Accoudé au bar entre amis ou concentré seul sur votre canapé, vous avez passé votre début d’été devant les rencontres de l’Euro. De l’échec français au sacre italien, vous vous êtes rendus compte de la prolifération des systèmes de jeu à trois défenseurs. Le mieux huilé étant sans aucun doute celui du Danemark, qui pouvait d’ailleurs passer à quatre selon la situation. L’arrivée peut paraître soudaine mais est en réalité un retour. Sous différentes formes, cette tactique a toujours existé mais n’a jamais semblé si protagoniste.
Défense à trois ou à cinq ? Comment être offensif en ajoutant un défenseur central à son équipe ? Voici tant de questions que certains préfèrent balayer d’un revers de la main en comparant les systèmes à des numéros de téléphones à la manière de César Luis Menotti.
Son rival idéologique, Carlos Bilardo, est d’ailleurs un adepte d’un jeu basé sur la défensive grâce à l’apport d’un central supplémentaire. Le premier gagne la Coupe du monde 1978 avec deux défenseurs centraux tandis que le second l’emporte six ans plus tard avec trois axiaux. Daniel Passarella sera le seul à disputer les deux mondiaux et connaître les spécificités de chaque entraîneur.
Hors-jeu et WM
Bien avant les querelles tactiques entre Menotti et Bilardo, l’Angleterre a été tiraillée entre ces notions de victoire et de beauté. Face à de nombreux matchs ternes se soldant sans but, la fédération britannique prit la décision de changer la règle du hors-jeu. Auparavant, il fallait que l’attaquant soit derrière trois joueurs adverses pour pouvoir prendre le ballon, amenant ainsi un « piège du hors-jeu » très efficace. Deux mesures furent alors prises : en 1921, le hors-jeu n’était plus compté après une touche et en 1925, l’attaquant ne devait être placé que derrière deux joueurs adverses.
Si ce changement est aujourd’hui obsolète, il fait alors office de révolution dans le football anglais. Confrontés à des défenses plus étendues, les attaquants s’en donnaient à cœur joie. Après tant d’années à se contenter de pain noir, ils pouvaient enfin se rasasier. Si bien que les matchs tournèrent alors à une moyenne de 3,69 buts la saison suivant l’évolution du règlement.
Pour contrer cet élan offensif, l’entraîneur d’Arsenal, Herbert Chapman, décide d’inventer le W-System, devenu par la suite le WM. Comme son nom l’indique, les joueurs sont disposés de manière à ce que les cinq défenseurs forment un W et les cinq offensifs un M. George White, chroniqueur de l’époque écrit : « L’attaque étant disposé de la sorte, les inters peuvent prêter main-forte comme les demis supplémentaires lorsque leur équipe défend, tandis que le demi-centre devient un troisième arrière quasiment tout au long de la partie ». Le 2-3-5 devient 3-2-2-3 et malgré l’ajout d’un stoppeur, le jeu d’Arsenal est plutôt offensif. Il découle d’ailleurs sur cinq titres nationaux.
Retour (très) défensif
Durant l’entre-deux guerres, de nombreuses équipes tentent d’imiter les Gunners de Chapman mais la copie est plutôt pâle et ne donne pas autant d’enthousiasme. Les entraîneurs se plaignent de la qualité moindre de leur effectif les obligeant à prendre moins de risques, et ainsi à jouer à cinq plutôt qu’à trois derrière. La défaite du WM anglais face à 4-2-4 hongrois en 1953 (3-6) bouleverse de nouveau la philosophie insulaire revenant petit à petit à une défense plus traditionnelle pour suivre le train tactique du reste de l’Europe.
A partir des années 1970, deux écoles de pensée émergent dans le Vieux continent à propos de cette phase défensive. Les pays du Nord optent davantage pour une défense à quatre et un recours à un pressing de plus en plus asphyxiant sous la houlette des Pays-Bas. Ceux du Sud ne jurent que par l’apport d’un libéro et cela se caractérise par le sacre mondial de l’Italie en 1982. Seule particularité géographique, l’Allemagne attend l’avènement de Ralf Rangnick pour s’initier -et de quelle manière- au contre-pressing et ainsi renoncer au libéro qui lui avait permis de remporter la Coupe du Monde 1990.
De l’autre côté de l’Atlantique, Carlos Bilardo innove. Si bien qu’il insiste très humblement dans les colonnes de So Foot : « Je suis l’inventeur du 3-5-2 ». En 1986, sa sélection est bien moins emballante que celle, huit ans plus tôt, de César Luis Menotti. L’imagaire collectif estime même que la victoire finale est due uniquement à la présence de Diego Maradona. Il apparaît plutôt comme un soliste ingénieux au milieu d’un orchestre bien huilé. Le sélectionneur explique justement comme animer ce fameux 3-5-2 :
“Derrière, un libéro, deux défenseurs centraux et deux « carrileros » (Ndla : joueurs de couloir), même si je n’aime pas trop les appeler comme ça, parce qu’on a l’impression qu’ils sont enfermés dans leur couloir. S’ils veulent venir dans l’axe, ont leur met une amende ? Je préfère les appeler milieux-latéraux à la limite… Comme la majorité des équipes jouent avec deux attaquants, on met les deux défenseurs centraux à leur marquage, avec un libéro en couverture, sachant que les latéraux doivent s’occuper du marquage des ailiers, non ? Même si je compte sur eux pour qu’ils attaquent davantage qu’ils ne défendent, et pas seulement du côté où il joue. Contre l’Allemagne (Ndlr : le 12 septembre 84, à Berlin, victoire de l’Argentine 3-1), afin qu’il intègre bien l’idée, j’ai mis (Ricardo) Giusti, un droitier, à gauche. Et je lui ai dit : « tu peux attaquer de ton côté, dans l’axe ou encore de l’autre côté, il n’y pas de souci » .”
Défense à trois : mode d’emploi
Si le système concocté par Herbert Chapman brillait par son appétence pour le but adverse, ceux qui ont suivi ont été davantage axés sur la défensive. Le gain d’un défenseur central a ainsi évité aux entraîneurs de prendre des risques. Pour Carlos Bilardo, le match se gagne au milieu de terrain et le fait d’avoir un joueur supplémentaire derrière permet d’avoir une assurance de plus au niveau de l’équilibre du bloc. Comme le préconise l’Argentin, la supériorité numérique apportée au milieu de terrain découle ensuite d’une aide dans le dernier tiers adverse. De cette façon, en 1986, Burruchaga et Enrique venaient suppléer Maradona et Valdano dans les tâches offensives.
Il existe mille façons d’animer son équipe et le système à trois défenseurs n’échappe pas à cette règle. D’ailleurs, la différence est notable suivant le nombre de joueurs les accompagnant. En effet, un 3-4-3 ou un 3-3-3-1 n’apportera pas les mêmes opportunités que le 3-5-2. De vulgaires numéros de téléphone pour César Luis Menotti mais aussi pour Marcelo Bielsa. Ce dernier est d’ailleurs un utilisateur commun de la défense à trois estimant qu’une telle structuration annule les éliminations. En effet, son 3-3-3-1 a la particularité d’être en perpétuel mouvement, il explique en conférence de presse durant son aventure chilienne : « En fonction du joueur éliminé, une structure se crée. Si le latéral gauche est éliminé, il y a une adaptation défensive pour la perte de ce joueur. Si le 8 est éliminé, on se renforce depuis le côté ».
Au début des années 1990, deux des plus belles équipes de l’histoire évoluent avec une défense à trois, le Barça de Johan Cruyff et l’Ajax de Louis van Gaal. A l’instar de Marcelo Bielsa aujourd’hui, la phase de sortie de balle était très importante pour ces deux entraîneurs. La tulipe de fer soulignait son affection pour ses schémas dans El país : « Les déclencheurs du jeu doivent être les défenseurs centraux et le milieu de terrain le plus défensif, parce qu’il n’y a de l’espace pour construire qu’à l’arrière ». Plus tard, en 2006, Ricardo La Volpe, sélectionneur du Mexique, impressionna le monde entier en tenant tête aux grandes nations internationales en ressortant le ballon de derrière grâce à ses trois défenseurs axiaux Salcido, Osorio et Marquez. El Tri inspira justement de nombreux tacticiens modernes parmi lesquels Pep Guardiola ou Julian Nagelsmann ou niveau des relances courtes.
Ces deux derniers n’alignent quasiment jamais trois défenseurs centraux sur leurs feuilles de match mais font descendre leur milieu défensif entre les deux axiaux pour créer une supériorité. De ce nombre découle des chemins de passes visibles entre les lignes de manière à constamment trouver un joueur libre. Sur une phase de sortie de balle d’une équipe évoluant déjà à trois derrière les options sont plus nombreuses. Grâce à Guardiola à Barcelone ou Rijkaard à Amsterdam, les tacticiens des nineties optaient pour l’axe en jouant avec un milieu défensif très technique. Désormais, c’est surtout les couloirs qui sont privilégiés dans une quête de vitesse toujours plus époustouflante.
Les trois défenseurs reviennent à la mode
Depuis sa prise de fonction du FC Barcelone en 2008, Pep Guardiola n’a cessé de révolutionner le football mondial en voyant ses tactiques être reprises par bon nombre d’entraîneurs à travers le globe. Tous ne font pas aussi bien que lui évidemment mais certaines tendances actuelles comme le faux numéro 9 ou les sorties de balle découlent de son coaching. Pourtant, ni au Barça, ni au Bayern, ni à Manchester City, il n’a utilisé de défense à trois sur le long terme. Pourquoi revient-elle alors à la mode aujourd’hui ?
Même si le football n’a pas besoin de Guardiola pour évoluer, il n’est jamais bien loin lorsqu’on parle de changement. Les avancées technologiques, scientifiques et techniques ont amélioré les performances individuelles et collectives des footballeurs. Ainsi, les défenseurs centraux ne sont plus catalogués comme de simples destructeurs empêchant le but adverse mais comme une première rampe de lancement favorisant une opportunité en la faveur de leur équipe. La relance lavolpienne s’inscrit dans cette responsabilisation avec ballon toujours plus grande des centraux.
L’évolution du ballon rond a fait améliorer ces joueurs d’axes mais également ceux évoluant sur les côtés. Souvent choisis en dernier dans la cour de l’école, les latéraux sont désormais des pièces maîtresses de beaucoup d’équipes professionnelles. Dans une défense à trois, ils changent même d’appellation en devenant des pistons. Beaucoup plus offensifs qu’à l’accoutumé, ils ont pour objectif d’occuper le camp adverse sans oublier leur mission première de défendre. Un essui glace permanent avantagé par leur condition physique souvent impeccable. Recrue de l’été 2021 du Paris Saint-Germain sur le flanc droit, Achraf Hakimi est un des symboles de cette nouvelle ère.
Défense, attaque, travail
L’exemple du PSG édition 2021-2022 est intéressant. Alors que Mauricio Pochettino possède deux pistons de formation (Nuno Gomes à gauche), il persiste à jouer à quatre derrière, et ce, même si le contenu est souvent corrigible. De la même façon, lors de l’Euro 2021, Didier Deschamps s’est essayé à la défense à trois. Problème de taille : ce n’était pas son idée de départ, et aucun joueur de la liste ne pouvait être performant sur les côtés. Le résultat est sans appel, Adrien Rabiot et Benjamin Pavard ont subi face à la Suisse avant de voir leur équipe être éliminée aux tirs au but. Un choix dommageable quand on sait que certains défenseurs français connaissent très bien ce rôle comme Nordi Mukiele (Leipzig) ou Jonathan Clauss (RC Lens).
« Ça demande beaucoup de réglages, beaucoup de travail avec les joueurs sur le terrain et en vidéo. C’est pour ça qu’on dit que c’est un système qui est dur à mettre en place mais une fois qu’il est acquis, il est très intéressant », admet Christophe Pelissier qui évoluait en 3-5-2 à Luzenac et qui joue souvent en 3-4-1-2 avec Lorient aujourd’hui. Des systèmes qui demandent donc énormément de travail, qu’il soit contextuel ou analytique. L’échec français est dû à cette improvisation tandis que les réussites danoises ou italiennes résultent justement d’une préparation de longue haleine.
Plus qu’une tendance, la défense à trois découle d’une évolution tactique visant à contrôler au maximum le pressing, et ainsi le ballon. Loin des formations à trois destructeurs comme au début du siècle dernier ou celles des années 1980 qui évoluaient avec un libéro, ce système se dévoile de plus en plus protagoniste. De l’Atalanta de Gasperini ou RC Lens de Franck Haise, on a désormais compris que mettre trois défenseurs centraux n’était pas contraire à l’allant offensif.
Sources :
- « Défense à 3 : l’avenir du foot ? », L’After Foo
- « Histoire de latéraux #3 : Les pistons », Café Crème Sport
- « France, PSG : Défense à trois + deux pistons, mode d’emploi d’un système à la mode », Eurosport
- « Bilardo : Je suis l’inventeur du 3-5-2 », So Foot
- La Pyramide inversée, Jonathan Wilson, 2018
Crédits photos : Icon Sport