Le vingt-troisième Congrès fédéral de la FIFA de 1936 à Berlin, désigne la France comme pays hôte de la troisième Coupe du Monde de la FIFA de 1938. L’Allemagne nazie faisait office de favorite, mais ne sera pas en reste car elle a obtenu la promesse de pouvoir accueillir la prochaine édition de 1942. Mais tout ne se passe pas comme prévu, car le monde se prépare à un tout autre type d’embrasement…
Lors de la période de l’entre-deux-guerres, la Coupe du Monde de football de la FIFA est à la croisée des chemins. D’un côté, le football. Il emprunte le chemin du succès populaire et se développe de manière exponentielle. De l’autre, le repli sur soi. Lui aussi emprunte le chemin du succès, et remporte, ci et là des succès significatifs, cristallisant les idéologies en blocs géopolitiques, et exacerbant la volonté d’en découdre encore une bonne fois. Les affrontements sont souhaités et semblent inéluctables, et s’ils vont effectivement avoir lieu, sur tous les terrains, la FIFA n’aura de cesse qu’ils se déroulent aussi sur les terrains de football.
La Coupe du Monde de la FIFA, une compétition à succès
Depuis sa création en 1904, la FIFA connait un développement croissant, et ce, malgré les soubresauts des premiers pas, puis la survenue du premier conflit planétaire. Pour maintenir le lien et la cadence elle organise de fait un Congrès fédéral sur un rythme annuel regroupant ainsi tous les adhérents à date.
C’est lors de son dix-septième Congrès, en 1928 à Amsterdam, que le président d’alors, le français Jules Rimet, donne l’impulsion nécessaire à l’organisation de la première Coupe du Monde de la FIFA. Jules Rimet est convaincu du succès d’une compétition regroupant ses adhérents de par le monde, en atteste le succès populaire des Jeux Olympiques modernes… et de leur compétition de football ! L’organisation d’une compétition internationale et propre au football est aussi une manière d’affirmer son leadership sur la gouvernance du football en Europe et dans le monde.
Le dix-huitième Congrès de la FIFA a lieu en mai 1929 à Barcelone. La désignation du pays organisateur de la première Coupe du Monde de la FIFA apparaît à l’ordre du jour. C’est l’Uruguay qui est alors choisi pour être le pays hôte de cette première compétition internationale de football. Argument footballistique : l’Uruguay a remporté les deux dernières compétitions de football des Jeux Olympiques modernes de 1924 et 1928. Argument symbolique : l’Uruguay fête alors le centenaire de l’indépendance du pays, obtenu en 1830. Mais déjà, et surtout, des considérations pécuniaires : l’Uruguay accepte de payer les frais de participation des équipes et de construire un nouveau stade, le stade Centenario.
Toutes les équipes affiliées à la FIFA sont invitées à participer à la compétition mais seulement treize d’entre elles acceptent l’invitation. Ils sont neuf du continent américain (sept originaires d’Amérique du Sud, auxquels il faut ajouter les Etats-Unis et le Mexique). Par ailleurs, peu d’équipes européennes acceptent de participer à cause de la durée du voyage en bateau, qui est de deux semaines. Il s’agit de la Belgique, la Roumanie, la Yougoslavie et la France. Il faut noter que les équipes britanniques, pourtant très compétitives, boudent une fois de plus la FIFA depuis 1928, et ne participent pas à la compétition phare. L’Uruguay triomphe sur ses terres face à l’Argentine. C’est le troisième sacre consécutif et d’envergure de la Celeste.
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Cette Coupe du monde est considérée comme une grande réussite sportive, avec des matchs de très bon niveau. Il s’agit aussi d’un vrai succès populaire, avec plus de 500 000 spectateurs cumulés sur les dix-huit rencontres de la compétition. C’est donc tout naturellement que l’expérience est reconduite quatre ans plus tard, avec la volonté affichée de l’organiser en alternance avec les Jeux Olympiques.
Le vingt-et-unième congrès de 1932 a lieu à Stockholm. C’est l’Italie fasciste de Mussolini qui est choisi comme pays hôte. Après les Jeux Olympiques de 1936, organisés à Berlin, en plein triomphe du NSDAP d’Hitler, c’est le deuxième événement sportif majeur, qui sert de formidable outil de propagande pour un régime totalitaire.
Une compétition qui se déroule alors sur le sol européen, et qui a pour effet immédiat d’inverser naturellement le « rapport de force » de l’origine des participants. Douze des seize participants sont européens alors qu’ils n’étaient que quatre lors de l’édition précédente. On déplore surtout l’absence de l’Uruguay, tenant du titre, qui a tout simplement décidé de bouder cette édition. Une décision en représailles du boycott, quatre ans plus tôt, d’une grande partie des européens, alors que la compétition se déroulait sur leur sol. Les pays non européens sont les suivants : Argentine, Brésil, Etats-Unis, Egypte.
A noter que dès les quarts de finale il ne reste que des pays européens, un fait unique dans l’histoire de la compétition. L’Italie remporte la compétition, après avoir triomphé de la Wunderteam autrichienne – première équipe continentale à avoir gagné contre une équipe britannique, l’Ecosse, en 1931 – en demi-finale, puis de la Tchécoslovaquie en finale. Les rencontres sont âpres, disputées, et c’est l’Italie la plus forte à ce jeu-là, puisqu’elle l’emporte après prolongation 2-1. Encore une fois, la compétition est une réussite populaire, la couverture médiatique (presse écrite et radio) est d’ailleurs considérable pour l’époque.
Depuis le Congrès de Stockholm de 1932, la FIFA décide d’organiser son Congrès fédéral tous les deux ans. C’est donc lors de son vingt-troisième Congrès, en 1936, à… Berlin, que la FIFA attribue l’organisation de la Coupe du Monde 1938 à la France. Le choix s’effectue pour la première fois à travers un vote. Les fois précédentes, les candidats se retiraient pour ne laisser qu’une seule candidature au moment du choix. Cette fois-ci, l’Allemagne nazie, l’Argentine, et la France maintiennent leur candidature jusqu’au bout. L’Allemagne nazie n’a aucun vote, l’Argentine quatre, et la France seize. L’Allemagne nazie faisait pourtant, contexte oblige, figure de favorite. Il semblerait qu’elle ait pu donner des consignes de vote en faveur de la France, sans s’en donner l’air, après avoir obtenu la promesse d’organiser la prochaine édition de 1942.
Cette troisième édition, est marquée par de récents événements dramatiques et autres perturbations politiques à la portée continentale (pour le moment) : l’Autriche est annexée par l’Allemagne nazie en mars 1938. La Wunderteam doit donc déclarer forfait, et certains de ses joueurs intègrent l’équipe de l’Allemagne, d’autres le refuseront à l’instar de Matthias Sindelar, au péril de sa vie.
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L’Uruguay, une fois de plus, n’est pas de la partie, tout comme l’Argentine. L’Espagne, en pleine guerre civile, est quant à elle interdite de compétition par la FIFA. Les défections sont nombreuses, car il faut rajouter aussi l’Egypte, les Etats-Unis, le Mexique… et les Britanniques qui boudent toujours. Les Anglais refusent même de remplacer l’Autriche au pied levé. Finalement, c’est non sans mal que cette compétition se maintient. Il n’y a que trois pays non européens : le Brésil, Cuba, et les Indes orientales néerlandaises (future Indonésie). À l’issue de la compétition, l’Italie conserve sa couronne. Emmenée par les Meazza, Piola et autre Colaussi, ils triomphent du Brésil de Léônidas en demi-finale, puis de la Hongrie en finale. Ils n’avaient pas d’autres choix, eux qui avaient reçu ce message martial du Duce : « vaincre ou mourir ! ». Cette édition est encore une fois une réussite en dehors des terrains.
Une Coupe du Monde des manœuvres
Après ces trois premières éditions, toutes auréolées de succès populaires, médiatiques mais aussi commerciaux, vient à nouveau le moment de la désignation du pays hôte pour la quatrième édition de la Coupe du Monde de la FIFA. Ces premiers succès engendrent déjà les convoitises et la désignation de l’organisateur d’un tel événement charrie déjà avec lui les jeux de dupe et autre lobbying. Le tout dans un monde déjà en proie à l’agitation et aux intrigues. Les idéologies sont organisées en bloc géopolitiques, et la propagande reste l’arme la plus utilisée en attendant que les chaines de production des usines terminent les autres.
Malgré cette tension croissante et malgré les premières provocations significatives et annonciatrices du conflit à venir, cette Coupe du Monde 1942 est très attendue, et chacun, les passionnés, les professionnels, se projette sur la prochaine édition. Les journalistes tentent d’expliquer les enjeux et donnent leur avis. La troisième Coupe du Monde s’est terminée le 19 juin 1938, et déjà les spéculations, les manigances sont présentes. Nous sommes le 6 juillet 1938, et Emmanuel Gambardella, alors journaliste pour l’Express de Mulhouse – et futur président de la FFF – se lance dans le micmac :
« La Coupe du Monde 1938 terminée, on pense déjà à celle qui lui succédera. Je veux dire à la Coupe du Monde 1942. Deux projets sont sur le chantier dont l’un me paraît, à vrai dire, beaucoup plus solide que l’autre. Une initiative hardie consisterait à dire à l’Angleterre qui, il faut qu’on le sache, a bien failli s’engager, cette fois : « engagez-vous dans la Coupe du Monde 1942 et pour ce faire, organisez-la ». Rien ne prouve que l’Angleterre se jetterait comme une bête affamée sur ce repas plantureux qu’on lui offre. La Coupe du Monde se dispute au mois de juin ; c’est une époque à laquelle le football n’intéresse plus l’Angleterre et les Anglais. Il serait peut-être moins audacieux et plus raisonnable d’attendre que l’Angleterre vînt tout doucement à la F.I.F.A. : elle est déjà sur la route. La deuxième candidate, mais véritablement candidate celle-là, à l’organisation de la Coupe du Monde 1942 est l’Allemagne. Elle s’était déjà mise sur les rangs en 1936 au congrès de la F.I.F.A. à Berlin. C’était l’heure où l’on considérait que la France s’avançait peut-être beaucoup en offrant d’organiser la Coupe du Monde 1938. Qu’elle serait peut-être obligée d’y renoncer. L’Allemagne se posait en successeur de la France. Mais en réunion publique, elle déclara s’effacer devant elle à condition qu’on lui attribuerait la Coupe du Monde 1942. La France a joliment réussi : la promesse faite à l’Allemagne reste intacte. Et j’imagine qu’elle saura la rappeler à l’occasion ».
On apprend alors que l’organisation de cette quatrième édition pourrait servir d’appât, pour que les Britanniques, les Anglais en particulier, reviennent s’assoir à table avec le reste de la famille. Les dires de Gambardella semblent surtout confirmer l’hypothèse du deal entre la France et l’Allemagne nazie vis-à-vis des Coupes du Monde 1938 et 1942.
Très rapidement c’est le Brésil qui propose sa candidature. Les deux dernières éditions se sont tenues sur le sol européen. Il y aurait donc une certaine logique à ce que cette compétition, qui se veut mondiale, se tiennent ailleurs qu’en Europe. D’une certaine manière, l’opinion publique s’attend à ce qu’un pays d’Amérique soit désigné. Et c’est justement une évidence pour les délégués des pays d’Amérique du Sud. Dans un autre article, paru une quinzaine de jour plus tard et toujours dans l’Express de Mulhouse, Emmanuel Gambardella dresse les comptes des précédents jeux de dupe, et rappelle les éventuels contentieux :
» Je vous expliquais dans un de mes derniers papiers que deux nations étaient dès à présent sur les rangs : l’Allemagne qui avait posé sa candidature pour la Coupe 1938 et l’Angleterre à qui d’aucuns désireraient faire ce cadeau pour lui faciliter le passage du Rubicon. Et voici qu’un troisième larron vient d’entrer en course : c’est le Brésil. Le Brésil voudrait qu’on allât chez lui la prochaine fois. Et il indique qu’on lui doit bien ça puisqu’il a été le seul Américain du Sud à venir chez nous. Je crains que ce dernier argument ne soit à double tranchant : lorsqu’en effet on a accepté Montevideo pour y faire disputer la première Coupe du Monde et lorsqu’en outre la France, dans un geste généreux et peu payé de retour, comme il lui arrive si souvent d’en avoir, a accepté de faire ce très lointain voyage il avait été tacitement entendu que ce serait à titre de réciprocité. Lorsqu’une prochaine Coupe du Monde se déroulerait en Europe et, à plus forte raison, en France, les Sud-Américains et surtout, les Uruguayens, reconnaissants, s’y inscriraient en foule. En 1934, en Italie, pas l’ombre d’un Sud-Américain. En 1938, en France, le seul Brésil… quant à l’Uruguay, après bien des palabres et des marchandages, durant lesquels, il faillit nous faire perdre la respiration à force de nous tenir le bec dans l’eau, bien qu’on eut multiplié les concessions et les entorses au règlement en sa faveur, il est resté chez lui… On a beau être bon bougre, accommodant et évangélique, tout çà, comme on dit dans la chanson, « tout çà c’est des choses que l’on n’oublie pas !… »
Dans un second temps, il se laisse aller à des réflexions sur comment priver la terrifiante Squadra d’un troisième sacre consécutif ! Coup bas contre la double tenante du titre, mais c’est de … bonne guerre ? Des propos presque puérils, qui contrastent tellement avec le contexte géopolitique mondial. Insouciance naïve, ou frivolité coupable ?
» Il y a tout de même, à mon avis, une considération qui devrait pousser les organisateurs à faire disputer le plus loin possible la prochaine Coupe du Monde. Aux Antipodes, à l’occasion du Quatorze-Juillet ou au Pôle Nord, pour la Noël. C’est l’esprit d’économie. Tenez-moi solidement par le pan de ma veste pour ne pas vous perdre et suivez-moi bien dans mes raisonnements. Vous verrez que je ne suis pas encore devenu fou et qu’ils se tiennent parfaitement. Le règlement de l’épreuve prévoit que l’objet d’art qui la dote — une superbe Coupe en or massif d’une valeur qui n’a fait que croître avec celle du métal précieux — appartiendra en toute propriété à la nation qui l’aura gagnée trois années de suite. Or l’Italie l’a déjà gagnée pendant deux années d’affilée. Si elle la gagne encore en 1942. la Coupe est fichus pour le Comité d’organisation. Et force lui est d’en acheter une autre pour la mettre en compétition. Perte énorme, perte sèche. D’où intérêt énorme et évident à empêcher les Italiens de gagner la Coupe en 1942, d’où ma proposition… Toute réflexion faite, l’Amérique du Sud et le Brésil me plairaient assez. A voir les difficultés avec lesquelles les Brésiliens ont perdu chez nous, à lire les récits des bagarres, combats singuliers et pluriels, les charges de cavalerie et autres parades, dont se compliquent et s’accompagnent les matches dans ce pays volcanique, lorsque le favori de la foule locale ne gagne pas, je me convaincs qu’à moins d’y faire la guerre, les Européens ont peu de chances de revenir victorieux d’une preuve dont le théâtre serait un de ces stades en ébullition. Alors, évidemment… »
Emmanuel Gambardella n’oublie pas de mentionner la ferveur dont bénéficie le Beautiful Game en Amérique du Sud. Il exprime en filigrane un choix du cœur, probablement partagé par bon nombre de passionnés. La candidature du Brésil profite aussi du fait que l’Allemagne nazie veut écarter les joueurs professionnels de la compétition alors que la FIFA soutient leur présence en Coupe du Monde. Par ailleurs la politique du parti unique allemand, le NSDAP est très critiquée au sein de la FIFA et une vraie réticence s’installe vis-à-vis de sa candidature. Dans son article, Gambardella évoque aussi la crainte légitime de la FIFA qu’une organisation au Brésil entraine le forfait de nombreuses sélections européennes comme en 1930, en raison notamment des coûts de déplacement. La FIFA reporte finalement la désignation du pays organisateur au prochain Congrès de 1939 au Luxembourg, car aucune des deux candidatures ne la satisfait.
Grâce à ce temps supplémentaire, la FIFA espérait qu’une candidature européenne supplémentaire se déclare. En attendant, Jules Rimet effectue alors plusieurs allers-retours entre le Vieux Continent et l’Amérique du Sud. Les Sud-Américains en profitent pour montrer un réel enthousiasme quant à l’organisation de la Coupe du Monde sur leur continent, mais aussi une volonté de coopération et de réconciliation. Le journal Paris-Soir du 5 avril 1939 se fait l’écho de ce nouveau visage rassurant :
« Grâce à M. Rimet, la confédération Sud-américaine sera certainement refondue sur de plus justes bases. Et la F.I.F.A. trouvera désormais en Amérique du sud des groupements dévoués. Respectueux de ses décisions et dont les relations entre eux seront cordiales. »
En juin 1939, la Fédération Argentine de football exprime son intérêt pour l’organisation du mondial. Cependant, si elle fait savoir qu’elle est intéressée, elle ne dépose pas de candidature officielle. Elle laisse également sous-entendre qu’elle serait prête à co-organiser la compétition avec son voisin brésilien. Faute d’une deuxième candidature européenne autre que l’Allemagne, le président de la FIFA Jules Rimet décide alors d’examiner de plus près le projet brésilien, qui tient donc la corde, en s’y déplaçant personnellement. C’est à ce moment que l’Allemagne nazie déclenche des attaques terriblement hors jeu… Pendant son séjour à Rio de Janeiro, les troupes allemandes pénètrent et attaquent la Pologne le 1er septembre 1939. La Seconde Guerre mondiale débute.
Le nouveau Congrès de la FIFA devait justement se tenir en septembre 1939, mais les déclarations de guerre du Royaume-Unis puis de la France à l’Allemagne nazie, viennent inévitablement chambouler ce calendrier devenu dérisoire. La FIFA ne cesse pas pour autant son activité, et reporte pour le moment son Congrès fédéral à mars 1940. Dès octobre 1939, c’est le Comité d’urgence de la FIFA qui se réunit, à Berne. Le Progrès de la Côte d’Or du 24 octobre apporte les précisions suivantes :
« Le Comité d’urgence de la FIFA, s’est réuni hier à Berne, sous la présidence de M. Jules Rimet, président de la FIFA et de la Fédération Française de Football. Etaient présents : MM. Mauro (Italie), Schricker (Allemagne) et Seeldrayera (Belgique). Le Comité a d’abord examiné les modalités du maintien, selon les circonstances, de l’activité de la Fédération internationale. Il a décidé de suspendre le prochain Congrès fédéral qui devait se tenir à Luxembourg en mars prochain, et de se réunir de nouveau, à Gênes, le 9 décembre, pour fixer la date et le lieu du prochain Congrès. Le comité a procédé à un échange de vues sur l’organisation de la Coupe du monde de football qui doit se disputer en 1942. Il a examiné ensuite l’organisation éventuelle du tournoi olympique de football qui doit en principe avoir lieu à Helsinki en 1940 ».
On apprend donc que le prochain Congrès fédéral est finalement reporté sine die, mais que le Comité d’urgence se réunira quant à lui, de nouveau en fin d’année 1939. Toutefois, le journal rapporte des discussions sur l’organisation de la prochaine Coupe du Monde 1942. Il n’est visiblement pas encore question d’une annulation pure et simple, mais une simple attitude expectative. Après tout c’est encore la période de la « drôle de guerre ». Dans le journal L’Ouest-Eclair daté du 20 décembre 1939, on apprend que le Comité s’est réuni les 16 et 17 décembre 1939, à Gènes.
« A propos du Congrès 1940 : tenant compte de la situation actuelle, le Comité décide de remettre le Congrès a la fin du mois de septembre 1940. Au cas où le Luxembourg ne pourrait organiser le congrès a cette date, le Comité devrait demander à un autre pays de l’organiser. »
Le Comité décide donc de fixer une nouvelle échéance pour la tenue de son prochain Congrès, en septembre 1940. Quelques jours après la réunion du Comité, la machine à propagande du Dr Goebbels mène grand train et tente l’intox en instrumentalisant la FIFA. Un fait rapporté dans le Midi Socialiste du 23 décembre 1939.
Le 26 décembre Le Petit Parisien annonce « il y aura bien une Coupe du Monde 1942 », en citant le Dr Schricker, secrétaire de la FIFA.
« Des informations données récemment par le Dr Schricker permettent d’établir qu’il y aura une Coupe du Monde de Football en 1942 et que cette Coupe se déroulera vraisemblablement en Amérique du Sud. Le Brésil et l’Argentine sont sur les rangs pour cette organisation. »
Paris-Soir complète ces propos en précisant que « la décision, concernant son attribution à une nation, soit un peu retardée ». Le sujet de la Coupe du monde 1942 préoccupe encore les esprits, et l’espoir est même entretenu, alors qu’on se situe toujours dans cette « drôle de guerre » en Europe de l’Ouest. A noter que dans l’Intransigeant de mars 1940, on apprend que « Devant les événements actuels, le Brésil annule la demande qu’il avait adressée à la F.I.F.A. tendant à l’organisation en 1942 de la Coupe du Monde de football. »
Un boulevard pour l’Argentine… d’autant plus qu’en mai 1940 débute la « bataille de France ». Le conflit, le chaos, la désolation s’étendent à présent en Europe de l’Ouest. En fin d’année 1940, certains journaux évoque que la Coupe du Monde aurait lieu dix-huit mois après les hostilités… Une échéance vague, mais qui semble ravir l’Argentine.
La fête disparait, l’usage persiste
Pendant toute cette période, y compris sous l’Occupation, les journaux régionaux évoquent le programme des cinémas, et on y voit très régulièrement apparaitre le film de la Coupe du Monde 1938, qui s’est déroulée en France. Un événement généralement accompagné d’un grand enthousiasme, preuve supplémentaire que si l’organisation d’une compétition n’est pas d’actualité, l’amour du ballon rond, lui, est toujours présent.
D’ailleurs, la FIFA fait un bilan comptable de son activité des années 1940 et 1941 et communique un bilan satisfaisant. On évoque ainsi un tournoi final à seize équipes, regroupées en poules « géographiques », des qualifications en matchs allers-retours, etc. En février 1941, il semble que les réunions du Comité se poursuivent, et que de nouvelles suggestions d’organisation ou d’évolution des règles continuent à faire l’objet de tractations et de proposition. Mais finalement c’est en avril 1941, que Jules Rimet sifflera la fin de la partie.
Cette fois c’est une certaine résignation qui transpire de ces quelques mots. Mais c’est le monde entier, et pas seulement celui du football qui est alors plongé dans l’horreur et le fatalisme. L’Allemagne nazie semble alors toute puissante, les Etats-Unis n’ont toujours pas pris part au conflit. L’espoir est au plus bas, et la décision de Rimet est tout à fait de circonstances.
Le 10 aout 1941, L’Œuvre continue de s’alarmer pour le foot et titre « une rupture à éviter ». Alors qu’en 1939, les Sud-Américains avaient promis à la FIFA une relation respectueuse, cordiale et dévouée, les voilà à présent qui menacent de se retirer de la FIFA. Ils estiment toujours être en capacité d’organiser cette quatrième édition, arguant que l’Europe est hors-jeu, la guerre étant dans chaque rue, chaque chemin… Un coup de pression maladroit et inutile, la FIFA ne cédant pas et affirmant de fait une autorité qui devient naturelle. En effet, si les relations diplomatiques entre les pays sont rompues, la FIFA a quant à elle gardé le contact avec ses adhérents et maintenue une certaine activité.
En 1942, la FIFA n’est plus en mesure de réunir son Comité exécutif, les déplacements de ses membres étant difficiles voire impossibles. Pourtant, elle publie en juin un bilan de son activité des années 1940 et 1941, dans L’Effort : « malgré la guerre, l’activité de la FIFA s’est maintenue en 1940 et 1941 », et précise également que « 74 matches inter-nations ont pu être disputés dans les deux années et le secrétariat est resté en rapport avec toutes les fédérations affiliées ». On y apprend même que l’exercice financier de 1940 est jugé satisfaisant, alors que les recettes de 1941 sont inférieures à ce qui avait été prévu. Le secrétaire général, le Dr Schricker, conclut : « le Comité a la volonté ferme de maintenir, comme par le passé, l’organisation mondiale de notre sport, malgré toutes les difficultés de ces temps, et il compte, pour pouvoir accomplir sa noble tâche, sur la collaboration et l’appui de toutes les associations de la FIFA, afin qu’il soit à même de préparer la renaissance sportive à laquelle, la paix revenue, toutes viendront collaborer ».
Le vingt-cinquième Congrès fédéral de la FIFA, le premier depuis la fin du conflit, se tient dès juillet 1946, à … Luxembourg, lieu prévu depuis 1939 ! La volonté de rattraper au plus vite le retard accumulé et certainement le désir de passer rapidement à des considérations festives, poussent la FIFA à envisager d’emblée de disputer deux Coupes du Monde dès 1949 et 1951 ! Ces Coupes du Monde sont attribuées respectivement au Brésil (qui attendait ça depuis 1938) et à la Suisse. Finalement, lors du Congrès de 1948 à Londres, la tenue de ces compétitions sera décalée aux années 1950 et 1954, reprenant alors le rythme quadriennal, les années paires où ne se tiennent pas les Jeux olympiques comme c’était le cas avant la guerre avec les éditions de 1930, 1934 et 1938. Le football à l’international et sa compétition reine reprennent leurs droits.
On refait le match
L’attribution de la compétition de 1942 à tel ou tel continent aurait fortement influencé l’identité des participants, mais la perte de cette édition, tout autre contexte dehors, peut laisser des regrets en termes d’intérêts footballistiques. En effet, cette Coupe du Monde aurait pu être le terrain d’affrontements acharnés et techniques entre plusieurs équipes arrivant à maturité, ou des équipes émergentes, des dispositifs tactiques éprouvés, et des innovations enthousiasmantes. On peut citer évidemment la redoutable et redoutée Squadra, double tenante du titre, et son Metodo en 2-3-2-3 de Pozzo. Elle possédait en outre des joueurs qui arrivaient à maturité tels que Meazza, Piola et Colaussi mais aussi des pépites émergentes du Grande Torino.
L’éventualité de voir figurer les Anglais était inexistante, elle qui a disparu du giron de la FIFA dès 1928. Mais, là aussi, cellei-cu aurait pu s’avancer avec des certitudes : un dispositif en WM et ses buteurs prolifiques Matthews, Lawton et Bastin. L’Argentine, qui aurait pu accueillir la compétition, s’avançait elle-aussi avec une belle armada avec son redoutable quintette, La Máquina de River Plate. Le Brésil, qui aurait lui aussi pu être pays hôte, avait l’avantage d’accumuler une grande expérience dans cette compétition, puisqu’il avait participé à toutes les éditions, comme la France. Une équipe qui allait encore pouvoir compter sur ses deux plus grands joueurs de l’édition de 1938, à savoir Léônidas et Dominguos da Guia. On peut enfin citer l’Autriche, qui sans l’Anschluss aurait pu se présenter en outsider de choix. Elle n’était plus tout à fait la Wunderteam, mais possédait alors un Matthias Sindelar au sommet de son art.
L’annulation de la Coupe du Monde de 1942 a mis du temps à se dessiner, comme si on ne pouvait accepter l’inévitable. Jusqu’au bout ou presque, chacun aura usé de son poids pour obtenir, déjà, le Graal de l’organisation de cet événement à succès. Le sport devenait un nouvel enjeu majeur des relations internationales, la FIFA a donc été la cible de tentatives d’instrumentalisation politique, sur fond d’exacerbation des totalitarismes. La perte de cette édition, aurait donc pu sonner le glas de ses ambitions. Mais au sortir de cette terrible période, elle conserve davantage d’autonomie, se construisant une voie propre dans l’histoire des organisations internationales, à mi-chemin entre une organisation non gouvernementale et un groupe d’intérêt. En maintenant une activité, même amoindrie, et surtout le contact avec ses affiliés, elle a renforcé son leadership sur la gouvernance du football en Europe et dans le monde.
Sources :
- Retronews.fr
- Fifa.com
- Wiloo, « Qui aurait gagné la Coupe du Monde 1942 ?« , YouTube.