Nous sommes le 5 juin 1968 au stade San Paolo de Naples. L’Italie affronte l’URSS en demi-finale de son Euro, après une phase éliminatoire plus que maîtrisée. A une époque où les règles du football sont en constante évolution, loin de celles que nous connaissons, cette rencontre va alors entrer dans la légende. Le hasard prend alors une place importante dans le football. Retour sur un scénario unique pour la compétition reine en Europe.
Les années 1960 marquent les prémices de l’Euro que nous connaissons actuellement. La première édition en 1960 fut un test, certaines grandes nations d’aujourd’hui ne croyant pas encore beaucoup au projet. En 1964 et en 1968, le format évolue, le nombre d’équipes augmente indéniablement, atteignant 31 pour la troisième édition.
L’Italie se place à domicile
Face au nombre grandissant d’équipes présentes, plus de huitièmes de finale. Après une phase éliminatoire divisée en huit poules (sept de quatre équipes, une de trois équipes) et des matchs étalés sur deux ans, les huit vainqueurs se retrouvent en quart de finale, pour des matchs aller/retour. L’Euro n’est pas encore celui que nous connaissons, et la compétition ne prend de l’ampleur que lors des demi-finales, où les quatre meilleures nations du vieux continent se retrouvent dans un seul pays tiré au sort. L’Italie termine les éliminatoires invaincue (cinq victoires, un match nul), et retrouve en quart de finale la Bulgarie, elle aussi invaincue. La double confrontation tient toutes ses promesses et après une défaite 3-2 à l’aller, les Italiens parviennent à refaire leur retard pour s’imposer 2-0 et se qualifier pour le dernier carré. Avec eux, l’Angleterre, la Yougoslavie, et l’URSS. Parmi ces quatre nations, c’est l’Italie qui est désignée pour recevoir les demi-finales et la finale. Premier coup de pouce du destin ?
A ce moment-là, il n’est pas encore question de chance. Tout le monde se donne donc rendez-vous en Italie pour trois jours de compétition, qui seront prolongés en cinq. Les plus grands stades sont prêts à accueillir l’événement : le San Paolo de Naples, l’Olimpico de Rome choisi pour la finale, et l’Artemio Franchi de Florence, sans OVNI cette fois-ci. Non, une simple pièce suffit pour rendre l’événement historique.
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Un match nul qui se termine dans les vestiaires
Le contexte est particulier. Nous sommes en 1968, période de transformations et d’évolution du jeu. Une des premières règles de l’époque, qui paraît évidente désormais, concerne le nombre de changements autorisés par équipe : un seul, prolongations incluses. D’éventuelles blessures diminuent considérablement les chances de qualification d’une des deux équipes… Justement, Gianni Rivera se blesse à la cuisse dès la 5ème minute, et est aussitôt remplacé. Plus le droit à l’erreur, les organismes doivent tenir. Le futur Ballon d’Or 1969 est une perte majeure pour son équipe et il est difficile d’imaginer les Italiens rivaliser avec les Soviétiques pendant la quasi-totalité de la rencontre. Mais les joueurs transalpins se transcendent et accrochent le match nul. Une autre blessure intervient en prolongations, contraignant les Italiens à terminer la rencontre à dix. Mais le score ne bouge pas, preuve de l’énorme solidité qu’a montrée l’équipe entraînée par Ferruccio Valcareggi. 120 minutes de souffrance pour préserver leur cage inviolée, mais sans marquer. Le match est donc à 0-0 après les prolongations, et les règles ne prévoient pas cette spécificité. Pas de séance de tirs au but à prévoir. Comment départager les 2 équipes ? Le règlement est clair, c’est un tirage au sort qui désignera le vainqueur. Mieux, un pile ou face, jeu de cour de récréation. Mais ici, nous sommes en demi-finale du Championnat d’Europe des Nations ! Alors que l’arbitre de la rencontre Kurt Tschenscher voulait effectuer ce tirage à même la pelouse, les dirigeants des deux fédérations préfèrent un lieu plus calme. L’ambiance dans le stade à ce moment était d’une lourdeur indescriptible. Ni caméra, ni micro, seulement 68 000 personnes retenant leur souffle en attendant un éventuel signe du destin. Le rendez-vous final, l’ultime duel autour de cette pièce se fait alors dans le vestiaire des arbitres.
Plusieurs versions, un seul résultat
Le doute demeure quant au déroulement de ce tirage au sort. Les acteurs présents à ce moment-là ne sont pas d’accord sur le scénario épique de cette qualification “au petit bonheur la chance”. La version officielle n’en a que faire des différentes versions et retient que c’est le capitaine italien Giacinto Facchetti qui annonça le bon côté, à savoir pile.
Mais les anecdotes et les mythes ne manquent pas. Tout d’abord, par le capitaine lui-même, ce qui ne l’a pas empêché de célébrer cette victoire plutôt particulière : “J’ai couru dans les escaliers du stade vers les 70 000 spectateurs qui attendaient avec impatience de connaître le résultat. Ma joie fut le signal qu’on pouvait commencer à fêter la victoire de l’Italie.”, déclarait-il pour l’UEFA. Ce dernier a fait une révélation bien plus surprenante en assurant que le lancer avait dû être refait, car la pièce n’était pas tombée correctement, pas à plat comme les plus grands lanceurs le voudraient. Bien sûr, les soupçons de fraude sont nombreux. Comment croire un simple tirage au sort grâce à un petit bout de métal sans image ni son ? Certains pensent que la pièce avait deux côtés identiques, de quoi assurer une victoire italienne à domicile. Plus surprenant encore que ces révélations, celles de l’arbitre lui-même, qui, dans une interview pour le média allemand 11 Freunde, assure que les capitaines des sélections ne sont même pas entrés dans le vestiaire. Seuls les dirigeants Artemio Franchi et Valentin Granatkin auraient assisté à ce dénouement rocambolesque.
La pièce qui a attiré toutes les convoitises ? “Un jeton d’un jeu de turc, déclare le lanceur du jour. Sur un côté, il y avait un ballon, sur l’autre, un but de football”. Et c’est bel et bien le but de football qui aurait fait gagner Artemio Franchi, alors que le coup d’essai (sûrement celui de la pièce qui n’était pas droite) avait donné l’URSS vainqueur. Les coéquipiers de Giacinto Facchetti eux-mêmes ne savent pas réellement comment tout cela s’est déroulé. Quoiqu’on puisse dire, l’histoire retiendra que c’est l’Italie qui l’emporte à ce jeu de hasard unique en son genre pour une rencontre de ce niveau en Europe.
Une finale, plusieurs rencontres
L’épreuve du pile ou face étant passée, c’est sur le terrain désormais que l’Italie doit se concentrer si elle veut remporter son Euro à domicile. En finale, les Italiens retrouvent une habituée de la compétition, la Yougoslavie, finaliste lors de la première édition de 1960. Si les Yougoslaves, emmenés par Dragan Džajić, commencent parfaitement la rencontre et ouvrent le score, ils ne réussissent pas à creuser l’écart face à un Dino Zoff impérial. Angelo Domenghini remet les deux équipes à égalité. Direction la prolongation après un nouveau match nul. Une fois encore, personne ne trouve la faille pour départager ces nations. Rien ne semble épargner le règlement, encore un peu limité à l’époque. Pas de pile ou face cette fois-ci, pas en finale. Plus logique, un second match est alors prévu, comme le faisaient encore il y a peu les clubs participants à la FA Cup, doyenne des compétitions. Rendez-vous donc deux jours plus tard, même heure. Cette fois-ci, pas de scénario loufoque, pas de match nul, mais une victoire nette de l’Italie sur le score de deux buts à zéro, grâce à Luigi Riva et Pietro Anastasi. Le Stadio Olimpico de Rome, moins rempli que lors de la première finale, peut enfin exulter. Après tant de stress, tant de rebondissements et d’incertitudes, l’Italie est sur le toit de l’Europe.
Grâce à ce succès, l’Italie remporte ce qui est encore à ce jour son seul titre continental. Dino Zoff, élu meilleur gardien de la compétition, avoue après la première finale : “nous ne méritions pas le match nul”. Mais le destin en a décidé autrement. D’abord grâce à un petit bout de métal, ensuite grâce, entre autres, à son gardien légendaire. Des petits détails qui font toute la différence et qui animent l’histoire, même des décennies plus tard. Peut-être qu’un jour le mystère sera percé. Le monde du football saura-t-il enfin ce qu’il s’est réellement passé dans ce vestiaire ? En attendant, on continue de s’émerveiller de cette incertitude.
Sources
- Adrien Pécout, « Retour sur… Italie – URSS 1968 : la qualification à pile ou face », Le Monde
- Eric Marinelli, « Le jour où l’Italie a gagné l’Euro à pile ou face », So Foot
- « Euro 1968 : tout savoir », UEFA
Crédits photos : Icon Sport