Karl-Heinz Rummenigge est l’un des footballeurs allemands les plus emblématiques du XXe siècle. Symbole de la Nationalmannschaft et du Bayern Munich dont il a longtemps occupé des postes au sein de la direction, celui que l’on surnomme « Kalle » a connu une grande carrière sportive, marquée par une évolution personnelle importante, des grands succès et des tristes déceptions.
Karl-Heinz Rummenigge voit le jour en pleine RFA (République Fédérale d’Allemagne, ou Allemagne de l’Ouest) à Lippstadt, ville historique de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, non loin de Dortmund. Longtemps promis à une carrière de banquier, « Kalle » ne manque pas de consacrer tout le temps qu’il peut à sa passion, le football. De ses 8 à ses 18 ans, il évolue en junior pour le club local du Borussia Lippstadt, qui joue en ligue régionale amateure. C’est à 17 ans qu’il rencontre Martina. La jeune femme de 15 ans devient sa petite-amie, elle deviendra sa femme, la seule ayant partagé sa vie.
Rummenigge est un jeune homme timide et effacé. Ses amis et ses coéquipiers le surnomment « Rotbäckchen », les « joues roses ». Pourtant, « Kalle » ne va pas hésiter à abandonner sa formation de banquier lorsque l’opportunité de toute une vie va se présenter : une signature au club le plus prestigieux d’Allemagne, le Bayern Munich. De là va commencer pour Karl-Heinz le début d’une longue et glorieuse carrière, qui va le faire exploser en tant que joueur, mais aussi en tant qu’homme.
Débuts au Bayern et transitions générationnelles
Il débarque en Bavière en 1974, tout juste âgé de 18 ans, dans un Bayern Munich qui vient d’être sacré champion d’Europe pour la première fois de son histoire (premier club allemand à remporter la C1). Cette même année 1974, Paul Breitner, joueur important de l’équipe, fait ses valises et part du côté de Madrid. Les deux hommes seront amenés à se recroiser.
Le gamin de Lippstadt met un peu de temps à s’imposer dans l’équipe, son poste d’attaquant est occupé, et pas par n’importe qui. Rummenigge doit en effet faire face à la concurrence du géant absolu Gerd Müller, champion du monde (1974) et d’Europe (1972), Ballon d’Or (1970), 605 matches joués au Bayern, 565 buts inscrits, et tout cela entre autres choses. D’autres titans du football allemand sont au club, comme le gardien Sepp Maier ou le « Kaiser » Franz Beckenbauer. Karl-Heinz arrive donc comme la relève générationnelle qui doit à terme remplacer toutes ces légendes. Pas une tâche aisée. Mais « Kalle » a la confiance de Dettmar Cramer, l’entraîneur sera un élément clé de son éclosion en tant que joueur.
« Dettmar Cramer fut le coach le plus important de ma carrière. Il a été le premier à me dire que si je ne devenais pas un élément clé de l’équipe nationale dans les deux années à venir, il me mettrait des coups derrière la tête. Je me suis dit que je ferais mieux de me bouger, alors je m’entraînais nuit et jour. »
Pour sa première saison au club, Kalle et le Bayern ne remportent pas le championnat d’Allemagne de l’Ouest. En fait, ils sont même partis pour quelques années de disettes nationales, puisque le championnat va se voir dominé par le Borussa Mönchengladbach et son buteur star, un certain Josef « Jupp » Heynckes. Cependant, les Bavarois défendent leur titre européen en battant Leeds 2-0 au Parc des Princes en finale. Gerd Müller oblige, « Kalle » ne dispute pas la finale, mais il obtient du temps de jeu lors des phases précédentes, et a donc la main sur son premier trophée, excusez du peu.
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La deuxième saison de Karl-Heinz voit la première se répéter, Die Fohlen (« Les Poulains », surnom des joueurs du Borussia Mönchengladbach) sont toujours intouchables en Allemagne de l’Ouest, et le Bayern s’en va récolter des lauriers en Europe, en battant Saint-Etienne grâce à un but de Gerd Müller.
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Cette deuxième Coupe d’Europe des clubs champions en autant de saisons vaut à « Kalle » sa première sélection en équipe d’Allemagne de l’Ouest. Pari réussi avec Cramer. Mieux encore, le joueur commence à développer une personnalité forte. Il se lie très vite à des valeurs qui ne le quitteront plus : le travail, la discipline, le respect des anciens et de ce qu’ils transmettent. Et des anciens, il en fréquente, puisqu’il arrive dans une Nationalmannschaft en pleine transition générationnelle. Exit Beckenbauer qui file vers les États-Unis, exit aussi Paul Breitner qui décidément échappe à Rummenigge, puisqu’il est en retraite internationale temporaire au moment ou « Kalle » arrive. Gerd Müller, qui jusqu’alors lui barrait la route à Münich, a passé la barre des trente ans, et son grand ami du Bayern Ulrich Hoeneß se remet d’une lourde blessure. Pas simple comme début, d’autant que la Coupe du Monde 1978 arrive. L’Allemagne de l’Ouest sans tous ses piliers déçoit, elle passe difficilement le premier tour en se plaçant derrière la Pologne, et sort de la compétition au second tour, derrière les Pays-Bas et l’Italie. Seule satisfaction pour les Allemands : le jeune « Kalle » semble prendre ses aises dans l’équipe et inscrit trois buts lors de la compétition.
L’envol
Rummenigge retourne à Munich après la Coupe du Monde pour y trouver un entraîneur qui sera là aussi essentiel à la suite de sa carrière : le Hongrois Pál Csernai. C’est lui qui va orchestrer la transition dont le Bayern (et avec lui la Mannschaft) a tant besoin. Gerd Müller a 34 ans, Csernai le conserve une dernière saison au club mais impose définitivement « Kalle » à la pointe de l’attaque munichoise. Mieux encore pour Rummenigge, cette année 1978 marque le retour au club de Paul Breitner. Le destin avait jusqu’alors séparé les deux hommes, leur association va faire des étincelles. Rummenigge devant, Breitner au milieu, ce nouveau Bayern Munich renoue avec la victoire en championnat dès la saison 1979-80. En Allemagne, on donne un nom à ce nouveau duo meurtrier : Breitnigge.
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« Kalle » a 25 ans, il explose complètement. Champion d’Allemagne deux fois de suite, il est meilleur buteur à chaque fois avec 26 et 29 buts inscrits. C’est aussi la renaissance de la Nationalmannschaft, où Rummenigge et Breitner sont également associés, et qui remporte le Championnat d’Europe des Nations de 1980 en Italie, battant la Belgique 2-1 en finale. Cette année-là, Karl-Heinz Rummenigge remporte le Ballon d’Or, récompense qui désigne à l’époque le meilleur joueur européen. Il le gagne une deuxième fois d’affilée en 1981.
Le phénomène Rummenigge touche le reste de l’Allemagne et même l’Europe. Le duo britannique Alan & Denise lui compose un morceau. Bonne écoute (bon courage)
Déceptions
En 1982 le Bayern tente de reconquérir l’Europe. Depuis son sacre en C1 en 1976, ce sont les clubs anglais qui se passent la coupe aux grandes oreilles (Liverpool, Aston Villa et Nottingham Forest). Le club bavarois atteint la finale, bien aidé par le duo Breitnigge, mais tombe face à Aston Villa. « Kalle » n’a pas le temps de pleurer sa finale perdue, c’est déjà l’heure de la Coupe du Monde 1982, en Espagne. L’Allemagne de l’Ouest propose une équipe et un jeu bien plus convaincants que quatre ans plus tôt, il est temps de confirmer. Cependant, la phase de poule commence de la pire des manières, avec la défaite de la RFA contre l’Algérie de Rabah Madjer. Les Allemands se reprennent en terrassant le Chili 4-1 où Rummenigge inscrit trois buts. Puis vient le troisième et dernier match contre l’Autriche. Lors d’une chaude soirée sévillane, l’Autriche laisse la RFA la battre afin que les deux équipes se qualifient au détriment de l’Algérie. On surnommera cette partie le « match de la honte ». Rummenigge, avec d’autres cadres de l’équipe, a toujours nié que ce match était truqué.
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Après un match nul et vierge contre l’Angleterre et une victoire face à l’hôte espagnol au second tour, la RFA se qualifie pour les demi-finales. Elle y bat la France du « carré magique » (Platini, Giresse, Tigana, Fernandez) au cours d’un match haletant qui finit sur le score de 1-1. Dans le temps additionnel, Trésor et Giresse donnent deux buts d’avance à la France, avant que Karl-Heinz Rummenigge et Klaus Fischer ne viennent remettre les deux équipes à égalité, 3-3. C’est l’Allemagne de l’Ouest qui gagne au cruel jeu des penalties, « Kalle » s’envole pour sa première finale de Coupe du Monde.
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Là, les Allemands tombent sur un os. L’Italie du grand Paolo Rossi terrasse Rummenigge et ses coéquipiers, la réduction du score de Breitner ne change rien à la donne, 3-1, l’Italie soulève de nouveau la Coupe du monde sous le toit du Santiago Bernabéu.
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Rentré en Allemagne, Rummenigge empile les buts mais ne parvient pas à remporter le championnat. Pire encore, le Bayern croule sous les dettes, la situation financière du club est au plus mal. Crève-cœur pour tous les fans bavarois, Rummenigge fait ses valises en 1984 et part pour Milan où il signe à l’Inter. Avant cela, il offre aux fans un dernier trophée, la Coupe d’Allemagne. Celle-ci est remportée par le Bayern, aux tirs au buts contre le Borussia Mönchengladbach, 7-6. Anecdote surprenante : le frère de Karl-Heinz, Michael Rummenigge, est alors joueur du Bayern (d’une importance moindre que son frère). Au moment de s’avancer pour exécuter son penalty, Michael tremble de peur, il refuse de tirer. Depuis le milieu du terrain, Karl-Heinz lui hurle d’être courageux et de le faire. Michael s’élance, ajuste le gardien et marque le penalty de la victoire. La foule exulte, le timide « Kalle » n’existe plus, il est maintenant un leader, un meneur d’hommes.
Son transfert est vu comme un sacrifice, le chèque signé par les Italiens (un peu moins de 10 milliards de lires, soit entre 6 à 8 millions d’euros aujourd’hui) vient renflouer les caisses du club. « Rotbäckchen » change de surnom et devient « Il Biondo » (le Blond). Rummenigge arrive donc à Milan dans une Inter qui n’a pas été championne d’Italie de la décennie. Il débarque sur la Botte en même temps qu’un certain Diego Armando Maradona, qui signe à Naples. Ces deux hommes là seront amenés à se rencontrer aux plus hauts sommets du football mondial. Les deux premières saisons italiennes de « Kalle » se passent bien, mais ne sont couronnées d’aucun titre. L’Allemand inscrit 18 buts à chacune des deux saisons, malgré quelques blessures qui le dérangent de plus en plus (il a alors 29 ans).
En 1986 vient la Coupe du Monde au Mexique. L’Allemagne de l’Ouest fait partie des favoris après sa finale perdue de 1982, et Rummenigge est l’un de ses joueurs clés, il ne bouge pas du XI de Franz Beckenbauer (le Kaiser, ancien coéquipier de « Kalle », est désormais sélectionneur). La RFA sort péniblement de son groupe au premier tour après un match nul face à l’Uruguay, une victoire contre l’Écosse et une défaite face aux Danois. Pour la première fois le format de la Coupe du Monde change : pas de deuxième phase de groupes, mais un tableau final allant des huitièmes de finale au match pour le titre. La RFA élimine le Maroc en huitièmes grâce à un but tardif du jeune Lothar Matthäus (25 ans en 1986). Après un match nul 0-0, les Allemands battent le Mexique aux tirs au buts et passent en demi-finale. Ils y rencontrent la France, qu’ils éliminent 2-0. La machine semble lancée, les Allemands ont su monter en puissance depuis la phase de groupes. De l’autre côté, l’Argentine de Maradona se débarrasse de la Belgique sur le même score grâce à un doublé de son génie, la finale s’annonce bouillante.
Dans un stade Azteca de Mexico plein à craquer (quasiment 115 000 personnes !), Rummenigge et Maradona, brassards aux bras, se saluent respectueusement avant de mener leurs coéquipiers dans l’action. Les Argentins ouvrent le score à la 23ème puis le creusent à la 56ème. Les Allemands, menés 2 à 0, se tournent vers leur capitaine pour qu’il leur montre l’exemple. A la 74ème minute, un corner est tiré par les joueurs de la RFA. Dévié dans la surface par la tête de Rudi Völler, le ballon arrive dans les pieds de « Kalle », qui tire à bout portant et réduit l’écart à 2-1. Les Allemands sont remobilisés et poussent pour égaliser. Sur un nouveau corner, le scénario exact du premier but allemand se répète, Thomas Berthold dévie le centre de la tête et trouve Rudi Völler qui marque et exulte, 2 partout à la 81ème. Il faudra pour tuer ce match une intervention du génie de Maradona, qui d’une passe lobée en profondeur lance Burruchaga. Schumacher est battu et l’Argentine remporte la finale 3-2. Nouvel échec en finale de Coupe du Monde pour Rummenigge et les siens, combattifs mais trop justes face à l’Argentine du grand Diego.
Fin de carrière et nouveaux chemins
La troisième et dernière saison de Karl-Heinz à l’Inter lui offre moins de temps de jeu. Lui et Martina quittent l’Italie à l’été 1987, leur dernière destination sera la Suisse et le Servette FC. En deux saisons et 64 matchs joués chez les Helvètes, « Kalle » inscrit 34 buts, mais ne garnit pas son armoire à trophées. Rideau.
En 1991, Karl-Heinz Rummenigge et Franz Beckenbauer rejoignent Uli Hoeneß, entre temps devenu président du Bayern Munich, et prennent des postes de vice-présidents. Cette gestion « familiale » du club, encore aujourd’hui tenu par ses anciennes légendes, mène les Bavarois à des succès nationaux et continentaux majeurs au cours du XXIe siècle. Personne n’aurait pensé, voyant le jeune et timide Karl-Heinz signer son contrat pro tout juste âgé de 18 ans, qu’il finirait vice-président charismatique d’un des plus grands clubs de football du monde.
La carrière de Karl-Heinz Rummenigge, finalement, c’est la carrière d’un homme qui a su évoluer pour devenir un chef. Malgré son grand talent, rien ne prédisait que « Kalle » développerait le leadership qui fut le sien et qui le porta au sommet de l’Allemagne de l’Ouest et de l’Europe, et si près du Graal mondial à deux reprises. Le double Ballon d’Or laisse derrière lui l’héritage d’un grand joueur et d’un grand dirigeant, ayant su transmettre les valeurs de travail, de discipline et de respect qui furent les siennes durant sa carrière.
Crédit photos : Iconsport
Sources :
- 5 special moments in Karl-Heinz Rummenigge’s career
- Soccer Europe : Rummenigge
- Eurosport, Le Mondial 1986
Top-class as a striker and executive – 65 years of Karl-Heinz Rummenigge