1980 : le Brésil de Socrates et Zico et la France de Platini et Giresse. Blessé durant la compétition, le triple Ballon d’Or montre alors de quoi il est encore capable et participe à un véritable récital de la part des deux équipes. A Guadalajara, malgré la chaleur, le ballon ne s’arrête jamais et il n’y a pas de place aux déchets tant la qualité technique des deux équipes impressionne. Auteur du seul but français du match, Platini rate pourtant son tir au but. Mais il sera imité par Socrates. Il fallait néanmoins un vainqueur à ce match et c’est la France qui s’en sort, condamnant le Brésil à abandonner le projet de jeu magique de Telê Santana pour la froideur européenne qui leur amènera un quatrième titre mondial huit ans plus tard.
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Toutefois, pour l’heure, place aux demi-finales pour la France, qui y retrouve son bourreau allemand, comme à Séville quatre ans plus tôt. Cette fois-ci, les Allemands dominent largement des Français épuisés et se hissent à nouveau en finale. En partie grâce à la nouvelle génération, les remplaçants tricolores iront chercher la troisième place que leurs prédécesseurs n’avaient pas pu aller conquérir face à la Pologne en 1982. La Belgique est défaite 4 à 2 et la génération des Platini, Tigana et autres Amoros ira chercher sa seule médaille de bronze mondiale.
Platini dispute ensuite une dernière saison complète pour les bianconeri. Celle-ci verra le Napoli de Maradona accomplir son rêve ultime, c’est-à-dire battre la puissante Juventus et son mythique numéro 10 français. Pour trois points, les partenopei entrent à jamais dans l’histoire et Platini dit au revoir au haut niveau. En quatorze ans de carrière, il aura inscrit plus de 350 buts en 655 matchs. Après avoir éclos en douceur à Nancy, avec qui il conquiert la Coupe de France, il passe un cap à Saint-Etienne, sans y avoir atteint tous les objectifs qu’il s’était fixé et en laissant le club dans un marasme catastrophique. Ensuite, il aura atteint la gloire européenne et mondiale avec la Juventus, empilant les trophées et les récompenses personnelles. Mais c’est certainement son parcours en Equipe de France qui restera le plus marquant, avec cet Euro 1984 comme apothéose d’une formidable carrière.
Le 23 mai 1988, c’est au stade Marcel Picot de Nancy, là où il avait inscrit ses premiers buts professionnels, qu’il fait ses adieux après s’être imposé comme l’un des meilleurs joueurs au monde. Capitaine d’une équipe de France de gala opposée à une équipe de joueurs issus du monde entier menée par Maradona, Platini chaussa pour la dernière fois les crampons et mit pour une dernière fois Nancy sur la carte.
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