La Coupe du Monde 1970 est une succession d’événements emblématiques. Marquée par les inspirations géniales de Pelé et sa tentative de lob manquée sur Ivo Viktor, du « plus grand arrêt de tous les temps » de Gordon Banks sur une tête à bout portant du Brésilien ou encore son grand pont sans toucher le ballon devant le portier uruguayen Ladislao Mazurkiewicz, ces coups de génie le mèneront à la conquête de son troisième sacre mondial, un record encore aujourd’hui. Mais la Coupe du Monde mexicaine est aussi l’histoire d’un match, d’une prolongation, qui marquera à jamais les esprits.
Qu’Italie – Allemagne soit considéré comme un classique de notre football est en grande partie grâce à ce match de légende, encore aujourd’hui inscrit dans la pierre du Stade Aztèque de Mexico. Si le but de Fabio Grosso en 2006, le doublé de Mario Balotelli en 2012 ou le penalty manqué de Zaza en 2016 raisonnent encore autant dans les esprits aujourd’hui, c’est car la rencontre Italie-Allemagne est avant tout l’histoire d’une confrontation, toujours ancrée dans la mémoire et à jamais gravée dans l’histoire.
Présentations des équipes et parcours dans la compétition
Afin de revenir définitivement sur le devant de la scène intercontinentale, l’Italie mise beaucoup sur cette Coupe du Monde, qui est pour la première fois diffusée en couleur et en direct à la télévision dans le monde entier. Fraîchement championne d’Europe en 1968, elle reste sur plusieurs échecs au Mondial. Lourdement marquée par la disparition du Grande Torino dans un crash d’avion en 1949, dont les joueurs constituaient la base de l’équipe, la Nazionale connaîtra l’élimination au premier tour en 1950, 1954, 1962 et 1966 et ne sera même pas qualifiée pour l’édition suédoise de 1958.
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Pour pallier ces manques de résultats, les Azzurri miseront sur le Catenaccio, technique ayant mené l’Inter des années 1960 à des résultats probants : trois Scudetti, deux Coupes des Clubs Champions et autant de Coupes Intercontinentales sous la houlette de Helenio Herrera. Pour ce faire, le système défensif italien se repose essentiellement sur Giacinto Facchetti et Tarcisio Burgnich, deux éléments importants du succès défensif de l’Internazionale d’antan. Ajoutez à ces deux rocs défensifs, les éléments majeurs du Cagliari fraichement champions d’Italie : Albertosi dans les buts, Cera et Domenghini au milieu de terrain, sans oublier « Gigi » Riva devant soutenu par Mazzola, meneur de jeu de l’Inter, en alternance avec Gianni Rivera, qui commence cette rencontre sur le banc.
L’équipe italienne commence cette compétition avec des résultats qui la caractérisent : un but en trois rencontres, une première place de groupe acquise et une défense d’acier avec zéro but encaissé. Le résultat est plus important que la manière. En quarts de finale, l’Italie joue le pays hôte. Laissez tomber les préceptes, l’Italie étrille le Mexique 4-1 avec un doublé de Riva et un but de son Golden Boy Gianni Rivera qui, comme à son habitude, a remplacé Mazzola à la mi-temps. Rendez-vous en demi-finale.
De son côté, la Mannschaft arrive au Mexique sûre de son fait. Championne du Monde en 1954, demi-finaliste en 1958 et finaliste déchue en 1966 face à l’Angleterre, mais surtout, un parcours tonitruant dans les phases de poules : trois matchs, trois victoires et dix buts marqués, dont huit par le seul Gerd Müller, star offensive de son équipe. Avec sa colonne vertébrale Maier – Beckenbauer – Müller, tous joueurs du Bayern Munich ayant tout juste fait le doublé Coupe – Championnat en 1969, l’Allemagne de l’Ouest semble intouchable, bien aidée de Karl-Heinz Schnellinger, défenseur central de l’AC Milan vainqueur de la Coupe des Clubs Champions en 1969 ou encore le capitaine Uwe Seeler, grand attaquant du SV Hambourg avec ses près de 500 buts pour le club.
En quart de finale, la RFA affronte l’Angleterre, pour ce qui est un remake de la finale de la dernière édition. Menée 0-2 jusqu’à l’heure de jeu, les Allemands sauront réagir : Beckenbauer d’une frappe à 16 mètres à la 68e puis Seeler, d’une tête en reculant, lobe le gardien anglais à la 82e et offrent à l’Allemagne les prolongations. Des minutes supplémentaires dont profitera Gerd Müller qui, d’une reprise à bout portant, permettra à l’Allemagne de vaincre le signe indien et de venir à bout du champion du Monde en titre. Cette fois-ci, ce sont les champions d’Europe qui les attendent…
Au vu du parcours de ces deux équipes dans la compétition, la RFA part légèrement favorite, mais la rencontre s’annonce passionnante. Entre la force de frappe offensive allemande – et ses 13 buts en 4 matchs – et la solidité défensive italienne – et son seul but encaissé durant la compétition – il semble compliqué de prédire qui s’offrira le droit d’affronter le vainqueur de l’autre demi-finale entre le Brésil et l’Uruguay en finale.
90 premières minutes : la peur règne
Ce 17 juin 1970 est une date à retenir dans l’histoire du football. Devant les 102 000 spectateurs d’un Stade Aztèque plein à craquer et les quelques 100 millions de téléspectateurs, la chaleur étouffante de la capitale mexicaine sourit d’abord à l’Italie. Après 8 minutes de jeu, Roberto Boninsegna, attaquant de l’Inter, décroche une frappe aux 20 mètres après un une-deux avec Gigi Riva et trompe Sepp Maier. 1-0 pour l’Italie, le match est lancé… ou pas. La chaleur et les 2240m d’altitudes, auront raison du rythme du match et de la justesse technique des 22 acteurs.
Rien à signaler ensuite, ou presque. L’Italie laisse le ballon à l’Allemagne et se contente de défendre, sans pour autant concéder de grosse occasion. En première mi-temps, c’est même l’Italie qui se montre la plus dangereuse avec, à la 16e minute, un petit frisson coté allemand mais Riva écrase trop sa reprise de volée sur un centre de De Sisti. Sept minutes plus tard, c’est Domenghini qui décroche une frappe de 30 mètres et teste les réflexes d’un Maier resté attentif. L’Italie défend bien et ne concède rien, si ce n’est des frappes aux 20 mètres qui sont pour la plupart contrées par des pieds italiens ou facilement captées par Albertosi. Seule une frappe de Grabowski sous la latte forcera le gardien sarde à la claquette en corner. A la 42e minute, l’Italie aurait pu doubler la marque ; suite à un long dégagement d’Albertosi, et la déviation de Domenghini, Patzke rate son intervention et le ballon se retrouve dans les pieds de Riva. Le sauvetage in-extremis de Berti Vogts pour empêche l’attaquant italien de se présenter seul face à Maier. A la mi-temps, le score est de 1-0.
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Au retour des vestiaires, Rivera remplace comme à l’accoutumée Mazzola, mais n’empêche pas le rythme de caler et les joueurs semblent accuser le coup de la chaleur. Les longs ballons et les erreurs techniques se multiplient. Plus le temps passe, plus l’Italie recule et moins elle arrive à se créer d’occasions en contre-attaque. A l’heure de jeu, l’Allemagne accélère un peu : Overath trouve la transversale sur un bon centre en retrait de Grabowski (63e) et Seeler, de la tête, ne manque de trouver la lucarne une minute plus tard que grâce à l’intervention décisive du dernier rempart transalpin.
A la 66e, c’est Beckenbauer qui prend ses responsabilité. Le prodige allemand récupère le ballon au milieu du terrain, se retourne, élimine De Sisti et Riva d’un contrôle, crochète Cera au bord des 16 mètres qui, lui, appliquera à la perfection la maxime du « soit le ballon passe, soit le joueur, mais pas les deux » et éjecte le futur Ballon d’Or au sol. Les Allemands réclament un penalty, mais l’arbitre n’accordera qu’un coup-franc. Le joueur du Bayern Munich, lui, reste au sol se tenant l’épaule droite. Problème : le sélectionneur allemand Helmut Schön vient d’effectuer son deuxième et dernier changement autorisé. Le Munichois n’a d’autre choix que de rester sur le terrain, le bras en écharpe, pour donner une image qui reste aujourd’hui encore symbole de courage et d’abnégation.
L’Allemagne continue alors de pousser et l’Italie de reculer quand, à la 69e minute, Overath tente une percée dans l’axe, décale Grabowski dans la profondeur qui, seul aux 5 mètres parvient à tromper Albertosi… Avant que Rosato sauve en catastrophe sur la ligne. Les deux équipes semblent pâtir de la chaleur, les Italiens ne se projettent plus et Gerd Müller pas dans grand soir, à l’image du match de son équipe, n’y arrive pas trouvant toujours un pied sur le passage de ses tentatives désespérées.
Tout aurait pu basculer à la 83e minute quand, de manière incompréhensible, Albertosi se presse de remettre en jeu le ballon. Il le dégage directement sur Grabowski – encore lui – qui le contre. Le ballon se dirige alors inexorablement vers le but désert, Reinhard Libuda se dirige pour le pousser au fond. Mais Albertosi revient. Encore une fois, tout semble sourire à l’Italie, et l’Allemagne n’y arrive pas. « Il y a des matchs où l’on pourrait jouer des heures sans marquer », entend-on parfois. Cette partie ressemblait grandement à ce genre de match pour la RFA. Soudain, le match bascule dans l’irréel.
Et là, l’Histoire s’écrit
Pour que ce match soit « l’histoire d’une prolongation », il faut une prolongation. Dans les arrêts de jeux de cette seconde mi-temps à sens unique, la rencontre bascule. On joue la 91e minute quand Grabowski déborde coté gauche et dépose un centre dans les 5 mètres que Schnellinger ne se fait pas prier pour pousser au fond. 1-1, tout est à refaire pour les Italiens ! Le défenseur central allemand ne le sait pas encore, d’un match crispant et tactique, celui-ci l’a transformé, le temps d’un plat du pied, en une demi-finale d’anthologie. L’arbitre péruvien siffle la fin du match : les Allemands sont euphoriques, quand les Italiens semblent déboussolés.
Pour les 30 prochaines minutes, l’expression « second souffle » semble prendre sens. Abandonnez tous préceptes tactiques, pour laisser place à la seule rage de vaincre. 94e minute : coup de tête anodin de Seeler, incompréhension dans la défense italienne, le ballon rebondit sur Burgnich et revient dans les pieds de Müller qui ne pardonne pas et prouve que même en étant transparent dans un match, l’instinct de buteur ne s’oublie pas.
En l’espace d’un instant, la Mannschaft vient de renverser le match. L’Allemagne exulte alors que l’on pense l’Italie sombrer, mais il n’en est rien. Quatre minutes plus tard, coup-franc de Riva par-dessus le mur, Held ne parvient pas à dégager et Burgnich se fait pardonner de son erreur précédente, les compteurs sont remis à zéro. Alors que l’on se dirige vers la mi-temps, Rivera lance Domenghini en profondeur, qui s’appuie sur Riva. D’un magnifique enchaînement, ce dernier contrôle le ballon dans les airs, crochète Schnellinger et frappe pied gauche. Le ballon termine sa course dans le petit filet de Sepp Maier. L’Italie repasse devant, 3-2. Mi-temps.
Les Allemands ne se démoralisent pas, au contraire des Italiens qui se crispent. La peur de gagner les rattrape quand, à la 110e minute sur un corner de Grabowski, Seeler remet le ballon dans l’axe et Gerd Müller surgit, d’une tête plongeante, pour raviver la flamme, 3-3. Les Italiens ne laisseront pas cette flamme s’embraser. Alors que le réalisateur diffuse encore le ralenti de l’égalisation de la Mannschaft, Boninsegna déborde Schutz et centre en retrait : Rivera n’a qu’a ouvrir son pied pour tromper le dernier rempart allemand et fait basculer le sort du match. Le Jolly italien, ballon d’or 1969, ne se fait pas prier et scelle définitivement la rencontre, 4-3 score final.
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L’Allemagne ne trouvera jamais la force de revenir. La force, aucune des deux équipes n’en a plus une seule goutte. Au coup de sifflet final, les Azzurri ne trouvent même pas celle suffisante pour célébrer cette victoire historique, à l’image de Boninsegna qui ne parvient plus à se relever après le coup de sifflet de l’arbitre. La Gazzetta titrera d’ailleurs : « Tous semblaient ivres, mais ivres de joie ».
Cette Coupe du Monde est donc celle des innovations. Innovation sur le terrain déjà, car le monde découvre les prolongations et la possible dramaturgie qu’elles peuvent provoquer. Mais, surtout une révolution planétaire : pour la première fois, des centaines de millions de personnes ont pu vivre cette page de l’histoire s’écrire sous leurs yeux, en couleur et en direct. On peut bien sûr se demander si ce n’est pas cette victoire qui précipitera la défaite italienne contre le Brésil quelques jours plus tard (1-4), mais, en Italie encore aujourd’hui, quand on parle de la Coupe du Monde mexicaine, on pense à cette demi-finale suffocante au Stade Aztèque de Mexico.
Cette défaite, si elle peut sembler frustrante pour la RFA, semble être le point d’ancrage d’une génération gagnante en Allemagne. Car c’est avec les bases de cette même équipe vaincue au Mexique que la Nationalmannschaft glanera quatre ans plus tard sa deuxième Coupe du Monde. Au contraire, cette victoire signe pour l’Italie, la fin d’une génération. La défaite en finale contre le Brésil marque la fin du cycle des grands joueurs que sont Mazzola, Riva et Rivera, qui prendront tous leur retraite internationale à la fin du Mondial de 1974, pour laisser la place à la génération gagnante en 1982. Quoiqu’il en soit, cette rencontre prouve qu’à la fin, ce n’est pas toujours l’Allemagne qui gagne.
Sources:
- Alex Bourouf, Italie – RFA 1970, le match du siècle, oldschool panini.
- Diego Mariottini, Italia – Germania 4-3: la brutta partita che fece la storia, La Gazzetta dello sport, le 17 juin 2015.
- Grégory Canale, Il y a 50 ans le match du siècle, Calciomio, le 17 juin 2020.
- Ultimodiez, Italie – RFA 1970, le match du siècle, le 27 octobre 2018.
Crédits photos: Icon sport