Jean-Marc Furlan est aujourd’hui l’un des entraîneurs français qui suscite le plus d’intérêt. Depuis le début de cette saison 2020-2021, l’entraîneur de l’AJ Auxerre fait régulièrement parler de lui sur les réseaux sociaux grâce à ses conférences de presse où sa passion et son franc-parler transpirent. Pourtant, Furlan est l’entraîneur de l’actuel 6e de Ligue 2 et n’a jamais entraîné un club de première partie de tableau de l’élite. Entre ses choix et la relation d’incompatibilité qu’il entretient avec le football de haut-niveau, Jean-Marc Furlan s’est construit sa carrière d’entraîneur grâce aux supporters, pour eux et avec eux.
De 1976 à 1993, Jean-Marc Furlan est un joueur de football professionnel. De Bordeaux à Lens en passant par Lyon, Libourne, Tours, Laval ou Montpellier, le défenseur central est considéré comme un joueur rugueux. Il décrit sa mission comme consistant à détruire le 9 ou le 10 de l’équipe adverse. Pourtant, le Girondin est déjà attiré par le beau jeu : marquer beaucoup de buts, avoir le ballon, que toute l’équipe joue pour l’attaque, etc. Pour Furlan, le modèle de l’époque est le FC Nantes de Jean-Claude Suaudeau ou Raynald Denoueix. Dès qu’il en a l’occasion, il demande aux joueurs nantais comment les entraînements se passent, ce qu’ils travaillent au quotidien et le discours de ces entraîneurs qui le font rêver.
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Furlan ne voulait plus rejoindre le football professionnel
Alors logiquement, à la fin de sa carrière de footballeur, Jean-Marc Furlan prend la voie d’une nouvelle carrière, celle d’entraîneur. Cependant, il ne profite pas tout de suite de son passé de joueur pour intégrer un club professionnel. Au contraire même, puisqu’il est lassé du monde professionnel. À ce moment-là, il préfère entraîner des amateurs, des jeunes puis Libourne en CFA. Ce qui intéresse Furlan est de transmettre sa passion pour le football. Il est animé et très ému par ce sport. Or, il juge que l’économie a pris une place trop importante dans le football, au profit des émotions.
Jean-Marc Furlan passe du temps à Clairefontaine, avec des futurs entraîneurs qui ont été des coéquipiers ou des adversaires sur le terrain quelques années plus tôt. Il aime apprendre et débattre avec d’autres passionnés car il pense que malgré la passion en commun, personne ne pense le football exactement de la même manière. Cette idée le pousse à souvent discuter les interventions auprès des jeunes entraîneurs et ainsi développer sa vision du football. Aimé Jacquet, séduit par la pensée de Furlan, le force alors à passer le diplôme pour pouvoir entraîner les professionnels. Malgré ses réticences, Furlan s’exécute et c’est le début d’une transition pour le public de défenseur assassin à entraîneur apôtre d’un football attractif.
Une première aventure à Troyes et un passage à vide
En 2004, Jean-Marc Furlan rejoint Troyes. Le club champenois est alors en Ligue 2 et pour sa première saison, le nouvel entraîneur le fait monter dans l’élite. En étant la meilleure attaque du championnat et la pire défense des neuf premiers, Furlan applique déjà ses principes : son équipe doit marquer un but de plus que l’adversaire et peu importe combien elle en prend. Une tactique qui porte alors déjà ses fruits. En révélant Blaise Matuidi, Bafétimbi Gomis ou Damien Perquis, Furlan offre la dernière marche du podium à Troyes et un engouement aux supporters.
Les deux saisons suivantes en Ligue 1 sont plus compliquées pour l’ESTAC. L’équipe de Furlan marque moins, encaisse plus et évite de justesse la relégation (17e en 2005-06) avant de descendre la saison suivante (18e en 2006-07). La réussite de Furlan pour sa première année ne le suit pas et il quitte Troyes. Pourtant, son nom est déjà réputé dans l’élite du football français puisqu’il est contacté par Jean-Louis Triaud pour rejoindre les Girondins de Bordeaux, alors sixièmes de Ligue 1. Mais Furlan a déjà donné son accord au Racing Club de Strasbourg. En Alsace, il connaît une nouvelle descente en Ligue 2 puis une quatrième place en seconde division avec la deuxième meilleure attaque du championnat et toujours parmi les pires défenses du haut du tableau. Ce sont finalement deux échecs puisque le club descend et échoue à monter. Strasbourg se sépare alors de Furlan.
C’est peut-être aussi ce manque de stabilité et la cruauté du résultat qui maintenait Furlan loin du football professionnel. Il en fait une nouvelle fois l’expérience à Nantes où il ne passe que trois mois, de décembre 2009 à janvier 2010 dans un club où les entraîneurs se succèdent et les Bretons végètent juste devant la zone de relégation. Jean-Marc Furlan trouve finalement de la stabilité en revenant à Troyes. Le seul club où finalement il a réussi jusque-là.
De son second passage à Troyes à l’histoire d’amour brestoise
Pour son deuxième passage à l’ESTAC, Furlan y reste cinq saisons et demi. Il connaît deux montées en Ligue 1 et une descente en Ligue 2. C’est ici qu’il installe définitivement ses principes de jeu. En 4-2-3-1 le plus souvent, Jean-Marc Furlan accorde beaucoup d’importance à ses latéraux qui sont ses «meneurs de jeu». Pour lui, le rôle de l’entraîneur doit être de promotionner ses joueurs. Il veut, dans un sport collectif où le joueur pense à sa carrière et à son intérêt personnel, apprendre à ses hommes à conjuguer non plus à la première personne du singulier mais au pluriel. Après Blaise Matuidi, un autre futur champion du monde est façonné par Furlan : le latéral droit Djibril Sidibé. Avant les résultats, la réussite de Furlan s’observe d’abord par les joueurs qu’il a construit. On voit ainsi toute l’humanité et le dévouement que cet entraîneur confère à son métier.
Pour obtenir une réelle stabilité, on se dit que Furlan devrait rester en Ligue 2. Incapable de se maintenir en Ligue 1 (un seul maintien, en 2005-06), l’entraîneur girondin ne développe jamais aussi bien son jeu, ses équipes et ses joueurs que dans la seconde division. C’est ce qu’il va réaliser à Brest, entre 2016 et 2019 où durant trois saisons, le Stade Brestois passe de peu à côté de la montée avant d’accéder à la première division à la fin de la saison 2018-19, le moment pour Furlan de quitter la cité du Ponant. En offrant à Brest un suspens permanent pendant trois saisons et un jeu porté vers l’offensive, Furlan a séduit les supporters et laisse une trace indélébile dans un club qui poursuit dans cette identité de jeu avec Olivier Dall’Oglio.
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C’est une des grandes préoccupations de Jean-Marc Furlan l’entraîneur : remplir les stades. Pour lui, un coach se doit de bien faire jouer ses équipes pour les supporters. Il veut que le public profite le week-end du travail passionné et ludique que l’équipe entreprend toute la semaine. Furlan a un vocabulaire bien spécifique que l’on retrouve dans ses conférences de presse : «se régaler», «prendre du plaisir», «faire bander». Cette philosophie de l’attractivité, du charme, de la séduction est celle de Jean-Marc Furlan. Il n’est pas étonnant de le voir parler de football comme il pourrait parler d’amour.
Pour lui, l’entraîneur se doit d’être humble, cohérent et compétent. La cohérence signifie certainement de ne pas renier ce qu’il est. C’est pour cela que Furlan n’arrive pas en Ligue 1 : il n’a évolué dans ce championnat qu’avec des petits budgets et pour lui il est impossible de jouer son football dans ces conditions. Il rejoint alors Auxerre à l’été 2019. Pourquoi aucun grand club de Ligue 1 ne s’intéresse à Jean-Marc Furlan depuis Bordeaux en 2007 ? La passion mène pourtant au succès, les grandes idoles de Furlan l’ont prouvé : Johan Cruyff, Mircea Lucescu ou Guus Hiddink. Le plaisir est-il incompatible avec la victoire ? La philosophie de Furlan semble faire peur aux grosses écuries dans le besoin de résultats. Or, elles savent très bien que Furlan ne reniera jamais ses principes pour obtenir le résultat.
Jean-Marc Furlan est un homme qui aime apprendre, qui lit beaucoup, qui aime parler de sa passion. Il entretient ainsi une relation particulière avec le public épris de football. Plutôt que de s’offrir une carrière d’entraîneur plus prestigieuse, il ne s’adonne jamais au pragmatisme et reste ainsi dans des clubs modestes, en Ligue 2, là où il a toujours réussi. Le manque de temps accordé à un entraîneur pour gagner ne joue pas en sa faveur. Furlan offre toujours du plaisir aux supporters et c’est finalement ce pourquoi il fait ce métier : faire conjuguer tout un club, des joueurs aux supporters, au «nous».
Sources :
- CADU Florian, Furlan, la Ligue 2 dans le sang, 23 mai 2019, So Foot
- FAVRE Laurent, Jean-Marc Furlan : « Le milieu du football français est très consanguin », 12 août 2019, Le Temps
- Jean-Marc Furlan, le coach à la page, 20 avril 2017, Le Télégramme
- Jean-Marc Furlan : l’interview du Winamax FC, publiée le 17 février 2021, Winamax
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