« Kader, c’était un affectif rugueux. » On ne peut mieux décrire la légende du Nîmes Olympique par cette ambivalence. Paternel, visionnaire, extravagant, Kader Firoud était tout à la fois. Certains retiendront ses coups de sang, d’autres son jeu avant-gardiste ou encore sa dévotion à nulle autre pareille. Ce qui est sûr, c’est que le Nîmes Olympique lui doit beaucoup. Quatre fois vice-champion de France sous sa houlette, les Crocos ont su se sublimer et devenir de sérieux outsiders en quête de titres. Retour sur les belles années du Nîmes Olympique ponctuées par un entraîneur atypique.
L’histoire entre Kader Firoud et le Nîmes Olympique aurait pu mal finir. Victime d’un grave accident de voiture sur le chemin du retour de la Coupe du Monde 1954 en Suisse, le joueur nîmois a échappé de peu à la catastrophe. Miraculé mais lourdement blessé à une jambe, il doit mettre un terme à sa carrière à 35 ans. Prédire une descente aux enfers à l’ancien milieu offensif nîmois serait pourtant mal venu. L’odeur des pelouses fraîches et l’ambiance des stades rappellent toujours ses plus beaux héros. Après un long séjour à l’hôpital, c’est avec des béquilles qu’il remplace son ex-entraîneur de l’époque Pierre Pibarot. Pour sa première expérience en tant que coach, Kader Firoud fera du Nîmes Olympique une équipe de caractère où l’abnégation fait loi.
Joueur puis entraîneur virtuose
Le nouvel entraîneur gardois connaît bien la ville de Nîmes. Après avoir évolué en Algérie à l’USM Oran et au MC Alger, il passe par Toulouse, Grenoble puis Saint-Étienne avant de s’installer à Nîmes en 1948 où il sera sélectionné en équipe de France trois ans plus tard. Les Nîmois sont à l’époque en seconde division. Mais en 1950 Kader Firoud et ses coéquipiers, tels que Marcel Rouvière ou encore Stéphane Dakowski, décrochent leur ticket pour la D1. Le stade Jean Bouin découvre l’élite pour la première fois. Ni une ni deux, les Crocos surprennent et obtiennent une remarquable cinquième place. Le club est alors réputé pour gêner les favoris dans leur course au titre. Toutefois, lorsque Kader Firoud prend la tête des Crocodiles en 1955, Nîmes bataille dans le ventre mou de D1. Son objectif est donc de retrouver les sommets qu’il a tutoyé quelques années plus tôt.
Kader Firoud, entraîneur hors pair
Pour y parvenir, Kader Firoud est l’homme de la situation. Stakhanoviste de l’entraînement et fin tacticien, il tire le meilleur de ses joueurs. Après trois saisons en demi-teinte, la machine est véritablement lancée en 1958. Les Crocos terminent trois saisons de suite vice-champions de France, un exploit pour le modeste club gardois. Ils accéderont également en finale de Coupe de France 1958 et 1961. Mais en 1962, le capitaine quitte le navire pour quelques piges à Toulouse ainsi qu’en Algérie. Pendant ce temps, les Crocodiles, orphelins de leur entraîneur hors pair retrouveront la seconde division en 1967 avant d’être promus l’année suivante.
Retour à la maison, farces et Gegenpressing
C’est alors qu’en 1969, l’ex-entraîneur nîmois décide de redonner à son club de cœur le statut qu’il a su lui octroyer. Son retour à la maison est une bénédiction pour les supporters de longue date. Ici, Kader fait l’unanimité. Mais pour redonner au « Nîmol » ses lettres de noblesse, le chemin est pavé d’embûches. Effectivement, les joueurs s’entraînent au stade municipal et ne sont pas cher payés, ce qui fait du Nîmes Olympique un des clubs les plus modestes de D1. Certaines recrues débarquent dans le Sud, mais l’équipe garde son ossature de jeunes formés au club comme Michel Mézy ou encore André Kabile. Pour ces derniers, Kader Firoud est un vrai meneur d’hommes :
« Quand il est revenu et qu’on a joué Marseille la première fois, il a éteint la lumière dans le vestiaire et il a fait jurer à tout le monde qu’il allait faire la partie de sa vie. C’est le genre de trucs qui marquent », se rappelle Michel Mézy.
Cette façon de gérer son groupe rend les joueurs soudés et les poussent parfois à tenter quelques farces à l’entraînement :
« Nous étions au (stade, ndlr) municipal et il pleuvait. Nous savions qu’il aimait bien mettre sa tête. Nous avions mis le ballon dans l’eau et nous l’avions enrobé de sablette. Les collègues savaient ce que nous prévoyions. Je centre et lui, comme à son habitude, dispute seul le ballon souillé. Il avait le visage plein de sable et gueulait de colère et nous nous étions tordus de rire », déclare René Girard.
Les joueurs considèrent effectivement Kader Firoud comme un père avec qui on aime plaisanter. Ce dernier apprécie profondément ses hommes mais il peut paraître parfois excessif, en témoigne André Kabile :
« Lorsque nous étions défaits, dans le vestiaire, on s’habillait le plus vite possible pour en sortir et éviter de prendre une chaussure sur la tête. Une fois, on avait pris 5-0 à Nantes, il m’avait frappé ! »
Nîmes Olympique : 1970
Au-delà d’être un remarquable meneur, l’entraîneur sublime ses joueurs en de véritables mercenaires grâce à un Gegenpressing avant-gardiste. Lorsqu’on regarde jouer les Crocos, l’impression d’être en Angleterre nous gagne. Ce jeu aérien en attaque, cette vitesse à n’en plus finir, tout laisse à croire qu’en l’espace de 90 minutes nous voilà transporté en outre-manche. Aux antipodes de leurs adversaires les nîmois cherchent à établir un jeu direct grâce à des transitions défense/attaque d’une limpidité infaillible. Léché et offensif, le jeu à la nîmoise prend par surprise quiconque ose défier les Crocos. Dès les vingt premières minutes, l’adversaire se retrouve pris en étaux comme paralysé dans une arène trop hostile.
« C’était tout de suite la mise à mort », se souvient le fils de l’entraîneur, Eric Firoud.
Au stade Jean Bouin, le match commence bien avant le coup d’envoi. A l’échauffement, les crampons brutalisent le sol et assourdissent l’équipe adverse. En l’espace de quelques instants, la rencontre est déjà pliée. Si les joueurs nîmois font preuve d’autant de dévotion, c’est parce que Kader Firoud a toutes les qualités d’un bon éducateur. Certainement du fait de sa formation d’instituteur, lui permettant de mettre en œuvre sa pédagogie naturelle. Cette faculté à galvaniser ses joueurs lui est particulièrement utile lorsque les Crocos rencontrent leur plus grand rival : l’Olympique de Marseille.
Derby au sommet, entraîneur de l’année et ultime dauphin
A l’époque, l’adversaire préféré du Nîmes Olympique n’est pas le Montpellier d’aujourd’hui mais bien son voisin plus au Sud. Le 8 février 1970, le club gardois le retrouve justement en 32ème de finale de Coupe de France. Ce derby rassemble une multitude de supporters au stade de la Prairie à Alès réquisitionné pour l’occasion :
« Le stade annonçait 13 000 déclarés. Mais avec la Grande Butte, où l’on était ultra-compressés, et avec les grappes humaines qui grimpaient aux pylônes et sur les grilles, on montait à 18 000 en moyenne », raconte Eric Firoud.
Les supporters sont véritablement partout : sur les toits et même dans les arbres ! L’ambiance de ce match confirme que le football populaire colle bien à la peau des Crocodiles nîmois. Ces derniers remporteront ce match 1-0 mais seront éliminés par Saint-Étienne en huitièmes de finale.
Nîmes Olympique-Olympique de Marseille : 1970
Toujours est-il qu’à l’issue de la saison 1969/1970, les Crocos termineront onzième. L’année suivante se soldera par une quatrième place et Kader Firoud sera nommé entraîneur de l’année par France Football. La saison 1971/1972 tiendra également toutes ses promesses par le fait qu’elle reste indubitablement comme une des plus prolifiques du club gardois sous l’ère Firoud. A la 28ème journée, le Nîmes Olympique retrouve de nouveau l’Olympique de Marseille, leader du championnat avec deux petits points d’avance sur les Crocos. Pour les Nîmois, ce match est donc l’opportunité de chiper la première place à son concurrent de l’époque. Le stade Jean Bouin grouille de supporters, si bien qu’à la 15ème minute lorsque Pircalab marque pour Nîmes, une tribune cède sous le poids de l’euphorie nîmoise. Après vingt minutes d’interruption, le match reprend et aucun blessé n’a été déclaré. La rencontre se clôturera par une défaite 3-1 des Crocodiles et les mercenaires de Kader Firoud termineront dauphin de l’Olympique de Marseille. C’est la quatrième fois que le club gardois termine vice-champion de France. Une belle performance non sans quelques regrets.
A l’issue de cette saison forte en émotions, les belles années de Kader Firoud semblent désormais derrière lui. Les Crocos ne retrouveront pas les podiums de D1. La légende du Nîmes Olympique quitte son club de cœur en 1978 et rejoindra deux ans plus tard Montpellier où il retrouvera quelques-uns de ses anciens joueurs tel que Michel Mézy. Il se retirera du monde du football en 1982 en ayant laissé l’image d’un entraîneur attachant et passionné.
Kader Firoud c’était donc beaucoup de choses. Sa personnalité hors du commun et son franc-parler auront fait de lui un entraîneur haut en couleurs. Il a su décupler l’âme d’un club, transcender une ville et transmettre des frissons à tout un peuple. Football populaire et Kader Firoud, deux synonymes.
Sources :
- Chérif Ghemmour et Vincent Riou, « La bande à Kader», So Foot n°159
- « Nîmes – Marseille 1970 », Objectif Gard
- « Nîmes dans la cour des grands », Canal +
- Guillaume Crouzet, « Les Firoud – Dieux du stade», l’Express
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