Le 19 juillet 1996, les Jeux Olympiques d’Atlanta débutaient. Plus de 10 000 athlètes participent à ces Olympiades, représentant près de 197 nations. Parmi celles-ci, le Nigeria s’aligne notamment sur l’épreuve de football. Privée de Coupe d’Afrique des Nations la même année à cause de tensions politiques avec l’Afrique du Sud, la sélection nigériane a à cœur de réaliser un bon tournoi olympique, d’autant plus qu’elle possède une très belle génération.
Depuis 1983, le Nigeria est sous l’emprise d’une dictature militaire. Les institutions démocratiques sont supprimées en 1993, par le général Sani Abacha. Il encourage vivement l’exploitation des gisements de pétrole dans le Delta du Niger, ce qui provoque le déplacement des populations locales à se déplacer. Les différents groupes ethniques, dont les Ogonis, manifestent leur mécontentement par de nombreuses grèves. En 1995, l’Etat Nigérian décide de réprimer violemment ces mouvements contestataires. C’est ainsi que le célèbre militant et écrivain Ken Saro-Wiwa est emprisonné puis exécuté le 10 novembre 1995, avec huit autres leaders du mouvement Ogoni.
Le pays se retrouve alors très critiqué et rapidement isolé sur la scène internationale. L’Afrique du Sud et Nelson Mandela mettent en place un embargo pétrolier contre le Nigeria. Cela explique en grande partie la non-participation de la sélection nigériane à la Coupe d’Afrique des Nations de 1996 qui se déroulait, cette année-là, en Afrique du Sud. Les instances de football du Nigéria ont tout simplement boycotté la CAN, ce qui les disqualifiera d’avance pour la prochaine, en 1998.
Les joueurs nigérians n’ont donc que les Jeux Olympiques pour représenter fièrement leur pays. Seulement, face à la pression, l’entraineur Carlos Alberto quitte la sélection un mois avant le début des Jeux Olympiques. C’est alors le Néerlandais Jo Bonfrère qui reprend l’équipe nationale. À la suite d’une défaite 3-1 face au Togo en match de préparation, il est menacé de limogeage. Les joueurs nigériens montrent alors un grand esprit d’unité en menaçant la fédération de ne pas jouer les JO si Bonfrère était licencié. Face à cet ultimatum, les instances de football du pays font marche arrière : c’est bien le Néerlandais qui va mener le Nigeria à Atlanta.
Dans un contexte très difficile, les joueurs nigériens savent qu’ils doivent représenter leur pays avec fierté et honneur. Ils ont à cœur de réussir ce tournoi pour faire oublier les évènements dramatiques et faire parler du Nigeria en bien.
West, Okocha et Kanu : une génération dorée
C’est dans ce contexte politique et sportif très instable que la sélection nigériane attaque ces Jeux Olympiques d’Atlanta. Malgré le licenciement de Carlos Alberto et les difficultés de Bonfrère à s’imposer, le Nigeria est la nation africaine qui a sans aucun doute le plus beau vivier de joueurs des années 1990. Car oui, pour cette compétition il faut obligatoirement miser sur la jeunesse. Depuis 1992, pour participer aux Jeux Olympiques, il faut sélectionner des joueurs de moins de 23 ans. Cette année, il y a la possibilité de prendre trois joueurs maximum dépassant cet âge. La sélection nigériane fait donc office d’outsider pour la victoire finale, les grandes nations de football comme le Brésil, la France ou l’Argentine, étant favorites.
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La très belle performance en Coupe du monde 1994 (huitièmes de finale) et la victoire à la CAN cette même année donne du crédit à cette équipe nigériane. La victoire au Mondial des moins de 17 ans en 1993 montre également le talent de la jeunesse de cette nation. De cette victoire en catégorie de jeunes ont été sélectionnés, les frères Babayaro, Célestine (Anderlecht) et Emmanuel (Plateau United), Wilson Oruma (Lens), Mobi Oparaku (Anderlecht) et une des vedettes de l’équipe, Nwankwo Kanu (Ajax), futur double Ballon d’Or africain (1996 et 1999).
On retrouve également dans cette sélection les deux milieux de terrain évoluant en Bundesliga : Jay-Jay Okocha et Sunday Oliseh. Tous les deux souhaitent ardemment réussir cette compétition, pour se donner une porte de sortie. Leurs deux clubs, l’Eintracht Francfort et Cologne, ont été en grande difficulté sportive cette saison. Deux jeunes pensionnaires de Ligue 1, Taribo West (Auxerre) et Abiodun Obafemi (Monaco), ont aussi été appelés. Enfin, pour apporter de l’expérience, Daniel Amokachi (Everton), Emmanuel Amunike (Sporting Lisbonne) et Uche Okechukwu (Fenerbahçe) sont sélectionnés, comme étant les trois joueurs de plus de 23 ans.
La sélection nigériane est donc composée de 18 joueurs. Jo Bonfrère base son équipe sur un 4-4-2 à plat, pour profiter de la rapidité de ses joueurs de côté, que ce soient les ailiers ou les arrières latéraux. Joseph Dosu (Julius Berger), un des seuls joueurs évoluant encore au Nigeria, occupe le poste de gardien de but. L’expérience de Uche, associée à la fougue de West, offrent une bonne assise défensive. La paire Oliseh-Okocha au milieu de terrain amène de l’équilibre et de la technique. Enfin, l’ultra complémentarité des deux avant-centres, Kanu et Amokachi, offre de nombreuses solutions en profondeur ou dos au but.
Un début de compétition contrasté
C’est le 21 juillet 1996 au Citrus Bowl d’Orlando que débutent les Jeux Olympiques de football pour le Nigeria. Les Super Eagles sont confrontés aux Hongrois. Peu inspirés et parfois en difficulté, ils ont dû s’en remettre au génie de leurs deux attaquants. Juste avant la mi-temps, Kanu hérite du ballon aux 25 mètres. Il enclenche un une-deux avec Amokachi qui remise parfaitement de l’extérieur. Sans contrôle et sans même que le ballon touche le sol, Kanu crucifie le portier hongrois. Ce match se solde sur une victoire 1-0 grâce à ce magnifique but de l’attaquant de l’Ajax Amsterdam.
Le second match de poule oppose le Nigeria au Japon, surprenant vainqueur du Brésil lors du premier match. Méfiants et mis en difficulté par une très intéressante équipe japonaise, les Nigériens voient leur succès se dessiner en fin de rencontre. Sa rapidité, et un brin de réussite, permettent à l’ailier droit du Roda JC, Tijani Babangida, d’ouvrir la marque à la 82ème minute. À la suite d’une grossière faute de main d’un défenseur japonais, l’arbitre de la rencontre, Pierluigi Collina, désigne le point de pénalty. C’est donc à la 90ème minute que Jay-Jay Okocha cloue la victoire du Nigeria d’une frappe tout en douceur. Un succès 2-0 qui permet aux Super Eagles de prendre la tête du groupe.
C’est donc lors du dernier et troisième match de poule que les joueurs de Jo Bonfrère affrontent le Brésil de Bebeto, Ronaldo, Rivaldo, Roberto Carlos et consorts. Vainqueur facile des Hongrois, les Brésiliens doivent absolument s’imposer, tout comme les Nigériens, tous deux étant sous la menace des Japonais. Le Brésil s’impose 1-0 grâce à un but du tout jeune Ronaldo, après un match très disputé. Le Japon, le Brésil et le Nigeria terminent tous les trois à 6 points. C’est grâce à la différence de buts que le Nigeria accroche la deuxième place, juste derrière les auriverdes. La Hongrie, pour sa part, termine dernière du groupe.
Le début de l’engouement
Le Nigeria affronte le Mexique en quart de finale. Pourtant premiers de leur groupe, dans lequel on trouvait la Corée du Sud, l’Italie et le Ghana, les Mexicains ne sont pas favoris. Néanmoins, le Nigeria reste sur une défaite et aborde ce match avec méfiance.
Les Super Eagles s’en remettent cette fois-ci au génie de leur maitre à jouer, Jay-Jay Okacha. A la 20ème minute, il hérite du cuir aux 25 mètres et décoche une frappe à de ras de terre, rasante, qui finit sa course dans les filets de Jorge Campos, gardien de but de la sélection mexicaine. Juste avant la mi-temps, Duilio Davino écope d’un carton rouge, le Mexique est en infériorité numérique pour une grande partie du match.
Le Nigeria prend alors le match en main et impose sa technique durant la seconde période. A la 84ème, l’arrière gauche Célestine Babayaro double la mise à la suite d’un cafouillage sur corner. La victoire est assurée pour les Nigériens. Jo Bonfrère exulte : ses protégés filent en demi-finale retrouver le Brésil. Gros bémol de cette soirée : l’expulsion à la 89ème minute de Sunday Oliseh, joueur majeur du 11 de départ, à la suite d’un second carton jaune.
Une revanche spectaculaire
Le Nigeria se présente face au Brésil pour une place en finale de ces Jeux Olympiques d’Atlanta. C’est au Sanford Stadium d’Athens et devant plus de 78.000 personnes que les deux équipes se rencontrent, proposant un match de haute voltige.
Les Super Eagles craquent très rapidement, puisque dès la 1ère minute du match, Flavio Conceição ouvre la marque sur coup-franc. Le Nigeria est cueilli à froid, mais réagit rapidement. On joue la 20ème minute, Oparaku change totalement de côté et trouve à gauche Babangida, qui centre fort à ras de terre. Roberto Carlos dévie le ballon dans ses propres cages. A la 28ème minute, Bebeto redonne l’avantage aux Brésiliens, suite à une frappe repoussée de Ronaldo. Agé de 32 ans, le capitaine de la Seleção montre la voie à ses jeunes coéquipiers. Puis, à la 38ème minute, Flavio Conceição y va de son doublé sur une action magistrale. Les hommes de Jo Bonfrère sont menés 3-1 à la mi-temps et subissent la rencontre.
Au retour des vestiaires, le match est toujours aussi disputé. C’est une rencontre vivante avec de nombreuses occasions de part et d’autre. Ne se livrant pas à fond par peur de tout perdre, le Nigeria devra attendre la 78ème minute pour reprendre espoir et y croire de nouveau. Ikpeba, rentré à la mi-temps, est décalé sur le côté gauche par Amokachi et enroule parfaitement sa frappe du pied droit. Dida est battu. Le Nigeria pousse pour arracher les prolongations. L’égalisation vient de Kanu, le prodige de l’Ajax. A la 90ème minute, il hérite du ballon suite à une touche d’Okocha et effectue un geste de grande classe : petite louche pour se lever le ballon et ensuite glisser le cuir dans les filets, malgré la sortie de Dida et le tacle de Zé Maria.
Le Nigeria arrache les prolongations. Le banc exulte. La confiance change totalement de camp. Les Brésiliens sont abattus et les Super Eagles surmotivés. Jo Bonfrère donne ses dernières consignes pour aller chercher la gagne en marquant le but en or durant ces trente minutes supplémentaires. Les Nigériens y croient plus que jamais et repartent à l’assaut du but brésilien. Un long ballon contré du dos revient dans les pieds de l’inévitable Kanu. Il se joue de la défense brésilienne et croise sa frappe : 4-3. C’est le but en or ! Le Nigeria est en finale des Jeux Olympiques.
La joie est entière. Le stade d’Athens exulte. L’équipe olympique de football du Nigeria est en finale du tournoi. Quelque chose se passe dans ce groupe de jeunes joueurs, qui sous l’égide de Jo Bonfrère a développé un très bon esprit d’équipe. Une chose les persuade : ils vont gagner ce tournoi. Seulement, pour cela, il faudra battre en finale les Argentins, tombeurs du Portugal dans l’autre demi-finale.
Une fin de tournoi en apothéose
La finale de ces Jeux Olympiques de football 1996 oppose donc le Nigeria à l’Argentine. Les joueurs de l’Albiceleste menés par Daniel Passarella ont éliminé les Portugais avec brio, grâce à un doublé de l’attaquant vedette Hernán Crespo. Plus de 86.000 spectateurs assistent à cette rencontre, toujours au Sanford Stadium d’Athens. Okocha, Kanu, West, Oparaku et Oliseh face à Ayala, Gallardo, Crespo, Ortega, Simeone et Zanetti. Du très beau monde de part et d’autre.
Dès le coup d’envoi, donné par Pierluigi Collina, arbitre de cette finale, on sent les Nigériens très impliqués. Ils ont envie de gagner ce tournoi et cela se ressent sur le terrain. Pourtant, comme face au Brésil, les Super Eagles concèdent l’ouverture du score très tôt dans le match, à la 3ème minute. Le centre de l’inévitable Crespo trouve la tête de son compère d’attaque, Claudio Lopez. Il propulse le ballon de la tête en pleine lucarne. Les hommes de Jo Bonfrère réagissent, comme souvent, après coup. A la 28ème minute, le Nigeria joue rapidement un corner « à la rémoise », et Célestine Babayaro place une tête magistrale qui finit sa course dans les filets, après avoir frappée le montant. 1-1 à la mi-temps de cette finale très disputée.
Les Nigériens reviennent avec la même fougue et la même détermination. Malheureusement, une faute discutable de Taribo West sur Ortega permet à l’Argentine de reprendre l’avantage. On joue la 50ème minute et Crespo transforme son pénalty. Les Super Eagles vont devoir courir après le score pour espérer remporter cette finale. Après plusieurs occasions manquées, Amakochi égalise en faveur du Nigeria, à la 74ème minute. Une touche de Babayaro apporte le danger dans la surface argentine. Amakochi en profite et place une subtile louche qui trompe le portier de l’Albiceleste. 2-2 : tout reste à faire !
On joue alors la 90ème minute et ce qui semble être une des dernières actions du match. Wilson Oruma, entré en cours de match, se charge d’un coup franc excentré côté gauche. Les joueurs Argentins tentent de jouer le hors-jeu, et la majorité des joueurs nigériens semblent l’être. Tous, sauf Emmanuel Amunike, l’ailier du Sporting Portugal. Il hérite du ballon dans la surface et ajuste facilement le portier de l’Albiceleste. Malgré les contestations argentines, Pierluigi Collina valide le but. 3-2 : le Nigeria prend l’avantage juste avant le terme ! L’ensemble des Super Eagles sur le terrain se rue vers le banc pour se congratuler. Jo Bonfrère prend dans ses bras ses adjoints. Les quelques drapeaux nigériens présents dans le stade sont de sortie. Le Nigeria est champion olympique de football. Les joueurs laissent exploser leur joie.
Ils l’ont fait pour un pays, pour un continent : le Nigeria est sur le toit de l’Olympe. Cette génération dorée nigériane devient médaillée d’or aux Jeux Olympiques de 1996. La jeune sélection confirmera même les espoirs placés en elle lors du Mondial 1998 en France. Cette victoire permet à tout un peuple d’oublier la dictature militaire et la répression sanglante dans le pays le temps d’un instant. L’Histoire retiendra que le Nigeria est la première nation africaine à avoir remporté l’or olympique en football.
Sources :
- Monde Football
- Résumé du match Brésil Nigeria JO 1996
- BBC Afrique : Comment le Nigéria est parvenu à remporter l’or aux Jeux olympiques de 1996 ?
- New York Times : Nigeria executes critic of regime; nations protest
Crédits Photos : IconSport