Le football est un véritable recueil. À travers ses multiples récits, il procure tout un tas d’émotions. Parfois cruel, ce sport détient aussi son lot de belles histoires. Parmi elles, le jour où les soldats anglais et allemands ont arrêté de combattre pendant quelques instants pour organiser un match de football. C’était lors de la Première Guerre mondiale, en décembre 1914, pour un événement qu’on appelle désormais la « trêve de Noël ». Retour sur ce moment magique où le temps d’un instant, le ballon a pris le dessus sur les balles.
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Parfois critiqué pour diviser, le football peut aussi rassembler. La preuve, en 1914, alors que le monde est marqué par l’un des pires conflits de son histoire, les soldats britanniques et allemands organisent une trêve. Le jour de Noël, les Fritz (surnom des Allemands) et les Tommies (surnom des Anglais) se rejoignent sur le « no man’s land » et se lient d’amitié le temps d’une partie de football.
Pour comprendre l’impact de la « trêve de Noël », il faut d’abord saisir son contexte. Pour cela, il faut revenir à l’été 1914. Alors que de nombreuses tensions politiques, économiques et territoriales existent entre les différents pays d’Europe, un évènement déclenche le chaos. Le 28 juin 1914, à Sarajevo, François Ferdinand, héritier du trône d’Autriche-Hongrie, et sa femme sont assassinés par un nationaliste serbe de Bosnie nommé Gavrilo Princip. Plus connu sous le nom de « l’attentat de Sarajevo », ce fait historique va engendrer par la suite un grand nombres de massacres et pousser à une des guerres les plus destructrices que l’humanité ait connue. C’est le début de la Première Guerre mondiale.
Opposant les pays de la Triple-Entente (Grande Bretagne, France et Russie) aux pays de la Triple-Alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie), cette guerre très meurtrière ( 20 000 000 de morts et 21 000 000 de blessés) va s’éterniser jusqu’au 11 novembre 1918, date de la signature de l’armistice. Pendant près de quatre ans, le quotidien des soldats rime alors avec combats et souffrances.
Pourtant, alors que la guerre fait rage depuis près de six mois, en décembre 1914, les soldats britanniques et allemands vont avoir un élan de solidarité et prouver que l’espoir d’une pacification est possible. Le 25 décembre 1914, une trêve est organisée entre Fritz et Tommies. C’est « la trêve de Noël ». En ce jour de fête, les différents camps vont poser les armes et célébrer Noël ensemble. Une partie de football aura d’ailleurs lieu dans le « no man’s land », opposant Anglais et Allemands. Un souvenir marquant et unique pour tous les combattants ayant pu participer à ce court instant de partage. Comme le prouve cette lettre datée du 27 décembre 1914 et retrouvée en 2012, dans laquelle Oswald Tilley, soldat de la London Rifle Brigade, s’adresse à ses parents ;
”Nous nous sommes rencontrés, on a échangé des souvenirs avant de se séparer comme de bons amis, un d’entre eux m’a donné son adresse pour que je lui écrive après la guerre, il y avait un tas de gens bien parmi eux, je suis sur que si cela dépendait que des hommes, il n’y aurait jamais eu de guerre.”
À l’approche du 24 décembre 1914, le pape Benedict XV demande un cessez-le-feu afin que les soldats puissent fêter ce jour religieux. Face aux refus des différents chefs, ce sont les combattants eux-mêmes qui vont organiser leur propre trêve. De façon localisée, dans certaines régions, les soldats des deux camps vont stopper les affrontements. Pendant quelques heures, ceux-ci célèbrent Noël. L’occasion pour eux d’enterrer leurs amis morts au combat et de fraterniser. Si le champ de bataille n’était pas décoré de boules de Noël et de guirlandes, nul doute que l’esprit de cette fête était, quant à lui, bel et bien présent en ce soir de décembre 1914. L’instant d’une soirée, ce lieu d’affrontements est devenu un véritable terrain de vie et de partage.
D’après un grand nombre d’historiens, la « trêve de Noël » a pu voir le jour grâce à la religion. Les soldats britanniques et allemands, étant pour la majorité chrétiens ont été incités à agir par le pape Benedict XV et poussés à fêter ce jour si important pour le christianisme. Rémy Cazals, historien français et professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université Toulouse 2, défend aussi cette idée : « Ces peuples sont majoritairement chrétiens. Noël est donc une fête importante. »
Les chants de Noël et le valeureux soldat allemand
Dans la nuit du 24 au 25 décembre, chacun à leur tour, les deux camps ennemis vont entamer des chants de Noël. Plus tard dans la soirée, Fritz et Tommies vont par la suite s’unir pour ne former qu’une seule voix. Symbolisant ainsi les débuts de la « trêve de Noël » et le début d’un moment émotionnel historique.
Ces chants restent un souvenir inoubliable pour chaque soldat ayant pu participer à cette trêve, comme le prouve les dires de Graham Williams, soldat de la London Rifle Brigade :
“Les Allemands chantaient une de leurs chansons, nous une des nôtres, jusqu’à ce que nous entamions “O Come All Ye Faithfull” et que les Allemands reprennent avec nous l’hymne en latin ‘Adeste Fideles’. Et alors je me suis dit : ‘Eh bien, c’est vraiment une chose extraordinaire, deux nations chantant le même chant de Noël en pleine guerre.’”
Une fois les chants terminés, un soldat allemand décide de sortir de sa tranchée. Sans arme, il porte un sapin à la main et se dirige vers le centre de la zone de combat. Dans un premier temps interloqué par la situation, les soldats anglais comprirent ensuite rapidement que les Allemands proposaient une trêve. Ils décidèrent alors eux aussi de poser leurs armes et de rejoindre le courageux soldat allemand. Les Allemands rejoignirent aussitôt le « no man’s land » et un moment magique s’ensuit. Les combattants ennemis se mirent à célébrer Noël tous ensemble. Et cela malgré leurs différences. Ces soldats vont alors même jusqu’à partager leurs rations et s’échanger quelques petits cadeaux.
Dans la lettre retrouvée d’Oswald Tilley, le soldat anglais va d’ailleurs informer ses parents sur cette journée hors du commun :
“Le matin de Noël, comme nous avions pratiquement cessé de tirer sur eux, un Allemand a commencé à nous faire signe, et un de nos Tommies est sorti devant notre tranchée et l’a rejoint à mi-chemin où ils se sont salués. Au bout d’un moment, des types de chez nous sont sortis pour retrouver ceux d’en face jusqu’à ce que des centaines d’hommes, littéralement, en provenance des deux côtés, se retrouvent sur le “no man’s land” à se serrer la main, à échanger des cigarettes, du tabac et du chocolat, etc.”
Football et terrains minés
Partage et émotions sont les mots clés de cette « trêve de Noël ». À tel point qu’à Ploegsteert, au nord de la frontière franco-belge, une partie de football va même être organisée entre les deux camps ennemis. Sur le champ de bataille, les soldats utilisent alors leurs képis pour former des cages plus ou moins réalistes. Un peu à la manière de jeunes enfants en cours de récréation. Pendant quelques instants, les combattants ont ainsi pu retourner en enfance et regoûter au plaisir de s’amuser. Un souvenir à jamais gravé en eux, comme l’atteste une nouvelle fois la lettre d’Oswald Tilley ;
« Pensez simplement que pendant que vous mangiez votre dinde… J’étais là, dehors, à serrer la main d’hommes que j’avais essayé de tuer quelques heures auparavant. C’était incroyable ! «
D’après la légende, bien que le match fut décousu, il n’y eut pas de mauvais gestes entre la centaine de soldats participants au match. De quoi donner quelques leçons à certains footballeurs actuels…
Après quelques heures de jeu, ce sont finalement les Allemands qui remportèrent la partie sur le score de 3-2. Mais c’est bien ensemble que les deux clans vont se rassembler pour fêter ce match historique après la rencontre. Main dans la main.
Mythe ou réalité ?
Pendant de nombreuses années, des doutes ont subsisté sur l’existence de cette « trêve de Noël » et principalement sur la tenue de ce match de football. En effet, certains historiens sont longtemps restés sceptiques sur la véracité de ces évènements, critiquant le manque de photographie et de traces historiques. Alors, ce match de football a-t-il véritablement existé ou n’est-ce qu’un mythe?
Depuis 2012 et la découverte de la lettre d’Oswald Tilley (venant compléter d’autres témoignages), la réponse semble assez claire : ce match à Ploegsteert a bel et bien eu lieu. En tout cas, c’est ce que pensent la plupart des historiens aujourd’hui, notamment Rémy Cazals :
“Si vous vous attendez à un match comme la finale de la Coupe d’Europe avec un terrain plat, un bon gazon, des buts avec des dimensions réglementaires, et bien évidemment ce n’est pas un match comme cela. Prenons-le plutôt comme un match bricolé sur un terrain qui n’était pas tout à fait convenable, les gens n’avaient pas de maillot particulier et quant à l’uniforme, il faut savoir que dans les tranchées, on porte n’importe quoi”.
Les instances ont quant à elles fait leur choix sur la question. Au lieu-dit Saint-Yvon, au cœur des Flandres, les Britanniques ont déposé une croix, en 1999, concrétisant la partie et officialisant du même coup l’événement. Cent ans après les faits, le 11 décembre 2014, l’UEFA a également érigé un monument à Ploegsteert, lieu supposé des faits, en souvenir de cette rencontre.
En 2014, à Aldershot, à une soixantaine de kilomètres de Londres, soldats allemands et britanniques ont même pu rejouer ce match en l’honneur des soldats morts au combat. Les Anglais prirent leur revanche et remportèrent le match sur le score de 1-0.
Pourtant, si cette « trêve de Noël » et ce match de football auraient pu laisser l’espoir d’un avenir plus joyeux, cela ne fut qu’un rêve. Ce moment de partage ne dura que quelques heures et dès le lendemain la guerre reprit son cours, causant la mort de millions de personnes.
Les années suivantes, les fraternisations de Noël eurent à nouveau lieu mais jamais comme lors du Noël 1914, les chefs étant plus attentifs à leurs troupes. « Il y en a eu mais c’était beaucoup moins important. Sachant ce qu’il s’était passé en 1914, les autorités ont fait très attention. Les chefs n’aimaient pas cela. Ils étaient là pour mener une guerre et pas pour permettre aux soldats de fraterniser » complète Rémy Cazals à ce sujet.
Alors que le monde était en train de vivre l’un des plus gros conflits de son histoire, quelques soldats anglais et allemands ont pu mettre pause à cette guerre l’espace de quelques instants. Prouvant ainsi que l’espoir d’une réconciliation était encore possible. La « trêve de Noël » est l’histoire de soldats, pourtant ennemis, qui décidèrent de s’unir le temps d’un moment pour chanter et jouer au football.
Sources :
- Marc Ferro, Malcom Brown, Rémy Cazals, Olaf Mueller, Frères de tranchées
- Louis Barthas, Les carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier, 1914-1918.
- Stéphanie Trouillard, Trêve de Noel 1914 : un match de football dans le « no man’s land », France 24
- Mateo Riviere, L’histoire de la « trêve de Noel » : quand le football réconcilie les hommes, BeFoot
- Olivier Cottrel, Le match de la trêve 1914, mythe ou réalité ?, Passe-D
- UEFA