Être supérieur, doté de qualités innées de commandement, l’archange est le chef des anges. Cette petite catégorie d’anges élus, qui s’élèvent au-dessus d’êtres eux-mêmes exceptionnels pourrait caractériser l’élite de n’importe quelle catégorie. Il s’agit ici de l’élite des joueurs de football, ceux qui se placent au-dessus des très bons et autres grands joueurs, ceux dont l’aura ne peut être remise en question : les légendes du football. L’une des plus grandes d’entre elles s’en est allée le 25 novembre 2020. Si Diego Armando Maradona n’est pas le premier de ce groupe très restreint à s’en aller, d’autres archanges du football sont toujours en vie, certains régalent même toujours de leur talent balle au pied les amateurs de football. Car, fort heureusement, de nouveaux immenses talents continuent d’éclore, permettant de renouveler la confrérie. Parmi ces génies, révérés par les adeptes du beautiful game, l’un est Français. Bien sûr, la nationalité importe peu lorsque l’on atteint les cieux, se rapprochant ainsi des si fameux et impalpables « dieux du foot ». Il n’empêche que ce joueur a fait beaucoup pour son équipe nationale, la hissant, avec lui, à des sommets jusqu’ici insoupçonnés. Il s’agit de Michel Platini.
1ère partie
Aldo Platini
Le père de Michel Platini est né dans la Meuse en 1927 de parents italiens ayant émigré en France avant la Première Guerre mondiale. Les parents d’Aldo s’installent à Joeuf, en Meurthe-et-Moselle, où ils ouvrent un commerce. Aldo, tout comme son fils après lui, se marie à une descendante d’immigrés italiens, ces derniers ayant été nombreux à s’installer dans la région. Footballeur amateur de très bon niveau, Aldo est instituteur. Fort de ces qualités, c’est un éducateur né. Il s’occupe de plusieurs équipes de jeunes dans la région au cours de sa vie. Lorsqu’il constatera que son fils, Michel, est doté d’un talent unique pour ce sport qui lui est cher, Aldo le poussera à franchir le cap que lui n’a pas su franchir, celui du professionnalisme. Né en 1955 à Joeuf, la terre d’adoption de ses parents et grands-parents, Michel Platini intègre rapidement le club local – l’AS Joeuf – au sein duquel il est licencié jusqu’à ses seize ans. Après plusieurs tentatives infructueuses pour rejoindre le FC Metz, c’est le concurrent nancéien qui finit par signer le plus grand joueur de son histoire, en 1971. Le club lorrain verra par la suite Aldo Platini s’inscrire dans les organes du club, dans lequel il s’impliquera pendant plus de trente ans, devenant entraîneur de l’équipe réserve, directeur sportif, puis premier directeur du centre de formation.
Jean-Michel Moutier et Olivier Rouyer
Nés la même année que lui, les deux Lorrains Jean-Michel Moutier et Olivier Rouyer débarquent peu de temps après Platini dans l’effectif du club nancéien et se lient d’amitié avec lui. Le jeune espoir ne s’impose pas tout de suite au sein de l’équipe première de l’AS Nancy-Lorraine. Pas encore majeur, Platini joue en équipe réserve, où il se fait les dents en attendant son heure. Gardien de but, Moutier est l’un des premiers à subir les coups-francs magiques de Platini, participant pleinement à peaufiner sa technique. S’il inscrit ses premiers buts avec l’équipe première début 1973, ce n’est véritablement que lors de la saison 1973-1974 que Platini intègre le onze titulaire. Malheureusement, cette saison est celle de la descente avec une rétrogradation en D2.
Néanmoins, la relégation permet à Platini de gagner du temps de jeu et de s’imposer définitivement dans l’équipe. Il participe pleinement à la remontée de son club, aux côtés du goleador argentin Joaquim Martinez, puisqu’il inscrit au total 30 buts en 40 matchs (!). Parmi ces réalisations, il faut relever ces 13 buts inscrits en 7 rencontres de Coupe de France, compétition que l’AS Nancy-Lorraine quitte avec les honneurs en huitièmes de finale face au grand Saint-Etienne, futur vainqueur de la compétition. Cette très bonne saison pour Platini et Nancy marque l’explosion – et l’exposition – d’un talent exceptionnel. Cette fois-ci, plus de doute, après plusieurs blessures ayant retarder son éclosion, le fils d’Aldo Platini s’affiche comme un futur grand et suscite déjà les convoitises. Ce rythme, exceptionnel pour un numéro 10, de 30 buts, Michel Platini réussit l’exploit de le tenir sur plusieurs saisons d’affilée. Exploit d’autant plus remarquable que le jeune buteur lorrain effectue alors son service militaire. En compagnie d’Olivier Rouyer, il est affecté au bataillon des sportifs de haut niveau, le bataillon de Joinville. Pour son retour dans l’élite, l’ASNL réalise une nouvelle belle saison, terminant dans la première partie du tableau au championnat et confirmant sa bonne disposition en Coupe de France, où le club lorrain se hisse en demi-finale. Platini y est encore pour beaucoup avec ses 6 buts en 5 matchs, qu’il faut ajouter aux 22 pions inscrits en championnat.
Mais la saison 1975-76 est également une saison internationale pour Platini. Avec l’Equipe de France militaire, il participe victorieusement à la campagne de qualification pour les JO de Montréal. Trois jours après un déplacement victorieux de l’autre côté du rideau de fer avec les militaires, Michel Platini dispute son premier match sous les couleurs de l’Equipe de France, la vraie. Cette rencontre du 27 mars 1976 face à la Tchécoslovaquie fait figure, rétrospectivement, de symbole, puisque si Platini y dispute son premier match international, c’est sous les ordres de Michel Hidalgo, qui dirige lui pour la première fois les Bleus en tant que sélectionneur. Pour célébrer cette première, Platini y va de son but, sur coup-franc. Dix-huit ans plus tard, Zinédine Zidane marquera lui aussi pour sa première en Equipe de France… contre la République Tchèque.
Eliminés d’entrée en Coupe de France lors de la saison 1976-77, les partenaires d’Olivier Rouyer, Jean-Michel Moutier et Michel Platini atteignent en revanche la quatrième place du championnat, la meilleure performance de l’histoire du club. En Equipe de France, Platini s’impose déjà comme un taulier puisqu’il prend part à chaque rencontre. Il est rejoint en Bleu par son ami Olivier Rouyer qui ne tarde pas lui aussi à inscrire son premier but, face à la RFA, dans les qualifications à la Coupe du Monde 1978 qui se profile. Le talent du joueur qu’est Michel Platini est reconnu par les journalistes de France Football qui le classent 3ème au classement du Ballon d’Or 1977.
La saison 1977-78 constitue l’apothéose de l’histoire nancéienne de Michel Platini. La bonne sixième place au championnat est rapidement oubliée au profit de la victoire historique en Coupe de France. Capitaine, Platini est logiquement le buteur unique de la finale qui les opposait aux Niçois, double vainqueurs de la compétition. Il peut alors partager sa joie avec ses amis Rouyer et Moutier, titulaires eux aussi, avec qui il a tout connu, depuis l’équipe réserve jusqu’au sacre national. Avec Olivier Rouyer, il va même découvrir la Coupe du Monde. Mais l’aventure argentine tourne court, avec deux défaites cruciales face à l’Italie et à l’Argentine. Platini en profite tout de même pour inscrire son premier but dans la plus belle des compétitions, un an après avoir participer aux Jeux Olympiques.
La dernière saison de Platini a Nancy est peut-être la moins réussie. A cause d’une nouvelle blessure, il loupe les quatre matchs de Coupe des Coupes et ne peut empêcher l’élimination prématurée de son club. En championnat, Nancy n’accroche pas la première partie de tableau et le titre en Coupe de France est mal défendu avec une élimination en huitième de finale. Après quatre saison à plus de quarante, voire cinquante matchs, et 30 buts, Platini ne dispute cette saison-là que 26 rencontres, lors desquelles il inscrit tout de même 15 buts. Son contrat ayant atteint son terme, l’international français quitte la Lorraine et ses amis Rouyer et Moutier. Ceux-ci, tout comme Michel Platini, s’imposent comme des légendes du club, avec 243 matchs joués pour Olivier Rouyer et plus de 330 pour Jean-Michel Moutier, gardien du club pendant 10 ans.
Michel Hidalgo
La relation entre les deux Michel a été essentielle dans la réussite de l’Equipe de France des années 1980. L’ancien joueur de Reims et de Monaco, adjoint de Stefan Kovacs avant de prendre la tête de la sélection, donne très rapidement les rênes au meneur de jeu qu’est Platini, qu’il essaye d’encadrer et de mettre en valeur du mieux possible. Pourtant, il fallut surmonter les critiques survenues logiquement après une Coupe du monde 1978 ratée. Mais Hidalgo affiche sa confiance en son numéro 10, à qui il commence à confier le brassard de capitaine dès 1979. Très régulier, Platini participe à tous les matchs des Bleus, dont il devient petit à petit le patron, montrant l’exemple en empilant but sur but. De la régularité, Platini en fait également preuve dans son nouveau club. Du côté du Forez, il est attendu comme le Messi, celui qui peut faire redémarrer la machine Sainté, qui a marché sur la France pendant les années 1970 et qui s’est légèrement grippée depuis qu’elle a frôlé les cimes européennes.
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Figure de proue du nouveau projet stéphanois à base de recrutements importants, rompant avec la politique de formation qui fit le bonheur du club, Platini ne va pas tarder à ravir supporters et dirigeants. C’est à Saint-Etienne qu’il découvre pour la première fois la Coupe d’Europe, qu’il n’avait pas pu disputer avec Nancy. Là aussi, Platini fait honneur à sa première en inscrivant cinq buts lors de cette campagne en Coupe de l’UEFA qui s’arrête en quart de finale, l’ASSE étant défait 4-1 à domicile face à Mönchengladbach. En championnat, où Sainté termine troisième, avec le même nombre de points que le deuxième, Platini inscrit 16 buts sous ses nouvelles couleurs. Ajoutez à cela 5 buts en 7 matchs de Coupe de France et vous obtenez un total de 26 buts pour une première saison en demi-teinte. En effet, l’objectif des dirigeants stéphanois étant de renouer avec la domination sur la scène nationale, mais surtout parvenir enfin à un sacre européen, cette première saison de la décennie 1980 laisse un goût amer d’inachevé.
La saison suivante est bien plus aboutie. Grace à ses deux stars et meilleurs buteurs – Michel Platini et Johnny Rep – les Verts remportent leur dixième titre de champion de France. A la mi-saison, Platini s’est vu distingué une nouvelle fois par un podium au classement du Ballon d’Or, tandis que sur le chemin vers la finale de la Coupe de France, l’ancien Nancéien retrouvait et éliminait son club formateur. Premier point noir dans la saison néanmoins : une défaite en finale de Coupe de France, face au Bastia de Roger Milla. Un doublé loupé qui ne fera pas oublier la nouvelle élimination en quart de finale de Coupe d’Europe, face à Ipswich Town, sur le score cumulé de 7 à 2. Seule maigre consolation : les Anglais terminèrent vainqueurs de la compétition. Une saison bien plus aboutie que la précédente donc, mais comme une impression de plafond de verre en Coupe d’Europe, alors qu’un des meilleurs joueurs du monde porte le maillot de l’ASSE.
Avec l’Equipe de France, Platini loupe plusieurs matchs mais reste décisif lorsqu’il joue, alors que les qualifications pour la prochaine Coupe du Monde en sont bientôt à leur dénouement. Après avoir loupé la qualification pour l’Euro 1980, les Bleus ne peuvent pas manquer ce nouveau rendez-vous et leur leader, qui porte désormais le poids de l’équipe sur ses épaules, en a bien conscience.
Au début de la saison 1981-82, alors que l’ASSE de Michel Platini manque son retour en Coupe d’Europe des Clubs Champions avec une élimination au tour préliminaire face au Dynamo Berlin, les hommes de Michel Hidalgo sont empêtrés dans une situation difficile en vue de la qualification au Mondial. L’Irlande, la France, les Pays-Bas et la Belgique se tiennent en quelques points pour seulement deux places qualificatives. Après une défaite en Irlande, l’Equipe de France est contrainte de remporter ses deux derniers matchs, face aux Pays-Bas et à Chypre, petit poucet du groupe. C’est dans ces moments importants que les grands champions montrent bien souvent la voie, et c’est ce que fait Michel Platini en ce mois de novembre 1981, au Parc des Princes, en ouvrant le score d’un magnifique coup-franc face aux Oranje – un maillot qu’il a admiré pour avoir été celui de Johan Cruyff, un exemple. Une fois ce but important inscrit, ses partenaires suivront et enverront la France au Mondial, arrachant la qualification à la différence de buts face à l’Irlande.
Du côté du championnat de France, l’ASSE cravache toute l’année face à l’AS Monaco mais un trop grand nombre de matchs nuls leur fait perdre le titre, et les 22 réalisations du numéro 10 des Verts n’y changeront rien. Cette déception est doublée par celle d’une nouvelle défaite en finale de Coupe de France, face au PSG de l’ancien Ange Vert, Dominique Rocheteau, qui arrache au bout du bout des prolongations une séance de tirs aux buts, dont le PSG sortira vainqueur pour remporter sa première Coupe de France. Mais au-delà des résultats, c’est un scandale extra sportif qui va avoir raison des Verts. L’affaire dite « de la caisse noir », qui éclate le 1er avril 1982, éclabousse le président emblématique Roger Rocher et avec lui tout un club et une mythologie qui s’est construite au cours des dix dernières années. Membre de la dernière équipe championne de France avec Saint-Etienne, Platini verra de loin la chute du club qui mettra plusieurs décennies à se remettre de ce choc, si tant est qu’il s’en soit réellement remis.
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C’est donc sur cette grande déception que Michel Platini quitte l’ASSE et le championnat de France. Il aura tout connu avec Nancy, de la D2 au triomphe en Coupe de France ; son passage à Saint-Etienne fut couronné d’un titre de champion de France, mais un autre leur échappa d’un point et surtout, deux revers d’affilée en Coupe de France limitèrent le nombre de trophées soulevées par le capitaine des Bleus à deux, alors qu’il approchait de sa vingt-septième année. Mais au-delà des performances collectives, Platini c’est également déjà sept saisons complètes – sur huit disputées – terminées à au moins 29 buts. Le joueur subit dores et déjà un rythme élevé avec plus de 50 matchs disputés toutes compétitions confondues lors de ses trois saisons du côté du Forez.
Malgré quelques déceptions, Michel Platini s’est déjà imposé comme un grand joueur et s’apprête à décoller vers d’autres cieux. Homme de base de Michel Hidalgo, il va être un élément clé du parcours historique de la France lors du Mondial 1982. Autour de lui se constitue un formidable quatuor de meneurs de jeu dont il forme le sommet de la pyramide. Ce « carré magique », idée de génie terriblement osée, née dans la tête d’un sélectionneur en poste depuis déjà six ans, qui connaît parfaitement ses joueurs et souhaite logiquement faire briller les plus talentueux, va porter ses fruits jusqu’à la terrible désillusion d’une nuit pas comme les autres.
Sources :
- Stéphane Mourlane, « Émigrés d’Italie, champions en France », Hommes & migrations
- wikipedia.org
- besoccer.com
- lequipe.fr
- fff.fr
- asnl.net
- asse-stats.com
Crédits photos : Icon Sport