Ancêtre de la sélection tchèque, l’équipe nationale de Bohême-Moravie a connu une aventure agitée. Sa courte histoire raconte les débuts du football dans l’Empire austro-hongrois. Elle est aussi un témoin des bouleversements politiques et des conflits mondiaux qui vont redessiner la carte de l’Europe. Retour sur une sélection disparue aux confins de l’Europe centrale.
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Non loin de la Basilique Saint-Pierre-et-Saint-Paul de Prague, dans le cimetière de Vyšehrad, repose le corps de Josef Bican. En surplomb de sa tombe trône une statue à son effigie. Légende du football tchécoslovaque de l’entre-deux-guerres, l’attaquant du Slavia Prague est l’un des symboles de la sélection de Bohême-Moravie. En 1901, ce territoire fait partie de l’Empire austro-hongrois. Les deux régions de Bohême et de Moravie sont administrées depuis Vienne par l’Empire d’Autriche. En ce mois d’octobre 1901, l’association tchéco-morave de football est née. Deux ans plus tard, la sélection de Bohême-Moravie est mise sur pied.
Jouissant d’une relative indépendance vis-à-vis du pouvoir central, le football tchèque s’organise et se développe. Importé d’outre-Manche, le football gagne les terrains de l’Empire austro-hongrois à la fin du XIXe siècle. En 1892, le Slavia Prague devient le premier club de l’Empire. Son voisin du Sparta suivra trois ans plus tard. Et la fièvre du ballon rond se propage aussi le long du Danube, à Vienne puis Budapest. En 1896, le premier championnat de Bohême-Moravie voit le jour. L’essor du football se poursuit avec la sélection nationale qui dispute sa première rencontre en 1903.
Un premier chapitre victorieux
Un premier match amical se joue à Budapest. Les Hongrois se présentent face à leurs voisins. Mais cette rencontre n’est pas considérée comme officielle, car l’équipe tchèque avait fait appel à des joueurs autrichiens et allemands. Jusqu’en 1908, la sélection va jouer six matchs, uniquement contre son puissant voisin hongrois. Battus à trois reprises, les joueurs tchèques vont accrocher deux nuls. Le 6 octobre 1907, le Stadion Slavii de Prague va assister à la première victoire de ses champions. Galvanisés par une lourde défaite 5-2, quelques mois plus tôt, à Budapest, les coéquipiers de Jan Kosek vont livrer une grande prestation. Ils s’imposent 5-3 grâce à un quadruplé de Jan Kosek, le meilleur buteur de l’histoire du Slavia Prague avec 819 buts.
En quête de reconnaissance internationale, la Bohême-Moravie s’appuie sur le football pour porter ses revendications. Membre de la FIFA en 1906, elle a l’ambition de faire de l’ombre à l’Autriche et la Hongrie. Mais les pressions exercées par les dirigeants autrichiens, à Paris, où siège la FIFA, va avoir raison de l’affiliation de la Bohême-Moravie dans l’instance internationale. Au congrès de Vienne, en juin 1908, les membres de la FIFA décident d’exclure la sélection tchèque, car l’Autriche voit d’un mauvais œil la présence d’un de son territoire à ses côtés. Cinq jours après, la sélection olympique d’Angleterre se rend à Prague pour y affronter la sélection tchèque. L’addition est lourde, 4-0, mais pour la première fois, ils affrontent une autre équipe que la Hongrie. La défaite sans appel a tout de même un petit goût de victoire. Pendant sa tournée, les Three Lions ont eu moins de mal à désosser la Hongrie (7- 0) et l’Autriche (11-1).
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À l’été 1908, la Bohême-Moravie entend se rendre sur les bords de la Tamise pour disputer les Jeux olympiques. Mais sa récente exclusion de la FIFA va fragiliser sa présence. Au même moment se joue un match sur le terrain politique. L’Empire austro-hongrois qui administre la Bosnie-Herzégovine, appartenant à l’Empire Ottoman, annexe ce territoire et déclenche une crise diplomatique. Ces troubles poussent la Bohême-Moravie et la Hongrie à déclarer forfait pour les olympiades londoniennes. L’isolement de la sélection tchèque entrave le développement de la fédération. Désormais les matchs de la sélection ne seront plus reconnus par la FIFA.
En 1909, elle rejoint une nouvelle instance, l’Union internationale amateur de football association (UIAFA). Cette organisation met sur pied l’un des premiers championnats d’Europe de football, sous le statut amateur. Réunis en 1911, en marge de l’Exposition internationale de Roubaix, le Grand tournoi européen de football association, met aux prises la France, l’Angleterre, la Bohême-Moravie, et une sélection du Nord de l’Hexagone – après le forfait de la Suisse. Au Stadium de Roubaix, les footballeurs tchèques ne manquent pas l’occasion d’écrire l’histoire. Vainqueurs de la France, ils remportent le titre en prenant leur revanche 2-1 sur l’Angleterre. Auteur de quatre buts dans le tournoi, dont un doublé en finale, le milieu du Slavia Josef Bělka s’inscrit dans la postérité, avant de mourir en 1944, sous le joug des nazis, dans le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.
Le renouveau sous domination allemande
Le 28 juin 1914, l’archiduc François-Ferdinand, héritier de l’Empire austro-hongrois, est assassiné. La Première Guerre mondiale éclate, emportant avec elle l’Empire austro-hongrois. En 1916, les autorités autrichiennes vont démanteler l’équipe. Sous les décombres des bombes, l’Empire austro-hongrois n’est plus. À la sortie de la guerre, en 1918, la première République de Tchécoslovaquie prend forme, englobant l’actuelle Tchéquie et la Slovaquie. Le championnat de Bohême-Moravie est dissous, tout comme sa fédération. Désormais rassemblés sous les couleurs de la Tchécoslovaquie, les Tchèques et les Slovaques vont produire un football de haut niveau. Mais la guerre va de nouveau faire rage sur le Vieux continent.
Sous les ordres d’Adolf Hitler, l’armée allemande avance ses chars en Europe centrale. En mars 1939, la Tchécoslovaquie est envahie par la Wehrmacht. La Bohême-Moravie devient un Protectorat du IIIe Reich allemand. Sous l’occupation nazie, le territoire tchèque monte une sélection nationale. Le deuxième chapitre de son histoire est de courte durée. Étroitement contrôlée par l’occupant, l’équipe bohémienne et morave joue trois matchs amicaux. La Yougoslavie est le premier adversaire qui se rend à Prague, en août 1939. La formation tchèque l’emporte largement 7-3. Les membres de l’épopée tchécoslovaque lors de la Coupe du monde 1934, sont présents comme Oldřich Nejedlý – attaquant du Sparta Prague et meilleur buteur du Mondial 1934.
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Deux mois plus tard, ils sont opposés à l’Ostmark, l’équipe B du Reich qui remplace l’Autriche. Les derniers membres de la Wünderteam – surnom de la sélection autrichienne dans les années 1930 -, aux côtés de joueurs allemands, vont livrer une bataille de tous les instants. La Bohême-Moravie compte, elle, dans ses rangs un redoutable buteur. Le natif de Vienne, Josef Bican, membre de la Wünderteam jusqu’en 1936, va porter son équipe avec un triplé (5-5). Il va récidiver, un mois plus tard, contre l’équipe A de l’Allemagne. En Pologne, la Bohême-Moravie dispute son dernier match. L’aventure se conclut par un énième match nul, 4-4, dans lequel Bican fait parler de nouveau la poudre, en inscrivant trois buts, en quarante-cinq minutes. La guerre s’achève en 1945 et la sélection de Bohême-Moravie disparaît à jamais. Elle va laisser sa place à la Tchécoslovaquie. En 1992, l’État communiste est dissous, donnant naissance à la République Tchèque et la Slovaquie. Héritière de la sélection bohémienne et morave, la Tchéquie dispute son premier match en 1994, avant d’atteindre la finale de l’Euro 96.
De nombreuses légendes du football tchécoslovaque auront porté les couleurs rouges et blanches du maillot national, au cours des douze matchs qu’ils auraient disputé – les estimations divergent. Même si l’histoire de la sélection de Bohême-Moravie n’aura duré que neuf petites années, entrecoupée par les guerres, ce petit territoire a pu exister sur la scène européenne, à travers le football.
Sources :
Cahiersdufootball.net, Autriche-Hongrie : Habsbourg toujours, 14 juin 2016
Demivolée.com, Tour du Monde – Zoom sur la Bohême-Moravie, 27 mars 2018
FIFA et IFFHS, Internet Archive, 20 décembre 2013
Paul Dietschy, Histoire du football, Perrin, 2010
Crédits photos : Icon Sport