De la lumière à l’obscurité, il n’y a qu’un pas. C’est en tout cas ce qu’ont pu ressentir les supporters du FK Dnipro Dnipropetrovsk il y a quelques années. Finaliste de la Ligue Europa en 2015, le club ukrainien a disparu quatre années plus tard.
C’est sans doute l’une des plus grosses surprises des récentes éditions des coupes d’Europe. Le FK Dnipro Dnipropetrovsk, habitué des phases de poule, certes, parvient à se qualifier en finale de la Ligue Europa en 2015. Malgré la défaite 3-2 face aux Sévillans, les Ukrainiens ont su créer de l’espoir dans un pays déjà touché par la guerre, dans le Donbass à l’époque.
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Pour revenir aux origines de cette équipe, il faut remonter un peu moins de 100 ans en arrière. Le club est fondé en 1918 par le Collège industriel des ouvriers de Briansk, une ville russe située à une centaine de kilomètres au nord-est de l’Ukraine actuelle. Il adopte alors l’acronyme de BRIT.
Après la guerre civile russe et l’instauration de l’Union soviétique, le club revoit le jour en 1925 à Dnipropetrovsk dans le sud-est de l’Ukraine, sous le nom de Petrovets, l’équipe de l’usine Petrovsky. Il prend ensuite le nom de Stal (acier en russe) en 1936, puis Mettalurg (métallurgiste) à partir de 1949. Durant ces différentes périodes, l’équipe évolue dans les basses divisions d’URSS.
Enfin, en 1961, le club adopte son nom actuel. Il est le plus communément appelé Dniepr par les Russes et Dnipro par les Ukrainiens. Sponsorisé par Ioujmach, pilier de l’industrie aérospatiale, il progresse et à l’issue de la saison 1971, il monte dans l’élite du football soviétique sous la conduite du légendaire Valeri Lobanovski, futur sélectionneur de l’URSS et de l’Ukraine qui a tout gagné avec le Dynamo Kiev par la suite. Cet échelon, ils ne quitteront que lors de deux saisons, en 1979 et 1980, avant de voir le club débuter son âge d’or.
La génération dorée
Au cours des années 80, les Dniépropétroviens vont construire leur palmarès. Emmené par des joueurs clés comme Oleh Protasov ou Hennadyy Litovchenko, Dniepr termine à six reprises sur le podium de la Ligue soviétique entre 1983 et 1989, avec deux titres à la clé, en 1983 et 1988. Le premier est remporté avec quatre points d’avance sur le Spartak Moscou, et le second avec trois points sur le Dynamo Kiev, le grand rival ukrainien.
Avec ses succès, le club de l’est du pays devient ainsi la troisième équipe de la République socialiste soviétique d’Ukraine à remporter le titre ultime, après le Dynamo Kiev (13 titres au total) et le Zaria Vorochilovgrad (un titre). Avant la disparition de l’Union, les joueurs de Dniepropetrovsk ajoutent une Supercoupe d’URSS en 1988 et une Coupe d’URSS à leur armoire à trophée, après une victoire 1-0 en 1989 face au Torpedo Moscou.
Grâce à leurs succès nationaux, les Ukrainiens ont la chance de disputer la coupe d’Europe. Et pour leur première, lors de la saison 1984-1985, ils connaissent une belle réussite avec un parcours jusqu’en quarts de finale de Coupe des clubs champions. Après deux nuls 1-1 face à Bordeaux, ce sont les tirs au but qui départagent les deux équipes au match retour. À Krivoï-Rog, la ville de Dniepropetrovsk étant interdite aux Occidentaux à cause du complexe militaro-industriel installé en ville, c’est le gaucher girondin, Fernando Chalana qui inscrit le tir au but victorieux… du pied droit. Autre joli parcours à souligner, un nouveau quart en 1990 et une élimination par le Benfica Lisbonne (0-1/0-3), le futur finaliste malheureux face au Milan AC.
Un poids lourd derrière les deux monstres ukrainiens
La chute de l’Union Soviétique entraîne les joueurs du Dnipro dans un nouveau championnat national, celui d’Ukraine. Les couleurs du club évoluent alors, passant du rouge au bleu. Si le Tavria Simferopol remporte la première édition, ce sont ensuite le Dynamo Kiev et le Chakhtar Donetsk qui se partagent tous les lauriers. Mais le club de Dnipropetrovsk apparaît comme l’un des plus sérieux concurrents, avec neuf podiums entre 1992 et 2019.
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C’est lors de la saison 1992-1993 que les joueurs du club double champion d’URSS sont passés les plus prêts d’un titre, avec un titre pour le Dynamo Kiev obtenu grâce à une meilleure différence de but (+45 contre +31 avec 44 points chacun à l’issue des 30 matchs). Lors de la saison 2013-2014, ce sont les joueurs de Donetsk qui leur barreront la route avec six points d’avance. La Coupe d’Ukraine ne leur réussira pas plus avec des défaites en finale en 1995, 1997 et 2004, toujours face aux joueurs du Chakhtar.
Alors, pourquoi ne pas se sublimer sur la scène européenne. Éliminés au troisième tour de Coupe UEFA par l’Olympique de Marseille en 2004 (0-0/0-1), ils parviennent à remporter leur poule lors de cette même compétition en 2004-2005, et sont stoppés par le Partizan Belgrade en huitièmes de finale (0-1/2-2). Quatrièmes de leur poule en 2005-2006, les pensionnaires de la Dnipro Arena réussissent de nouveau à en sortir quelques années plus tard : premiers devant Naples en 2012-2013, éliminés ensuite par Bâle en seizièmes (1-1/0-2), puis deuxièmes derrière la Fiorentina l’année suivante, cette fois arrêtés par Tottenham (1-0/1-3).
La fabuleuse épopée
Mais alors qu’ils disputent les qualifications de la Ligue des Champions pour la première fois (sous la nouvelle formule) grâce à leur deuxième place en championnat, ils sont éliminés par Copenhague et reversé dans la phase éliminatoire de la Ligue Europa. Des regrets vite effacés par leur parcours fantastique en C3, pourtant obligés de jouer leurs matchs à domicile du côté du stade olympique de Kiev à cause de la guerre dans l’est du pays. Les débuts en phase de poule sont délicats pour les hommes de Myron Markevych avec un seul point au bout de trois journées. Mais des victoires à Qarabag et face à Saint-Étienne leur offrent la deuxième place de la poule derrière l’Inter Milan.
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Mais cette fois, ils franchissent l’étape suivante face à l’Olympiakos (2-0/2-2), puis c’est l’Ajax Amsterdam qui butte sur la solidité ukrainienne (1-0/1-2 ap), et enfin le Club Bruges (1-0/0-0). L’aventure est belle et Naples, l’un des favoris de la compétition se présente en demi-finale. Mais finalement, après un nul 1-1 au San Paolo, Yevhen Seleznyov inscrit le seul but du match retour et qualifie les siens en finale malgré les assauts italiens sur la cage de Denys Boyko.
La bande à Yevhen Konoplyanka, Jaba Kankava ou Artem Fedetskyi a donc rendez-vous au stade national de Varsovie le 27 mai 2015 pour parachever cette sublime compétition. Mais le Séville d’Unai Emery brise les rêves ukrainiens. C’est pourtant Nikola Kalinic qui ouvre le score pour le Dnipro avant l’égalisation de Krychowiak et un but de Bacca. Ruslan Rotan, le capitaine, égalise, mais le buteur colombien de Séville s’offre un doublé et le trophée (2-3).
Le jeu du Dnipro n’était sans doute pas le plus léché de la compétition avec 15 buts marqués en 15 matchs de Ligue Europa, mais aussi le plus grand nombre de fautes commises (270), subies (253) et le plus grand nombre de cartons jaunes reçus (56 soit presque quatre par matchs). Mais les Ukrainiens ont su se montrer solides et efficaces.
La fin précoce du Dnipro
Le conte de fées allait finalement vite prendre fin avec de nombreux départs de joueurs clés au mercato suivant : Konoplyanka à Séville, Kankava à Reims, Kalinic à la Fiorentina… Et le président du club, Ihor Kolomoïsky, ancien gouverneur de la région de Dnipropetrovsk se détourne petit à petit du club. Il cesse les investissements et privilégie la défense de l’Ukraine dans les territoires de l’est du pays. Il finance des milices privées et offre des récompenses en cas de capture de rebelles. Il propose même un million de dollars pour la tête d’Oleg Tsarev, ancien député natif de Dnipropetrovsk, et qui est devenu depuis président du parlement de Nouvelle-Russie (territoires occupés).
Le club pourtant propriété du groupe Privat, la première banque du pays, commence petit à petit à accumuler les dettes et les impayés que ce soit pour les employés, les joueurs ou le staff. S’ils parviennent miraculeusement à terminer une nouvelle fois troisième l’année suivant leur exploit, ils coulent l’année d’après. Le coach Markevych, sans salaire depuis plusieurs mois, démissionne en juin 2016, tandis que l’UEFA exclut le club des compétitions européennes pour trois années. Viennent ensuite une interdiction de recrutement, de nombreux points de pénalité et en mai 2017, le club est finalement relégué en deuxième division. La FIFA va alors plus loin et le rétrograde au troisième étage du football ukrainien.
Finalement, en 2019, le club disparaît, après 101 années d’existence. Si des supporters s’unissent pour former un nouveau club, le FC Dnipro 1918, un autre club va se créer dans la ville de Dnipro (le nom a été réduit en 2016) et ce dernier reprend une partie des installations du club double champion d’Union soviétique.
Un nouveau club en ville
Le SK Dnipro-1, fondé en 2017 prend le nom du bataillon de volontaires Dnipro-1 qui se bat depuis avril 2014 sur le front. Le club a été créé à l’initiative du commandant honoraire du régiment, Yuriy Bereza, devenu par la suite président honoraire. Petit à petit le club grandit et rejoint la première division en 2019. Avec l’attaque russe en février 2022, la ville est bombardée et le club doit déménager. Il joue ses matchs de championnat à Uzhorod à la frontière avec la Slovaquie. Il est actuellement en tête du championnat, avec cinq points d’avance sur les deux gros clubs ukrainiens, un véritable exploit.
Et après une troisième place l’an passé après interruption du championnat, il s’est également qualifié en coupe d’Europe. Depuis Kosice en Slovaquie, la première expérience a été également réussie avec une deuxième place de sa poule de Ligue Europa Conférence, et une élimination dans le barrage suivant face à l’AEK Larnaca (0-0/0-1).
Après avoir goûté aux succès en URSS et tout proche de toucher du doigt la gloire européenne, le FK Dnipro n’a pas su enchaîner et a rapidement coulé après son parcours fantastique, également affecté par le conflit dans le pays. Aujourd’hui, un nouveau club tente de faire briller le football à Dnipro. Mais c’est bien loin de son oblast que le SK Dnipro-1 va tenter d’imiter le club qui a su faire briller la ville à travers le pays et l’Europe.
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Sources :
- Site officiel du SK Dnipro-1
- ALAIN Alexandre, « Ligue Europa : cinq choses à savoir sur le FC Dnipropetrovsk », rmcsport.bfmtv.com, 14 mai 2015.
- GARREL Rémy, « Du paradis à l’enfer, la chute du Dnipro », footballski.fr, 9 août 2017.
- HAMEG Karim, « Semaine spéciale Dnipro : le Dnipro et la France », footballski.fr, 20 mai 2015.
- PAUL-CHOUDHURY Arnov, « The Rise and Fall of FC Dnipro », breakingthelines.com, 24 mars 2021.
- TOGHER Liam, « Dnipro: The swift and sorry demise of a Europa League finalist », footballbh.net, 9 mai 2022.
- WISEMAN Ciaran, « Club founded from bankrupt Europa League finalists making history in Ukraine war », dailystar.co.uk, 28 décembre 2022.
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