« J’ai rencontré quelqu’un de plus fou que nous » glissait César Luis Menotti à son compatriote Jorge Valdano. Deux pointures du football et de sa théorisation. Trouver un homme « plus fou » qu’eux parait relativement difficile, mais c’était sans compter sur Juan Manuel Lillo. Celui que l’on surnomme affectueusement Juanma aurait pu être professeur de philosophie dans les plus grandes universités espagnoles. Il a préféré consacrer sa vie au football, bien que ce sport ne lui ai jamais rendu. Un palmarès vierge de trophée mais qui se troque contre les amitiés qu’il a tissé depuis près de quarante ans et les admirations réciproques avec certains pairs. Le plus connu est indéniablement Pep Guardiola, qu’il a rejoint dernièrement en tant qu’adjoint sur le banc de Manchester City.
Si vous cherchez son nom dans votre navigateur, ne vous attendez pas à voir une multitude de trophées apparaissant dans la rubrique créée à cet effet. Quelques promotions avec des clubs hors de l’élite parmi lesquels Salamanca, le CD Mirandes ou le Qingdao Huanghai FC en deuxième division chinoise. Les clubs avec qui il n’est pas allé jusqu’au terme de son contrat ne tiennent pas sur les doigts d’une main. Il faut dire qu’il a entrainé dix-sept clubs différents, a été adjoint de Jorge Sampaoli au Chili et à Séville, et est maintenant celui de Guardiola à Manchester City. Il commence à entrainer à seize ans, trois ans plus tard il connait déjà la quatrième division espagnole.
Les échelons se gravissent petit à petit jusqu’à ses vingt-six ans, âge auquel il invente le 4-2-3-1. Un entraineur plus que précoce qui mêle à sa fougue de jeune homme une connaissance du football digne des plus expérimentés. Il est à ce jour encore, le plus jeune entraineur en première division espagnole et l’un des plus grands théoriciens du pays. Malgré ses résultats quelconques, cet homme ne laisse personne indifférent dans le football espagnol, qui se demande encore s’il a affaire à un génie ou à usurpateur.
Un génie tactique
Juanma Lillo a une obsession : son équipe doit toujours avoir la possession du ballon. « On doit tout faire en fonction du ballon, c’est l’acteur principal, expliquait-il. Sans ballon, il n’y a rien. La balle est la mère, la source de vie du football. Quel est le but ? Que le ballon aille au fond des filets. Sans le ballon, rien n’a de sens« . Il est indéniable que celui qui aime raconter avoir plus de 10 000 livres et magazines chez lui aurait pu être professeur de philosophie. Celle de son jeu est très précise : le jeu de position.
« Créer des supériorités à partir de la position » résume Lillo lorsqu’on lui demande la définition de ce juego de posicíon. La position dont il parle consiste à diviser le terrain en vingt zones. Cela permet un flux constant de mouvement afin de faire vivre le ballon comme il le souhaite. Pas plus de trois joueurs sur une ligne horizontale, deux seulement sur une verticale. La rentrée d’un joueur dans une zone implique le départ d’un autre pour offrir au moins trois possibilités de passes au porteur de balle. Ses différents échecs avec des effectifs modestes lui font dire que « quiconque prétend que le jeu de position ne fonctionne que s’il est joué par de très grands footballeurs ne veut qu’une chose : éviter la difficulté de mettre en œuvre cette philosophie complexe« . Gerardo Garcia Leon, joueur de Lillo à la Real Sociedad, explique cette philosophie :
« Chaque joueur est différent. La difficulté, c’est de les unir dans le jeu, mais sans jamais perdre leur essence. Pour lui, l’interprétation du jeu est très importante. En tant que joueur, on devait se demander comment on fait telle chose mais surtout pourquoi on la fait. Il m’a beaucoup aidé à comprendre le jeu et pourtant j’avais déjà 30 ans. Je regardais mes matches d’avant et je me disais à quel point j’aurais encore plus profité du football si j’avais eu Lillo plus tôt. » (citation tiré de l’article de Caviar magazine que vous pouvez retrouver ci-dessous).
Lillo et Guardiola
Gerardo Garcia Leon, très mélioratif sur le travail de Lillo, prouve la reconnaissance que ses joueurs lui offrent. Lors de son remerciement de Salamanque, les joueurs avaient exprimé leur mécontentement aux dirigeants. De la même façon, les joueurs de Saragosse l’applaudissent alors qu’il quitte le vestiaire, une nouvelle fois limogé. Pep Guardiola est l’élève le plus connu du professeur. C’est en 1996, que celui qui était encore joueur au FC Barcelone affronte le Real Oviedo de Juanma Lillo. Si le Barça s’impose quatre buts à deux, le milieu de terrain est impressionné par le jeu proposé du modeste adversaire.
Une rencontre dans le vestiaire visiteur plus tard, une amitié est née sous le prisme du jeu de position. L’ainé considère son cadet comme un « frère jumeau » voire un « fils » d’après ses propres aveux. Il faut dire que leur obsession pour le jeu en triangle, les mouvements et la possession leur à fait connaitre une aventure commune bien loin de Manchester. C’est en effet à Sinaloa, au Mexique, que Juanma devient le dernier entraineur de la carrière de Pep en 2006.
Pourquoi à l’épilogue de sa carrière un père de famille comme Guardiola est parti dans l’une des régions les plus dangereuses du monde ? « Il était venu pour apprendre » assure Eliseo Martinez, adjoint de Lillo. La Volpe, Menotti, Bielsa, Cappa et bien sûr Cruyff ont influencé le Catalan, mais Juan Manuel Lillo possède une place très privilégiée dans cette liste. Si bien qu’en 2003, si Lluis Bassat avait été nommé président du Barça, il aurait placé Guardiola en tant que directeur sportif qui aurait propulsé Lillo sur le banc. Une histoire tragique pour celui qui n’a été ni un joueur de haut niveau ni un entraineur reconnu par le grand public.
Palmarès vierge mais héritage immense
Un passage sur le banc du FC Barcelone aurait pu changer la vision du monde sur sa carrière. Mais qu’importe quand il a la reconnaissance des personnes qu’il estime. La quasi-totalité de ses joueurs (malgré leur nombre conséquent) lui voue un culte, si bien que certains le suivent aux quatre coins du monde. Guardiola à Sinaloa, M’Bami à Bogota, Abreu – Uruguayen de naissance – à San Sebastián. Ses pairs également reconnaissent sa patte laissée sur le football, en témoigne Jorge Sampaoli qui a tenu à l’avoir comme adjoint sur le banc du Chili et sur celui de Séville.
A la manière de Marcelo Bielsa, son cas fait énormément parler. Il n’est pas fréquent de voir un entraineur arriver dans le club le plus titré du Mexique, alors dernier vainqueur de la Copa Libertadores et dire lors de la première conférence de presse ne pas pouvoir promettre de trophée. Son envolée lyrique marqua les esprits ce jour là :
« Le résultat est uniquement un élément statistique. Le taux de natalité augmente, est-ce que c’est enrichissant ? Non. Mais le processus qui a mené ça, ça c’est enrichissant. L’épanouissement vient du processus . On fait des débats sur le jeu, pas sur les résultats. Les résultats ne sont pas débattables. Ils sont. Est-ce que vous achetez le journal le lundi, pour un euro, uniquement pour voir la liste des résultats ? Est-ce que vous allez dans un stade de football à la dernière minute d’un match seulement pour regarder le tableau d’affichage et ensuite partir ? Vous regardez les quatre-vingt-dix minutes, et les quatre-vingt-dix minutes c’est le processus.«
Génie ou usurpateur ? Certains des plus grands protagonistes du football ont un avis tranché là-dessus, malgré les lignes de son palmarès, quasiment vierges. Lillo aime rappeler au monde du ballon rond qu’il doit mieux examiner ce sport, comme lorsqu’il jure que « l’attaque et la défense n’existent pas » ou que lui et Guardiola sont pragmatiques. Les victoires de ce dernier sont également celles de Lillo. L’élève et le professeur sont aujourd’hui réunis sur le banc de Manchester City afin de créer un idéal footballistique. Guardiola est à Lillo ce que Platon est à Socrate, à la seule différence que les discours sont axés sur la supériorité et les mouvements sur un terrain quadrillé en vingt zones.
Crédits photos : IconSports
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