Difficile à croire, mais pourtant, avant Sir Alex le Mancunien, il y a eu Ferguson l’Écossais. Bien avant de connaître la gloire à Old Trafford, Ferguson s’est forgé un palmarès exceptionnel en Écosse.
Dans les années 1950, quand le jeune Alex Ferguson commence sa carrière au poste d’attaquant, le football écossais est encore loin de son apogée. Peu importe, Ferguson souhaite surtout porter, un jour, le maillot des Glasgow Rangers. Il y parviendra, pendant deux saisons, avant de quitter le club suite à une brouille avec les supporters. Un tournant qui le poussera à prendre une retraite anticipée à 32 ans pour aller se placer au bord du terrain.
Modestie, humilité, travail
Après une carrière de joueur modeste, mais respectable, Alex Ferguson s’installe sur le banc de touche d’East Stirlingshire, club de seconde division. Un passage bref, mais qui donne le ton. Le manager écossais se démarque par une approche bien à lui, une exigence extrême envers ses joueurs. L’idée n’est pas de “casser” physiquement ou mentalement les joueurs, mais bien de leur permettre de prendre confiance en eux, sans doute le meilleur moyen de tirer la quintessence de son groupe.
En deuxième division, les résultats restent mitigés, mais l’approche managériale d’Alex Ferguson séduit. Dans son autobiographie, le légendaire entraîneur confie s’inspirer de la mentalité écossaise : “Dans leur travail, les Écossais sont sérieux et actifs, une qualité précieuse”. Tout l’enjeu est donc d’arriver à transmettre cet esprit et cette détermination à son groupe.
Finalement, Ferguson quitte East Stirlingshire à l’été 1974 pour s’engager avec St. Mirren, après avoir consulté son mentor, l’emblématique Jock Stein. À l’époque, le club n’a rien d’un poids lourd du championnat écossais, il évolue en deuxième division et les conditions économiques sont délétères : “Les joueurs de mon équipe de St Mirren étaient rémunérés 15 livres par semaine et devaient se débrouiller durant l’été, car ils étaient à mi-temps”, confie Ferguson dans son autobiographie.
Malgré cela, Fergie prend ses marques et consolide progressivement son approche. Convaincu que le talent individuel ne fait pas la performance collective, l’entraîneur écossais transcende son groupe en lui faisant repousser son plafond de verre mental. Une telle approche demande forcément de la patience et les deux premières saisons sous les ordres de Ferguson n’ont rien de fantastiques et le club végète en deuxième division. Un travail éprouvant, sur le long terme, mais payant puisque St Mirren est sacré champion de deuxième division écossaise en 1977. L’occasion rêvée pour Ferguson de se faire un nom dans le gratin des entraîneurs écossais.
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Rien de facile pourtant, les deux clubs de Glasgow dominent outrageusement le championnat et n’ont laissé échapper aucun titre depuis 1965. Sans s’appuyer sur une équipe formidable, Alex Ferguson fait confiance à la jeunesse et ne cesse de lancer de nouveaux joueurs tout au long de son mandat (Peter Weir, Frank McGarvey, Bobby Reid et Billy Stark). Sans révolutionner l’Écosse, St Mirren se maintient tranquillement. Pourtant, le club annonce rapidement le licenciement d’Alex Ferguson. La raison ? L’entraîneur écossais a déjà annoncé à l’équipe avoir trouvé un accord pour rejoindre Aberdeen, l’un des plus grands clubs d’Écosse. Seul véritable accro dans une progression linéaire, l’événement ne va pas déstabiliser le natif de Glasgow qui reste convaincu de ses méthodes.
The king in the north
Arrivé à Aberdeen, Ferguson change de dimension. Plus question de jouer le maintien ou de se réjouir d’une place en première partie de tableau. Il faut désormais assumer le statut d’Aberdeen qui, sans être aussi réputé que les deux géants de Glasgow, fait partie des clubs respectés du pays avec Hibernian ou les Hearts.
Dans le nord de l’Écosse, Fergie reste fidèle à ses principes : “Durant mes premières années à Aberdeen et à Manchester United, j’ai tout de suite su que, pour conduire avec les joueurs une relation basée sur la confiance et la fidélité, je devais d’abord leur donner la mienne”. Encore une fois, le pouvoir est donné à la jeunesse : Alex McLeish, Willie Miller, Gordon Strachan, Mark McGhee ou encore Steve Archibald ont tous 23 ans ou moins et vont tous devenir des incontournables de l’équipe de Ferguson.
C’est chez cette génération que Ferguson va instiller la conviction qu’ils peuvent remporter le championnat et marcher vers les sommets. Pourtant, lors de la première saison, les joueurs sont encore tendres. Alex Ferguson confiait sa déception face à la réaction de ses joueurs après un match nul contre les Rangers : “Je me souviens qu’après un match nul 1-1 contre les Rangers à Ibrox … et tout le monde faisait la fête et dansait dans le vestiaire. Ça m’a beaucoup déçu, mais tout ça a changé”. Encore trop gentils, les hommes de Ferguson terminent quatrième et ne manquent pas d’être chahutés par la presse.
Pour sa deuxième saison sur le banc d’Aberdeen, Ferguson fait l’étalage de sa maîtrise psychologique. Pour parvenir à mettre fin à la domination de Glasgow, Fergie pique les joueurs dans leur orgueil. Avant un déplacement à Glasgow, il motive ses troupes : “Tout le monde est contre vous. Les supporters et la presse sont contre vous. Alors allez-y et prouvez-leur que vous pouvez gagner”. Le complexe d’infériorité est votre pire ennemi, voilà le message.
Les discours finissent par se traduire sur le terrain, Aberdeen finit par remporter le championnat en 1980 après 15 ans de domination sans partage des clubs de Glasgow. Une fierté pour Ferguson, mais pas question de s’arrêter là, il ne s’agit que d’une première étape. “Il était constamment obsédé par l’idée de franchir une nouvelle étape”, affirme Eric Black.
Après avoir remporté le championnat, Ferguson ne peut s’empêcher de penser à la conquête de l’Europe, une pensée partagée avec ses joueurs. Pour Alex McLeish, “la victoire en championnat nous a fait passer un cap. Ça nous a donné la confiance pour se dire qu’on pouvait réaliser quelque chose de spécial”. Fergie capitalise sur sa force et installe solidement Aberdeen dans les hautes sphères écossaises.
Alex Ferguson, à la conquête de l’Europe
Mais encore une fois, les hommes de Ferguson ont besoin d’un temps d’apprentissage avant de retenir la leçon. Pour la première campagne de C1 de l’histoire du club, et après deux campagnes européennes sans relief, Ferguson n’arrive pas vraiment à assumer le statut de son équipe. Aberdeen ne fait pas le poids face à l’ogre du moment, Liverpool. 5-0 sur deux matchs et un goût amer, l’aventure européenne s’arrête en huitièmes de finale. Finalement, peut-être que le succès d’Aberdeen n’était qu’un effet de mode ? Non, impossible pour Ferguson, cette humiliation doit servir, doit lui permettre d’apprendre comment faire déjouer les plus grands.
La saison suivante, en 1981-1982, les Dons (le surnom d’Aberdeen) apprennent et parviennent notamment à éliminer, en C3, le tenant du titre, Ipswich Town. Un succès prestigieux pour les hommes de Ferguson qui seront d’ailleurs salué par le coach d’Ipswich, Bobby Robson qui tiendra à venir féliciter les Écossais dans leur vestiaire. En huitièmes de finale, la marche sera trop haute face au Hambourg de Franz Beckenbauer (5-4 scores cumulés). Les Dons échouent à remporter le championnat (deuxième) mais s’adjugent néanmoins la Coupe d’Écosse.
Pour sa cinquième saison sur le banc d’Aberdeen, Alex Ferguson a déjà réussi son pari, mais sous ses ordres son équipe continue d’apprendre. Décomplexé, Aberdeen passe tranquillement les premiers tours en C2 (Coupe des vainqueurs de coupes). Arrivés en quarts de finale, les Écossais tombent sur un os, le Bayern Munich. Après un match nul et vierge à Munich, les Dons concèdent rapidement l’ouverture du score, mais parviennent à recoller à la mi-temps. Mais les Munichois repassent devant à l’heure de jeu. À 15 minutes de la fin du match, Aberdeen a besoin de deux buts pour l’emporter. Le moment de faire des changements pour Ferguson qui fait rentrer John Hewitt alors que la pression s’intensifie sur le but adverse. Une minute après Aberdeen égalise, et encore une minute après, Hewitt surgit pour pousser au fond des filets un ballon repoussé par le gardien bavarois. Ferguson élimine le Bayern de Breitner et Rummenigge et tient son premier véritable exploit européen.
Après ça, les Dons, disposent facilement des Belges de Waterschei (5-2 scores cumulés) et rejoignent le Real Madrid en finale. Pour la finale, Fergie invite Jock Stein à se déplacer avec lui. L’occasion pour le sélectionneur de l’Écosse, et le premier vainqueur d’une coupe d’Europe avec un club Écossais (C1 1967 avec le Celtic), de distiller quelques conseils. Stein conseille à Ferguson d’offrir une bouteille de Whisky à Alfredo Di Stefano, entraîneur du Real. “Laisse le se sentir important, comme si tu étais juste content d’être là”. Fergie joue l’émerveillé à la perfection, mais il n’a que faire d’une breloque argentée.
Dès le début, on comprend que les Écossais ne sont pas venus à Göteborg faire du tourisme, et ouvrent le score rapidement. Les Espagnols égalisent rapidement avant que le match ne se ferme. Encore une fois, la lumière vient du banc. Rentré à la 87e minute, John Hewitt, à la conclusion d’un superbe mouvement, offre la victoire à Aberdeen à la 112e minute de jeu.
En parallèle, les Dons s’adjugent une deuxième Coupe d’Écosse de suite et vont même chercher la Supercoupe de l’UEFA contre Hambourg. Les offres affluent pour s’attacher les services du désormais nouvel entraîneur à la mode. Mais fidèle à son groupe, Ferguson reste au pays pour mieux asseoir sa domination.
Pour la saison 1983-1984, Aberdeen écrase le championnat avec sept points d’avance sur le dauphin et réalise le doublé en gagnant aussi la Coupe d’Écosse. Le club se hisse même en demi-finales de C2 pour réaliser un back-to-back historique, mais c’est Porto qui file en finale. La saison suivante, Aberdeen affirme un peu plus sa domination nationale et remporte son deuxième championnat consécutif. Un retour en C1 sur le même ton que le précédent puisque Ferguson ne parvient pas à faire passer le premier tour à ses joueurs.
Enfin, pour sa dernière saison sur le banc d’Aberdeen, le club du nord de l’Écosse s’adjuge les deux coupes nationales et atteint les quarts de finale de C1 contre Göteborg. Une performance historique malgré la défaite. En 1985, Alex Ferguson reprend les rênes de la sélection écossaise après la mort de Jock Stein, mais quitte son pays natal à la suite de la Coupe du monde 1986.
Souvent éclipsé par sa longévité et ses résultats exceptionnels avec Manchester United, Ferguson a d’abord fait ses armes en Écosse et à Aberdeen. Avec dix titres gagnés, Ferguson devient le manager le plus titré d’Aberdeen. Mieux, il reste, à ce jour, le dernier entraîneur à avoir réussi à contester l’hégémonie des clubs de Glasgow.
Sources :
- MJ Corrigan, « In celebration of Peter Weir and Aberdeen’s aces of 1983 », These football times, 16 août 2015.
- « 31.05.1978: Alex Ferguson is fired by St Mirren », The Guardian, 31 mai 2008.
- « Aberdeen : the Ferguson years », Sky sports.
- Alex Ferguson, Alex Ferguson : mon autobiographie, Talent Sport, 2014
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