Star internationale, premier homme noir champion du monde et révolutionnaire du football, mais qui est vraiment José Leandro Andrade, cette étoile déchue, qui a ébloui ce sport en son temps et fini à la rue ? Retour sur sa cruelle descente aux enfers.
Il est la première star noire que la planète foot ait connue. Nous sommes dans les années 1920, et cette décennie va être celle du joueur de la Céleste.
L’ascension d’un protagoniste
Salto, petite ville d’Uruguay située aux portes de l’Argentine qui doit son nom au fleuve frontalier. C’est ici que le petit José voit le jour, dans la même ville qui verra naître Luis Suárez et Edinson Cavani 86 ans plus tard. Fruit de l’union d’une argentine et d’un ancien esclave arrivé au Brésil en provenance d’Afrique de l’Ouest au cours du siècle précédent. C’est dans la pauvreté la plus totale que le petit uruguayen grandit, dormant à même le sol dans un foyer privé d’eau et d’électricité. Élève appliqué, il apprend à jouer au football sur un stabilisé rouge et poussiéreux sans lignes de touches. Mais dès l’adolescence, Andrade quitte l’école, il rêve de partir loin de sa ville natale. Il va alors vivre chez une tante à Montevideo avec l’objectif d’évoluer au football et passe ses journées comme cireur de chaussures et musicien pour subvenir à ses besoins.
Après être rentré au Club de l’Atlético Peñarol, (club omnisports uruguayen basé à Montevideo, particulièrement réputé pour son succès dans la section football) Andrade rejoint le club de Misiones, mais il ne joue pas avec les pros. Par la suite, convié par le légendaire défenseur uruguayen José Nasazzi, il intègre les rangs de Bella Vista, club avec lequel il signe son premier contrat professionnel au poste de demi-droit (milieu droit). Avec lui, le club accède à la Primera Division (1923), la saison suivante il finit même à la troisième place du championnat. Pourtant doté d’un physique puissant (1m80, 79 kg), Andrade éblouit surtout par son élégance. A une époque où le football est avant tout physique, son jeu de corps, ses feintes et sa maîtrise technique en font un joueur singulier. Il intègre alors rapidement les rangs de la sélection avec laquelle il remporte la Copa América en 1923 et 1924.
La Merveille Noire
Bien avant Ronaldinho et Neymar, Andrade aussi est venu à Paris faire danser les défenseurs français, lors des Jeux Olympiques 1924. Footballeur le jour et star de la vie nocturne, il est devenu une star internationale cet été-là et sa carrière a pris un tournant décisif. Brillant sur les terrains, le grand meneur uruguayen et ses costumes élégants embrasent la capitale. Les stades, aux trois quart vides pour les premiers matchs, se remplissent alors pour le voir en action. Dans les journaux on parle de « la Merveille Noire ». Cinq victoires plus tard et plus de vingt buts marqués, le joueur de la Céleste et ses compatriotes remportent la médaille d’or après avoir facilement battus la Suisse en finale. L’histoire raconte même que, face à la France, les Uruguayens qui menaient 1-0 à la mi-temps avaient décidé de ralentir, pour ne pas humilier leurs hôtes. Après le tournoi, Andrade restera plusieurs mois à Paris, le temps pour lui de goûter aux joies des nuits parisiennes.
Après la victoire olympique de 1924, l’équipe uruguayenne est conviée trois mois plus tard à une série de deux matchs amicaux par l’Argentine. Au cours du deuxième match, Andrade est la cible de jets de pierres par la foule argentine à cause de sa couleur de peau, à laquelle lui et ses coéquipiers répondent en renvoyant les pierres. Quelques semaines plus tard, l’équipe d’Uruguay remporte le championnat d’Amérique du Sud, mais Andrade ne joue pas. En 1926, la Céleste gagne une nouvelle fois la copa sud america. Cette fois-ci, Andrade tient un rôle de leader et est élu meilleur joueur du tournoi.
En 1928, Andrade enchaine les matchs avec une aisance technique déconcertante lors des Jeux Olympiques d’Amsterdam et joue un rôle prépondérant dans les victoires de l’Uruguay. En demi-finale contre l’Italie, « la Merveille Noire » entre en collision avec un poteau de but et se blesse grièvement à l’œil. Il tient quand même à participer à la finale, même si sa blessure est importante au point de le rendre mal voyant d’un œil. Il remporte sa deuxième médaille d’or aux JO d’Amsterdam, après une finale spectaculaire contre le voisin argentin.
Toucher le soleil pour mieux se brûler
En 1930 se tient la première Coupe du Monde de football organisée en Uruguay. Bien que vieillissant, Andrade parvient à mener ses coéquipiers jusqu’à la finale. Nous sommes à la mi-temps de la première finale de l’histoire du Mondial de football. Une finale épique entre l’Uruguay et l’Argentine, deux pays qui dominent la planète football à cette époque. Les coéquipiers d’Andrade sont menés 2-1. En plein trac, « la Merveille Noire » passe à côté de sa première période. A la pause, son trac se transforme en crise de nerfs. Il se roule par terre de rage et crie : « Nous n’avons pas le droit de perdre. Ce ne sont que des Argentins et nous sommes des Uruguayens ! » La rivalité est forte dans ce match et se ressent aussi bien sur le terrain que dans les tribunes. La Céleste se réveille en début de deuxième période et de 2-1, l’Uruguay passe à 2-4. Le public se met à scander à l’unisson « la Maravilla Negra » dans sa langue d’origine pour rendre hommage au dernier tournoi de l’enfant du pays.
Après la Coupe du Monde, alors que ses coéquipiers deviennent entraîneurs ou dirigeants, Andrade se retrouve ruiné et retourne dans les quartiers pauvres de la capitale uruguayenne. Personne ne sait comment il s’est retrouvé à la rue. Son état de santé se détériore et il se noie dans l’alcool. Il perd d’abord la vue, sans trop savoir si cette maladie est due à sa collision avec un poteau de but ou la syphilis. En 1956, Fritz Hack, journaliste allemand décide de traverser le monde à la recherche de la star uruguayenne. Après six jours de recherche dans Montevideo, il finit par le retrouver, SDF squattant un sous-sol, ivre et presque aveugle, incapable de répondre à ses questions. « Ce que j’ai vu à Montevideo est une image d’horreur. Je l’ai trouvé dans un taudis, totalement alcoolique, et presque aveugle. Il n’a pas pu répondre à mes questions. » Le 5 octobre 1957, dans l’oubli le plus total, Andrade s’éteint de la tuberculose à l’asile Piñeyro del Campo. Un temps oublié, son nom revient ensuite retrouver sa place au panthéon du football. José Leandro Andrade n’était en effet pas seulement un joueur extraordinaire avec le ballon. Il était la première star mondiale noire, celui qui permettra d’ouvrir quelques consciences. Son héritage n’en est que plus grand.Steve Beaunay
Crédit photos : Iconsports (archives)