Footballeur talentueux promis à un grand avenir, Justin Fashanu va pourtant voir sa carrière voler en éclats. En cause, une grave blessure au genou, mais avant tout, son orientation sexuelle. En effet, Justin Fashanu est homosexuel et subit de plein fouet l’homophobie régnante dans l’Angleterre thatchérienne. Aujourd’hui, symbole de la lutte contre l’homophobie dans le football, l’histoire de Justin Fashanu doit désormais entrer dans la mémoire collective, afin que de tels événements ne se reproduisent plus.
A l’occasion de ce mois des fiertés, il demeure primordial de rappeler que l’homophobie est un délit, puni par la loi, mais qui gangrène encore le monde du football. Dans les stades, les injures à caractère homophobes persistent. Dans les vestiaires, il est toujours aussi difficile de faire son coming out auprès de ses coéquipiers. Patrice Evra déclare d’ailleurs, lors d’une interview en 2022, « qu’au moins deux joueurs par club sont homosexuels » et alerte sur les comportements de ses anciens coéquipiers, notamment à Manchester United :
« Quand j’étais en Angleterre, ils ont fait venir une personne pour parler de l’homosexualité à l’équipe. Certains de mes coéquipiers ont dit lors de cet échange : ‘C’est contre ma religion, s’il y a un homosexuel dans ce vestiaire, il doit dégager du club’ ».
Ce cas, loin d’être isolé, témoigne du tabou que constitue encore l’homosexualité dans un vestiaire. Il rappelle également les vives polémiques suscitées le mois dernier en Ligue 1 par « l’affaire Camara ». Le joueur monégasque a été reconnu coupable de comportements homophobes après avoir, volontairement, recouvert un logo contre l’homophobie sur son maillot. Aujourd’hui, seule une poignée de joueurs professionnels encore en activité, ont publiquement déclaré leur homosexualité. Néanmoins, beaucoup d’entre eux sont encore marqués par l’histoire dramatique de Justin Fashanu, premier footballeur à avoir effectué son coming out au début des années 1990.
Le football comme moyen d’exister
Nés à Londres au début des années 1960, le petit Justin et son frère, John, sont rapidement confrontés aux difficultés de la vie. Leur père les abandonne, entraînant brutalement la mère des jeunes garçons dans la misère et la précarité. Ne parvenant plus à joindre les deux bouts et dans l’incapacité de subvenir aux besoins de ses garçons, la mère des Fashanu décide de placer ses fils en famille d’accueil. C’est finalement de ce marasme que va venir la lumière. En effet, Justin et John vont être recueillis par une famille de Shropham, près de Norwich.
Pour les deux garçons, le football va rapidement devenir une évidence. Grand, puissant, rapide et très doué balle au pied, Justin détonne dans les catégories de jeunes des Canaries. Son envie irrépressible de s’en sortir, ainsi que son talent inné, en font un joueur prometteur. Les dirigeants de Norwich l’ont bien compris. Alors qu’il n’a encore que dix-sept ans, le club lui offre son premier contrat professionnel, en décembre 1978. Les efforts de Justin ont payé. Le jeune homme prend ainsi sa revanche sur la vie et se met à rêver d’une carrière de star du football.
La fulgurante ascension d’un prodige
La première saison de Fashanu chez les Canaries est très prometteuse. Il débarque à la mi-saison en équipe première et se fait une place parmi les attaquants de Norwich. Le jeune footballeur inscrit son premier but en professionnel contre Leeds United et récidive la semaine suivante contre Chelsea. Il réitère, quatre jours après, en réduisant la marque contre le champion d’Angleterre en titre Nottingham Forest. La performance de Justin Fashanu va d’ailleurs taper dans l’œil de Brian Clough. Fashanu inscrira deux autres buts, contre Aston Villa et Chelsea, qui scelleront définitivement sa place de titulaire chez les Canaries.
Sa seconde saison dans le Norfolk est encore plus aboutie. Fashanu endosse le costume de titulaire indiscutable et enchaîne les bonnes performances. Dans une saison 1979-1980 bien terne du côté de Norwich, Fashanu est l’un des rares à s’illustrer. Double buteur lors de la première journée de championnat contre Everton, il se distingue de nouveau contre Tottenham la semaine suivante. Le jeune buteur aime se montrer face aux grosses écuries de First Division. Il fait notamment trembler les filets d’Arsenal, de Southampton et de Nottingham Forest, qui lorgne de plus en plus sur le jeune phénomène.
La nouvelle coqueluche du football anglais
Fashanu va définitivement entériner son statut de star grâce à un but somptueux contre Liverpool. Dos au but, il reçoit le cuir à l’extérieur de la surface des Reds, lève son ballon d’un petit extérieur du droit et envoie une reprise de volée dans la lucarne de Ray Clemence. Ce chef d’œuvre est d’ailleurs élu but de la saison 1979-1980. Norwich parvient à conserver son prodige une saison supplémentaire, mais les cadors de First Division tentent néanmoins d’attirer Fashanu.
La saison 1980-1981 va être le point d’orgue de la carrière de Justin Fashanu. Collectivement, cette campagne de championnat est une catastrophe. Les Canaries terminent vingtièmes et sont relégués en deuxième division. Malgré la léthargie de ses coéquipiers, les performances de Fashanu impressionnent. Buteur à dix-neuf reprises en championnat, il porte, quasiment à lui seul, les espoirs de maintien des Canaries. La relégation de Norwich est une aubaine pour Brian Clough, qui sait que le club ne pourra pas retenir son prodige.
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Nottingham Forest arrache Fashanu à Norwich pour un million de livres, montant exorbitant pour l’époque. Le jeune Anglais devient, avec ce transfert, le premier joueur noir britannique à coûter un million de livres. Il rejoint un club double champion d’Europe, mais qui semble sur la pente descendante. Fashanu aura donc la lourde tâche de redynamiser l’attaque de Forest afin que l’équipe de Clough renoue avec le succès.
Une intégration difficile à Nottingham
L’arrivée chez le double champion d’Europe est censé permettre à Justin Fashanu de passer un nouveau cap dans sa carrière. Cependant, son adaptation à Nottingham est difficile. Le poids du montant de son transfert pèse lourd sur ses épaules. Fashanu a également du mal à digérer son statut de star. Déprimé, il se rapproche de la religion en adhérant à l’église pentecôtiste de Nottingham. Cette conversion spirituelle est un moyen de s’apaiser, lui qui est parfois extrêmement tourmenté, comme le raconte son ancien coéquipier Viv Anderson dans son autobiographie :
« Une porte épaisse et solide comportait un énorme trou. J’ai entendu des sanglots dans la salle de bain. Justin baignait ses mains couvertes de sang dans l’évier et il gémissait. Il avait défoncé la porte avec son poing. Il ne semblait pas réveillé, presque comme s’il était dans un très mauvais rêve. J’ai eu l’impression qu’il revivait un sombre incident de son enfance, mais je n’ai aucune idée de ce que c’était. »
Durant son passage à Nottingham, Justin adopte également un train de vie luxueux et commence à fréquenter les discothèques gays de la ville. Dans ce début des années 1980, marqué par une forme de libération sexuelle, Justin Fashanu commence à assumer son homosexualité. Peter Tatchell, très proche de Fashanu à cette période, indique que le jeune joueur avait même décidé de faire son coming out afin de se libérer de la pression induite par son transfert. Néanmoins, la peur suscitée par les éventuelles réactions de ses coéquipiers ainsi que par la presse homophobe de l’époque, le condamne au silence.
La dégradation des relations avec Clough
Sur le pré, Fashanu ne parvient pas à faire oublier Trevor Francis, parti pour Manchester City. Surtout, il n’est pas à la hauteur du montant de son transfert. Le jeune Anglais n’inscrit que trois buts en trente-deux apparitions pour Forest. Un bien maigre bilan qui va ternir les relations entre Clough et son avant-centre. Ses mauvaises performances vont également entraîner l’ire des fans de Forest. Les insultes à caractère raciste fusent régulièrement des travées du City Ground, ce qui accentue le mal-être du jeune attaquant. Fashanu ne peut d’ailleurs pas compter sur le soutien de son manager.
En effet, lorsque Clough apprend que Fashanu fréquente les bars gays de Nottingham, il impose à son buteur une discussion musclée. Dans son autobiographie, le manager anglais déclare ainsi : « Je lui ai demandé : « Où vas-tu si tu veux une miche de pain ? Il a dit une boulangerie. « Où vas-tu si tu veux un gigot d’agneau ? Il a dit une boucherie. « Alors pourquoi continuez-vous à aller dans ce foutu club de poufs ? ». Viv Anderson déclare également que Clough utilisait fréquemment ce terme de « poufs » pour parler de Fashanu. Un comportement homophobe que le célèbre manager anglais regrettera par la suite. Néanmoins, Clough est exaspéré par l’inefficacité de son attaquant, ainsi que par ses « caprices » liés à son train de vie de star et son implication dans la religion. Il décide donc de le prêter à Southampton, seulement un an après son arrivée.
Un nouveau départ ?
Chez les Saints, Fashanu a la lourde tâche de remplacer Kevin Keegan, parti pour Newcastle à l’inter-saison. Mais son passage à Southampton est anecdotique. Il n’effectue que neuf petits matchs et inscrit trois buts avant de rentrer à Nottingham. De retour au club, Clough lui fait comprendre qu’il ne compte plus sur lui et intime l’ordre à Fashanu de signer pour Notts County. En effet, le club rival propose 150 000£ pour s’attacher les services du jeune attaquant. Mais Justin Fashanu refuse de partir. Clough lui interdit donc de s’entraîner avec l’équipe et appelle deux policiers afin d’expulser son buteur du centre d’entraînement. Un comportement cruel et intolérant qui intensifie les troubles intérieurs de Fashanu.
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Son passage à Notts County est plutôt une réussite. Epaulé par ses coéquipiers et les différents managers qui se succèdent au club, Justin Fashanu retrouve de la confiance et enchaîne les rencontres. Loin de son meilleur niveau, il effectue néanmoins quelques solides performances et inscrit vingt buts en soixante-quatre apparitions sous le maillot des Magpies. Néanmoins, Notts County connaît la relégation en deuxième division à l’issue de la saison 1984-1985. Fashanu doit donc trouver un nouveau point de chute.
Passage à vide et espoir d’un improbable retour
Outre-Manche, Fashanu dispose encore d’une belle cote. Il est acheté par Brighton pour 115 000£, avec l’objectif de mener le club vers la promotion en First Division. Après seulement quelques matchs chez les Seagulls, il est victime d’une grave blessure au genou. A seulement vingt-cinq ans, on pense déjà que la carrière de l’ancien prodige est terminée. En deux saisons, il n’effectue que seize matchs pour Brighton. Son passage dans le sud de l’Angleterre est sujet à de nombreux débats sur sa vie personnelle. Justin Fashanu semble s’être encore davantage tourné vers la religion au cours de cette période. Selon son ami, Peter Tatchell, Justin Fashanu serait « revenu au christianisme en grande partie au milieu des années 1980 et [aurait] de nouveau eu honte de sa sexualité ».
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Eloigné des terrains à cause de sa blessure, Fashanu a-t-il vu la religion comme un moyen de se sortir de cette mauvaise passe ? Néanmoins, ce retour à une certaine forme de religiosité tourmente le jeune homme. Croyant, mais homosexuel, Justin Fashanu vit de plus en plus mal ce paradoxe et le fait de se sentir dans le péché. Mais, l’attaquant croit encore à un retour vers les sommets. Il choisit donc de s’envoler vers les Etats-Unis afin de se faire opérer et de faire son retour sur les terrains. L’opération est un succès et Justin Fashanu signe dans divers clubs nord-américains avant d’annoncer son retour sur les pelouses du Royaume.
Justin Fashanu entre dans l’histoire
Fashanu retourne au pays en 1989 avec la ferme intention d’évoluer au plus haut niveau. Manchester City, fraîchement promu en First Division, approche l’ancien espoir anglais. N’entrant pas dans les plans du manager, il n’effectue que deux matchs avant que son contrat ne soit finalement rompu par les Cityzens. Il rebondit à West Ham, en deuxième division, où il ne joue que deux rencontres, puis termine la saison à Leyton Orient en troisième division. Ce retour est un terrible échec pour Justin Fashanu qui doit se résigner à abandonner son rêve de retour aux sommets.
Conscient qu’il n’a plus le niveau de ses ambitions sur le pré, Justin Fashanu décide de se démarquer d’une toute autre façon. En manque d’argent, à cause de son train de vie luxueux, l’ancien prodige va accepter une offre conséquente du tabloïd The Sun. Le 22 octobre 1990, Justin Fashanu marque l’histoire en devenant le premier footballeur à faire son coming out. Cette interview fait, bien sûr, la une du tabloïd, avec un titre racoleur « Star du football à 1 million de livres sterling : JE SUIS GAY ». Un coming out loin d’être libérateur. En effet, The Sun aurait largement incité l’Anglais à exagérer son histoire, notamment ses relations avec d’autres célébrités. Ces révélations vont d’ailleurs accentuer le mal-être de l’attaquant anglais. Justin Fashanu va subir une campagne de rejet massive et être désavoué par ses proches.
Rejeté par toute l’Angleterre
Cette interview va provoquer un petit séisme outre-Manche. Dans une Angleterre ultra-conservatrice, un homosexuel est confronté à une défiance et une animosité importante. La haine et l’intolérance sont décuplées par le SIDA, dont les homosexuels sont rendus responsables, et qui renforce les inégalités subies par la communauté gay. La stigmatisation croissante à l’égard des personnes LGBTQIA+, amène d’ailleurs le gouvernement anglais à voter un amendement, la Section 28. Désormais, il est interdit de promouvoir intentionnellement l’homosexualité, notamment à l’école publique où « promouvoir l’enseignement […] de l’acceptabilité de l’homosexualité en tant que prétendue relation familiale [est interdit]. ».
Quelques années avant l’interview de Justin Fashanu, The Sun titrait « Le SIDA est la colère de Dieu, dit le Vicaire. » ou encore « Les pervers sont responsables de la peste meurtrière. ». Pire encore, Justin Fashanu va, avec cette interview, s’attirer les foudres d’une partie de la communauté noire en Angleterre. Un rejet que l’attaquant accepte mal, lui qui a régulièrement été victime de propos racistes en provenance des tribunes.
Cet entretien avec The Sun va également déchirer les proches de Justin Fashanu. Son petit frère, John, est alors au sommet de sa carrière. Moins talentueux que Justin, mais obstiné et travailleur, John Fashanu fait les beaux jours du Wimbledon FC, avec qui il remporte la FA Cup 1988. Redoutable buteur, il fait d’ailleurs partie des meilleurs avant-centres du Royaume. Alors, lorsqu’il apprend que son frère va révéler son homosexualité dans une interview, il tente de le convaincre en lui versant une importante somme d’argent. Mais Justin garde l’argent et fait son coming-out. John subit alors de nombreuses insultes homophobes lors de chacun de ses matchs. Il décide alors de dénigrer son frère dans les médias pour se sortir de cette situation. Ainsi, dans un entretien accordé au journal The Voice, John déclare « Mon frère gay est un paria ». Une humiliation supplémentaire pour Justin, désavoué par son propre frère.
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La déchéance de l’ancien prodige
Après ses révélations, Justin Fashanu va errer dans de nombreux clubs. Il effectue un passage remarqué à Torquay, en troisième division, en inscrivant quinze buts en quarante rencontres. Evoluant ensuite en Ecosse, en Suède, aux Etats-Unis ainsi qu’en Nouvelle-Zélande, il met un terme à sa carrière en 1997, à trente-six ans. Il entame alors une carrière d’entraîneur aux Etats-Unis, chez les Maryland Mania.
Accusé de viol par un jeune homme de dix-sept ans, Fashanu fuit en Angleterre par peur d’un procès perdu d’avance à cause de son homosexualité et du racisme qui gangrène la société américaine. Le 3 mai 1998, il est retrouvé pendu dans un box désaffecté, à Londres. Près de lui, une lettre expliquant que sa vie ne valait plus la peine d’être vécue : « J’ai réalisé que j’étais déjà présumé coupable. Je ne veux plus embarrasser mes amis et ma famille. ».
Sacrifié sur l’autel de l’intolérance et de la connerie humaine, Justin Fashanu ne doit pas cesser de nous inspirer. En 2020, il intègre l’English Football Hall of Fame et devient ainsi une légende du football anglais. Grâce à ses combats contre le racisme et l’homophobie, mais également du fait de son indéniable talent, trop souvent oublié, Justin Fashanu laisse un héritage important au monde du football. Aujourd’hui, seul Jake Daniels, attaquant de Blackpool, a publiquement fait son coming out en Angleterre. En espérant que l’homosexualité cesse enfin d’être un tabou dans le monde du football.
Sources :
- Adam Crafton, « We know Justin Fashanu died. Now let us hear how he lived », The Athletic
- Alan Condon, « The triumph and tragedy of John and Justin Fashanu », These Football Times
- « Justin Fashanu, footballeur et homosexuel », Radio France
- Richard Williams, « Justin Fashanu : a symbol of problems faced by gay people in sport », The Guardian
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